Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 15 janvier 2008 à 9h30
Article 11 de la constitution — Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Il ne faut pas oublier que ce qui fonde la légitimité de la démocratie parlementaire, c'est l'élection par le peuple au suffrage universel : les citoyens délèguent leur souveraineté à leurs représentants, non qu'ils soient incapables de décider de leur avenir eux-mêmes, mais essentiellement pour des raisons pratiques évidentes. Dès lors, il est parfaitement inconcevable de jouer la légitimité parlementaire contre la légitimité populaire, la première n'existant que par délégation de la seconde. Je crains même qu'en contournant le peuple pour faire adopter le traité de Lisbonne par voie parlementaire, le Président de la République ne contribue à accentuer le fossé entre le peuple et ses représentants.

On constate d'ailleurs que l'origine de la pratique référendaire ne remonte ni au général de Gaulle ni aux plébiscites napoléoniens, qui en ont profondément dénaturé le sens, mais à la Révolution française. Le premier référendum de l'histoire de France est celui qui a permis l'adoption de la Constitution du 24 juin 1793, constitution très démocratique, fondée sur le primat de la souveraineté populaire et qui prévoyait le recours à la consultation directe des citoyens.

L'enjeu de la présente proposition de loi constitutionnelle vise donc à rendre obligatoire le recours au référendum pour l'adoption de lois qui contiennent des dispositions précédemment rejetées par le peuple consulté par référendum. Le peuple peut bien évidemment changer de position, mais il est inacceptable que son vote soit contourné, voire nié, s'il n'a pas donné la réponse attendue de lui. Le parallélisme des formes et le respect de « l'expression directe de la souveraineté nationale » exigent donc d'encadrer le pouvoir législatif du Parlement sur les sujets ayant précédemment fait l'objet d'une consultation populaire.

Or, tel est incontestablement le cas du traité de Lisbonne, qui ne comporte que des différences d'ordre cosmétique avec le traité constitutionnel rejeté par référendum.

Je ne résiste pas à l'envie de vous citer l'analyse faite par le président Valéry Giscard d'Estaing sur la différence entre les deux traités. Il explique que « la différence porte davantage sur la méthode que sur le contenu […]. Les juristes n'ont pas proposé d'innovations. Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant, par voie d'amendements aux […] traités existants ». Il admet également que « dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l'ordre a été changé dans la boîte à outils ».

En fait, les seules différences réelles entre les deux traités sont l'abandon du vocabulaire constitutionnel ou des emblèmes de l'Union européenne, ou encore les nombreuses dérogations accordées au Royaume-Uni ou à la Pologne. Au total, le traité de Lisbonne a permis de faire des concessions aux États et aux forces politiques partisans du souverainisme et méfiants vis-à-vis de l'idée même de construction européenne.

Ainsi, il faut rappeler que l'inclusion de la Charte des droits fondamentaux au sein du traité constitutionnel était régulièrement avancée par les partisans du « oui » comme un signe qui aurait dû rassurer les partisans d'une Europe plus sociale. Pourtant, dans le traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux ne figure plus dans le texte même des traités, mais s'y trouve inscrite par le biais d'un renvoi. De plus, elle n'est plus applicable au Royaume-Uni.

Au-delà de quelques modifications sémantiques purement décoratives, aucun des éléments du nouveau traité ne constitue l'amorce de la construction d'une autre Europe. La pseudo-disparition de la référence au « marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée », renvoyée à un protocole, est à cet égard très révélatrice.

Quant au fond, il n'y a aucune modification des dispositions qui ont motivé le rejet du traité, à savoir celles qui entraînent l'Europe dans la direction du marché, de la libre concurrence, d'une politique monétaire contrainte ou de la méfiance vis-à-vis des services publics.

Concernant la place donnée à ces derniers, il a souvent été affirmé que le traité de Lisbonne était davantage soucieux de la garantie des services publics que le traité constitutionnel. En effet, le protocole 9 semble consacrer la place des « services d'intérêt général non marchands », ou « services non économiques d'intérêt général » – c'est-à-dire qui ne sont pas directement payés par l'usager, comme l'éducation nationale, les services sociaux, les services de santé ou les services culturels.

Ce protocole, dans son article 2, peut sembler protéger les services d'intérêt général non économiques des règles de la concurrence ; il n'en demeure pas moins que le problème vient de la définition des « services non économiques », qui n'est pas plus précisée dans les traités que dans le protocole. Ce qui pose question car, d'après une jurisprudence constante de la Cour de justice, « constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné ». Tout peut donc être considéré comme une activité économique, s'il y a marché.

La valeur ajoutée de cet article du protocole est donc minime, d'autant plus qu'il précise bien, en ce qui concerne ces SIG non économiques, que les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des États membres en matière de fourniture, de mise en place et d'organisation de ces services ; les États pourront donc procéder comme bon leur semble, y compris au détriment des usagers.

Il en va de même pour les « services d'intérêt économique général » que l'usager paie directement – comme l'eau, les transports publics ou l'énergie. Le nouveau traité les fait, certes, figurer parmi les « valeurs le l'Union » – dont aucune définition n'est d'ailleurs donnée –, mais en renvoyant leur contenu à un acte législatif de l'Union – directive ou règlement –, dont on peut être sûr qu'il ne sera pas favorable à notre conception exigeante du service public. Cela est d'autant plus à craindre que ce seront les législateurs, lorsqu'ils le jugeront opportun, qui autoriseront l'Union à adopter un règlement transversal établissant les principes et fixant les conditions, notamment économiques et financières.

En définitive, et les SIEG et les SIG vont être soumis aux règles de la concurrence, ce que les auteurs de ce traité ont affirmé lorsqu'ils ont déclaré que la liberté d'établissement et la liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services continuent de revêtir une importance capitale. Dès lors, il ne peut être affirmé, comme d'aucuns le font, que l'Union européenne protège les services publics, renommés services d'intérêt général.

Compte tenu de ces analogies évidentes entre le traité de Lisbonne et le traité rejeté par les Français en mai 2005, de nombreux citoyens exigent un nouveau référendum.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion