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Intervention de François Loncle

Réunion du 12 juin 2008 à 9h30
Protection des personnes contre les disparitions forcées — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Loncle :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste, radical et citoyen s'apprête, bien entendu, à voter la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Notre vote, comme celui de tous ici, allait de soi. Les motivations de notre expression ont été rappelées avec rigueur et pertinence par notre collègue Geneviève Colot, rapporteure du texte. Cet accord général aurait pu conduire notre commission à proposer une adoption simplifiée. Elle ne l'a pas fait, et elle a bien fait. Il convenait en effet de rappeler publiquement et collectivement, dans l'enceinte de cette assemblée, notre condamnation absolue, pour le passé comme pour l'avenir, du crime de disparition forcée. Tous, ici, nous avons été marqués par la démarche des mères et grands-mères argentines ayant pendant des années manifesté tous les jeudis sur la place de Mai pour exiger la vérité sur leurs enfants et petits-enfants disparus. Le crime était d'autant plus inacceptable qu'il avait été commis par la puissance publique, c'est-à-dire la dictature argentine. Au-delà des familles, c'est une société et un pays qui ont été profondément affectés par un déni de justice inacceptable et traumatisant.

Notre rapporteur a rappelé avec raison le rôle joué par la France dès 1979 pour faire aboutir le projet de convention internationale sur les disparitions forcées, que nous examinons ce matin. Notre collègue Geneviève Colot, et M. Jouyet tout à l'heure, l'ont signalé, mais il convient ici encore de garder en mémoire le remarquable travail effectué par un grand technicien français du droit, Louis Joinet, à l'origine du premier projet soumis à la réflexion des gouvernements.

J'aurais souhaité que notre pays fût le premier à ratifier le texte. Ce n'est pas tout à fait le cas. Mais j'espère, et je joins ici les voeux de mon groupe à ceux exprimés par notre rapporteur, que le Quai d'Orsay se mobilisera pour que cet instrument international puisse au plus tôt entrer en vigueur. En effet, vingt ratifications sont nécessaires. Or seuls jusqu'ici l'Albanie, l'Argentine, le Honduras, le Mexique – et bientôt la France – ont confirmé leur signature par une ratification en bonne et due forme.

Le vide juridique actuel est en effet très dommageable pour les victimes, malheureusement nombreuses de par le monde. Pour être bien compris, je voudrais m'attacher à un cas très concret et, hélas, très proche de nous : celui des disparus du Tchad. Certains affrontements civils, en février dernier, ont été accompagnés de la disparition d'opposants. Quelques-uns, Loi Mahamat Choua, et Ngarlejy Yorongar, ont réapparu. Il a été établi qu'ils avaient été arrêtés par la force publique, retenus et molestés hors de toute procédure. Leur situation relevait du cas de figure visé par la convention dont nous débattons aujourd'hui. On est toujours sans nouvelles ce jour, jeudi 12 juin 2008, d'Ibni Oumar Mahamat Saleh, ancien ministre et porte-parole de l'opposition démocratique. Le Tchad n'a pas ratifié la convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Mais, le 6 février 2007, il en a été l'un des signataires. Le Président de la République française a-t-il rappelé à son homologue tchadien, qu'il a rencontré à N'Djamena le 27 février dernier, ses obligations de signataire de la convention sur les disparitions forcées ? Lui a-t-il demandé de faire le maximum pour retrouver M. Saleh ? Sa famille et ses proches espèrent et attendent depuis trop longtemps. Signer un texte international protégeant le droit des personnes disparues et de leurs familles, c'est bien ; le ratifier, c'est mieux ; vient ensuite le moment de vérité, celui de l'application. À l'égard du Tchad, la France, madame la secrétaire d'État, a le devoir de saisir tous les dispositifs prévus par la convention que nous examinons ce matin. La France doit tout faire pour que soit éclaircie la situation de M. Saleh, disparu pratiquement un an, jour pour jour, après la signature par son pays de la convention sur les disparitions forcées.

Je souhaiterais par ailleurs émettre un regret et faire une proposition. Au-delà des États, des groupes terroristes usent de l'enlèvement comme d'une arme politique. En Afghanistan, en Colombie, en Espagne avec l'ETA, en Irak, au Liban, des femmes et des hommes ont été enlevés et retenus, certains pendant plusieurs années. Quelques-uns étaient Français. Les auteurs d'enlèvements de civils désarmés ne peuvent recevoir d'autres qualificatifs que ceux retenus pour condamner les États visés par la convention sur les disparitions forcées. Il conviendrait d'ouvrir une réflexion afin d'envisager un texte spécifique concernant ce type d'actes.

Mes chers collègues, on doit en effet qualifier, juger et sanctionner les criminels, les responsables de ces disparitions forcées comme tels, et considérer ces dérives barbares comme telles. Ainsi, s'agissant de l'affaire, hélas emblématique, d'Ingrid Betancourt, permettez-moi de m'étonner des discours prononcés par le Président de la République française à l'adresse du chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie, commanditaires de l'enlèvement de notre compatriote franco-colombienne, séquestrée depuis le 23 février 2002. Les propos tenus à deux reprises ne critiquent pas, ne condamnent pas. Le premier discours a été adressé à « Monsieur » Marulanda, chef des FARC, de son vivant, le 5 décembre 2007. Le second lui a été adressé le 1er avril 2008, six jours après son décès. Le Président de la République française a certes l'obligation de veiller à la sécurité de tous les Français. S'il remplit certes une obligation politique, et morale, est-il pour autant dans son rôle, et dans sa fonction, en lançant sur les ondes – c'était le 5 décembre – des appels comme ceux que nous avons entendus, donnant du « Monsieur » au chef des ravisseurs, invitant le «Monsieur » en question à libérer Ingrid Betancourt afin de partager avec le Président de la République française un « rêve de Noël » et le 1er avril 2008 d'avoir avec lui « un rendez-vous avec l'histoire ». Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que ces affaires-là, dans l'intérêt de nos compatriotes en difficulté soient traitées avec davantage de discrétion, davantage de sérieux dans l'approche des dossiers, et davantage de respect pour la fonction présidentielle !

Beaucoup plus grave encore, face au martyre d'Ingrid Betancourt, les autorités françaises au plus haut niveau, hélas ! ont fait savoir qu'elles étaient prêtes à recevoir en France des guérilleros détenus en Colombie, des preneurs d'otages, membres des FARC, avec le statut de réfugiés politiques. Cette offre est scandaleuse. Tenter d'abréger le calvaire de Mme Betancourt, l'un des 800 otages aux mains des rebelles, ne justifie pas une telle proposition. Non seulement c'est contraire au droit d'asile édicté par la Convention de Genève, mais c'est ouvrir la voie à tous les excès pour les autres organisations terroristes dans le monde.

L'association France Terre d'Asile a d'ailleurs dénoncé cet extravagant projet, faisant remarquer que le statut de réfugié ne peut être accordé à tout auteur de grave crime de droit commun, de crime de guerre ou contre l'humanité. Même Ingrid Betancourt refusait cette option dans sa vidéo du 30 août 2003, exprimant courageusement son désaccord avec un échange humanitaire entre civils et guérilleros.

Sous réserve de ces remarques et dans l'attente de quelques éclaircissements à ce sujet, nous confirmons notre vote favorable à l'approbation de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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