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Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 17 octobre 2007 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2008 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, comme vient de le dire M. le ministre, une loi de finances est un acte politique fort, qui trace les grandes orientations de la politique économique d'un gouvernement. Si le texte que vous présentez en a l'apparence, il n'en a pas tout à fait la substance.

Tous les discours qui se sont succédé pendant ce débat m'ont donné le sentiment que ce projet de budget pour 2008 n'était pas tout à fait comme les autres. Notre collègue Cahuzac a parlé d'un budget d'intermède ; Jean-Pierre Brard a ironisé sur l'écart entre le terme de « faillite » utilisé par le Premier ministre pour décrire la situation dont il héritait – de qui d'ailleurs, sinon de la majorité précédente, qui est la même qu'aujourd'hui – et cette espèce de budget de croisière, qui réserve un traitement différent à la première et à la deuxième classe.

Nous sommes nombreux sur ces bancs, et pas seulement à gauche, à penser que le fossé à franchir sera grand entre les quinze milliards de cadeaux fiscaux de l'été, et le moment où vous devrez redescendre sur terre pour prendre la mesure de la réalité des difficultés économiques et financières que traverse notre pays. En un mot, nous craignons que ce qui manque dans ce budget ne se retrouve plus tard et que ce budget n'en cache un autre.

C'est sans doute pour prévenir cette impression, madame Lagarde, que vous nous avez parlé dans votre intervention liminaire d'un budget « compact », terme que vous n'avez pas repris ensuite. Vous étiez plus proche de la réalité quand vous évoquiez la rigueur à venir. En effet, si la rigueur n'est pas explicite dans votre budget, le contexte économique dans lequel il s'inscrit donne le sentiment qu'elle se profile à l'horizon.

Car la réalité que vous avez feint d'ignorer cet été n'en est que plus criante à l'automne. Cette réalité est celle de la profonde dégradation de nos finances publiques depuis 2002, qui, non seulement ne se résorbera pas – je vais y venir – mais qui pourrait même s'aggraver en 2008. C'est d'ailleurs ce qui ressort des prévisions des dix-sept instituts consultés lors de l'élaboration du budget. À ce propos, madame la ministre, il ne faut pas seulement retenir le point le plus bas ou le point le plus haut ; il faut aussi regarder les moyennes, qui indiquent l'opinion générale des conjoncturistes.

Dans votre introduction, vous vous êtes longuement étendue sur le point de croissance supplémentaire qui résulterait de votre politique. Mais, pour l'instant, ce n'est pas un point de croissance supplémentaire que nous constatons, c'est un demi-point de croissance en moins pour l'année 2007, et un point de croissance en moins par rapport à nos partenaires européens.

Alors que vous prévoyiez une croissance située entre 2 et 2,5 %, la réalité de 2007, désormais pratiquement acquise, est tout autre : la dernière note de conjoncture de l'INSEE la fixe à 1,8 %, conformément à l'avis unanime des économistes et de tous les instituts de prévision, et compte tenu, comme vous l'avez fait, de la légère amélioration observée au troisième trimestre.

Pour l'année prochaine, la prévision est de 2 % de croissance en moyenne, avec de fortes variations selon les instituts, jusqu'aux 2,6 % de croissance prévus par l'OFCE, sur lesquels je reviendrai à propos du déficit budgétaire car les deux sont liés. Mais tous les instituts sont d'accord sur un point : aucun ne retient l'hypothèse d'une forte accélération de la croissance. Autrement dit, le budget que vous construisez sur une hypothèse située entre 2 et 2,5 % est en désaccord avec la prévision moyenne des instituts privés.

J'en viens maintenant au déficit. Pratiquement aucune des prévisions des instituts de conjoncture ne retient votre hypothèse d'une réduction, même légère, du déficit des finances publiques. Quand je parle de déficit, je parle de l'ensemble des comptes publics, comptes sociaux inclus. Trois instituts, que vous avez cités, le situent même au-delà de 3 % du PIB : c'est l'hypothèse de déficit retenu par l'OFCE. De ce point de vue, l'OFCE est cohérent : il suppose que le déficit va se creuser profondément, du fait de l'absence totale de financement des mesures que vous avez prises à l'automne, et dans ce cas la croissance peut dépasser les 2 %.

Il n'est même pas besoin de faire des hypothèses aussi éloignées de celles retenues par la plupart des instituts pour trouver un déficit qui est tangent à 3 %. J'ai lu attentivement le rapport de M. Carrez. On y trouve de passionnantes simulations sur longue période de l'évolution du déficit à partir de différentes hypothèses de croissance.

Il développe notamment une hypothèse « pessimiste » de croissance – je reprends le mot du rapporteur général – de 1,8 % pour l'année 2007 et de 2 % pour l'année 2008. J'observe que cette hypothèse pessimiste est très exactement la prévision moyenne de tous les instituts. Or, à partir de ces hypothèses, notre rapporteur général trouve pour l'année 2008 un déficit des finances publiques de 3,1 %.

Dans ces conditions, madame la ministre, monsieur le ministre, êtes-vous sûrs que notre économie n'est pas en train de déraper à nouveau et notre déficit budgétaire de se rapprocher de la barre fatidique des 3 % du PIB ? Le risque est grand, si on en croit les données de la plupart des instituts.

Quant à la cohérence de votre stratégie économique, madame la ministre, je voudrais revenir sur les longs développements que vous vous avez consacrés à la croissance. Selon vous, l'OFCE et d'autres instituts attribuent au projet TEPA un effet considérable sur la croissance. Il faut considérer les données : le projet TEPA, c'est quinze milliards d'euros d'allégements fiscaux, soit 0,7 à 0,8 point de PIB, et les instituts qui reconnaissent à ce projet un effet positif ne lui attribuent pas plus de 0,3 point de croissance. Je vous mets au défi de trouver une mesure budgétaire non financée de quinze milliards d'euros qui ne provoque qu'un tiers d'augmentation de la croissance. Je rappelle que dans l'hypothèse de l'OFCE, à laquelle vous vous référez, cette mesure n'est pas financée, c'est-à-dire que le déficit dérape à plus de 3 %. Je ne crois pas que ce soit l'hypothèse sur laquelle vous fondez votre projet de budget !

Il est donc juste de dire que ce projet TEPA est probablement la plus mauvaise utilisation des fonds publics qu'on puisse imaginer, car l'effet de relance lui-même, s'il existe, sera très modeste au regard de toute autre politique qui aurait redistribué la même somme, sans même tenir compte des autres effets.

Au fond, votre stratégie économique, telle qu'elle se dessine dans le budget ou dans la loi TEPA que nous avons examinée en juillet, est l'illustration des stratégies des révolutions conservatrices anglo-saxonnes des années 1980. Elle consiste à considérer que la meilleure façon d'aider la croissance et les revenus les plus modestes consiste à redistribuer de l'argent aux plus fortunés. C'est la thèse que développaient les idéologues des révolutions conservatrices, qui la désignaient du nom d'« économie du ruissellement » : si l'on donne de l'argent aux plus fortunés, ils travailleront plus et seront plus dynamiques ; il finira bien par tomber quelques gouttes sur les plus modestes.

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