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Intervention de Jean-Pierre Aubert

Réunion du 3 septembre 2008 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Pierre Aubert :

Sur le moyen que la cour d'appel a commis dans son arrêt un véritable vice de raisonnement – c'est du moins mon interprétation. Pour tenter de restituer au groupe Bernard Tapie une plus-value perdue, elle est passée par un détour en affirmant que le groupe aurait pu encaisser le prix d'achat payé par Robert Louis-Dreyfus s'il avait obtenu un financement lui permettant d'attendre ces deux ans. Elle a donc condamné le CDR – le Crédit lyonnais de l'époque – sur le fait que le Crédit lyonnais n'a pas consenti le concours de 2 milliards de francs qui aurait permis au groupe d'attendre le temps nécessaire.

Or il faut savoir qu'un actionnaire n'est pas recevable à demander réparation du préjudice de la société dont il détient des actions. En l'occurrence, le vendeur n'est pas le groupe Bernard Tapie mais Bernard Tapie Finance, dont le mandataire ad hoc a été déclaré irrecevable par la cour d'appel. Celle-ci a en revanche estimé recevable la plainte de la société Groupe Bernard Tapie au sujet d'une éventuelle inexécution du contrat passé au moment de la vente, c'est-à-dire du mémorandum.

Cela étant, l'inexécution du mémorandum représente au maximum 185 millions de francs, lesquels ont été versés. Pour pouvoir verser tout de même quelque chose au liquidateur, la cour d'appel invoque le défaut de financement ou le non-respect d'une obligation de financement. Ayant été président de banque pendant trente ans, je me souviens de l'émotion que ce sujet a soulevée dans le milieu bancaire : pour la première fois, une cour d'appel affirmait qu'il y avait un droit au crédit. Or, dans le même temps, le Crédit lyonnais était poursuivi pour soutien abusif. La cour d'appel aurait voulu qu'il consentît un financement supplémentaire d'environ 2 milliards de francs pendant deux ans, en attendant la levée, tout hypothétique, de l'option. Contrairement à ce que beaucoup pensent, Robert Louis-Dreyfus n'était pas tenu d'acheter. Il détenait une simple option qu'il lui était loisible de lever ou non à la fin du mois de décembre 1994. Financer pendant deux ans le groupe Tapie – qui ne le demandait même pas – en attendant cette éventualité n'était à l'évidence pas raisonnable.

Voilà pourquoi je ne crois pas que l'on puisse parler de cassation partielle. Le vrai sujet, c'était le risque que présentait la cour de renvoi. C'est ce qui a fait beaucoup hésiter au moins trois ministres de l'économie et des finances, dont Thierry Breton qui, avant de donner son feu vert au recours en cassation, se demandait si la cour de renvoi n'allait pas sanctionner le CDR encore plus durement que la cour d'appel. C'était une vraie question. Après y avoir beaucoup travaillé, nous sommes arrivés à la conviction qu'il n'y avait pas de risque : comme l'indique clairement la Cour de cassation, on ne peut indemniser à 100 % un préjudice résultant d'une perte de plus-value.

On a avancé beaucoup de chiffres au sujet de cette perte. La part de Bernard Tapie Finance dans Adidas était de 78 %, de 95 % du capital, soit 2,085 milliards de francs, ce qui correspond à une valorisation de 100 % d'Adidas, en février 1993, de 2,9 milliards de francs. Par ailleurs, les investisseurs dans Adidas ont dû procéder à une augmentation de capital de 517 millions de francs pour compenser les pertes de 1992 – les banques allemandes avaient en effet menacé de suspendre leur concours si l'on ne procédait pas à cette recapitalisation. En conséquence, le prix payé par les investisseurs, incluant le montant de la recapitalisation est de 3,4 milliards de francs. C'est ce montant qu'il convient de comparer au prix d'achat en décembre 1994, soit 4,4 milliards qu'a payé Robert Louis-Dreyfus. La vraie différence ne s'élève donc pas à 2,3 milliards, comme on l'a soutenu, mais à un peu plus d'un milliard de francs. C'était là le préjudice maximum. De plus, tant la cour d'appel que la Cour de cassation affirmaient que la demande du groupe Bernard Tapie relative à la perte de plus-value de sa propre filiale n'était pas recevable. Vraiment, je ne vois pas à quel montant la cour de renvoi aurait pu condamner le CDR : à notre avis, pas grand-chose ! Au demeurant, ce sont les liquidateurs qui ont demandé l'arbitrage.

J'en viens à votre seconde question, monsieur le président. En 2002, peu de dossiers de l'ancien Crédit lyonnais étaient vraiment « blanc-bleu ». On ne pouvait estimer que le dossier Adidas ne présentait pas de risques : la preuve en est que la cour d'appel a condamné le CDR à 135 millions d'euros – on me l'avait reproché à l'époque –. Mon idée était que l'on pouvait s'épargner plusieurs années de procédure sur la base d'un principe que j'avais appelé « ni riche ni failli ». En d'autres termes, le CDR était prêt à abandonner les créances qu'il savait ne devoir jamais recouvrer et qui étaient provisionnées à 100 %, tandis que M. et Mme Tapie évitaient une comparution devant le tribunal correctionnel pour banqueroute.

C'était un compromis équilibré, celui-là même que l'avocat de M. et Mme Tapie avait demandé, autant qu'il m'en souvienne, quelques années auparavant et que le CDR avait alors refusé. Mais M. Francis Mer a souhaité que la justice suive son cours.

Si, en 2004, j'ai marqué beaucoup de réticence à l'idée d'une médiation, c'est que, comme je l'ai dit au ministre, dessaisir la cour d'appel de Paris à huit jours des plaidoiries constituait un très mauvais signal sur la solidité du dossier. Ce qui était possible à froid me paraissait dangereux à chaud.

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