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Intervention de François Rochebloine

Réunion du 20 juillet 2009 à 21h30
Ratification de la convention sur les armes à sous-munitions — Discussion après engagement de la procédure accélérée d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est de plus en plus rare de débattre en séance publique de conventions internationales.

La plupart de ces dernières présentent en effet un caractère technique et ne méritent pas de faire l'objet d'un débat dans l'hémicycle. Cependant, tel n'est pas le cas de ce projet de loi de ratification qui porte sur un texte de haute portée politique puisqu'il traduit de manière emblématique une nouvelle étape dans la lutte pour le développement d'un droit international humanitaire et l'amélioration du sort des populations civiles pendant et après la guerre. Nous avons souhaité qu'un débat ait lieu, ici, dans l'hémicycle, afin de marquer la volonté de la France de mettre fin à la pratique odieuse des armes à sous-munitions.

Nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à nous être élevés, depuis de nombreuses années, contre l'utilisation de ces armes et à avoir soutenu les ONG telles que la Croix rouge, Handicap international ou ICBL, bref, à avoir milité contre ce qui symbolisait l'horreur de la guerre dans ses aspects les plus cruels et les plus injustes. Je ne doute pas que l'unanimité manifestée en commission des affaires étrangères se confirmera en séance publique.

En effet, on ne peut cautionner de telles armes qui, sous prétexte d'être efficaces contre les blindés, frappent durement et durablement les populations civiles. Les avantages militaires procurés par ce type d'armes, dont l'oeuvre de mort se poursuit, comme pour les mines antipersonnelles, bien après la fin des combats, doivent être mis en rapport avec le désastre humanitaire qu'ils génèrent.

Il est bon de rappeler que les caractéristiques des armes à sous-munitions les rendent extrêmement dangereuses pour les civils, quel que soit leur mode de dispersion. Ces armes ont notamment été développées afin de lutter contre les unités blindées. Or, ces armements ont été employés dans des situations très différentes, en particulier dans des zones de combat proches de fortes concentrations de populations civiles. Dès lors, les armes à sous-munitions sont devenues un risque humanitaire majeur, pour deux raisons.

En premier lieu, du fait de l'importance de leur rayon d'action, ces systèmes d'armes rendent largement illusoire toute tentative de discrimination entre cibles civiles et objectifs militaires. Les dommages, tant humains que matériels, causés par ce type de matériels peuvent être considérables.

En second lieu, il est fréquent que les sous-munitions libérées par la munition conteneur n'explosent pas lors du premier impact. Dès lors, d'importantes étendues de terrain, sur lesquelles vivent souvent des civils, peuvent être infestées de ces restes explosifs, qui représentent alors un risque permanent.

Si la prise de conscience sur ces armes s'est faite relativement tôt, obtenir leur interdiction s'apparente à un véritable « chemin de croix », qui montre à quel point le volontarisme et la ténacité sont indispensables en politique, même quand la cause est juste.

Ainsi, il a fallu attendre 2006 pour que les États membres de l'ONU approuvent un protocole annexé à la convention de 1980 sur certaines armes classiques. Le protocole V sur les restes explosifs promeut la coopération internationale afin de sécuriser les territoires sur lesquels des armes à sous-munitions ont été employées. Toutefois, ce texte ne contient aucune disposition normative visant à réduire, voire à empêcher l'utilisation d'armes à sous-munitions sur le champ de bataille. Il indique simplement que les États doivent s'efforcer de minimiser le risque d'apparition de restes explosifs.

Au cours de la guerre israélo-libanaise de l'été 2006, ces armes ont été massivement employées, notamment par l'armée israélienne, provoquant des dommages très importants parmi les populations civiles. Les personnes ayant regagné leurs habitations à l'issue du conflit continuent aujourd'hui encore d'être victimes des sous-munitions non-explosées, disséminées sur leurs lieux de vie.

Frappé par ce drame humanitaire, et confronté à la lenteur des discussions visant à améliorer le texte du protocole de l'ONU, un petit groupe d'États, réuni autour de la Norvège, a décidé de relancer le processus politique et de conduire des discussions parallèles associant les pays désireux de poursuivre un objectif plus ambitieux, à savoir l'interdiction de l'utilisation et de la production des armes à sous-munitions. Baptisé «processus d'Oslo», ce cycle de négociations a permis, lors de la conférence diplomatique de Dublin, en mai 2008, d'aboutir à un texte recueillant l'approbation de plus de quatre-vingt-dix pays dont la signature officielle a eu lieu le 4 décembre dernier.

Vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, la France a joué un rôle particulièrement actif dans ces débats, comme elle l'avait fait lors de la Convention d'Ottawa, en 1997, à propos des mines antipersonnelles. Elle a cessé d'utiliser des armes à sous-munitions depuis 1991, et elle n'en produit plus depuis 2002. Résolument engagé en faveur de l'objectif d'interdiction totale des armes à sous-munitions, notre pays a donc pu jouer un rôle de facilitateur entre les États producteurs ou utilisateurs de ces matériels, afin de faire respecter les exigences humanitaires dans le domaine de la défense.

L'annonce par la France, au beau milieu des négociations de Dublin, du retrait de 90 % de ses stocks de sous-munitions a grandement contribué à relancer les négociations avec le Royaume-Uni et l'Allemagne, restés quelque peu discrets jusque-là.

Le texte final dont la ratification est aujourd'hui soumise à notre examen, poursuit deux objectifs.

Tout d'abord il vise l'interdiction l'interdiction totale de la production, du stockage, du transfert, de la conservation et de l'utilisation d'armes à sous-munitions. Les États parties s'engagent à publier la liste de leurs stocks de ce type de matériels, à les détruire dans un délai de huit ans, prolongé éventuellement par l'assemblée des États parties pour une durée maximale de huit années supplémentaires, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour en interdire la production dans le futur.

Ensuite, la convention d'Oslo vise à renforcer la coopération internationale pour aider les victimes civiles. Elle impose en effet aux États parties une obligation de nettoyage des zones touchées par les sous-munitions non explosées, opérations pour lesquelles ils peuvent solliciter l'assistance d'autres États ou de l'ONU.

Une obligation d'assistance aux victimes des armes à sous-munitions en matière de santé et de réinsertion sociale est également prévue.

La convention sur les armes à sous-munitions représente donc une avancée décisive. Il s'agit, en effet, du premier texte international interdisant formellement l'utilisation de ce type d'armements. Pourtant, nous sommes loin d'en avoir fini avec ce dossier. Le texte issu de la conférence de Dublin a été approuvé par 107 États parties ; 94 l'ont signé le 4 décembre 2008 à Oslo – ils sont 98 à ce jour – et 14 d'entre eux l'ont ratifié. Il est donc important que la France, qui a été très active en ce domaine, fasse de même, de manière à permettre l'entrée en vigueur de la convention très rapidement.

Hélas ! d'importants pays producteurs et utilisateurs d'armes à sous-munitions n'ont pas souhaité participer au processus d'Oslo. Il s'agit notamment des États-Unis, de la Russie, d'Israël et de la Serbie, qui, soulignons-le, avaient déjà refusé de ratifier le traité d'Ottawa de 1997 concernant les mines antipersonnel. Aujourd'hui, seuls 40 % des États producteurs et 20 % des États utilisateurs ont adhéré à la convention d'Oslo. Il nous faut donc continuer à oeuvrer au sein du comité d'experts qui prépare la révision du cinquième protocole de l'ONU sur les restes explosifs, afin de faire progresser les discussions en vue de l'élaboration d'un texte qui soit signé par l'ensemble de la communauté internationale.

La France, avec ses partenaires européens, s'efforce de maintenir le lien entre les différentes parties à ces débats. La prochaine conférence diplomatique sur le sujet aura lieu à la fin de l'année 2009. Il faut espérer qu'elle choisira de prolonger le mandat du comité d'experts désignés pour élaborer des propositions de réforme du texte existant.

Quel que soit le résultat des démarches multilatérales, la convention sur les armes à sous-munitions constitue un signal politique extrêmement fort. C'est une première victoire, que nous apprécions à sa juste valeur. Mais il nous faut rester vigilants, car le combat est loin d'être achevé.

À cet égard, il est souhaitable que les mesures de droit interne nécessaires à la mise en oeuvre des dispositions de la convention soient prochainement présentées au Parlement dans le cadre d'un projet de loi préparé par le ministère de la défense. J'espère que ce texte prévoira notamment l'extension aux armes à sous-munitions du champ de compétence de la Commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, la CNEMA. Tel est, en tout cas, le sens de la proposition de loi que j'avais déposée dès 2004 et qui visait à ouvrir un nouveau champ d'action s'étendant, bien au-delà de la seule thématique des mines antipersonnel, aux systèmes d'armes qui produisent les mêmes effets, tout aussi pernicieux et dangereux, mais qui sont ignorés du droit.

La CNEMA, dont je suis membre depuis sa création en 1998, est composée, rappelons-le, de parlementaires – deux députés et deux sénateurs –, de personnalités qualifiées, ainsi que de représentants d'ONG et de différents ministères. Cette composition diverse et assez ouverte, que nous avions voulue ainsi, fait appel, au-delà des experts habituels, à une représentation de la société civile. Elle a montré tout son intérêt ; je puis en témoigner. Je précise, en outre, que cette commission, qui remet chaque année un rapport public d'activité au Premier ministre, a largement rempli sa mission en ouvrant des pistes de réflexion et en préparant les esprits sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.

Enfin, nous ne pouvons que nous réjouir que le Parlement exerce un contrôle sur ces questions. Soyons certains qu'il permettra de confirmer la valeur de l'engagement de la France en faveur de l'interdiction des armes à sous-munitions.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à soutenir l'action de la France en faveur du droit international humanitaire et à vous prononcer, comme l'a fait la commission des affaires étrangères, à l'unanimité, en faveur de la ratification de cette convention.

En conclusion, permettez-moi, madame la présidente, de regretter que ce débat, qui méritait mieux, ait lieu à une heure aussi tardive. (« Absolument ! » sur divers bancs. - Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

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