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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 2 décembre 2008 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Le sujet qui nous réunit de nouveau, après notre première lecture de mai dernier, est assurément important. Il s'inscrit dans un contexte particulier, marqué par l'interpellation mouvementée, contestée et contestable de l'ancien directeur de la publication du quotidien Libération, M. Vittorio de Filippis.

Ce projet de loi fait suite à une longue liste de pressions diverses exercées sur des organes de presse. Je rappellerai pour mémoire la tentative de perquisition au siège du Canard Enchaîné, ainsi que les affaires Auto Plus et Guillaume Dasquié, la mise en examen de M. Denis Robert dans le cadre de l'instruction relative à Clearstream, ainsi que la perquisition réalisée à Radio Bleu Corse.

Nous nous réjouissons qu'avec ce texte la France se mette en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et le droit européen en matière de protection des sources des journalistes. Les modifications apportées par le Sénat vont dans le bon sens mais elles s'avèrent insuffisantes.

Les sénateurs ont apporté une clarification bienvenue sur les cas dans lesquels la protection du secret des sources trouve à s'appliquer, la suppression de la référence à la notion d'intérêt général mettant fin à une restriction contraire à l'esprit de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, de sorte que l'affaire de la publication des feuilles de paie de M. Jacques Calvet ne pourrait plus avoir lieu aujourd'hui. À cet égard, nous avons une réelle divergence de vues avec vous, M. le rapporteur. De même, le Sénat a utilement précisé la définition du contournement de la protection des sources, qui pourra être indirect ou direct et découler de mesures strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi, cette limite restant indistinctement applicable aux enquêtes administratives et judiciaires.

Il n'en demeure pas moins que, en dépit de ces avancées, les dispositions du projet de loi demeurent insuffisantes. Elles restent d'ailleurs très proches de la version adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

C'est ainsi, notamment, que la définition du journaliste laisse en suspend la question du statut des pigistes, même si nous avons relevé que les travaux des sénateurs établissent qu'ils entrent dans la profession, à l'exception notable des collaborateurs occasionnels qui ne relèvent pas de la définition du code du travail car ils n'ont pas la carte de presse.

J'observe par ailleurs que la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public, qui émane de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, n'est pas définie dans notre droit interne, ce qui ouvre la voie à toutes les interprétations empiriques par les praticiens.

Le régime de la perquisition et de la saisie des documents n'a pas été modifié par le Sénat. Le magistrat instructeur continuera de s'autoriser à procéder à ce type d'opérations, sans véritables obstacles si ce n'est l'obligation de veiller à ce que ses investigations ne portent pas atteinte aux sources et ne retardent pas de manière injustifiée la divulgation des informations. On peut ainsi craindre que ces recommandations demeurent des voeux pieux, notamment en raison de la durée de cinq jours laissée au juge de la détention et des libertés pour se prononcer, laquelle permettra d'éventer largement les sources.

Cette possibilité de perquisitionner dans le respect du secret des sources et de la profession, en dehors de toute mise en cause des journalistes, nous paraît quelque peu hypocrite dans la mesure où le risque d'assécher les sources des journalistes d'investigation perdurera.

Nous regrettons aussi qu'aucune sanction à l'encontre des autorités instigatrices d'une perquisition abusive ni qu'aucune indemnisation des journalistes victimes de telles perquisitions ne figure dans le texte.

Enfin, en matière de garde à vue, utilisée bien souvent comme un moyen de pression pour forcer le journaliste à divulguer ses sources, le projet de loi reste en deçà des protections accordées par la loi belge, qui est une référence en l'espèce.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC entend que le projet de loi soit notablement enrichi. Il a déposé plusieurs amendements à cet effet, dont le rejet par la majorité le conduirait à réitérer le vote contre qu'il avait émis en première lecture.

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