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Intervention de Jean-Paul Garraud

Réunion du 8 janvier 2008 à 22h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Garraud :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le projet de loi proposé au Parlement est d'importance. Il concerne principalement le traitement de ces quelques dizaines de grands prédateurs, ceux qui se moquent des lois et surtout des êtres humains pour ne satisfaire que leurs propres pulsions ; ceux qui, ayant commis des faits gravissimes, sont toujours très dangereux à leur sortie de prison ; ceux qui, manifestement, récidiveront car ils ne sont pas réinsérés dans la société puisque non réinsérables en l'état ; ceux dont on sait qu'ils vont recommencer mais pour lesquels nous ne disposons pas encore des outils juridiques pour les traiter et pour protéger la société de leurs méfaits.

Ce projet de loi prend aussi réellement en considération le sort des victimes, tant celles qui sont victimes d'auteurs pénalement responsables que celles victimes d'irresponsables pénaux. Les deux types de dangerosité sont pris en compte : la dangerosité criminologique, qui concerne les responsables pénaux, et la dangerosité psychiatrique, qui vise les irresponsables.

Qui n'a pas été victime ne comprend pas toujours l'isolement, la grande solitude, le sentiment d'injustice ressentis par elles et leurs familles. Si l'auteur responsable de ses actes choisit la voie du crime en décidant de passer à l'acte, la victime, elle, n'a jamais choisi d'être victime, elle subit l'acte dans tous les cas. Nous connaissons tous le travail remarquable de dignité réalisé par les associations de victimes, celles de parents d'enfants assassinés par exemple. Je ressens beaucoup d'admiration pour ces personnes qui refusent la vengeance et qui font toujours confiance à la justice de leur pays malgré l'horreur qu'elles ont vécue. Qui pourrait d'ailleurs dire parmi nous que, face au pire, face au viol et au meurtre de son propre enfant, nous réagirions de même ?

Mais la solitude, l'incompréhension, l'injustice de la situation subie par la victime sont encore plus mal ressenties lorsque les faits sont commis par une personne déclarée irresponsable. Dans ce cas, un non-lieu intervient comme si l'auteur était reconnu innocent, et celui-ci échappe dès lors au circuit judiciaire pour entrer dans un circuit médical totalement inconnu des victimes, qui n'ont plus aucune information sur le devenir de l'intéressé – sans parler des cas, qui ne sont pas uniques, où la victime rencontre par hasard, quelques jours plus tard, son tortionnaire au détour d'une rue !

S'il n'est pas question de juger les fous, il est tout de même nécessaire de rappeler que pour la personne agressée et ses proches, être victime d'un responsable ou d'un irresponsable pénal, c'est la même chose, le même traumatisme, les mêmes dégâts physiques et psychiques, le même dommage qu'il convient de tout faire pour réparer. Si la réparation civile est toujours possible, il est également important que la puissance publique se rende compte de cette situation et prenne l'initiative d'intervenir pour le soutien des victimes. C'est maintenant chose faite avec ce texte. Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, répond exactement à ces très légitimes préoccupations.

Au stade de l'instruction, une véritable audience se déroulera devant la chambre de l'instruction qui statuera à l'issue d'un débat contradictoire et qui prononcera, si tel est le cas, une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il sera clairement affirmé que l'infraction est bien imputable à l'auteur, mais que celui-ci n'est pas responsable en raison de son état mental. C'est toute la différence, enfin consacrée, entre l'imputabilité et la responsabilité.

Il en sera de même au stade du jugement, tant en matière délictuelle que criminelle : la juridiction ne prendra plus une décision de relaxe ou d'acquittement en cas d'application de l'article 122-1 du code pénal, mais une décision de déclaration d'irresponsabilité pénale, avec inscription au casier judiciaire de l'intéressé. On comprend l'intérêt de cette disposition quand l'on sait qu'un individu peut être reconnu responsable pour certains faits et irresponsable pour d'autres. Il est important que l'autorité judiciaire ait à sa disposition, notamment grâce au casier judiciaire, toutes les informations sur l'intéressé. Ainsi la victime, par ce texte, disposera d'un véritable statut renforcé, et plus égalitaire avec celui de l'auteur.

Les dispositions proposées constituent pour moi une avancée très significative en faveur des victimes. Nous aurons, au cours de nos débats, l'occasion de discuter de la technique procédurale des dispositifs proposés. Je souhaite, pour ma part, au cours de ce propos introductif, me concentrer sur les quelques principes qui animent notre volonté d'agir. Ils ne doivent pas être caricaturés.

Il est de notre responsabilité d'intervenir au lieu, comme certains de nos collègues de l'opposition – nous les avons entendus tout à l'heure –, d'agiter les peurs en taxant ce texte de liberticide. Quel est le problème majeur ? Il est simple. J'ai connu, en tant que magistrat, des individus ayant commis des faits particulièrement odieux qui, arrivés en fin de peine étaient libérés sans aucun contrôle, aucune surveillance, alors que tous ceux qui les avaient suivis en cours de détention assuraient qu'ils étaient toujours très dangereux et que la récidive ne faisait aucun doute. J'ai ainsi connu un individu qui avait été condamné trois fois à perpétuité pour des faits de meurtres et d'assassinats. N'est-ce pas deux fois de trop ? J'ai même vu des détenus qui refusaient de sortir car ils savaient qu'ils ne pourraient résister à leurs pulsions, une fois libres de tout contrôle. J'ai rencontré également des juges d'application des peines qui, sachant qu'en fin de peine certains délinquants sortiraient sans contrôle alors qu'ils restaient potentiellement dangereux, préféraient les libérer d'une façon anticipée, en libération conditionnelle, afin de pouvoir les surveiller ! En clair, ces juges prenaient l'énorme responsabilité de libérer sous condition un récidiviste en puissance pour mieux le surveiller car ils savaient qu'il n'y aurait plus, quelques mois plus tard, aucune possibilité de contrôle ! C'est dire qu'il existe un vrai vide juridique et qu'il faut le combler.

Ne pensez-vous pas qu'au lieu de se draper dans l'angélisme, nous devrions voir la réalité en face et nous attacher à trouver des solutions ? Trouvez-vous responsable qu'à chaque fait divers tragique, nous nous indignions en assurant les familles des victimes de notre soutien sans pour autant agir réellement en ce sens ? Non, mes chers collègues, nous ne vivons pas dans un monde parfait et il est de notre devoir d'intervenir, dans le respect de nos principes démocratiques et de ceux posés par la convention européenne des droits de l'homme ; mais les droits de l'homme, ce sont aussi les droits des victimes, ne l'oublions pas.

Nous ne légiférons pas sous le coup de l'émotion. Voici des années que des réflexions ont été menées en la matière et que des propositions ont été formulées. Pour ma part, j'avais formulé vingt-et-une préconisations dans un rapport rendu au Premier ministre le 18 octobre 2006. Plusieurs textes, déjà en application, s'inspirent directement de la prise en compte de cette dangerosité criminologique, dont la loi du 12 décembre 2005 instituant la surveillance judiciaire, avec la mesure-phare du bracelet électronique mobile, dont Georges Fenech a été l'un des principaux artisans. Souvenons-nous d'ailleurs que c'est au cours de la préparation de cette proposition de loi, dans le cadre de la mission d'information parlementaire présidée par Pascal Clément, alors président de la commission des lois, que nous avions beaucoup travaillé sur l'évaluation de la dangerosité et sur les conséquences à en tirer. En effet, il faut le souligner, nous avons connu depuis quelques années une évolution juridique sur cette question et nous parvenons, avec l'actuel projet de loi, à son aboutissement. J'ai vraiment tenu, au cours de tous ces travaux, à aller au bout de notre logique, à rendre totalement cohérent le système. Avec le bracelet électronique mobile, une étape importante était franchie. Mais, comme j'avais eu l'occasion de le rappeler à l'époque, ce dispositif est totalement insuffisant pour un Fourniret, un Heaulmes, un Bodein, un Guy Georges, pour tous ces grands criminels qui, heureusement, sont peu nombreux, mais commettent des dégâts considérables.

L'évaluation de la dangerosité place au premier plan la mesure de sûreté. C'est cette mesure qui prend le relais de la peine lorsque celle-ci est terminée et que, manifestement, des précautions de défense sociale sont encore à prendre. Oui, il faut prendre à l'encontre de certains individus et sous certaines conditions très précises des mesures de protection sociale, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé si besoin est. Il n'y a pas de honte à affirmer que des mesures de protection sociale doivent être prises pour éviter des drames, comme celui, encore récent, dont la jeune Anne-Lorraine Schmitt a été victime.

Alors, à tous ceux qui nous assènent une sorte de morale issue d'un détournement de la théorie des droits de l'homme et qui veulent nous discréditer en diabolisant le texte, je rappellerai très rapidement certaines des conditions, déjà évoquées tout à l'heure, qui encadrent rigoureusement son application.

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