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Intervention de Daniel Bouton

Réunion du 9 avril 2008 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Daniel Bouton :

Je suis accompagné par Ariane Obolensky, directrice générale de la FBF, qui pourra également répondre à vos questions.

Il est excellent pour la démocratie que votre Commission ait commencé à travailler dès le mois d'octobre sur ce sujet, réservé alors à la planète finance mais qui préoccupe aujourd'hui légitimement tout le monde.

Les entreprises et les banques n'oeuvrent pas de manière disjointe. La banque est une industrie et même l'une des principales de France. Nous employons 400 000 salariés et nous recrutons annuellement 40 000 collaborateurs. Nous finançons l'économie à travers 1 400 milliards d'euros de crédits et 1 000 milliards de dépôts. Notre activité représente environ 3 % du PIB.

Nous sommes très divers : la FBF regroupe des établissements coopératifs, mutualistes, mixtes et purement privés, dont deux des plus grandes banques cotées, BNP Paribas et la Société générale.

Nos métiers sont extrêmement variés. L'agence bancaire classique, qui contribue au financement du boulanger ou du serrurier, est bien connue. La chaîne de métiers permettant de financer l'ensemble de l'économie l'est moins. La finance, comme le monde, s'est progressivement ouverte et globalisée. Il y a trente ans, une grande entreprise se finançait essentiellement par des syndicats bancaires. Avec la marchéisation, entamée en France sous l'égide de Bérégovoy, les grandes entreprises se financent directement sur les marchés, ce qui rend les ressources financières moins chères en supprimant la marge d'intermédiation bancaire. Du côté de la ressource, les investisseurs institutionnels – notamment l'État ou le Fonds de réserve pour les retraites – interviennent directement sur les marchés. Aux États-Unis comme en Europe, les banquiers ne sont plus seulement des prêteurs ; ils ont accompagné le mouvement de marchéisation en développant de nouvelles activités sophistiquées car une banque qui n'évolue pas est condamnée à périr. Grâce au talent de ses banquiers, dans les deux grands établissements cotés mais aussi au Crédit agricole à travers sa filiale Calyon ou à la Banque populaire à travers sa filiale Natixis, la France est l'un des seuls pays au monde à disposer d'une vraie industrie de la finance sophistiquée.

Je vais vous décrire deux métiers.

Le premier est celui de la titrisation. Au milieu des années cinquante, les quelques centaines de milliers de ménages français susceptibles d'acheter une voiture n'ont pas accès au crédit. La Compagnie bancaire lance alors le premier crédit à la consommation. Mais, puisque l'État pompe la totalité de l'épargne française, La Compagnie bancaire doit se financer court et transformer ces ressources en créances à quatre ans. Un peu plus tard, la titrisation est inventée : au lieu de transformer l'épargne, l'établissement bancaire vend directement aux investisseurs du marché financier les créances à quatre ans qu'il détient sur les particuliers en les regroupant en paquets. Aujourd'hui, en Europe, la titrisation représente 460 milliards d'euros. Ce volume subit toutefois une baisse considérable depuis le début 2008 ; le crédit, moteur du financement de l'économie, manque par conséquent d'une ressource considérable.

Le second métier dont je vais vous entretenir a été rendu célèbre pas la position dissimulée du fraudeur : ce sont les activités pour compte propre. Contrairement aux fonds spéculatifs, les banques ne prennent jamais de positions directionnelles importantes sur la hausse du dollar ou la baisse du pétrole par exemple. Nous divisons le risque pour le maîtriser. La découverte d'une position dissimulée peut donc poser des problèmes considérables. Je signale au passage que la fraude a toujours existé dans l'histoire des banques et qu'elle existera toujours. La part des activités pour compte propre des banques françaises est faible, voire très faible.

Le monde de l'économie réelle et le monde financier ne sont pas séparés. La financiarisation de l'économie permet de financer la croissance ; sans elle, le monde occidental n'aurait pas connu son formidable développement. Les banques françaises figurant parmi les plus performantes et les plus reconnues dans certains métiers, l'économie française est l'une des principales bénéficiaires de la titrisation.

Cela dit, la crise née aux États-Unis est très grave.

La crise originelle a été bien analysée dans vos auditions précédentes. Dans certains États américains, des crédits immobiliers peuvent être distribués par des courtiers, c'est-à-dire des intermédiaires échappant aux régulations et contrôles applicables au secteur bancaire. Pour leur part, les banques françaises sont favorables à un contrôle de la distribution du crédit et de la circulation de la monnaie par des régulateurs puissants. Depuis trois ou quatre ans, les courtiers américains n'examinaient plus les capacités de remboursement de l'emprunteur mais uniquement la valeur du gage, c'est-à-dire de la maison. Le niveau de protection du consommateur est extrêmement variable d'un État à l'autre, tout comme en Europe, du reste. Toutefois, chez nous, la loi bancaire interdit à quiconque de prêter de l'argent s'il ne possède pas le statut de banque.

Le deuxième facteur de la crise est la dissémination du risque. Nous sommes partisans de la titrisation. Une crise bancaire classique se transforme en crise économique générale parce qu'une banque saute et propage la crise dans la région, le pays, voire le monde. La titrisation permet de distribuer et de disséminer le risque. Mais cela repose, pour bien fonctionner, sur trois conditions qui n'étaient pas totalement réunies au moment de l'explosion : les produits doivent être visibles ; les engagements des émetteurs doivent être clairs ; les investisseurs doivent être capables d'apprécier à quoi correspondent les créances et ne pas se référer uniquement au rating des agences indépendantes.

Troisièmement, les banques ont des engagements résiduels dans certains produits titrisés sophistiqués. Selon leur politique propre et les règles de régulation nationales, elles peuvent laisser tomber un produit – ce sont alors les investisseurs qui assument la totalité de la perte – ou au contraire prendre un engagement de liquidité, voire intégrer cette participation dans leur bilan. Or certains contrats concernant de tels véhicules contenaient des imperfections et n'étaient pas parfaitement clairs.

Sur ces trois chapitres, tout n'était donc pas parfaitement clair ; la crise financière part de là. Au-delà de la crise des subprimes, qui mettra à la rue 2,2 millions de ménages américains, le manque de clarté entraînera une méfiance généralisée vis-à-vis des marchés financiers et même vis-à-vis des bilans des banques américaines.

Nul ne sait encore combien cette crise coûtera. L'économie étant mondialisée, les établissements français en subissent évidemment les conséquences. Le montant de leurs pertes s'établit pour l'instant à 14,4 milliards mais pourra évoluer en fonction de la valeur des maisons aux États-Unis. La bonne nouvelle, c'est que ces pertes n'entraînent des résultats mauvais ou catastrophiques pour aucun établissement français ; sans la fraude qu'elle a subie par ailleurs, la Société générale aurait gagné plus de 4 milliards.

Des établissements financiers non bancaires traversent des difficultés de liquidités considérables : la grosse maison de titres Bear Stearns, qui n'a pas le droit de recevoir des dépôts de particuliers, est tombée en quasi-faillite il y a trois semaines et a été rachetée par JP Morgan. Ses clients n'ont subi aucun dommage mais, pour le contribuable américain, cela se traduit par l'inscription en risque de plusieurs dizaines de milliards de dollars.

De grandes incertitudes macroéconomiques pèsent sur les marchés. Si les États-Unis ralentissent, le monde entier ralentira. Les États-Unis sont en récession aux premier et deuxième trimestres 2008. En Europe, le mouvement à la baisse est inégal et la croissance repose sur des fondamentaux encore solides : la Commission européenne prévoit une croissance de 2 % en 2008 sur le continent. Quant à la croissance française, principalement tirée par la consommation des ménages, elle devrait se maintenir autour de 1,7 % en 2008. N'oublions pas que le centre de l'économie mondiale, qui était situé en Europe il y a cent ans et se trouve aujourd'hui aux États-Unis, tend à se déplacer vers l'Asie. L'économie mondiale continue de croître au rythme satisfaisant de 3,7 %, même s'il est en repli par rapport aux 5 % des années précédentes.

L'affaire de la Société générale n'a aucun rapport avec ces problèmes de risque. La fraude a cours depuis que les banques existent. Des établissements étrangers de taille similaire ont d'ailleurs connu des situations équivalentes de positions dissimulées puis découvertes par la hiérarchie interne, et certains de mes collègues ont bien voulu dire que leur propre banque pourrait être touchée. Le seul lien avec la crise, c'est que nous avons débouclé ces positions dissimulées dans des conditions de marché épouvantables, ce qui nous a coûté les 5 milliards que vous savez.

Cette fraude ne remet absolument pas en cause nos systèmes de mesure et de valorisation du risque car les positions prises étaient dissimulées. C'est d'ailleurs pourquoi la Société générale se porte aujourd'hui très bien, y compris dans ses activités de marché : nous subissons comme tout le monde les effets de la crise mais aucune perte de confiance de la part des centaines d'opérateurs financiers qui travaillent avec nous ni aucun mouvement significatif de peur de la part de nos clients.

Cela étant, un fraudeur a utilisé des techniques, parfois simples, parfois sophistiquées, pour déjouer nos dispositifs de contrôle interne. Dès le quatrième jour, nous avons annoncé l'instauration de nouveaux contrôles manuels afin d'éviter qu'une telle fraude se reproduise. D'autres établissements qui ne les avaient pas encore adoptés viennent aussi de le faire.

L'intervention d'Eurex ne laissait rien présager d'anormal car les superviseurs de marché envoient 300 questions par an pour les seules salles actions de la Société générale. Mais la procédure suit son cours, qu'il s'agisse de l'enquête de la police, de celle de la Commission bancaire ou de celle du conseil d'administration de la Société générale, pilotée par un comité spécial composé d'administrateurs indépendants. Les conclusions de la première phase sont disponibles sur notre site et celles de la deuxième phase le seront fin mai.

Nous avons réaffirmé notre stratégie, nous sommes allés à la rencontre des marchés et nous avons réclamé à nos propriétaires davantage que ce que nous avions perdu. L'augmentation de capital a été bouclée avec succès en six semaines environ et nous en rendrons compte devant les actionnaires lors de notre assemblée générale de fin mai. Je rappelle que la Société générale, malgré cette fraude exceptionnelle et les conditions du marché, a gagné 1 milliard d'euros en 2007.

Comment faire pour sortir de la crise générale des marchés ? Des papiers publiés par des organes de régulation internationaux – notamment le rapport intérimaire du Forum de stabilité financière de début février ou le rapport du conseil Écofin du 4 mars – commencent à dégager des clés intéressantes.

Un sujet de préoccupation concerne la méthode de valorisation des actifs pour les marchés non liquides. Si aucune transaction immobilière n'intervient dans une ville donnée pendant un certain temps, compte tenu du système de valorisation adopté il y a quelques années par les instances européennes, la première vente déterminera à elle seule le prix du marché. Si cette vente se conclut à vil prix, le système diffusera la crise. Il n'est pas question d'édicter de nouvelles règles dans la situation actuelle mais, une fois la crise terminée, il faudra se pencher sérieusement sur cette fair market value, que certains n'hésitent plus à qualifier d'unfair market value.

Pour restaurer la confiance, les banques doivent réévaluer leurs actifs de façon réaliste et surtout déclarer clairement et entièrement leur exposition au risque sur ces produits structurés, afin que le marché puisse effectuer ses arbitrages. Les grands établissements ont pris des décisions allant dans ce sens à l'occasion de leurs résultats de fin d'année.

Par ailleurs, les superviseurs et les régulateurs – ceux du marché boursier et du marché bancaire français sont considérés à l'étranger comme faisant partie des meilleurs – doivent imposer à ceux qui ne l'ont pas encore fait, à supposer qu'il en reste, de déclarer complètement leurs risques et leurs positions. Je pense en tout cas que le contrôle des niveaux de capitalisation par les régulateurs ne pose aucun problème ; je précise au passage que celui des banques françaises s'établit au taux tout à fait adéquat de 8 %.

Je suis incapable d'apprécier l'action des banques centrales. Néanmoins, de ma position de dirigeant d'une grande banque régulée active en France, en Europe et aux États-Unis, j'ai l'impression que leur gestion de la liquidité, pendant toute la période récente, a été extrêmement efficace.

La régulation bancaire peut-elle être améliorée ? Nous sommes en train de passer de Bâle I, système tout simple et normatif, à Bâle II, plus sophistiqué et bien meilleur. Toute norme incite les acteurs à s'en approcher : si la vitesse est limitée à 90 kilomètresheure, tout le monde roulera entre 85 et 89 kilomètresheure, sans parler de ceux qui iront trop vite. Bâle II ressemble plutôt à l'injonction faite aux automobilistes de rester maîtres de leur vitesse en toutes circonstances, le système étant assorti de dispositifs de mesure. Bâle II aurait eu une efficacité supérieure à Bâle I puisqu'il prévoit la prise en considération des engagements hors bilan. Des ajustements marginaux seront peut-être nécessaires au vu de l'expérience mais Bâle II constitue un progrès aux yeux de la Société générale comme de la plupart des autres grandes banques.

En revanche, les agences de notation doivent changer de méthode. Elles procèdent comme M. Robert Parker, spécialiste du rating dans le domaine de l'oenologie, qui utilise l'échelle de 0 à 100 indistinctement pour un Pomerol et un Côte de Nuits. Un AAA n'a pourtant pas la même signification selon qu'il évalue la dette de la France ou un produit structuré. En effet, l'État est actif, il peut améliorer ses finances publiques – c'est ce que vous avez fait, par exemple, avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF –, tandis qu'un papier structuré est passif, il ne peut être modifié. Les agences devraient donc employer des échelles de notation différentes.

La coordination entre les autorités de régulation et de supervision est déjà excellente en France, ce qui n'est manifestement pas le cas en Grande-Bretagne, l'affaire Northern Rock l'a démontré. Le secrétaire au trésor américain, Henry Paulson, vient de lancer un grand projet qui revient à critiquer l'organisation en vigueur, avec des agences fragmentées par État. En Europe, nous ne prenons pas le chemin d'une agence unique de régulation car les États membres y sont défavorables, contrairement aux grandes banques du continent, qui préconisent une harmonisation des règles et un organe commun de supervision afin de créer une culture commune et de favoriser une concurrence saine sur tous les marchés. Mais cette décision dépend des parlements nationaux de chacun des États de l'espace européen.

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