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Intervention de Philippe Séguin

Réunion du 3 juin 2009 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes :

J'ai l'honneur de vous présenter deux documents : l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2008, annexé au projet de loi de règlement, et le rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État pour 2008. Ces documents, prévus par l'article 58 de la LOLF, seront complétés avant le débat d'orientation budgétaire par notre rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui évoquera les problèmes de la révision générale des politiques publiques ou de la dette sociale, qui préoccupent votre Commission.

Tous ces travaux s'inscrivent dans le cadre de l'article 47-2 nouveau de la Constitution, lequel complète la définition de la mission d'assistance de la Cour auprès du Parlement. Si la certification a été rendue publique lundi dernier, puisque l'acte devait être annexé au projet de loi de règlement pour son examen par le Conseil d'État, vous êtes les premiers destinataires du rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État. Enfin, et pour répondre à une demande de la Commission, les notes d'exécution budgétaire par mission et les notes d'analyse par programme sont cette année pour la première fois annexées au rapport sur les résultats. J'espère qu'elles seront utiles, notamment aux rapporteurs spéciaux.

Sur le fond, je me dois d'abord de vous faire part des préoccupations de la Cour s'agissant des conditions d'application de la LOLF.

Force est de reconnaître qu'après trois années de pleine application, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le big bang budgétaire et comptable n'a pas eu lieu.

Pour ce qui est de la réforme comptable, ce n'est pas à vous, qui en êtes à l'origine et qui avez voté le nouvel article 47-2 de la Constitution, que je vais démontrer l'intérêt pour l'État de disposer, comme les entreprises, d'une véritable comptabilité patrimoniale et de comptes réguliers, sincères et fidèles. Des comptes fiables constituent un outil de gestion indispensable pour l'administration, de même qu'un préalable à l'analyse des coûts des politiques publiques, et donc à une véritable mesure des performances. Il n'y a pas de mesure de la performance sans analyse des coûts, ni d'analyse des coûts sans comptabilité générale.

Des comptes fiables sont aussi la condition d'une analyse économique approfondie – en particulier quant à la soutenabilité des finances publiques. Il faudra bien finir par tirer des enseignements opérationnels de concepts tels que la « situation nette », qui mesure l'écart entre les actifs et les passifs, ou les « engagements hors bilan » susceptibles de se transformer en passifs, comme les banques l'ont appris à leurs dépens avec la crise des prêts hypothécaires à risques. Certes, ces enseignements ne seront pas les mêmes que pour une entreprise : l'État n'a pas – pas encore ! – à réfléchir à sa continuité d'exploitation. Je suis toutefois convaincu de leur utilité, autant pour les parlementaires et les gestionnaires que pour les citoyens.

La nouvelle comptabilité est aussi un vecteur d'informations indispensable pour vous permettre de débattre des projets de loi de règlement ou des orientations budgétaires. Elle constitue en quelque sorte un indicateur avancé des charges que l'État aura à assumer dans les années suivantes. Elle est donc le tableau de bord de l'ensemble des acteurs de la gestion publique. La vraie difficulté est que la plupart d'entre eux ne se sont pas approprié ces nouvelles informations. Comment y seraient-ils d'ailleurs incités alors que le Gouvernement ne fait aucun lien entre la réforme comptable et la révision générale des politiques publiques ? C'est là notre principale préoccupation.

Cette remarque concerne tout autant la réforme budgétaire. Un effort très important a été consenti pour répartir tout le budget de l'État dans des missions et des programmes dotés d'objectifs et d'indicateurs. Des responsables de programmes ont été désignés, disposant en principe d'une plus grande liberté d'utilisation des crédits. Mais, pour user d'un euphémisme, ces nouveaux outils ne sont pas utilisés autant qu'ils pourraient l'être. En bref, l'ensemble de l'administration « pédale », mais dans le vide. Les responsables de programme pourtant au coeur du nouveau système peinent pour la plupart à s'imposer, faute de définition précise de leurs missions et de leurs prérogatives, par rapport notamment aux ordonnateurs. On nous a annoncé des gestionnaires dotés de super-pouvoirs pour améliorer les performances publiques, mais force est de reconnaître que, bien souvent, le responsable de programme n'est responsable de presque rien, concurrencé qu'il est par le directeur du personnel, le directeur financier et le secrétaire général de son ministère.

Parallèlement, la programmation, la gestion et le suivi des crédits sont encore partiellement effectués selon les anciennes modalités. La fongibilité des crédits, notamment, est encore peu utilisée. Des mesures récentes comme la construction de perspectives budgétaires pluriannuelles ont certes permis des progrès, mais on est encore loin du compte en matière de remontée d'informations, d'utilisation des indicateurs ou d'adaptation des moyens aux résultats. Les indicateurs n'ont pas trouvé leur place dans le débat public. Pour résumer, sur cinquante-deux missions, rares sont celles pour lesquelles des progrès sont dus à l'application de la LOLF.

Il va de soi que nous approuvons sans retenue la démarche engagée avec la LOLF. Ce qui nous préoccupe, ce sont ses modalités d'application. Cette réforme mobilise une immense énergie sans produire les fruits attendus. Ce ne sont pas quelques modifications à la LOLF, même si elles sont opportunes, qui y changeront quelque chose. Seule une impulsion politique forte pourra déboucher sur sa pleine utilisation et venir à bout des résistances de tous ordres. L'enjeu est de taille car la LOLF est bel et bien la clé de voûte de la réforme de l'État.

J'en viens maintenant à l'acte de certification.

Nous avons formulé cette année encore douze réserves, dont neuf qualifiées de substantielles. En certifiant les comptes malgré tout, la Cour a voulu, comme les deux années passées, adopter une démarche constructive, comme le rapporteur général l'avait souhaité pour 2006 et 2007. Il ne s'agit pas pour nous de clouer l'État au pilori, mais de l'accompagner dans une indispensable démarche de modernisation. Je suis profondément convaincu que c'est une bonne approche. La preuve en est les progrès qui ont été constatés par rapport à 2007. Les deux réserves que nous avons levées ont marqué deux succès, deux progrès significatifs – que nous n'avons pas obtenus sans peine. La première concernait la valeur patrimoniale du compte des procédures publiques de soutien à l'exportation gérées par la COFACE, estimée à 8,9 milliards, et de la section des fonds d'épargne qui est retenue pour sa valeur à fin 2007, soit 7,6 milliards et qui s'ajoute au coût d'acquisition de la participation de l'État dans la Caisse des dépôts et consignations. Cette inclusion a été acquise de haute lutte. La seconde réserve touchait aux provisions pour risques.

Nous pouvons nous féliciter d'autres progrès, dans la réserve sur les produits régaliens par exemple, le désaccord sur les déficits fiscaux reportables en avant ayant été réglé, ou encore sur les immobilisations incorporelles spécifiques. Au total, la Cour a formulé 283 observations et obtenu des corrections et des ajustements significatifs dans les comptes, pour un montant de 9 milliards d'euros au compte de résultat, de 27 milliards au bilan et de 33 milliards en engagements hors bilan.

Certaines avancées obtenues en 2008 illustrent bien les avantages de la comptabilité générale. La diffusion progressive d'une culture de maîtrise des risques au sein de l'État en est une. Il peut ainsi mieux recenser les litiges et risques divers auxquels il est exposé et leurs conséquences financières. La plus grande transparence de l'information en annexe en est une autre. Est précisé par exemple le stock des déficits fiscaux qui viendront s'imputer sur les futures recettes d'impôt, lequel s'établit aujourd'hui à plus de 245 milliards d'euros. La part devant réduire les recettes à venir est estimée à près de 35 milliards d'euros pour l'impôt sur les sociétés et à 1 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu. On voit donc que c'est un moyen de prévision important. Enfin, de nouveaux actifs sont inscrits au bilan de l'État, tels que les licences UMTS et GSM, pour plus de 4 milliards d'euros, les droits d'émission de gaz à effet de serre alloués aux entreprises polluantes, pour 14 milliards, ou encore une trentaine d'opérations d'armement dont la valorisation a pu être fiabilisée, comme l'avion de transport A400M. L'ensemble de ces éléments donne à l'État des moyens pour « mieux gérer ».

Mais d'importantes difficultés demeurent. L'une des principales concerne la Caisse d'amortissement de la dette sociale. La Cour considère en effet que cette entité est contrôlée par l'État, qui en assume in fine les risques et la responsabilité. Son reclassement en entité contrôlée grèverait la situation nette de l'État de 80 milliards d'euros, voire davantage au vu des déficits qui sont annoncés pour les organismes de sécurité sociale en 2009.

Par ailleurs, plusieurs chantiers accusent des retards dont la Cour ne peut s'accommoder. C'est par exemple le cas du patrimoine immobilier. Cela fait maintenant bon nombre d'années que l'État doit dresser un inventaire fiable de ses biens immobiliers, et l'on attend toujours. J'ai récemment entendu d'importants responsables du ministère du budget affirmer qu'une politique immobilière efficace peut très bien se passer d'un inventaire comptable à jour. Laissez-moi en douter. D'ailleurs, le Gouvernement a annoncé vouloir allouer 12 mètres carrés à chaque poste de travail. Il sera sans doute difficile de faire respecter cette norme sans un inventaire exhaustif du parc immobilier !

Un autre de ces chantiers concerne les opérateurs, ces entités chargées d'un service public qui ont la personnalité juridique, mais qui sont placées sous le contrôle de l'État. Elles figurent dans ses comptes pour plus de 55 milliards d'euros. Leur recensement n'est toujours pas fiable et leurs comptes, qui sont de qualité médiocre, ne sont pas produits dans les délais impartis. Fin 2008, plusieurs d'entre eux, comme le Centre des monuments nationaux ou l'Opéra de Paris, n'inscrivaient pas à leur bilan certains monuments historiques ou des oeuvres d'art qu'ils contrôlent, alors même que ces biens justifient leur existence !

L'année 2009, quatrième exercice à être soumis à certification, sera donc critique. Nous sommes tout à fait disposés à rester compréhensifs au sujet des réserves qui ne peuvent être levées à brève échéance. Nous regrettons entre autres les nombreux retards accumulés sur la question des systèmes d'information, qui ne sont pas adaptés aux nouvelles normes comptables, mais nous avons conscience de la difficulté du processus et acceptons de rester patients. En revanche, sur d'autres chantiers, des retards ont été pris alors que les progrès étaient à portée de main. C'est le cas pour les comptes de trésorerie, le patrimoine immobilier, les produits régaliens, les passifs d'intervention, les inventaires d'actifs et de passifs des ministères civils. Si rien n'est fait, nous devrons finir par en tirer les conséquences, à moins d'ôter toute signification à l'acte de certification.

J'en arrive au rapport sur les résultats et la gestion budgétaire, qui réunit trois approches : l'une, traditionnelle, de contrôle de l'exécution budgétaire, une autre, plus nouvelle, d'analyse croisée des résultats en comptabilité budgétaire et en comptabilité patrimoniale, des résultats qui se complètent et donnent une vision plus précise de la situation, et la dernière centrée sur l'analyse des nouveaux dispositifs LOLF.

Ce rapport vous est présenté alors que l'on sait déjà que l'exercice 2009 connaîtra un déficit sans précédent, en tout cas dans l'histoire moderne et en temps de paix. L'année 2008 s'est déjà achevée sur une très forte dégradation : le déficit budgétaire de l'État s'établit à 56,3 milliards d'euros, en augmentation de près de 47 % par rapport à 2007. Cette somme représente un quart des recettes annuelles de l'État ! Le travail de la Cour a été d'analyser ce résultat et, s'il est un message qu'elle veut faire passer, c'est bien que la crise n'a eu qu'une faible part dans la dégradation du déficit. C'est dire que ce rapport révèle des tendances de fond que la conjoncture ne doit pas conduire à négliger.

Comme les années précédentes, le résultat affiché dans le projet de loi de règlement ne prend pas certaines dépenses et dettes pourtant exigibles en compte. C'est le cas de 5,9 milliards d'euros qui auraient dû juridiquement être payés en 2008 mais qui ne l'ont pas été, dont 3,6 de dettes à l'égard de la sécurité sociale et 1,95 au titre des programmes d'armement, et aussi de 953 millions de dépenses de primes d'épargne logement payées en dehors du budget de l'État au moyen d'avances rémunérées consenties par le Crédit foncier. Le montant total de ces sommes atteint 7 milliards d'euros.

La Cour ne se prononce pas sur la sincérité du résultat affiché dans le projet de loi de règlement mais donne, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, son appréciation sur l'exactitude des comptes. Toutefois, le nouvel article 47-2 de la Constitution dispose que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères » et qu'« ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière ». Cette nouvelle disposition s'applique-t-elle seulement à la comptabilité patrimoniale ou aussi aux résultats budgétaires et, si oui, dans quelles conditions ? Il ne nous appartient pas de répondre à cette question, mais elle se pose assurément. En attendant, nous ne reprenons donc aucun chiffre alternatif quant au déficit. Nous nous contentons de vous donner les informations nécessaires pour mieux comprendre ce que recouvre le résultat affiché. D'ailleurs, si certains errements, bien connus de la Cour, sont relevés, comme la sous-budgétisation, les reports de charges ou les compensations entre recettes et dépenses, ils ne semblent pas être plus importants que les années précédentes.

Cette année, la véritable difficulté vient du caractère structurel, et pas seulement conjoncturel, de la dégradation du résultat. Deux tendances de fond se conjuguent : une diminution des recettes nettes, fiscales et non fiscales, qui n'est imputable que très partiellement à la crise, et un défaut de maîtrise de la croissance des dépenses, qui ne doit rien aux mesures du plan de relance.

Pour ce qui est des recettes, ce sont tant les recettes fiscales que les recettes non fiscales, liées notamment aux cessions d'actifs immobiliers et de participations dans des entreprises, qui diminuent. Les recettes fiscales nettes diminuent pour la troisième année consécutive. Elles ont baissé de 2,5 % par rapport à 2007. Cela est dû d'abord au transfert de recettes vers d'autres administrations, pour 6,1 milliards d'euros – dont 1,3 pour les collectivités territoriales et 4,3 pour les organismes de sécurité sociale. Si les transferts aux collectivités territoriales sont liés à des transferts de compétences, qui allègent d'autant les dépenses de l'État, les transferts en faveur de la sécurité sociale compensent des moins-values de recettes dues aux exonérations de cotisations sociales décidées par l'État, notamment dans la loi TEPA. Il s'agit donc d'un coût sans contrepartie pour l'État. La baisse des recettes fiscales est aussi due aux allégements d'impôts, qui ont coûté 7,8 milliards d'euros en 2008. Les seules dispositions fiscales de la loi TEPA, distinctes des celles concernant les cotisations sociales, ont notamment coûté 3,2 milliards d'euros à l'État.

La crise a certes aggravé la situation, mais nous estimons son impact sur les recettes inférieur à 4 milliards d'euros. Ainsi, alors que les prévisions de recettes du Gouvernement se montaient à 283 milliards pour 2008, les recettes nettes n'ont atteint que 260 milliards. Cet écart de 23 milliards d'euros a plusieurs explications incontestables : des surestimations dans la prévision pour 5 milliards d'euros, l'effet des nouveaux allégements d'impôts pour 7,8 milliards d'euros, les transferts de recettes aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale pour 6,1 milliards d'euros. Ne restent que 4 milliards d'euros dont on peut penser qu'ils sont dus à la crise.

Parallèlement, les dépenses ont continué de croître : l'ensemble des dépenses nettes a augmenté en valeur de 2,8 %. Si l'on se réfère à la norme de progression figurant dans la loi de finances initiale, bien qu'elle ne corresponde qu'à une partie de ces dépenses, l'accroissement des dépenses aurait dû être de 0,3 % en volume et de 1,9 en valeur. Le dépassement n'est que la conséquence d'une inflation plus importante que prévu. Toutefois, la Cour observe que des dépenses ont été irrégulièrement payées en dehors du budget de l'État : une partie des primes d'épargne logement, payées au moyen d'avances rémunérées du Crédit foncier de France, pour 953 millions d'euros, et une partie des sommes dues à la sécurité sociale, qui a fait l'objet d'une compensation de recettes et de dépenses, pour 753 millions. Si l'on intègre ces sommes dans les dépenses relevant de la norme, l'augmentation des dépenses a été en fait de 3,4 %.

Par ailleurs, cette norme ne couvre pas toutes les dépenses, et notamment pas celles qui transitent par des comptes spéciaux ou en opérations de trésorerie. Si son périmètre a bien été élargi en 2008 dans le sens que nous souhaitions, des progrès sont encore possibles.

Enfin, la norme ne couvre pas les dépenses fiscales, qui de leur côté ont augmenté de 7 % et dépassent les 73 milliards d'euros. Le rapport de votre Commission a déjà mis en exergue les dangers liés à la très forte augmentation de ces dépenses, qui représentent l'équivalent de 27 % des dépenses budgétaires. Il a aussi permis des avancées que nous saluons, notamment une meilleure information dans les projets et les rapports annuels de performance, la création d'un objectif annuel de dépenses fiscales ou l'obligation de gager toute nouvelle dépense fiscale. Mais le chemin qui reste à faire pour une meilleure maîtrise et une meilleure évaluation de ces dépenses est encore bien long.

En matière de dépenses aussi, l'impact de la crise est resté très limité. Le plan de relance pèsera surtout sur l'exercice 2009 et le plan de soutien aux banques, consistant essentiellement en un dispositif de garantie, n'a pas induit de déboursement de la part de l'État, hormis une prise de participation de 1 milliard d'euros pour le sauvetage du groupe Dexia, elle-même partiellement remboursée avant la fin de l'année. Le plan de financement de l'économie n'a pas non plus eu d'effet en 2008.

La comptabilité patrimoniale permet de préciser ce diagnostic, et contribue d'ailleurs à l'assombrir. L'évolution du bilan fait notamment apparaître un net alourdissement de la dette, notamment financière, qui dépasse pour la première fois les 1 000 milliards d'euros fin 2008, soit une augmentation de plus de 10 %. La situation nette, c'est-à-dire la différence entre les actifs et les passifs, se dégrade également, même s'il faut rester prudent à ce stade puisque tous les actifs ne sont pas encore recensés. Le résultat comptable révèle également une importante dégradation, de 131 % en deux ans. Le solde net des opérations de l'exercice s'établit à moins 73 milliards.

Ce résultat traduit en premier lieu la progression des charges de l'État, avec des charges d'intervention qui ont augmenté de 20 %, des charges financières de 16,2 % et des charges de fonctionnement de 6,1 %. Encore un indicateur avancé des dépenses à venir…

Songez à ce que serait la comptabilité des entreprises si elles ne raisonnaient que sur la base des budgets de leurs divisions ou de leurs filiales ! La force de la comptabilité générale est de relier des actifs à des produits et des passifs à des charges, et de surveiller de près les engagements hors bilan.

Quand votre Commission demande la constitution d'une provision budgétaire sur les obligations indexées, le producteur des comptes passe une écriture dans un compte de bilan. Quand la LOLF exige un suivi des charges et ressources de trésorerie, ce sont des comptes de comptabilité générale qui sont touchés. Alors, pourquoi ne pas sauter le pas ? Pourquoi ne pas raisonner sur la base des grands agrégats de la comptabilité générale ? Pourquoi ne pas faire de l'annexe le vecteur de l'analyse de la soutenabilité budgétaire, comme le font les États-Unis depuis de nombreuses années ?

Dans le secteur privé, l'annexe constitue une partie essentielle des états financiers, que les commissaires aux comptes scrutent avec encore plus d'attention du fait de la crise. Cette annexe comporte des informations essentielles, certaines d'ailleurs ajoutées à la demande de la Cour, comme celles qui décrivent l'ensemble des conséquences financières de la crise. Pour ce qui est, par exemple, des garanties octroyées aux établissements de crédit, ainsi qu'à Dexia et à sa filiale américaine FSA en particulier, la Cour a insisté pour que l'annexe ne se contente pas de mentionner les 22 milliards d'euros de garanties effectivement débloquées, mais qu'elle détaille aussi le plafond autorisé par les lois de finances, soit près de 60 milliards d'euros.

Voilà qui illustre l'apport de la nouvelle comptabilité à l'analyse des engagements de l'État. Et l'information sur les engagements de retraite a aussi été enrichie à la suite d'un audit approfondi de la Cour : figurent à la fois les engagements bruts correspondant à tous les droits acquis au 31 décembre 2008 par tous les fonctionnaires en activité ou retraités ou leurs ayants cause, soit 1 057 milliards d'euros, mais aussi le besoin de financement actualisé pour la fonction publique d'État, les régimes spéciaux subventionnés et les ouvriers d'État, soit 549 milliards d'euros à l'horizon 2050.

La comptabilité générale permet ainsi de mieux cerner l'ensemble des risques et des engagements de l'État, bien au-delà des apparences, parfois trompeuses. Quel peut être le rôle de la Cour dans ce contexte ? Je pense qu'il est de contribuer à une certaine lucidité, sans s'enfermer dans la déploration. Les finances de l'État ne sont pas simplement en crise : elles souffrent d'une maladie chronique, et il faut attaquer le mal à la racine. Il est pour cela absolument essentiel de lutter contre le déficit structurel. L'État aborde la crise avec un déficit structurel de 3,5 %, qui ne lui laisse aucune marge de manoeuvre. Pour reconstituer ces marges, il faut d'abord mettre un coup d'arrêt à la baisse des recettes. Quant aux dépenses, la norme de la croissance zéro en volume ne sera évidemment pas suffisante pour relever le défi. Il faudra engager des réformes structurelles bien plus importantes, et peut-être faire des choix parmi les politiques publiques. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques dira la même chose pour l'ensemble des administrations mais, pour l'instant, il est important de mettre en évidence la part de l'effort qui revient à l'État sans faire porter la responsabilité de l'ensemble du problème sur la sécurité sociale et les collectivités territoriales.

Il est aussi indispensable de reconnaître que la LOLF permet de grands progrès. On peut même dire que les mauvaises pratiques sont des perpétuations de l'ancien système, et les bonnes un premier acquis de la nouvelle gestion publique. Mais cet acquis reste insuffisant. Il est urgent de le consolider. La crise ne doit surtout pas être le prétexte à un relâchement de l'effort. Malraux l'a dit : on ne va pas au bord du Rubicon pour y pêcher à la ligne ! Alors que la France traverse l'une des plus graves récessions de son histoire, il est primordial que les acteurs s'approprient les nouveaux outils qui sont à leur disposition. Il faut donc un sursaut rapide dans la mise en oeuvre de la réforme budgétaire et comptable engagée avec la LOLF. Si nous voulons préserver la crédibilité de la signature de la France, il y a urgence.

Je me tiens à votre disposition, avec M. Babusiaux, président de la formation interchambres, MM. Alventosa et Lefas, conseillers-maîtres, M. Belluteau, conseiller référendaire, et M. Blondel, auditeur, pour répondre à vos questions.

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