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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 7 octobre 2008 à 12h00
Commission des affaires étrangères

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

Je me réjouis d'intervenir devant votre commission en présence de la presse et je souhaite, comme vous, que l'exercice se renouvelle régulièrement car j'ai toujours plaisir à échanger – et même à apprendre – dans cette enceinte.

Vous avez évoqué quatre problèmes importants. Le premier concerne le processus devant aboutir à la création d'un État palestinien, dans sa phase entamée à Annapolis il y a un an et poursuivie à la Conférence de Paris. De mon déplacement en Palestine et en Israël à la fin de la semaine dernière, je retire le sentiment que ce processus est à ce jour au point mort. Je ne crois pas qu'un quelconque document puisse être présenté avant la fin de cette année à la signature des négociateurs, le Premier ministre israélien démissionnaire – mais toujours en exercice – Ehoud Olmert et le Président de l'Autorité palestinienne Abou Mazen. Je souligne cependant que M. Olmert a tout récemment publié un remarquable plan de paix, très précis, dans le journal Yediot Aharonot, même s'il est sans doute trop tard, compte tenu de sa situation personnelle, pour le soumettre à l'approbation de la partie palestinienne. D'ailleurs Abou Mazen multiplie à l'heure actuelle les déplacements à l'étranger – en Inde, au Sri Lanka – comme pour éviter d'avoir à prendre position sur le sujet. Le souhait du Président Bush de voir un accord aboutir en 2008 ne se réalisera pas ; à tout le moins, réjouissons-nous de ce fait certain : les négociations se poursuivront en 2009.

Je note, par ailleurs, une évolution très positive de la situation des Palestiniens dans ce foyer de l'Intifada qu'a été Jénine, où la vie a désormais repris ses droits. La perception par les Israéliens des conditions de sécurité dans cette région peuplée de 350 000 personnes s'est améliorée également. C'est la police palestinienne forte de 750 hommes qui, grâce à l'action de formation des États-Unis certes, mais surtout de l'Europe et singulièrement de la France, peut jouer pleinement son rôle dans un esprit de concorde impensable il y a encore six mois, lorsque l'on ne pouvait même pas se promener dans les rues. Certes, de nombreux problèmes demeurent, comme par exemple le manque d'eau, dont pâtit l'hôpital de Jénine, seul centre de dialyse rénale de toute la région. C'est justement à leur apporter une solution que doivent servir une part importante des fonds levés à la Conférence de Paris pour la Palestine, via de nombreux projets, du plus modeste au plus ambitieux, sous l'égide de M. Salam Fayad, Premier ministre palestinien, et la surveillance de la Banque mondiale. Il reste que l'optimisme est permis puisque tous mes interlocuteurs israéliens, d'Ehoud Olmert à Ehoud Barak, Tzipi Livni ou Benyamin Nétanyahou, sont conscients du regain de confiance que l'on commence à observer.

J'ai le sentiment que Mme Tzipi Livni, femme de talent et de conviction, devrait à force de détermination parvenir à former un gouvernement, ce qui pourrait néanmoins prendre deux ou trois mois en raison du système de représentation à la proportionnelle intégrale. C'est de bon augure : en tant que Premier ministre désigné, elle a convié le ministre palestinien des affaires étrangères, M. Ryad Al Malki – représentant d'un État qui n'existe donc pas encore – à la première conférence des ambassadeurs, qu'elle a récemment organisée. Joschka Fischer, ancien ministre des affaires étrangères allemand, et moi-même étions également présents : le symbole était si éloquent que nous n'avons pas manqué de dire, nous les héritiers de la construction européenne, combien la paix était possible, quelles que soient les difficultés parfois séculaires que des peuples ont traversé, quels que soient aujourd'hui les obstacles à un accord. Le ministre palestinien s'est montré franc, courageux et ouvert, tandis que Mme Livni tenait son rang de « premier ministrable ». La partie me semble loin d'être gagnée mais l'espoir n'est pas mort. Dans cette région du Moyen-Orient, la menace iranienne, dont la dimension potentiellement nucléaire, soulignée de façon convergente par divers services de renseignement et par l'Agence internationale de l'énergie atomique, est si préoccupante, mais également la situation de la Syrie ou de l'Irak, constituent autant de problèmes importants, pour la région comme pour le monde, qui ne doivent toutefois pas oblitérer le dialogue entre Israël et la Palestine.

Dans l'hypothèse où un nouveau gouvernement ne pourrait être formé, les élections en Israël auraient lieu en février. Si ces élections avaient lieu aujourd'hui, c'est semble-t-il, en dépit de la grande popularité de Mme Livni, M. Nétanyahou qui les gagnerait ; cela signifierait l'application d'une stratégie très différente. Celle à laquelle Mme Livni a directement oeuvré semble préférable vis-à-vis du processus de paix, sauf sur la question des réfugiés palestiniens – et j'ai eu l'occasion de rappeler dans le journal Haaretz que sur ce point sa position me paraissait excessivement intransigeante.

Quoi qu'il en soit, je reviens de mon récent voyage non pas pessimiste comme Tony Blair, le représentant du Quartette, lors de son dernier séjour, mais modérément et raisonnablement optimiste : après tout, il n'y a plus de checkpoint entre Jénine et Naplouse, même si alentour il y en a encore trop.

J'en viens à la situation en Afghanistan. Nous y sommes partisans d'une solution politique comme nous n'avons cessé de le dire et de le répéter, en organisant à cette fin, sur l'initiative du Président de la République qui s'était rendu à Kaboul, la conférence de Paris. Peu nombreux étaient ceux qui à l'époque parlaient d'« afghanisation » pour signifier qu'une issue uniquement militaire était impossible. Pour autant, lors de cette conférence de Paris, personne – et notamment aucune ONG – n'a à aucun moment demandé le retrait de nos troupes, alors que le problème de la drogue et de la corruption ont été systématiquement évoqués Tous les acteurs de la société civile veulent que nous passions les rênes aux Afghans le plus vite possible et c'est précisément ce que nous souhaitons. Le changement de stratégie est cependant délicat à mettre en oeuvre car nous ne sommes pas seuls – il a fallu, en particulier, convaincre nos amis américains, réticents à aborder cette question dans le cadre d'une « Conférence des donateurs ». En l'état, il faut appeler un chat un chat, et la triste journée du 18 août dernier qui a vu dix de nos soldats tomber est là pour nous le rappeler amèrement : nous menons en Afghanistan des opérations de guerre à la demande des autorités de ce pays et sous l'égide du conseil de sécurité de l'ONU, au côté d'une quarantaine d'État et notamment de 24 autres pays européens.

Avant-hier, nous avons été surpris d'entendre le Président Karzaï appeler au dialogue non seulement avec les Talibans – ce qui est somme toute compréhensible compte tenu de l'immersion des Talibans dans la population – mais avec le mollah Omar, dont les liens avec Al Qaida sont notoires ; c'est son affaire, mais il faut noter qu'il s'agit d'un appel à la négociation – sans doute liée aux futures élections. Convaincus du rôle majeur des États voisins dans la résolution de ce conflit – là où les autres initiatives, telle la médiation saoudienne, sont de peu d'effet –, nous avons quant à nous rencontré les représentants des cinq pays d'Asie Centrale. Nous leur avons demandé de revenir à Paris. Les intérêts et les attitudes sont très divergents d'un pays à l'autre, mais nous travaillons à l'organisation de cette réunion qui inclura les Afghans et les Pakistanais. Quoi qu'il en soit, il serait préférable que les démarches avec les Talibans fassent l'objet de procédures coordonnées et concertées.

Le Pakistan, acteur incontournable, constitue un élément clé pour parvenir à une solution négociée et politique de ce conflit dont je mesure parfaitement le caractère complexe. J'ai rencontré à deux reprises à New-York le Président Zardari, époux de Benazir Bhutto, assassinée très vraisemblablement par des proches d'Al Qaida. Précédé d'une réputation sulfureuse, le Président Zardari, qui a purgé plus de sept années de détention, m'est apparu lorsque je l'ai vu avec le Président de la République comme une personnalité très déterminée à combattre le terrorisme. La réponse à cette prise de position a été le monstrueux attentat contre l'hôtel Marriott à Islamabad qui aurait pu être encore bien plus meurtrier.

Alors que dans un passé récent, les services secrets pakistanais de l'ISI avaient, avec l'aide américaine et l'assentiment des occidentaux, favorisé l'arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan, le président Zardari, très courageusement, confirme sa volonté de combattre le terrorisme en nommant le général Pasha, personnage de haute réputation.

Enfin, je note que contrairement à ce qui se passait jusqu'alors, aucune protestation pakistanaise n'a suivi les bombardements américains qui, en vertu du droit de suite accordé par le Président Bush, ont touché la zone frontalière tribale entre le Pakistan et l'Afghanistan, le Président Zardari ayant même fait déplacer des milliers de Pachtounes provenant de cet endroit vers le Pakistan.

Enfin, le poids de la corruption se faisant sentir dans cette région où il est difficile et dangereux de travailler, je salue d'autant plus l'action des ONG, en particulier celles qui viennent de notre pays et dont l'engagement date de plus de trente ans, ce qui explique en partie l'attachement des Afghans. Mais il faut rester sur le terrain très proche des populations si nous voulons être efficaces à long terme. Les mentalités ont d'ailleurs évolué : nous avons construit des hôpitaux souterrains en Afghanistan mais il a fallu sept ans pour qu'une femme, victime d'une hémorragie, accepte, avec l'accord de son mari, de venir se faire examiner. Ce combat était loin d'être gagné à l'avance. L'essentiel est de travailler le plus près possible des populations mais, pour cela, la protection militaire demeure indispensable.

Pour approcher la population, les médecins afghans eux-mêmes ne peuvent se rendre seuls dans certains endroits –deux d'entre eux viennent d'être assassinés– si leur sécurité n'est pas garantie par les militaires. Si nous ne parvenons pas à accéder aux populations, il sera très difficile de convaincre les Afghans qu'il vaut mieux travailler avec nous qu'avec les Talibans.

Je fais la distinction parmi les Talibans. Autant il faut que les Afghans se parlent entre eux, autant il est vain de discuter avec les partisans du Jihad global qui veulent nous assassiner et détruire une civilisation qui ne ressemble pas à celle qu'ils voudraient instaurer. Ces extrémistes qu'il faut combattre se distinguent des Islamistes modérés ou plus traditionnels comme en Afghanistan.

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