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Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 8 juillet 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, la question de la modernisation des institutions de la Ve République ne se serait sans doute pas posée si celle-ci n'avait pas changé de visage depuis 1958.

Pour de nombreux constitutionnalistes comme pour la majorité des acteurs politiques, qui n'osent pas le dire, la Ve République des origines est morte. De régime parlementaire rationalisé, elle est peu à peu devenue présidentialiste, en raison de la pratique institutionnelle. Ce présidentialisme fut consacré par l'élection au suffrage universel du Président de la République, puis par le passage au quinquennat, sans qu'un juste rééquilibrage des pouvoirs n'accompagne les réformes successives.

Le régime hybride voulu par le général de Gaulle – mi-parlementaire, mi-présidentiel – n'est plus une réalité depuis bien des années. Le déséquilibre entre les pouvoirs est si important que l'on peut considérer aujourd'hui que la France est progressivement devenue une démocratie fictive.

Ce déséquilibre, nous sommes nombreux, sur tous les bancs de cet hémicycle, à le déplorer depuis des décennies. Nous avons été nombreux à réclamer que notre démocratie se modernise, à souhaiter que l'on rende sa légitimité et sa force au pouvoir législatif, tout en assumant pleinement l'héritage gaulliste, celui d'un exécutif fort et stable, capable de gouverner le navire France.

Les concepteurs de la Ve République voulaient garantir l'indispensable stabilité gouvernementale, pour mettre fin aux excès insupportables de la IVe République. Cinquante ans après, force est de constater qu'ils y sont parvenus. Mais nous savons tous aussi que nous avons remplacé les excès de la IVe par d'autres excès, tout aussi pervers. La conjugaison d'un mode de scrutin exclusivement majoritaire à deux tours et d'un arsenal constitutionnel anti-Parlement à la disposition permanente du Gouvernement a progressivement privé le Parlement du pouvoir de peser réellement sur le cours des décisions importantes. En réalité, que ce soit sous les majorités de droite ou sous celles de gauche, dans 99 % des cas, le Gouvernement décide et le Parlement exécute !

C'est si vrai que, depuis des années, nombre d'acteurs politiques répètent à l'envi que le rôle essentiel du Parlement n'est plus de légiférer, mais de contrôler l'action du Gouvernement. Je ne nie pas que le contrôle de l'action gouvernementale est une mission essentielle qui nous incombe – mission qui est d'ailleurs à peu près aussi importante dans les faits qu'elle est inexistante dans nos travaux. Pour autant, nous ne partagerons jamais la conception selon laquelle le Parlement ne légifère qu'à la marge, au fallacieux prétexte que le Gouvernement doit pouvoir gouverner, ce qui reviendrait à dire qu'il doit avoir les mains libres.

Dans tous les pays de l'Union européenne, dans tous les États occidentaux, les gouvernements gouvernent et négocient leurs projets de loi avec leurs majorités parlementaires. Nous savons tous que cela ne se passe pas ainsi dans notre pays. La culture de la négociation législative n'est pas celle des gouvernements successifs de la Ve République, et cela est dû au déséquilibre des pouvoirs au sein de nos institutions. C'est si vrai, si profondément ancré dans les esprits, que si, par extraordinaire, le Parlement vote une disposition contraire aux souhaits du Gouvernement, on parle immédiatement de crise ou de conflit, là où un pays démocratiquement mûr ne verrait que le cours normal du débat législatif. Ainsi, alors que, dans le débat constitutionnel actuel, l'exécutif se plie, pour une fois, à l'exercice normal de la démocratie en modifiant profondément son texte originel, sans les inutiles crispations habituelles, son attitude est injustement raillée et critiquée.

C'est pourtant ainsi qu'une démocratie, où les pouvoirs d'un gouvernement fort sont équilibrés par ceux du Parlement, devrait toujours fonctionner, permettant aux lois communes d'être plus justes et mieux acceptées, car mieux comprises par les citoyens. Ce n'est que si l'essentiel de sa politique était remise en question que nous devrions considérer que la responsabilité du Gouvernement peut être mise en cause. Au lieu de cela, il y a quelques mois, un gouvernement précédent s'est offert le ridicule de « dégainer », comme on dit, l'article 49-3 sur un texte aussi peu fondamental que celui traitant du téléchargement sur internet.

Pour stabiliser l'exécutif, notre Constitution a versé dans ses propres excès, qui consistent dans l'hypertrophie de l'exécutif et la très grande marginalisation du Parlement. Lorsqu'on a la chance d'être, comme nous aujourd'hui, constituants, on doit toujours avoir à l'esprit cette merveilleuse formule de Montesquieu, qui constate sans détours que « pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

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