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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 7 janvier 2009 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Au regard de notre tradition historique, de ce qu'est notre droit parlementaire républicain depuis 1792, nous combattrons ce texte de toute notre énergie. Il n'est pas surprenant de voir ce texte porté par les défenseurs de la Ve République : il en est la quintessence et l'aboutissement. Quelle fut la marque originelle de la Ve République ? C'est un statut minoré du Parlement pour l'empêcher le plus possible d'entraver l'action gouvernementale. Il en découla des règles para-constitutionnelles relatives au fonctionnement des pouvoirs publics : non seulement la Constitution réglait une multitude de détails abandonnés jusque là à des textes de moindre importance, mais les règlements des assemblées furent soumis à un contrôle de constitutionnalité très sévère. C'est l'objet de l'article 61 de la Constitution, voulu par Michel Debré. Il s'agissait alors de mettre fin au régime d'assemblée.

Ce projet de loi organique est aux antipodes de la volonté revendiquée par la majorité de contribuer à la revalorisation rôle du Parlement : il s'inscrit au contraire parfaitement dans cette conception restrictive des droits des assemblées. Le droit d'adopter des résolutions est entravé par un pouvoir de veto confié au Premier ministre. La mise en place d'études d'impact est contournée par la multiplication des exonérations. Le partage de l'ordre du jour est contrecarré par l'exigence de contrôle du pouvoir exécutif.

Je tiens à saluer la cohérence de la pensée du rapporteur, dont la détermination l'a conduit à ne pas procéder à des auditions et à accepter un calendrier aussi rapide, ce qui est regrettable. Le groupe SRC a, lui, organisé des auditions, comme il l'avait fait à l'occasion de la révision constitutionnelle. Au terme de ces auditions, nous considérons que les députés vont perdre une partie de leur capacité à « faire la loi ». Même si les lois sont largement à l'initiative du Gouvernement, les députés peuvent aujourd'hui amender les projets de loi, l'amendement étant le principal « outil de travail » du député. Avec ce texte, nous considérons que vous entamez un inacceptable processus de restriction du droit d'amendement. Nous ne souhaitons pas que les députés se contentent d'être des greffiers avalisant dans le minimum de temps les textes imaginés par les cabinets ministériels.

Monsieur le rapporteur, le 11 septembre 2007, lors de votre audition par le Comité Balladur, vous avez fait part de votre conviction : « un député ou même un groupe parlementaire n'est pas en état aujourd'hui d'écrire une proposition de loi vaste et importante parce que le Parlement n'a pas la structure, l'ingénierie administrative suffisante pour écrire des textes de grande portée ». À l'inverse, vous avez insisté sur le rôle des commissions et dessiné un « avenir du Parlement (…) dans une activité législative qui se réduise et se concentre qualitativement et [qui] se développe dans le contrôle ».

Certes, cette fonction de contrôle se renforce au sein des parlements européens, mais en estimant que le contrôle est sa principale vocation, le pouvoir législatif, et singulièrement en son sein l'opposition, sera privé de sa fonction « d'empêcher », chère à Montesquieu dans le cadre de la théorie de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif se trouverait uniquement en situation d'accompagner l'exercice du pouvoir. Jamais le Parlement ne pourra s'opposer au Gouvernement. Le contrôle ne peut être qu'une fonction du Parlement symétrique avec sa pleine capacité à légiférer.

J'en viens maintenant à quatre questions.

Monsieur le rapporteur, vous avez dit devant le comité Balladur votre intérêt pour la constitutionnalisation des études d'impact afin de tenter de réguler ce que vous appeliez le « torrent législatif ». Vous indiquiez alors qu'elles devaient concerner « toutes les lois importantes ». En réponse à Olivier Schrameck, vous précisiez qu'il pouvait s'agir des coûts engendrés par l'application du texte ou la taille de la population concernée par son sujet. À cet égard, l'article 10 du projet de loi organique vous satisfait-il ? Dans cette même intervention, vous envisagiez que ces études d'impacts soient mises en ligne, à la disposition des citoyens, avec « un temps pour qu'ils puissent réagir ». Comptez vous proposer un amendement en ce sens ? Le premier alinéa de l'article 7 du projet de loi organique ne prévoit pas que les études d'impacts soient réalisées avant la transmission au Conseil d'État. Comptez vous déposer un amendement en ce sens ? Devant le comité Balladur, vous indiquiez également que vous ne seriez « pas choqué » que l'on confie au Conseil constitutionnel, en amont, le soin de « vérifier la réalité et la sincérité des études d'impact ». Comptez vous proposer un amendement en ce sens ? Êtes-vous favorable à « la création, dans chaque ministère, sur le modèle du contrôleur financier, d'un contrôleur juridique chargé de veiller à la nécessité et à la solidité juridiques des textes proposés », que le président de la République souhaitait dans la lettre de mission adressée le 18 juillet 2007 au comité Balladur ?

Durant les débats sur la révision constitutionnelle, la justification avancée pour le recours à une loi organique était la volonté de « poser des conditions au droit d'amendement du Gouvernement » selon les termes mêmes du rapporteur. Vous ajoutiez le 28 mai : « Si nous ne votons par l'article 18, nous ne pourrons pas fixer de limites aux amendements du Gouvernement. Or si des limites sont fixées pour les amendements parlementaires, il paraît normal que le Gouvernement soit soumis aux mêmes règles du jeu, ce que permettra le recours à une loi organique ». Où est, dans le projet de loi, la traduction écrite de cette intention ?

Devant le comité Balladur, vous indiquiez également que si le Gouvernement peut amender après la commission et juste avant la séance, « tout le monde doit ensuite pouvoir s'exprimer ». Ce n'est pas la lecture que nous faisons de l'article 12 du projet et nous sommes désireux de connaître votre interprétation.

Dans sa lettre de mission au comité Balladur, le Président de la République demandait que soit étudiée « la possibilité pour une commission ad hoc du Parlement, après le vote des lois, ou pour le Conseil constitutionnel, de procéder au déclassement systématique des dispositions législatives intervenues dans le domaine du règlement ». Devant le comité Balladur, vous avez exprimé une proposition audacieuse qui consiste à donner pour mission au Conseil constitutionnel de contrôler systématiquement dans les lois adoptées, six mois après leur promulgation, ce qui relève du règlement et ce qui relève de la loi. La loi ne serait pas annulée mais certaines de ces dispositions déclassées. Comptez-vous proposer un amendement en ce sens ?

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