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Intervention de Hervé Morin

Réunion du 25 juin 2009 à 9h30
Réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français — Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi

Hervé Morin, ministre de la défense :

…qui signifiait une ambition retrouvée pour notre pays. Défi politique et stratégique, enfin, puisque c'est grâce à ces essais que la France peut garantir la protection de ses intérêts vitaux et jouer un rôle de premier plan avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

Or, aujourd'hui, le Président de la République l'a rappelé lors la présentation du sous-marin Le Terrible à Cherbourg, en mars 2008 : « La France a un bilan unique au monde en matière de désarmement nucléaire. »

Ce bilan, vous le connaissez, il est éloquent, et il nous permet d'inviter la communauté internationale à nous rejoindre. Je souhaite vous en rappelez quelques éléments.

Nous adhérons au traité de non-prolifération nucléaire depuis 1991, et le Président de la République a lancé un plan d'action d'ici à la conférence du TNP en 2010.

En 1996, la France a annoncé l'arrêt définitif des essais nucléaires et a engagé le démantèlement des installations du Centre d'expérimentation du Pacifique, achevé en 1998. La France est donc aujourd'hui le seul pays parmi les États dotés de l'arme nucléaire à avoir fermé et démantelé son centre d'expérimentation nucléaire en toute transparence.

En 1998, la France a été le premier État, avec le Royaume-Uni, à ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et nous appelons à présent tous les autres pays à en faire de même.

En outre, la France est le seul État au monde à avoir engagé, depuis 1996, le démantèlement de ses installations de production de matières fissiles, à Pierrelatte et à Marcoule, et les experts internationaux ont été invités à venir le constater le 16 septembre dernier.

Nous avons par ailleurs proposé un moratoire sur la production de matières fissiles, et nous appelons à relancer les négociations pour conclure un traité sur l'interdiction de la production de ces matières.

La France est le seul État au monde à avoir démantelé ses missiles nucléaires sol-sol, et le Président de la République a proposé d'ouvrir des négociations pour un traité interdisant les missiles sol-sol de portée courte et moyenne.

La France est également le seul État au monde à avoir volontairement et unilatéralement diminué le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engin et réduit d'un tiers sa composante aéroportée. Aujourd'hui, notre arsenal nucléaire compte moins de 300 têtes.

Mesdames et messieurs les députés, la France est exemplaire en tout ; il lui manquait seulement – mais c'était beaucoup ! – la prise en charge des victimes des essais nucléaires, comme l'ont fait avant nous la Grande-Bretagne et les États-Unis.

La grandeur de la France, c'est de ne plus faire d'essais. Aujourd'hui, la France doit aussi être grande dans la reconnaissance. Ce n'est pas de la repentance – pourrait-on se repentir d'avoir voulu la paix et la sécurité pour son pays ? – ; il s'agit d'apporter la preuve que notre pays veut désormais tourner la page.

Je le disais tout à l'heure, la France a procédé à 210 essais nucléaires au Sahara et en Polynésie entre 1960 et 1996. L'État a conduit ces essais en appliquant les consignes de sécurité les plus strictes, mais en fonction aussi – il faut bien le dire – de l'état des connaissances scientifiques du moment et de l'application d'un principe de précaution qui ne connaissait pas la même puissance ni la même force dans les années 1960 qu'il n'en a aujourd'hui.

Malgré ces mesures, certaines contaminations se sont produites. C'est le cas au Sahara, où, parmi les dix-sept essais que nous avons effectués, les quatre essais aériens n'ont connu aucun incident, mais où quatre essais sur les treize menés en galerie ont posé des problèmes de confinement, dont le tir Béryl du 1er mai 1962, devenu tristement célèbre. C'est le cas également en Polynésie, où 147 essais souterrains ont été effectués sans aucune dispersion radioactive, mais où, sur les quarante-six essais aériens effectués, dix ont donné lieu à des retombées radioactives significatives.

Tout cela a été consigné dans un rapport du délégué à la sûreté nucléaire commandé par Michèle Alliot-Marie et publié en 2006.

Au total, 150 000 travailleurs civils et militaires ont été présents sur l'ensemble des sites. Bien entendu – et Dieu merci ! –, la plupart d'entre eux n'ont souffert d'aucune exposition. Toutefois, c'est pour répondre à l'exigence légitime de droit et de justice de ceux qui ont été exposés comme à celle des populations civiles qui pourraient être concernées que ce texte vous est aujourd'hui proposé. Mais c'est aussi pour la France, pour une France qui se grandit en assumant ses responsabilités.

Pour eux et pour la France, notre projet de loi repose sur trois principes.

La transparence, tout d'abord. Le secret qui a pesé sur ces essais a alimenté les rumeurs et la désinformation. Il faut aujourd'hui faire connaître les documents dont nous disposons et recueillir toutes les données, pour mettre un terme aux réactions irrationnelles. C'est pourquoi des professeurs de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine ont été chargés, à ma demande, d'étudier nos archives, d'ouvrir tous les placards, tous les tiroirs, tous les coffres, afin de compléter le rapport rendu en 2006 par le délégué à la sûreté nucléaire de défense. Nous leur avons ouvert ces archives, et ils rendront leur rapport d'ici à la fin de l'année ; ce rapport sera publié.

Parallèlement, deux études, l'une de mortalité, l'autre de morbidité, portant sur 32 000 personnes employées en Polynésie, ont été confiées à un organisme indépendant, qui livrera ses premières conclusions à l'automne. Ce rapport sera également publié.

Tous ces résultats serviront aux travaux du comité d'indemnisation, dont les membres auront accès à nos documents classifiés grâce à l'un de vos amendements.

Vous avez également souhaité renforcer la transparence en proposant un amendement qui instaure une commission consultative de suivi réunissant des représentants des associations et du gouvernement de Polynésie française. J'y suis favorable.

Le deuxième principe ayant guidé notre projet est celui de la justice. Aujourd'hui, le régime d'indemnisation n'est pas le même pour toutes les victimes selon qu'il s'agit de militaires, de travailleurs civils ou des populations. Le système actuel est donc lourd, coûteux, injuste, aléatoire, car il introduit des différences selon le statut des victimes et selon les juridictions saisies.

Ce texte prend en considération toutes les victimes, sans opérer de discrimination : personnels civils et militaires de la défense, personnels du Commissariat à l'énergie atomique, personnels des entreprises présentes sur les sites, mais aussi populations civiles ayant été touchées par des retombées radioactives significatives.

Toutes seront indemnisées pour la totalité du préjudice subi, y compris le préjudice moral ou esthétique, et selon le même régime d'indemnisation.

Les conditions d'application seront complétées par décret en Conseil d'État. Comme je m'y étais engagé, je vous ai adressé le projet de décret. La liste des pathologies donnant droit à l'indemnisation sera celle de l'UNSCAER, agence des Nations unies. Plus longue que celle actuellement retenue par le code de la sécurité sociale, elle a été établie conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale. Figurent ainsi sur cette liste dix-huit cancers ; il s'agissait d'une revendication des associations de victimes.

Nous avons également voulu inclure les zones concernées de la façon la plus juste possible. C'est pourquoi nous proposerons un amendement étendant le dispositif à certaines zones de l'atoll de Hao et de l'île de Tahiti, conformément à la volonté de l'assemblée de la Polynésie française.

Enfin, le troisième principe ayant guidé ce texte est celui de la rigueur. Ce texte est le fruit d'un travail collectif de plusieurs mois mené en concertation avec les scientifiques, le monde médical, les industriels du secteur nucléaire, et vous-mêmes ; il résulte des initiatives des parlementaires de tous les groupes qui ont, depuis des années, déposé des propositions de loi sur ce sujet.

La rigueur, cela signifie aussi d'instaurer un régime d'indemnisation qui soit facile à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent, c'était au requérant de prouver que sa maladie était due à une exposition aux rayonnements ionisants, circonstance difficile à justifier quand les faits remontent à trente ou quarante ans. Désormais, c'est à l'État, le cas échéant, qu'il reviendra de prouver l'absence de lien de causalité entre la maladie et l'exposition.

Avec ce projet de loi, le demandeur devra simplement justifier qu'il est atteint de l'une des maladies radio-induites figurant sur la liste retenue et qu'il a séjourné dans les zones concernées durant les périodes des essais.

Les demandes seront examinées par un comité scientifique indépendant, présidé par un magistrat, qui proposera au ministre de la défense le montant de l'indemnisation. La recommandation du comité sera annexée à la proposition d'indemnisation pour que les choses se passent dans la transparence, comme vous l'avez souhaité.

À la suite de votre amendement, le comité respectera le principe du contradictoire. Cela permettra, éventuellement, aux victimes requérant une indemnisation de pouvoir s'expliquer sur les conditions dans lesquelles il avait opéré sur site.

Le demandeur disposera de possibilités de recours devant le tribunal administratif s'il n'est pas satisfait de la réponse apportée à sa demande. Les résidents de la Polynésie française pourront saisir le tribunal administratif de Papeete, comme le demandaient certains d'entre vous et l'assemblée polynésienne – vous vous souvenez du débat que nous avons eu en commission.

Enfin, comme le demandaient les associations et les élus polynésiens, les ayants droit pourront se substituer à la victime décédée.

Pour ce défi nucléaire, qui visait à doter notre pays de sa force de frappe, je dis et redis qu'il est normal que l'indemnisation prévue dans notre loi soit supportée par le budget de la défense. Le budget de la mission « Défense » représente 37,2 milliards d'euros : nous devons être en mesure de trouver les sommes nécessaires pour l'indemnisation des victimes.

Avec ce texte, nous aurons un régime d'indemnisation comparable à celui des autres grandes démocraties qui ont réalisé des essais nucléaires pour leur sécurité, le Royaume-Uni et les États-Unis. Nous aurons surtout mis en oeuvre une solution transparente, juste et rigoureuse pour que notre pays puisse tourner la page et être en paix avec lui-même.

La France a été grande dans ce défi scientifique, technologique et humain. La France a été grande dans ce défi politique et stratégique, qui nous permet d'appartenir au cercle très restreint des puissances nucléaires. Elle doit désormais être grande dans sa volonté de réparer ses erreurs. Tel est l'objet de ce projet de loi que j'ai l'honneur et la fierté de vous présenter ce matin. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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