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Intervention de Jean-Claude Sandrier

Réunion du 7 janvier 2009 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2009 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Sandrier :

Messieurs les ministres, votre plan de relance a la couleur de ce qu'il faudrait faire, il en a le goût, mais malheureusement ce n'est pas ce qu'il faut faire ! Pourquoi ?

En premier lieu parce que, comme les économistes le disent quasi unanimement, son impact sera extrêmement limité et n'empêchera pas une récession durable, voire une aggravation plus profonde de la crise.

En second lieu, ce plan est inadapté. En effet, le Président de la République a insisté sur le fait qu'il était « essentiellement centré sur l'investissement » ; or, en France l'essentiel de la croissance économique est dû à la consommation. Sauf quelques miettes ici et là, il y a une absence quasi totale du volet consommation et pouvoir d'achat dans ce plan de relance.

Troisièmement, enfin : à l'extrême faiblesse de ce plan de relance et à sa mauvaise orientation s'ajoute le fait qu'il ne tire aucune leçon de la crise que nous traversons. Aucune des causes des phénomènes qui nous ont amenés à cette situation n'est traitée, tout reste en place.

Sur le premier point, c'est-à-dire le peu d'effets prévisibles de votre plan de relance, il suffit de prendre les chiffres. D'abord pour souligner qu'il ne s'agit pas de 26 milliards d'euros injectés dans l'économie, mais très précisément de 9,8 milliards d'euros inscrits en crédits de paiement pour 2009, et dont on peut évaluer que seulement 5 à 6 milliards – j'ai même parfois entendu 4 – sont des crédits nouveaux.

Lorsqu'on sait qu'avec les 15 milliards d'euros du paquet fiscal censés provoquer un « choc de croissance », le Président de la République avait prévu d'aller chercher un point de croissance avec les dents, il faudra plus que les dents du Président pour que ce plan de relance ait un quelconque effet !

Le reste de ce que vous avez annoncé consiste soit en des versements anticipés – ce sera le cas pour les PME et pour les collectivités locales, que l'on encourage en fait à s'endetter un peu plus –, soit en des projets avancés, notamment en matière d'infrastructures. Il n'y a donc rien de vraiment nouveau. Je souligne d'ailleurs que l'effort aurait pu être plus substantiel et plus efficace, quand on sait que seulement 800 millions sont inscrits pour les routes, le rail, la santé et l'agriculture. Il y avait pourtant là une occasion exceptionnelle de lancer un grand programme ferroviaire de lignes à grande vitesse, de rénovation du réseau et d'impulsion du fret, réalisant ainsi une avancée importante dans la lutte contre les gaz à effet de serre. C'était également l'occasion de moderniser nos hôpitaux.

En ce qui concerne le logement, le tour de passe-passe est, là aussi, évident : vous proposez de construire 100 000 logements supplémentaires en deux ans, mais la baisse des constructions a été de 70 000 logements en un an. Cela revient en fait à compenser le déficit de constructions de cette année.

Quant à l'automobile, nous y reviendrons fin janvier, car il y a sur ce dossier beaucoup à dire, à commencer par le problème des soi-disant stocks, alors qu'il faut jusqu'à six mois avant d'obtenir un véhicule neuf !

Rien que par l'examen des chiffres, nous savons déjà que ce plan sera largement insuffisant. L'INSEE et le FMI le confirment, d'autant que l'estimation de suppression de 220 000 emplois en France au premier semestre est largement partagée. Même si les voix gouvernementales s'évertuent à dire que la situation est pire chez les autres que chez nous – alors que vous n'avez cessé pendant des années de nous expliquer l'inverse –, il n'en reste pas moins que les efforts consentis par la Grande-Bretagne et l'Espagne sont quatre à cinq fois plus importants que les nôtres. Quant à ceux que l'Allemagne s'apprête à accomplir, ils sont également bien supérieurs. Il est pour le moins nécessaire de multiplier par deux ou trois l'effort actuel en faisant comme la Grande-Bretagne et 1'Espagne, c'est-à-dire en l'orientant prioritairement vers l'accroissement de la consommation.

J'en viens ainsi à ma deuxième remarque : comment être aveuglé au point de ne pas voir que c'est l'insuffisance criante de la demande qui pose problème ? Même si la consommation se tient relativement bien, elle baisse et va continuer à baisser d'après toutes les indications actuelles. Or l'action sur la consommation doit être prioritaire, comme plusieurs pays européens l'ont bien compris. En France, elle représente 75 à 80 % de la croissance, et les faux arguments sur les importations n'y changeront rien. Correctement orientée, c'est-à-dire vers les catégories les plus modestes et moyennes – notamment par des hausses des salaires et retraites –, la relance de la consommation présente, en outre, l'avantage d'être un levier immédiat. Vous vous en privez, c'est une erreur. Je reviendrai ultérieurement à la question de la compétitivité.

Avant d'évoquer nos principales propositions, je voudrais souligner que l'insuffisance fondamentale de ce plan réside dans le fait qu'il ne tire aucune leçon de la crise du capitalisme que nous traversons. Empêche-t-il la spéculation, qui nous a menés là où nous en sommes, de continuer ? Non ! Apporte-t-il une contribution pour empêcher la libre circulation des capitaux qui alimente cette spéculation ? Non ! Gèle-t-il les dividendes, alors même que, pour 2009, plus de la moitié des entreprises du CAC 40 annoncent qu'elles pourront satisfaire aux attentes de leurs actionnaires ? Non ! Que fait-il pour empêcher que les banques recapitalisées, garanties, regaranties et contre-garanties, n'utilisent les variations de taux des banques centrales pour se renflouer sur le dos du consommateur moyen ? Rien !

Ce plan de relance prévoit-il un rééquilibrage, au moyen de la fiscalité et des hausses de salaires, du partage de la valeur ajouté en faveur du travail et au détriment du capital, ce qui réduirait d'autant les marges pour la spéculation et dégagerait du pouvoir d'achat pour la relance de la consommation ? Non ! Qu'en est-il des paradis fiscaux ? Qu'en est-il d'une harmonisation sociale et fiscale par le haut pour éviter les avantages dangereux consentis aux actionnaires ? Je pourrais continuer la liste des carences de ce plan.

Ce que nous voyons à l'oeuvre aujourd'hui avec ce gouvernement, ce sont des pompiers qui, non seulement ont contribué à mettre le feu, mais sont également de mauvais pompiers, car ils ne s'intéressent absolument pas aux moyens de combattre les causes des incendies à venir. C'est bien là le fond du problème : vous voulez sauver un système incapable de se réformer et encore moins de se moraliser. Nous en vivons l'énième crise, avec cette particularité que plus nous avançons dans le temps, plus ces crises se rapprochent et plus elles sont fortes, la mondialisation les rendant dangereuses pour toute l'humanité,

Proposer un plan de relance – nécessaire aujourd'hui – rapidement efficace et qui ne consiste pas à relancer la machine infernale de l'accumulation financière et des produits dérivés – spéculation, taux de profit exorbitants, enrichissement scandaleux de quelques-uns, avec leurs corollaires que sont la pression sur les salaires, les retraites, 1'emploi, les moyens des services publics –, c'est faire dès maintenant des choix très clairs et très forts dans trois directions.

Premièrement, il convient de relancer la consommation en augmentant salaires, traitements, retraites, pensions et minima sociaux et en opérant une baisse significative de TVA sur les produits de première nécessité.

Deuxièmement, il faut relancer l'investissement, et en premier lieu l'investissement public, tombé très bas : le transport ferroviaire, y compris le fret, la construction de 200 000 logements sociaux par an pendant cinq ans, la santé, avec la construction d'hôpitaux et de maisons de retraite, l'éducation nationale, la recherche, l'agriculture, sans oublier évidemment l'environnement et le développement durable. Il y a matière à mettre en oeuvre un grand programme public de recherche et d'investissement.

Il importe, en second lieu, de relancer l'investissement privé, en particulier des PME, par un crédit sélectif – voire des prêts à taux zéro – réservé aux entreprises qui embauchent, forment et innovent. Les aides publiques doivent être conditionnées par le maintien et le développement de l'emploi, ainsi que par le maintien des sites de production.

La création d'un pôle public bancaire rendrait possible de tels objectifs.

Troisièmement, il convient d'apporter une aide exceptionnelle aux collectivités locales. Le remboursement immédiat de la TVA est une mesure qui doit être pérenne, mais ne suffit pas. L'État doit compenser entièrement ses transferts afin d'empêcher l'augmentation des impôts locaux et accorder une aide exceptionnelle pour des investissements dans des infrastructures, pour le développement économique ou encore la santé, la culture et le social.

Pour financer ce plan, nous proposons notamment de récupérer 12 des 15 milliards d'euros accordés aux plus riches par le paquet fiscal ; de récupérer 25 des 32 milliards d'exonérations de cotisations sociales jugées inutiles pour l'emploi par la Cour des comptes ; de taxer, comme le demandait la Cour des comptes, les stock-options à hauteur de 3 milliards d'euros ; de doubler le rendement de l'ISF et de supprimer le bouclier fiscal, pour 4 milliards d'euros. Avec ces mesures, nous en sommes déjà à plus de 40 milliards d'euros de financement !

Rappelons par ailleurs que récupérer un point de PIB sur les dix transférés depuis vingt ans des revenus du travail vers ceux du capital représente 18 milliards d'euros. Rappelons aussi que les niches fiscales, qui représentent aujourd'hui 73 milliards d'euros, ont augmenté de 46 % en cinq ans, pendant que vous nous rebattiez les oreilles avec le déficit du budget et les caisses soi-disant vides. Enfin, le coût du stress au travail a été estimé à 65 milliards d'euros par une récente étude.

Il nous faut rappeler cela à tous ceux qui souffrent d'une addiction à l'idéologie du rendement, de la concurrence libre et non faussée, du capital libre, du marché libre et, finalement, du renard libre dans le poulailler libre ! Vous vous moquez du « tout État » et vous avez raison, mais si c'est pour nous assujettir au « tout capital », au « tout marchandise » et au « tout concurrence », alors vous avez tort !

Enfin, pour vous éviter, comme à 1'habitude, les réponses démagogiques du style « vous, les communistes, vous ne changez pas », je terminerai en citant les propos de cet éditorialiste des Échos – sans doute « affreux » communiste – qui nous explique deux choses qu'il faut se rappeler en ce moment. Évoquant dans l'édition du 31 décembre 2008 « la puissance fantastique » avec laquelle l'État est intervenu « pour écraser les taux d'intérêt, prêter aux banques, éviter la spirale déflationniste », il explique que « la puissance déployée est d'autant plus fabuleuse que les pouvoirs publics auraient dû empêcher 1'incendie… en fait ils ont fait l'inverse ». Remarque ô combien juste ! Et il poursuit: « Ce que nous voyons à 1'oeuvre, c'est l'État-pompier », tandis qu'il faudrait surtout voir « l'État qui reste aux abonnés absents, à savoir 1'État-stratège, celui qui prépare le futur, qui soutient la perspective de long terme ». Il cite enfin l'économiste américain Lester Thurow, auteur des Fractures du Capitalisme : « Les innovations majeures qui changent aujourd'hui le monde, comme les technologies de l'information ou le génie génétique, sont toutes issues de grands programmes publics de recherche lancés il y a plusieurs décennies, programmes qui n'ont pas de successeurs. » Et pour cause, puisque partout le leitmotiv a été de réduire les dépenses publiques.

Votre système du fric a cassé l'avenir. Ce que Patrick Artus a évoqué en accusant « la logique court-termiste de la rentabilité élevée, qui suppose de sacrifier l'avenir ».

Enfin, l'éditorialiste des Échos ajoute qu'après « l'État-stratège » il manque « l'État-arbitre, régulateur, seul acteur en mesure de dépasser la logique individuelle qui ne garantit pas l'équilibre collectif » – c'est le moins que l'on puisse dire. « L'équilibre collectif », quelle horrible expression, n'est-ce pas ?

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