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Intervention de Geneviève Colot

Réunion du 12 juin 2008 à 9h30
Protection des personnes contre les disparitions forcées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Colot, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd'hui saisie d'une convention internationale qui traite d'une réalité douloureuse, trop longtemps passée sous silence : les disparitions forcées. Avant d'aborder le contenu de cette convention, je voudrais évoquer le sort des personnes portées disparues, dont les situations se caractérisent, malheureusement, par leur très grande diversité.

Les victimes de disparitions forcées peuvent aussi bien être des personnes civiles capturées,enlevées ou arrêtées, des prisonniers qui meurent en prison ou sont détenus dans des lieux secrets, des victimes d'exécutions massives enterrées en toute hâtedans des tombes anonymes, ou encore des personnes fuyant unconflit dans de grands déplacements de population et qui sont séparées de leurs proches, enfin des soldats tués dont les restes ne sont pas traités avec dignité ou dont les dépouilles sont abandonnées sur le champ de bataille sans être identifiées. Dans tous les cas, ces portés disparus plongent dans l'anonymat, et leurs familles sont maintenues dans l'ignorance de leur sort.

Cette pratique odieuse, caractéristique des dictatures latino-américaines des années soixante-dix et quatre-vingt, est aujourd'hui largement répandue dans le monde. En 2005, on recensait 535 nouveaux cas de disparition forcée, dans vingt-deux pays, et à ce jour 41 000 cas ne sont toujours pas élucidés, sans compter les personnes dont la disparition n'a jamais été signalée.

Face à cette triste réalité, des familles de victimes, des organisations non gouvernementales, mais aussi certains États, dont la France, se sont mobilisés pour lutter contre les disparitions forcées.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est le fruit de vingt-cinq années d'efforts continus de ces différents acteurs pour faire reconnaître le crime de disparition forcée, dont elle prévoit le traitement efficace par des mécanismes internationaux de protection des droits de l'homme et des juridictions nationales.

En définissant le crime de disparition forcée, la convention comble un vide juridique. Je vous rappelle les trois éléments constitutifs d'une disparition forcée : la privation de liberté ; le fait que celle-ci soit imputable à des agents de l'État ou des personnes agissant à son instigation et enfin leur refus de reconnaître cette privation de liberté et la dissimulation du sort réservé à la personne disparue.

La convention énonce par ailleurs le principe de l'interdiction des disparitions forcées en toutes circonstances, et non plus seulement en cas de conflits armés, comme pouvait le faire le droit international humanitaire. C'est le premier traité universel qui prohibe expressément les disparitions forcées en temps de paix comme en temps de guerre.

J'en viens au contenu de la convention internationale contre les disparitions forcées, adoptée en décembre 2006 par l'assemblée générale des Nations unies.

En premier lieu, ce texte vise à combattre l'impunité en définissant les mesures que doivent prendre les États parties pour enquêter sur les disparitions forcées et les constituer en infraction au regard du droit pénal.

Les disparitions forcées peuvent même être qualifiées de crimes contre l'humanité quand la pratique est généralisée ou systématique. En ratifiant la convention, les États s'obligent à traduire en justice aussi bien les auteurs que les commanditaires et les complices des disparitions forcées. Je précise que la convention ne vise pas seulement les personnes ayant commis ce crime sur le territoire d'un État partie, mais aussi les cas où l'infraction alléguée relève d'une autre juridiction. L'objectif de ce régime de compétence quasi universelle est qu'aucun responsable d'un crime de disparition forcée ne puisse échapper à la justice. Un tel régime de responsabilité individuelle et de sanction est essentiel pour garantir l'efficacité du dispositif.

La présente convention vise également à satisfaire aux exigences de prévention, en interdisant notamment les lieux de détention secrets. Dans cette perspective, elle évite toute une série de règles pratiques et de garanties procédurales. La convention exige notamment des États qu'ils gardent toutes les personnes privées de liberté dans des lieux de détention officiellement reconnus et contrôlés, qu'ils tiennent des registres officiels, actualisés sur tous les détenus, et qu'ils autorisent ces derniers à communiquer avec leur famille et un avocat.

En second lieu, la convention contre les disparitions forcées répond à une exigence de justice, en reconnaissant aux victimes et à leurs proches un droit à réparation ainsi qu'à la vérité. Il s'agit du premier traité international à reconnaître que les victimes de disparition forcée ne sont pas seulement les personnes disparues, mais aussi leurs proches. Outre un deuil impossible, les familles des victimes s'exposent à des représailles lors de leurs démarches vis-à-vis des autorités pour faire la lumière sur une disparition. Elles subissent en outre des difficultés matérielles engendrées par la disparition. Les familles des personnes portées disparues sont donc elles-mêmes des victimes. C'est la raison pour laquelle la convention contre les disparitions forcées consacre de nouveaux droits en leur faveur. Elle énonce tout d'abord un droit des victimes à connaître la vérité sur les circonstances de la disparition forcée et le sort de la personne disparue. Elle proclame ensuite un droit des victimes à réparation du préjudice moral et physique subi. Elle oblige également les États à reconnaître un régime de prescription plus favorable aux victimes. Enfin, la convention impose aux États parties de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer pénalement l'adoption et le placement d'enfants nés en captivité, dont les parents sont victimes d'une disparition forcée.

En troisième lieu, la présente convention institue un comité des disparitions forcées, composé de dix experts indépendants, siégeant à titre personnel et agissant en toute impartialité. Ce comité assure les fonctions classiques d'un organe de traité, chargé de veiller à l'application de ses dispositions. Il examine notamment les rapports présentés par les États parties sur les mesures qu'ils ont prises pour donner effet à leurs obligations au titre de la convention. Il peut également examiner des communications individuelles et interétatiques. Par ailleurs, la présente convention prévoit, de façon tout à fait originale, que le comité jouera également un rôle préventif. À cette fin, il est doté de pouvoirs d'investigation, tandis que lui est reconnue une capacité d'interpellation. Ainsi, le comité peut être saisi en urgence, par les proches d'une personne disparue, d'une demande visant à rechercher cette personne. Le comité des disparitions forcées peut également effectuer des visites sur place en cas de grave atteinte à la convention. Enfin, il peut émettre des appels urgents auprès de l'assemblée générale des Nations Unies s'il reçoit des informations selon lesquelles la disparition forcée est pratiquée de manière généralisée ou systématique sur le territoire d'un État partie à la convention.

Pour conclure, je souhaiterais insister sur le rôle moteur joué par notre pays dans l'élaboration, puis l'adoption de la présente convention. La France a en effet été à l'origine, en 1979, de la première résolution présentée à l'assemblée générale des Nations Unies sur le thème des disparitions forcées. Notre pays a également présidé le groupe de travail qui est à l'origine de l'élaboration du texte. Compte tenu de cette implication, la France a eu l'honneur d'accueillir, le 6 février 2007, la cérémonie de signature de la présente convention. À ce jour, soixante-treize pays ont signé la convention internationale contre les disparitions forcées et quatre l'ont ratifiée. Il est aujourd'hui indispensable que la France, dont l'engagement tenace a grandement contribué au succès du processus, ratifie dans les meilleurs délais cette convention. Il est tout aussi nécessaire que notre pays se mobilise pour parvenir aux vingt ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur effective de ce traité essentiel.

À cet égard, madame la secrétaire d'État, je souhaiterais savoir si, dans le cadre de sa prochaine présidence de l'Union européenne, la France envisage de prendre une initiative auprès de ses partenaires en vue d'accélérer la ratification de cette convention. Une telle initiative serait en effet dans la logique de l'engagement sans faille de notre pays en faveur de l'adoption d'un traité international interdisant les disparitions forcées et favoriserait sans aucun doute son entrée en vigueur effective dans les meilleurs délais.

Pour terminer, je vous invite, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, à voter le projet de loi n° 878 visant à autoriser la ratification de la présente convention contre les disparitions forcées. (Applaudissements sur divers bancs.)

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