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Intervention de Armelle Andro

Réunion du 19 mai 2009 à 16h00
Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Armelle Andro :

L'arrivée à l'âge adulte de jeunes filles qui n'étaient pas jusque là comptabilisées. Je ne veux pas du tout dire que le phénomène a augmenté, au contraire, la tendance est plutôt à la baisse.

La pratique recule dans la plupart des pays d'Afrique. Certains pays ont mené, ces dernières années, des politiques relativement efficaces. Au Sénégal, par exemple, la pratique a été abandonnée dans des régions entières. Dans d'autres pays, les changements seront très lents, comme au Mali où la proportion de femmes excisées est encore supérieure à 90 %. Cela étant, même dans ce pays, on note une tendance à la diminution puisque le taux est passé de 96 % à 94 %. Des lois existent dans la plupart des pays mais elles ne sont pas toujours appliquées.

Les femmes qui vivent sur le territoire français et qui ont subi une mutilation sexuelle sont généralement issues des pays d'Afrique de l'Ouest. Le type de mutilation et le contexte dans lequel elle s'effectue varient d'un pays à l'autre. L'Organisation mondiale de la santé a construit une typologie en quatre catégories, selon l'ampleur des lésions. Celles que l'on retrouve le plus fréquemment chez les populations originaires de ces pays vivant en France sont de type II : elles consistent en une clitoridectomie accompagnée, généralement, de l'ablation des petites lèvres.

Cette catégorisation reste très approximative parce qu'elle ne laisse en rien entrevoir l'ampleur des conséquences sur la santé des femmes. Certaines mutilations sexuelles, effectuées dans des conditions sanitaires déplorables, peuvent mal cicatriser et devenir handicapantes. A l'opposé, les mutilations peuvent être pratiquées, comme en Guinée et en Égypte, en milieu hospitalier ce qui limite les risques. Il faut, chaque fois, diagnostiquer les conséquences qui en résultent pour chaque femme.

À partir de ce constat, nous avons monté un dispositif d'enquête encore inédit en Europe et dans les pays d'émigration sur un sujet extrêmement sensible. Les résultats qu'il a donnés peuvent inciter d'autres pays à mener des études similaires.

L'enquête quantitative a eu pour but de cerner les conséquences de l'excision sur la santé des femmes. Jusque-là, la question des mutilations était, généralement, abordée, avec raison d'ailleurs, sous l'angle des risques de perpétuation de la pratique, mais on ne s'était jamais intéressé aux femmes qui en avaient été victimes pour mesurer les conséquences de cette mutilation et voir comment leur apporter un soutien.

Nous avons, avec l'aide d'une équipe de recherche pluridisciplinaire, élaboré un questionnaire de santé publique, validé par les instances de santé publique, pour mesurer ces conséquences. Le dispositif d'enquête était assez compliqué car il n'est pas facile de savoir si une femme est excisée. Impossible de lui poser la question directement : nombre de femmes concernées ne le savent pas, et, quand elles le savent, elles n'en ont jamais parlé à personne.

Il a fallu imaginer un protocole permettant de collecter des données précises sur la situation de ces femmes, sans les mettre en difficulté en leur demandant d'aborder des sujets dont elles n'auraient pas forcément envie de parler. Finalement, nous avons décidé de réaliser ces enquêtes en milieu médical, lors de consultations en gynécologie et, surtout, de construire une analyse de type castémoins, c'est-à-dire de poser les mêmes questions à des femmes non mutilées afin de comparer le niveau de certaines pathologies. Nous nous sommes intéressés essentiellement aux maladies urogénitales et au vécu de la sexualité.

Nous avons interrogé 3 000 femmes dont 714 avaient subi une mutilation sexuelle. Nous avons travaillé dans 75 centres de santé et dans cinq régions.

L'un des premiers résultats est déjà de montrer qu'une telle enquête est réalisable alors qu'on nous avait prédit d'énormes difficultés. Or, très peu de femmes ont refusé d'y participer et encore moins – de l'ordre de 0,5 % – ont abandonné le questionnaire en cours de route. Elles étaient parfois surprises, voire choquées, de son contenu mais beaucoup d'entre elles nous ont confié qu'elles étaient touchées qu'on s'intéresse enfin à leur sort. La plupart n'en avaient jamais parlé. Alors que nous les interrogions en milieu médical et qu'elles sortaient, pour la plupart, d'une consultation gynécologique, elles nous ont avoué qu'elles n'avaient jamais abordé le sujet avec un gynécologue. Le premier résultat de l'enquête est donc de montrer que, pour peu qu'on sache employer les bons mots, il est possible de parler de sexualité et d'excision avec des femmes qui l'ont subie.

Nous avons été surpris en revanche par une certaine résistance initiale des professionnels à notre démarche : ils ne cessaient de nous répéter que les femmes victimes d'excision n'accepteraient jamais de répondre à notre questionnaire. Mais dans la très grande majorité des centres où nous sommes intervenus, notre travail a eu un effet positif : ils se sont appropriés les questions et se sont mis à parler de l'excision en consultation. Il y a, d'ailleurs, une demande très forte de formation sur cette question de la part aussi bien des médecins gynécologues, des sages-femmes et des puéricultrices que des conseillères conjugales et des psychologues

Dans les départements confrontés depuis longtemps à ce problème du fait d'une forte présence de populations concernées, comme la Seine-Saint-Denis, les professionnels se sont formés et ont développé une expertise dans la prise en charge et l'accompagnement de ces femmes. Dans d'autres régions, les professionnels découvrent ce phénomène et ne savent pas le prendre en charge. Il en résulte des différences de traitement très importants : une femme mutilée, selon qu'elle vit en Seine-Saint-Denis, dans les Pays de Loire ou dans le Nord-Pas-de-Calais, ne bénéficie pas de la même offre de soin ni des mêmes capacités de prise en charge. Néanmoins, la situation peut évoluer rapidement car il y a une forte demande d'information et de formation de la part des professionnels et il est important de pouvoir l'offrir à ceux qui sont confrontés à ce problème.

Les premiers résultats de l'analyse castémoins révèlent des conséquences sur la santé et la sexualité des femmes.

Nous nous attendions à voir figurer en tête de ces conséquences les incidents à l'accouchement puisque, dans les pays d'origine, l'excision est responsable d'une surmortalité maternelle. Or ce n'est pas le cas, grâce à l'efficacité du système obstétrique français. Ces femmes sont prises en charges dans des structures très médicalisées où le savoir-faire et la compétence des professionnels de santé évitent des situations dramatiques.

Par contre, le vécu de la sexualité est bien peu enthousiasmant, et même parfois douloureux. Pour avoir participé à la réalisation de l'enquête sur le contexte de la sexualité en France, où un échantillon important de la population générale était interrogé sur les questions de dysfonctions sexuelles, j'ai noté des différentiels très importants entre la population générale et les femmes concernées. La sexualité des femmes est déjà peu verbalisée en général et les problèmes en ce domaine rarement pris en charge, mais, chez ces femmes, la question n'est tout simplement pas abordée et elles ne savent pas à qui s'adresser pour en parler. Il ne vient pas, non plus, à l'idée des professionnels de considérer les problèmes à ce niveau et de proposer un suivi et une prise en charge. Il y a un gros travail à faire en ce domaine.

Les questions portant sur la santé mentale ont révélé des différentiels importants entre ces femmes et la population générale. Les états dépressifs sont beaucoup plus fréquents chez ces femmes et elles les associent en partie à leur mutilation. Nous devons, cependant, garder à l'esprit qu'une très grande partie de ces femmes vit, par ailleurs, dans des conditions sociales extrêmement difficiles qui peuvent concourir à cet état dépressif.

Une autre dimension importante de notre travail consistait à évaluer les catégories de femmes pour qui la chirurgie réparatrice remboursé par la sécurité sociale depuis 2004, a du sens ou correspond à une demande. Nous pouvons dire que la chirurgie réparatrice est très importante pour pour des jeunes filles nées sur le territoire français et qui ont été excisées, soit en France dans les années 1980, soit lors d'un retour dans le pays d'origine. Elles n'ont, généralement, aucun souvenir de l'excision et découvrent très tardivement qu'elles ont été mutilées, lors d'une première visite chez le gynécologue, par exemple. Elles considèrent cette mutilation comme très handicapante, contraire à l'image qu'elles ont d'elles-mêmes et portant atteinte à leur identité.

En revanche, pour d'autres femmes, le fait d'être excisée ne semble pas poser de problèmes et elles ne voient pas l'intérêt d'une opération. Ce qui ne prouve pas qu'elles ne changeront pas d'avis, mais il est important de ne pas être trop invasif dans l'offre de soins. Il ne doit en aucun cas y avoir de prise en charge systématique.Cela étant, il ne faut pas non plus passer à côté des femmes qui vivent un martyre au quotidien à cause de cette mutilation et qui n'osent pas en parler.

Si ces femmes ont des difficultés à aborder cette question, c'est sans doute aussi parce que, jusqu'à présent, quand elles venaient déclarer une mutilation à un professionnel, celui-ci leur proposait de porter plainte et d'engager une procédure judiciaire. Or, si ces femmes en veulent souvent à leurs parents et, notamment, à leur mère, la plupart d'entre elles n'envisagent pas un recours contre eux ou même contre d'autres personnes de leur famille. Cette judiciarisation du problème a été très efficace dans l'éradication du phénomène sur le territoire national et la prévention du risque, mais c'est un obstacle pour celles qui veulent aborder le problème sous l'angle strictement médical.

Une autre raison qui dissuade les femmes qui sont mères de petites filles d'aborder le sujet avec les professionnels de santé est la suspicion qui pèse alors sur leurs propres intentions vis-à-vis de leurs filles et le peu de crédibilité qu'on leur accorde lorsqu'elles affirment ne pas avoir l'intention de pratiquer de mutilation sur elles. La protection de leurs filles prend le pas sur le soutien et la prise en charge qu'elles sont venues demander.

Le troisième volet du projet porte justement sur les dynamiques familiales. Par une approche qualitative, basée sur des entretiens approfondis avec quelques femmes et quelques hommes, nous avons essayé de comprendre pourquoi certaines familles en situation de migration abandonnent l'excision, tandis que d'autres perpétuent la pratique. Le sujet était très difficile à aborder puisque toutes les familles vivant sur le territoire national savent que l'excision est interdite et sévèrement punie. Les femmes qui se sont portées volontaires pour parler de cette question étaient donc plutôt bien disposées, même si certaines d'entre elles ne tenaient pas un discours totalement négatif sur la pratique de l'excision.

Nous avons interrogé vingt femmes et sept hommes. Il a été très difficile de trouver des hommes car ces derniers refusent, en général, catégoriquement d'aborder la question.

La première constatation est le silence qui entoure cette question. Elle est totalement tabou dans les familles. La plupart des femmes interrogées avaient découvert la question lors d'une émission télévisée qui avait déclenché une discussion au sein de la famille. A cette occasion que leurs parents leur avaient appris qu'elles avaient été, elles-mêmes, excisées quand elles étaient bébés. Les quelques soirées THEMA qui ont eu lieu sur Arte au cours des dernières années ont été un formidable déclencheur de parole dans les familles – les discussions avaient lieu avec les mères et les soeurs, jamais avec les pères – au point que presque toutes les femmes interrogées étaient capables de dire la date de ces émissions. C'est grâce à elles aussi qu'elles avaient entendu parler de la chirurgie réparatrice. Aujourd'hui, une quinzaine d'hôpitaux, essentiellement en région parisienne, pratiquent ce type de chirurgie.

Le sujet est également tabou chez les professionnels de santé. Certaines femmes nous ont dit avoir changé dix fois de gynécologue dans l'espoir d'en trouver un qui aborde le sujet.

Pour certaines la question de l'excision est liée à celle de l'identité. Être un bon parent dans le pays d'origine, c'est exciser sa fille parce que, si elle n'est pas excisée, elle ne trouvera pas de mari et aura mauvaise réputation. Dans le pays d'installation, être un bon parent, c'est ne pas exciser sa fille. Il est très difficile pour des parents de gérer ces deux injonctions contradictoires, surtout s'ils sont soumis à la pression de la famille d'origine. Parfois, ils se plient à la volonté de la famille. S'opposer à l'excision, les expose souvent à une rupture avec la famille, ce qui est un vécu très violent : leurs filles ne connaîtront pas leur grand-mère et n'iront jamais passer des vacances dans le pays d'origine car ce serait trop risqué. Des jeunes filles, tout en se réjouissant d'avoir gardé leur intégrité physique, ont l'impression d'avoir perdu leurs racines. Psychologiquement, c'est très lourd à porter.

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