Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Axel Poniatowski

Réunion du 22 septembre 2008 à 15h00
Débat et vote sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces armées en afghanistan

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis sept ans, la France est engagée sur le terrain afghan aux côtés d'une quarantaine d'autres nations. Il y a quelques mois, le Président de la République a pris la décision d'y renforcer notre dispositif militaire. Aujourd'hui, notre débat est important, en raison même de son sujet, et, surtout, parce que nous allons nous prononcer par un vote sur la prolongation ou non de l'engagement de l'armée française sur ce théâtre.

À cette fin, la commission des affaires étrangères a mené avec la commission de la défense toute une série d'auditions ces deux dernières semaines afin d'éclairer notre appréciation de la situation.

Dix soldats français ont été tués le 18 août dernier dans une embuscade. Je veux moi aussi saluer ici leur comportement héroïque face à l'ennemi. Ils sont tombés pour une cause juste : celles de la défense des démocraties et des droits de l'homme.

Décidée en 2001, sous un autre gouvernement, la participation de la France à l'opération alliée répond en effet à un impératif : empêcher le retour au pouvoir des talibans, synonyme de persécution du peuple afghan et en particulier des Afghanes, synonyme aussi de la reprise à grande échelle des actions terroristes en Occident.

Depuis la chute du régime des talibans, des avancées tangibles ont été enregistrées, dans différents domaines. Grâce à l'implantation de plusieurs centaines de points médicaux disséminés dans le pays, environ 80 % de la population a désormais accès à la santé. Première manifestation de ce progrès, la mortalité infantile a connu une baisse notable. Par ailleurs, pas moins de 6 millions d'enfants vont désormais à l'école, dont plus de deux millions de jeunes filles alors que la scolarisation de celles-ci était interdite sous le régime taliban.

La contribution de la France à ces progrès doit être soulignée. J'ai personnellement visité en juillet dernier le remarquable hôpital français pour enfant de Kaboul avec ses 2 000 consultations quotidiennes. J'ai également visité le lycée français où, pour assurer l'accueil d'un nombre d'élèves toujours plus important, il a été mis en place deux sessions d'enseignement par jour.

Parallèlement à ces avancées, le contexte sécuritaire s'est dégradé depuis un an. Les Nations unies estiment qu'environ 1 500 civils ont trouvé une mort violente en 2007, et la tendance s'est amplifiée en 2008, avec l'augmentation des attentats dans Kaboul notamment. Les actes de terrorisme des talibans et de leurs alliés se sont multipliés, et l'on voit bien que la durée du conflit pèse à la population, qui ne voit pas sa situation s'améliorer.

Tant que les terroristes n'auront pas été mis hors d'état de nuire, les Afghans se retrouveront dans un étau, devant supporter la présence sur leur sol de forces étrangères, tout en craignant de voir les talibans reprendre le pouvoir. La victoire contre l'insécurité et le terrorisme est donc un préalable incontournable.

Même si des progrès sont indéniables, en particulier dans le domaine civil, le pays est encore loin d'être pacifié. Aux talibans traditionnels se sont alliés les mercenaires de certains des Seigneurs de guerre, ainsi dénommés, auxquels se sont joints des terroristes étrangers venus des pays avoisinants d'Asie et même d'Europe.

La drogue, la corruption et la mauvaise utilisation de l'aide internationale rendent par ailleurs plus difficiles les efforts mis en oeuvre pour sécuriser le territoire. La population reproche au Gouvernement Karzaï son incapacité à gérer convenablement le pays et à améliorer ses conditions de vie en dépit de l'importance de l'aide internationale, dont elle ne voit pas ou peu les retombées. La corruption qui sévit et un certain laxisme vis-à-vis du trafic de drogue contribuent à ternir davantage l'image des autorités politiques.

La drogue est un obstacle majeur à la sécurisation et à la stabilisation de l'Afghanistan. En dépit d'une réduction des superficies consacrées à la culture du pavot entre 2007 et 2008, l'Afghanistan produit 90 % de l'opium mondial, environ 8 000 tonnes par an. La drogue est la principale source de revenu des talibans, et aggrave les problèmes de corruption.

Face à ces difficultés, quelles options stratégiques s'offrent à la coalition internationale ?

La solution passe tout d'abord par ce qu'il est convenu d'appeler « l'afghanisation » de l'engagement militaire. Comme le rappelait le Président de la République, les armées occidentales n'ont pas vocation à s'éterniser. Les Afghans doivent, à terme, assurer eux-mêmes la sécurité de leur pays.

L'urgence de l'heure impose donc d'accélérer leur déploiement. Cela implique un renforcement en moyens humains de cette armée et l'accélération de la formation des nouvelles unités. Le nombre d'hommes nécessaires pour stabiliser le pays est probablement de l'ordre de 200 000 à 250 000. Encore faut-il que les soldats afghans soient correctement équipés, correctement rémunérés, et cela afin de garantir leur loyauté et leur fidélité au régime en place.

L'armée afghane pourra ensuite se voir transférer de plus grandes responsabilités, comme cela a été le cas récemment dans la région de Kaboul.

Mais une guerre anti-insurrectionnelle ne se gagne qu'une fois distendu le lien entre les insurgés et la société locale, et cette société locale a besoin de nouvelles perspectives, différentes de ce qu'elle vit actuellement. Une politique qui ne serait fondée que sur le « tout militaire » ne parviendra pas à pacifier le pays.

Alors même que la récente conférence de Paris a permis de clarifier les mécanismes de l'aide internationale, il faut désormais s'assurer que les autorités afghanes utiliseront au mieux les moyens mis à leur disposition.

Par autorité afghane, il faut comprendre le pouvoir central mais aussi les autorités locales, et en particulier les gouverneurs de province dont le rôle est déterminant dans l'application des politiques à mener.

Les projets de développement, qu'ils soient agricoles, éducatifs ou structurants, sont, à long terme, la meilleure garantie de stabilisation. Pour autant, leur viabilité sera compromise tant que des remèdes n'auront pas été trouvés dans deux domaines clés : la lutte contre la drogue et la sécurisation des régions frontalières avec le Pakistan.

Deux priorités peuvent être fixées pour lutter contre la drogue. Il faut d'abord offrir aux producteurs de pavot des alternatives de culture largement subventionnées afin de compenser leur manque à gagner.

Par ailleurs, la mission de l'OTAN doit être étendue, d'une part, à la lutte contre l'importation des précurseurs chimiques nécessaire à la fabrication de l'héroïne, et d'autre part, à la destruction des laboratoires clandestins de transformation.

Actuellement, la coalition se trouve dans une situation assez paradoxale, puisqu'elle n'est pas chargée de ces tâches alors qu'elle possède les moyens les plus efficaces pour les accomplir.

Soyons réalistes, en effet : si l'on ne s'attaque pas avec détermination à la lutte contre la drogue, les paysans afghans persisteront à cultiver du pavot dont les prix restent encore largement supérieurs à ceux de toutes les autres productions agricoles.

L'autre défi majeur à relever concerne les régions frontalières, celles des zones tribales. J'estime que ce problème commande toutes les autres difficultés en vue de parvenir à pacifier le pays. Autour de la ligne Durand, un ensemble de régions montagneuses, particulièrement difficiles d'accès, sert de refuge aux talibans, leur permettant de venir se ressourcer et se rééquiper. Ces territoires sont utilisés comme base de repli et d'entraînement.

Le contrôle de cette zone ne relève pas de la coalition bien que des frappes aériennes soient actuellement menées dans le cadre de l'opération « Liberté immuable », avec les risques d'extension du conflit que cela comporte.

L'arrivée d'un nouveau Président à la tête du Pakistan, qui s'est résolument prononcé contre le terrorisme, doit nous inciter à rechercher une solution globale, combinant action politique et action militaire, qui associerait les forces alliées et les autorités pakistanaises. L'attentat perpétré hier à l'hôtel Marriott d'Islamabad, qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés, nous montre que le Pakistan sera de plus en plus concerné par les actions terroristes.

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, en Afghanistan, nos troupes participent à un combat auquel l'ensemble de la communauté internationale a souscrit depuis le 11 septembre 2001 : prévenir le retour du régime taliban.

La situation, nous le voyons bien, est d'une extrême complexité, car toutes les dimensions de la crise afghane sont liées.

L'ampleur de ce qui reste à accomplir permet de mesurer le temps nécessaire avant de rendre leur pays aux Afghans, ce qui doit rester notre objectif ultime. En cela, un retrait des troupes de l'OTAN aujourd'hui reviendrait à renoncer à nos objectifs initiaux et conduirait l'Afghanistan à redevenir le sanctuaire du terrorisme international.

Notre présence reste pour l'instant nécessaire, et je vous invite donc, chers collègues, à vous prononcer en faveur du maintien des troupes françaises en Afghanistan. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion