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Intervention de Rolande Ruellan

Réunion du 25 juin 2008 à 16h15
Commission des affaires culturelles, familiales et sociales

Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes :

En septembre 2007, la commission des affaires culturelles a demandé à la Cour une étude sur la mise en place d'un nouveau barème progressif de cotisations patronales qui intégrerait les cotisations, les allégements ou exonérations de cotisations sur les bas salaires et la nouvelle réduction sur les heures supplémentaires. Nous avons dû préciser avec la commission le périmètre de cette étude car nous pensions que la prime pour l'emploi, qui est plutôt du domaine de l'impôt, ne pouvait pas s'intégrer dans ce schéma.

Les cotisations patronales au régime général représentent en 2008 environ 133 milliards d'euros et les allègements avoisinent les 25 milliards.

La Cour a eu évidemment conscience de la spécificité de votre requête, qui ne consiste pas en l'évaluation d'une politique ou d'une action en cours comme c'est ordinairement le cas : il s'agit plus ici d'une étude de faisabilité. Dès lors, la Cour a pris le parti de présenter les conditions et les effets d'une telle barémisation, en se gardant de discuter les motivations formulées par la commission dans sa lettre de demande. C'est à la commission qu'il appartiendra de conclure.

Le premier travail a consisté à identifier les principales questions qui pouvaient se poser.

La première question a trait à la définition des dispositifs qui sont liés à l'existence d'une cotisation et d'une exonération : droits des affiliés, champ du barème, modalités de prise en compte des exonérations des heures supplémentaires, possibilité de mettre en oeuvre des conditionnalités, définition des exonérations ciblées. La deuxième question concerne le recouvrement et le contrôle. La troisième est relative aux conséquences de la barémisation sur le financement de la sécurité sociale.

Nous nous sommes ensuite efforcés d'apprécier les avantages et les inconvénients de la barémisation et de cerner les problèmes à trancher. La commission a certainement connaissance, par ailleurs, du rapport que l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales ont remis en 2006 et qui exprimait clairement une position, conformément à ce qui était demandé.

Il faut d'abord préciser que la barémisation ne concernerait que les cotisations au régime général et n'inclurait pas les autres cotisations patronales : régime complémentaire, chômage, etc. Or, même avec un taux de 0 % pour le régime général au niveau du SMIC, les cotisations patronales s'échelonnent, en fonction de la taille de l'entreprise, de 13,71 % à 17,76 %.

Deux solutions sont techniquement possibles : la mise en place d'un barème continu calculé selon une formule mathématique guère différente de celle qui permet de calculer les exonérations actuelles, ou un barème par tranches, « en marches d'escalier », qui a l'avantage d'afficher directement un taux pour chaque tranche de salaire mais présente l'inconvénient de provoquer des effets de seuil d'autant plus importants que les marches sont plus hautes.

Nous ne nous sommes pas appesantis sur cette question car d'autres sujets nous ont semblés plus importants.

Premièrement, les taux de cotisation ne sont pas tous proportionnels au revenu dans le système actuel. Dans la branche vieillesse, la cotisation est pour l'essentiel plafonnée, avec une petite portion – 1,6 point – déplafonnée. Au-dessus du plafond, l'Association des régimes de retraite complémentaire (ARRCO) prend le relais. De ce fait, un barème ne peut être complètement progressif pour le régime général. Il serait d'abord progressif, puis proportionnel, et enfin, au-delà du plafond, légèrement dégressif.

Deuxièmement, les exonérations ne sont pas identiques pour toutes les entreprises depuis qu'une distinction a été introduite entre moins de vingt salariés et vingt et plus. Unifier les deux systèmes aurait un coût soit pour les entreprises, soit pour l'État, selon le sens dans lequel se ferait l'unification.

Troisièmement, il faudrait traiter séparément chaque branche puisque les taux de cotisation sont établis branche par branche : cela reviendrait à établir deux barèmes par branche pour traiter les entreprises de moins de vingt salariés et celles de vingt et plus et, dans le cas de la retraite, quatre barèmes du fait de l'existence d'une cotisation plafonnée et d'une cotisation déplafonnée. Au total, à situation inchangée, il faudrait définir huit barèmes.

La question de l'exonération des heures supplémentaires ajoute un élément de complexité puisque cette exonération ne porte pas sur un niveau de salaire mais sur une durée de travail. Deux solutions sont envisageables : soit maintenir le système actuel d'une réduction forfaitaire qui s'imputerait sur les cotisations dues au titre du barème, soit exclure les heures supplémentaires de l'assiette soumise au barème. Dans ce dernier cas, il faudrait éviter que cela pénalise les affiliés : en effet, les exonérations existantes ne font pas perdre de droits aux affiliés parce qu'elles portent sur les cotisations patronales. La durée du travail servant de base à l'octroi de prestations se calcule à partir du montant des cotisations payées par le salarié. En d'autres termes, les exonérations de cotisations patronales n'ont pas d'incidence sur les droits. Or, dans la mesure où le régime des heures supplémentaires comporte également une exonération portant sur la cotisation salariale – ce qui constitue une nouveauté –, il faut veiller à ce cela reste sans conséquences pour le salarié.

De plus, l'adoption d'un barème comporte un certain nombre de risques. La Cour n'affirme pas qu'ils sont insurmontables mais il convient d'en mesurer le poids.

Il existe tout d'abord un risque juridique d'extension. Jusqu'à présent, les exonérations de cotisations ont eu pour finalité d'encourager l'emploi des personnes peu qualifiées et ont été limitées aux seuls salariés du secteur privé. Dès lors que l'on établit un barème, il n'existe plus de lien avec une politique d'emploi. La Cour consacre un long développement à ce problème et se réfère en particulier à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il n'est pas du tout évident de démontrer que l'on peut, au sein d'un même régime, instituer un barème pour le secteur privé et conserver les cotisations dans leur forme actuelle pour les employeurs publics, les employeurs particuliers, etc. En outre, certains régimes de non-salariés sont alignés sur le régime général, avec un système de cotisations et de prestations identiques. Pourrions-nous « désaligner » ces régimes qui sont alignés depuis plus de trente ans ? Si l'on étend la barémisation à tous, on voit immédiatement le coût de la compensation par des impôts affectés que cela représenterait, et ce pour un objectif inexistant.

Il existe ensuite un risque de contrôle. Les cotisations sociales dans le régime général fonctionnent selon un mode déclaratif : l'employeur déclare les salaires et calcule lui-même les cotisations. Les URSSAF assurent un premier contrôle de cohérence globale en appliquant les taux de cotisation à la masse salariale déclarée et en comparant ce chiffre au montant payé par l'employeur. En revanche, le montant des exonérations, lui aussi calculé et déclaré par l'employeur, ne peut être véritablement contrôlé qu'en se rendant sur place. Le barème ferait disparaître toute possibilité de contrôle, y compris le contrôle de cohérence globale, puisque les taux varieraient en fonction du montant du salaire. Les déclarations actuelles se font en effet sur des ensembles globaux et il n'existe pas de déclaration nominative. Les URSSAF seraient donc passablement démunies, à moins que l'on ne modifie les bordereaux récapitulatifs des cotisations, ce qui suppose de changer les logiciels de paye.

Il faut rappeler à cet égard que la mise en application très rapide de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat – loi TEPA – n'a pas laissé le temps aux URSSAF et aux employeurs de s'adapter. Ni les imprimés administratifs ni les logiciels de paye n'étaient prêts.

La déclaration nominative fait partie des projets du groupement d'intérêt public « Modernisation des déclarations sociales ». Mais on ne peut espérer arriver à une solution opérationnelle avant 2011.

Il faut également aborder la question des conditionnalités. Tout récemment encore, le Premier ministre a envisagé de réduire de 10 % les exonérations de cotisations des entreprises qui n'ouvriraient pas de négociations salariales. Or un barème ne permet pas de poser des conditions. Comme on ne peut supprimer l'avantage consenti si la condition n'est pas remplie, il faut créer une sanction, par exemple sous la forme d'une majoration de cotisations.

Enfin, la barémisation présente un risque financier qui a donné lieu à des positions discordantes entre la direction du budget et la direction de la sécurité sociale. La première s'est déclarée satisfaite que la compensation par un panier d'impôts et taxes affectés vaille pour solde de tout compte ; la seconde s'est inquiétée du risque que la barémisation ferait peser sur l'identification du manque à gagner pour la sécurité sociale chaque année, et donc sur la compensation de la perte de cotisations dans ce contexte nouveau. Nous reproduisons ces points de vue dans notre document. La direction du budget a réalisé, à notre demande, une petite étude destinée à établir rétrospectivement ce qui se serait produit si l'on avait adopté ce mode de compensation dans les années passées. Il apparaît que l'évolution de la masse salariale et celle du panier fiscal auraient été globalement comparables. En revanche, le niveau des exonérations a évolué, ce qui s'est traduit par une perte supplémentaire de cotisations et a nécessité des recettes supplémentaires issues des impôts affectés.

Une barémisation suppose donc que l'on s'engage à ajuster le panier fiscal à toute modification du barème pour éviter les pertes de cotisations. La référence au SMIC – en fixant par exemple la sortie du barème à 1,6 SMIC – pose un autre problème : on sait en effet que la forte augmentation du SMIC ces dernières années a renchéri le coût des exonérations compensées.

La mise en place d'un barème soulève de nombreuses questions. Elle ne se heurte à aucune impossibilité absolue et l'on a déjà réalisé des choses plus compliquées. La question qu'il n'appartenait pas à la Cour de trancher – c'est au Parlement qu'il revient de le faire – est la suivante : le bénéficie attendu d'une barémisation est-il suffisant pour justifier une réforme aussi perturbatrice ?

Certes, la mise en place d'un barème constituerait une bonne occasion de simplifier de nombreux dispositifs existant : réunification du régime des exonérations quelle que soit la taille des entreprises, réduction du nombre d'exonérations ciblées, simplification du système d'exonération des heures supplémentaires, redéfinition du bordereau récapitulatif des cotisations, réduction du nombre d'impôts et taxes affectés… Cependant, même sans barémisation, toutes ces mesures de simplification restent très souhaitables.

La réforme que vous nous avez demandé d'étudier n'est pas une simple réforme technique. C'est un changement de norme très important qu'il faut considérer comme tel, avec toutes les conséquences que cela implique.

Je suis à votre disposition, ainsi que les auteurs de ce travail, M. André Gauron, président de section, et Mme Barbara Falk, auditrice, pour répondre à vos questions.

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