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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 17 décembre 2008 à 17h00
Commission des affaires européennes

Bruno le Maire, Secrétaire d'état chargé des affaires européennes :

Avant de vous répondre, monsieur le Président, je tiens à souligner que c'est pour moi un grand honneur d'être entendu par votre commission. Le travail accompli directement entre le ministre et les parlementaires est à mes yeux vital pour trouver les bonnes solutions. Je ne prétends pas avoir la science infuse sur quelque sujet que ce soit. Les membres de la commission chargée des affaires européennes sont tous de très bons connaisseurs de l'Union et des défis que nous aurons à relever. Leurs propositions et leurs idées seront toujours bienvenues.

Je souhaite également saluer le travail accompli par mon prédécesseur, M. Jean-Pierre Jouyet. Il a permis de faire progresser l'idée européenne de façon très concrète en France et dans les autres États membres. M. Jouyet tenait à ce que son action se place sur un plan strictement technique. Je serai pour ma part un secrétaire d'État politique au sens le plus consensuel que peut revêtir cette qualification.

Le Conseil européen des 11 et 12 décembre a abouti notamment à l'adoption du paquet « énergie-climat ». Pourtant, le succès était loin d'être acquis. Le travail de négociation conduit par M. Jean-Louis Borloo et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a permis de rapprocher les points de vue et de trouver un compromis sur les principaux textes proposés par la Commission : la capture et le stockage du carbone, le système européen d'échange de quotas d'émission (ETS), le partage des efforts de réduction des émissions dans les secteurs non couverts par ce système.

Des voix se sont élevées, notamment parmi les députés français, pour regretter que l'on n'ait pas été assez exigeant. Je crois au contraire que l'essentiel réside bien dans ce compromis qui prend en compte les deux questions politiques auxquelles nos partenaires étaient confrontés.

Face au risque encouru par l'industrie allemande, tout d'abord, nous avons dû faire des concessions. Comment pourrait-on nous le reprocher, alors qu'une réduction drastique des émissions de CO2 se serait traduite par des délocalisations et par des destructions d'emplois ? L'objectif est maintenu, il sera atteint, mais les dérogations permettront de garder l'industrie allemande sur le sol allemand, ce qui me semble vital dans la période que nous traversons. J'assume pleinement la nécessité de concilier les impératifs économiques et le développement durable. Le département dont j'étais l'élu jusqu'à une date récente compte de nombreuses entreprises sous-traitantes du secteur automobile : je me serais mal vu leur expliquer l'application brutale de contraintes qui menacent leur existence même !

Je conviens que certains pays, en particulier la Pologne, ont bénéficié de dérogations. Mais, pour moi, l'Europe n'est pas un ensemble de normes et de règlements imposés brutalement : c'est avant tout la capacité à prendre en compte l'histoire de chaque État. Or, l'histoire de la Pologne est celle d'un pays qui n'a pas choisi son développement économique et dont plus de 80 % de l'électricité proviennent de centrales à charbon. J'estime que cela justifie un accompagnement.

L'essentiel, je le répète, est d'être parvenu à ce compromis qui nous met dans la meilleure position possible pour préparer la conférence de Copenhague et pour faire de l'Europe un continent exemplaire. Cette exemplarité qui se manifeste dans les domaines de l'environnement, des droits, de la culture, des échanges universitaires, est précisément ce qui fait la force de l'Europe.

L'accord auquel le Conseil européen est parvenu au sujet du Traité de Lisbonne repose sur trois éléments : la Commission pourra continuer de comprendre un national de chaque État membre ; des garanties seront apportées à l'Irlande en matière de politique fiscale, sur sa neutralité, sur des questions familiales, sociales et éthiques ; en contrepartie, le gouvernement irlandais s'engage à rechercher la ratification du traité de Lisbonne avant la fin du mandat de l'actuelle Commission.

L'idée d'une réduction des effectifs de la Commission était dans l'air depuis plusieurs années : on estimait que c'était un moyen de gagner en efficacité, mais aussi de dissocier chaque commissaire des intérêts de sa nation d'origine. Sur ce dernier point, je considère que la configuration actuelle ne présente pas d'inconvénient : l'expérience prouve que la tendance des commissaires –on va jusqu'à la leur reprocher ! – est bien plus de défendre le domaine dont ils ont la responsabilité que les intérêts de leur pays d'origine. Il serait d'ailleurs paradoxal que les parlementaires français, qui ne sont pas les représentants des intérêts de leur circonscription mais les élus de la nation, contestent ce fait !

Reste que, pour que le dispositif fonctionne, il faut que la Commission soit dotée d'une présidence forte, capable de faire émerger des doctrines et des lignes de force.

Il serait également paradoxal de s'offusquer du rééquilibrage qui s'opère entre les États, la Commission, le Parlement européen, mais aussi les parlements nationaux dont les pouvoirs seront renforcés. En donnant aux États un rôle plus important et à la Commission une place moins essentielle qu'auparavant, on aboutit à une Europe moins technocratique et plus accessible aux citoyens.

S'agissant de la relance, je crois inutile de consacrer de grands développements à un sujet que vous connaissez tous parfaitement. Je constate simplement que la modestie du « pilier » communautaire nous renvoie à un vrai problème, celui du budget européen. Nous ne pourrons défendre la construction européenne que si elle se traduit par des résultats concrets dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Or l'Europe n'obtiendra pas ces résultats si elle ne dispose pas des moyens de financer des politiques communes. Le budget actuel, qui correspond à 0,89 % du produit intérieur brut de l'Union, n'est pas à la hauteur des attentes des citoyens européens. On veut par exemple renforcer les échanges de jeunes, les relations entre les universités, le programme Erasmus : tout cela représente de l'argent !

Cela dit, nous avons vu que l'Union européenne est capable d'écouter ce que les citoyens ressentent et de ne pas rester claquemurée dans ses dogmes. La présidence française a obtenu que l'on relève le seuil de minimis des aides de 200 000 à 500 000 euros et que l'on modifie les conditions dans lesquelles les collectivités publiques sont autorisées à accorder des prêts bonifiés. Rien n'aurait été plus dommageable qu'une Commission ou un Conseil sourds aux attentes des peuples et aux angoisses des familles et des salariés.

En matière de défense européenne, nous avons effectué de réels progrès. Je regrette d'ailleurs la discrétion du Président de la République sur ce point dans sa conférence de presse, tant les résultats concrets que nous avons obtenus étaient presque inenvisageables il y a quelques mois. Ils concernent aussi bien les capacités que les opérations (EULEX au Kosovo, Atalante dans l'océan Indien, les opérations au Tchad) et les institutions : même si l'on en est à un stade encore embryonnaire, la capacité de planification opérationnelle est un élément très important pour la structuration de l'Europe de la défense.

J'en viens plus précisément aux questions du président Lequiller.

S'agissant des relations franco-allemandes, il ne faut pas se tromper de diagnostic. La qualité des liens personnels entre Mme Merkel et M. Sarkozy n'est nullement en cause : il n'y a pas de difficulté entre eux. Je vous invite du reste à relire l'excellent ouvrage que Maurice Vaïsse a consacré aux relations entre le général de Gaulle et Willy Brandt. Dans la période de transition où le second, encore ministre des affaires des étrangères, allait succéder à Kiesinger à la chancellerie et où le premier était à la fin de son mandat, on était dans l'affrontement direct. Ainsi Brandt affirma-t-il en 1968 qu'il était impossible pour l'Europe qu'un dictateur soit à la tête de la France. C'était le jour même où devait avoir lieu à l'Élysée un dîner d'État entre le Général de Gaulle et le Chancelier Kiesinger. Le général fit annuler la moitié des invitations des convives allemands ! Et lorsque le Général de Gaulle déclara en Pologne que la ligne Oder-Neisse était une frontière stable et intangible et que tous les États d'Europe devaient la reconnaître, il touchait à un symbole très fort pour les Allemands.

On ne peut nier cependant que nos deux États se soient récemment éloignés, parce qu'ils ne partagent plus nécessairement les mêmes intérêts économiques, parce qu'ils ont adopté des stratégies industrielles différentes et pas forcément compatibles. Nous devons donc nous employer à prouver aux citoyens des deux pays que nous sommes capables d'un minimum de coordination : ils ne pourraient comprendre, par exemple, que nous nous affrontions sur un sujet aussi vital que l'automobile, qui est un fleuron de l'industrie allemande et qui représente 780 000 emplois en France. Je ne serai pas le ministre d'une relation franco-allemande perdue dans les nuées et les grandes déclarations de principe ! Je souhaite aller au fond des choses et obtenir des résultats tangibles. Cela demandera beaucoup de temps et de patience. Cela supposera aussi que l'on retrouve des relais : de part et d'autre du Rhin, on ne sait plus à qui s'adresser. Il faut bien reconnaître qu'une certaine envie a disparu des deux côtés.

N'oublions pas que les Allemands ont le sentiment légitime d'avoir accompli un travail considérable – travail de mémoire mais aussi réduction des déficits et remise à niveau en Allemagne de l'Est – dont ils souhaitent aujourd'hui toucher les bénéfices. Nous devons le comprendre si nous voulons retrouver une relation saine et constructive.

Ne nous faisons pas d'illusions : même s'il nous faut nous ouvrir à d'autres États et penser différemment, il n'y aura pas d'Europe politique sans entente entre nos deux pays.

Deuxième question : le passage de relais. J'ai déjeuné aujourd'hui avec le vice-premier ministre tchèque, qui est un très bon connaisseur des sujets européens, et je l'ai senti un peu inquiet de la responsabilité qui incombait à son pays. Les Tchèques sont bien conscients que leur première présidence de l'Union européenne est une charge très lourde et qu'elle doit être couronnée de succès. Ils n'ont qu'une peur : ne pas en avoir les moyens administratifs et politiques, mais aussi le poids économique et culturel. La seule solution est de leur tendre la main et de les aider concrètement. Le vice-premier ministre a d'ailleurs été sensible à cet état d'esprit, et nous avons même échangé, lui et moi, nos numéros de portables afin de nous consulter rapidement dès que cela serait nécessaire. Surtout, ne nous focalisons pas sur les réactions de Václav Klaus et sur les histoires de drapeau ! C'est ce qui fait la une des médias mais ce n'est pas ce que le peuple tchèque pense et souhaite construire avec nous.

Dernier point : les questions institutionnelles. La ratification tchèque devrait avoir lieu en février. Il n'y a pas lieu de s'en inquiéter mais notre attitude aura une grande importance : si nous mettons en exergue les éléments « irritants » et le comportement irresponsable de certains dirigeants, nous ne faciliterons guère les choses ! Nos partenaires ont bien conscience qu'une non-ratification ruinerait leur présidence.

Le président polonais refuse de signer le traité avant que celui-ci soit ratifié par l'Irlande. En ce qui concerne ce pays, le choix opéré était le seul raisonnable : permettre au peuple irlandais de se prononcer à nouveau sur le traité de Lisbonne. Nous avons essayé de mettre toutes les chances de notre côté en prenant en compte des revendications essentielles, notamment celle qui porte sur les commissaires européens. Mais ce qui sera décisif, c'est la façon dont nous nous comporterons d'ici à septembre ou octobre, date du référendum en Irlande. En aucun cas nous ne devons nourrir l'euroscepticisme ou le populisme de certains responsables. Même si c'était à mon sens le seul qui pût être tenté, cela reste un pari. Un référendum n'est jamais gagné d'avance.

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