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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 17 décembre 2008 à 17h00
Commission des affaires européennes

Bruno le Maire, Secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Pour moi, la question majeure de la construction européenne, dans les prochaines années, est celle de la transcription fidèle de la volonté des peuples. C'est une des leçons du « non » français : lorsque les peuples ont le sentiment que les choses se jouent sans eux et que le pouvoir s'exerce sans légitimité, ils envoient tout balader. Mais il est insupportable que des responsables politiques, de gauche comme de droite, ne cessent de répéter : « Ce n'est pas nous, c'est Bruxelles ». Bruxelles, c'est qui ? C'est quelle légitimité ? Quel mode de désignation ? En tant qu'élu, j'estime qu'il est essentiel de pouvoir répondre en face au citoyen et d'assumer pleinement une décision parce qu'elle est bonne pour le pays et bonne pour l'Europe. Laisser entendre qu'une mesure a été imposée par Bruxelles, ce n'est plus possible. C'est un des mérites du Président de la République que d'avoir soutenu cette idée.

Comme vous, monsieur Caresche, je suis persuadé que la position de la France aurait été plus forte si nous avions mieux respecté les critères auxquels nous avons nous-mêmes souscrit. Ceux qui, en face, se donnent le mal d'arriver à l'équilibre – et l'on sait combien cela a été douloureux pour l'Allemagne – trouvent les Français bien sympathiques de donner des leçons à tout le monde alors que leur déficit pour 2008 s'élève à 2,8 % ! Pour mémoire, le déficit budgétaire allemand, qui atteignait encore 2,5 % en 2005, a été ramené à l'équilibre en moins de trois ans. De ce point de vue, la France a un véritable problème de légitimité et de crédibilité.

Comme vous, je ne crois pas qu'il existe de stratégie alternative à la relation franco-allemande. Ce n'est pas ce que le Président de la République a à l'esprit. Il a seulement compris que cette relation ne pouvait plus être exclusive et qu'il fallait faire place aux autres États. Il nous faut nous ouvrir presque instantanément à nos partenaires de tout accord trouvé au préalable avec les Allemands. Le « G4 », le « G6 », etc., sont autant de formules que nous expérimentons à tâtons. J'en parlais hier encore avec M. Martin Schulz : il faut définir une formule où la France et l'Allemagne sont au coeur de l'élan européen, mais en étant entourées des autres États. Les grand-messes franco-allemandes au terme desquelles on dictait les décisions aux partenaires européens, cela ne marche plus. Nous avançons vers une redéfinition qui n'oublierait pas les autres États, notamment les plus petits.

Vous avez enfin évoqué les « stratégies alternatives ». J'éprouve un respect immense et une profonde affection pour le pays auquel vous avez fait allusion, la Grande-Bretagne. Reste que l'Europe ne s'est pas construite, à l'origine, avec elle. Je crois à la mémoire et ne pense pas que l'on puisse rayer d'un trait de plume des décennies de construction européenne. La Grande-Bretagne est un partenaire plus récent que l'Allemagne. Elle ne fait pas partie de la zone euro. Elle tient à sa relation privilégiée avec les États-Unis, ce qui n'est pas sans lui poser certains problèmes dans le domaine de la défense et ce qui lui interdit d'aller trop loin sur certains sujets. Pour être clair, il n'existe pas de stratégie alternative d'alliance avec la Grande-Bretagne pour prendre l'Allemagne à revers. Ce sont des billevesées ! En revanche, les discussions en matière de défense ou d'économie peuvent se révéler intéressantes. Plus nous pourrons associer la Grande-Bretagne à la construction d'une Europe politique, mieux cela sera. Lorsque le Président de la République indique que la relation avec l'Allemagne n'est plus de même nature, il ne fait que constater qu'il faut l'ouvrir à d'autres États et procéder un peu différemment.

Tout l'intérêt de la période actuelle est que nous sommes à la croisée des chemins – en toute matière : institutionnelle, politique, de défense… Les décisions que nous prenons jour après jour vont fixer un modèle pour les décennies à venir. Nous n'avons pas le droit à l'erreur et il faut donc le maximum d'écoute et de dialogue pour aller dans la bonne direction.

Il est vrai qu'un mode de fonctionnement intergouvernemental s'impose pour l'instant, au détriment du modèle fédéral. Nous l'assumons, parce que c'est sans doute aujourd'hui la meilleure façon de faire progresser l'Europe. Tout le défi de l'année à venir est que les États gardent cette capacité d'impulsion politique mais qu'en même temps les institutions européennes en assurent la cohérence dans l'ensemble de l'Union. On ne peut pas en rester à l'unique volonté des États – d'abord parce que chacun n'a pas un dirigeant aussi dynamique que Nicolas Sarkozy, et ensuite parce que, quoi qu'on en dise, une présidence lituanienne pèsera toujours moins qu'une présidence allemande.

Après cette période d'affirmation des États qui aura ravivé la démocratie dans le fonctionnement européen, qui aura remis les peuples au coeur des décisions européennes, nous devrons réfléchir à la façon dont les institutions européennes pourront garantir que ces décisions seront bien appliquées. Par exemple, si tout le monde admet que nous avons besoin d'une gouvernance économique et si nous pouvons avancer en la matière sur la base de la décision des États, nous aurons aussi besoin que des institutions garantissent qu'elle s'applique à tout le monde – l'Eurogroupe pourrait remplir ce rôle pour commencer.

Nous sommes à un moment de transition dans la vie du continent. C'est une idée politique qui avait fondé la construction européenne mais, trop ambitieuse, elle avait cédé le pas à une politique des petits pas et des solidarités de fait. C'est allé tellement loin que les décisions ont fini par manquer de légitimité aux yeux des peuples, ce qui a conduit à des échecs politiques tels que celui du référendum français de 2005. Nous repartons donc dans la direction d'une politique des États assortie de l'indispensable intervention des institutions européennes. C'est ce qui est en train de se jouer.

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