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Intervention de Jean Leonetti

Réunion du 17 février 2009 à 9h30
Allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ». Cette maxime de La Rochefoucauld illustre bien le déni de mort qui imprègne notre société et rend si difficile la prise en compte des personnes en fin de vie.

Les statistiques sont là pour nous le rappeler : en France, alors que trois personnes sur quatre désireraient finir leur vie à domicile, la même proportion meurt à l'hôpital. Dans cet univers médicalisé et quelquefois déshumanisé, ce n'est qu'une fois sur cinq que la personne concernée meurt entourée de ses proches. Plus encore que de mourir, nos concitoyens craignent de « mal mourir », c'est-à-dire de mourir dans la souffrance, dans la déchéance ou l'abandon.

La proposition de loi qui est débattue aujourd'hui contribue à satisfaire ce souhait d'une fin de vie digne et accompagnée par un entourage familier et familial. Je voudrais souligner devant vous la démarche singulière de cette proposition de loi et les trois éléments qui la caractérisent : elle procède d'un travail collectif, elle résout un problème pratique et elle est porteuse de sens.

Elle procède d'une démarche collective en reprenant l'une des propositions de la mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie que m'ont confiée le Premier ministre et le président de l'Assemblée nationale et à laquelle j'ai souhaité associer Gaëtan Gorce, Olivier Jardé et Michel Vaxès. Ils sont aujourd'hui cosignataires de cette proposition de loi et ont participé à son élaboration. Ils ont apporté à notre mission leur sensibilité et leurs convictions, et je les en remercie très amicalement et très chaleureusement. Après avoir procédé à plus de 70 auditions et effectué quatre voyages à l'étranger, notre constat est simple et nous amène à formuler plusieurs propositions.

Le constat est à la fois simple et affligeant : la loi est peu connue et mal appliquée. Parmi nos propositions, toutes acceptées par le Premier ministre et par vous, madame la ministre, figurait la création de ce congé d'accompagnement. Il y en a bien d'autres, et à ce propos je me tourne vers Gaëtan Gorce pour lui demander si nos positions sont si éloignées que cela. Quand nous proposons de faire appel à un médecin référent en soins palliatifs afin de permettre la médiation dans certaines situations particulièrement graves et complexes, ne s'agit-il pas d'une démarche prenant en compte à la fois la complexité et l'individualité de la mort ? Lorsque nous proposons – comme vous le faisiez déjà en 2005, monsieur le député – la création d'un observatoire chargé de régler les problèmes de manière plus globale, afin d'échapper aux pressions médiatiques et aux passions, nous répondons également à un souci d'objectivité par rapport à ce phénomène social qu'est la mort dans la société occidentale du xxie siècle.

Si le code de déontologie a fait l'objet de modifications actuellement soumises à l'examen du Conseil d'État, sous l'oeil vigilant de Mme la ministre, c'est pour faire en sorte que nous ne vivions plus jamais des situations semblables à celle de l'affaire Pierra, dans laquelle l'arrêt du traitement a conduit à la fois à un arrêt des soins et à une arrêt de l'accompagnement. Il faut que la sédation en phase terminale puisse être administrée de façon systématique dans des circonstances particulières, lorsque le malade est incapable d'exprimer sa volonté et que le corps médical a décidé de mettre fin à des traitements jugés inutiles, disproportionnés ou conduits dans le seul but d'un maintien artificiel de la vie.

Au moment où le Parlement français va bénéficier d'un ordre du jour partagé avec l'exécutif et où il voit renforcée sa mission de contrôle de l'action publique, la loi du 22 avril 2005 et son évaluation sont l'exemple même d'une production législative du Parlement qui a bénéficié de votre soutien actif, madame la ministre, et de celui du Premier ministre et du Président de la République.

Y a-t-il une méthode ayant permis cette unanimité ? Le temps que nous avons consacré à nous écouter en respectant la parole de l'autre, le fait que nous ayons remplacé nos certitudes individuelles par un doute collectif, le fait encore que nous ayons accompli ce cheminement ensemble et que nous ayons mené un débat contradictoire ont permis d'aboutir à un texte équilibré. Ce consensus s'explique également par la demande unanime, non seulement des patients et de leurs proches, mais aussi de tous les professionnels de santé qui oeuvrent au contact des patients en fin de vie et sont témoins de leur solitude, voire, souvent, de leur abandon.

Permettez-moi de me féliciter de cette convergence des points de vue, qui permet à la majorité et à l'opposition – une fois n'est pas coutume – de se rassembler, le temps d'une matinée, dans le souci de l'intérêt général et des plus fragiles, en oubliant leurs affrontements quelquefois stériles.

Cette loi répond à une question pratique. Deux solutions existent en effet aujourd'hui pour accompagner à domicile une personne en fin de vie.

La première consiste à bénéficier d'un congé de solidarité familiale ou d'un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie. Ce sont des droits ; pour autant, n'étant pas rémunérés, ils créent une disparité entre ceux qui en bénéficient et les autres – tels que les travailleurs indépendants et les exploitants agricoles –, mais aussi entre ceux qui peuvent interrompre leur activité et assumer la perte de revenus que cela implique et ceux qui n'en ont pas les moyens.

L'autre solution consiste à trouver un médecin complaisant ou, devrais-je dire, compréhensif, humain, qui accepte de fournir un arrêt de travail, même si cela est illégal.

Nous avons donc conçu cette allocation pour qu'elle profite à toutes les personnes qui cessent de travailler pour se consacrer à l'accompagnement d'une personne en fin de vie. La mesure est simple et concrète. Trois conditions doivent être réunies pour bénéficier de cette allocation : premièrement, accompagner à domicile une personne en fin de vie ; deuxièmement, être un parent, un proche ou partager le domicile de cette personne ; troisièmement, suspendre son activité professionnelle pour effectuer cet accompagnement.

Notre rapporteur, Bernard Perrut, a fort justement souhaité que la mesure puisse s'appliquer également lorsque la fin de vie nécessite des hospitalisations à répétition. Je ne peux bien évidemment que l'approuver et souhaite, madame la ministre, que vous en fassiez de même, car cet amendement ne dénature en aucune façon l'esprit du texte, qui vise essentiellement l'accompagnement à domicile.

Je voudrais aussi, madame la ministre, vous suggérer que le décret d'application autorise une certaine souplesse, afin de prendre en compte la diversité des situations, sachant, par exemple, qu'un mi-temps peut être la solution la plus appropriée pour accompagner une personne, car conserver une activité professionnelle permet de vous maintenir dans la vie active.

Les amendements proposés par le Gouvernement précisent et sécurisent un financement, qui, dans le contexte actuel, ne pèse pas sur l'ensemble des entreprises. L'allocation journalière s'élèvera à 49 euros par jour. Sur cette base, le coût de la mesure, estimé à 20 millions d'euros par an, sera probablement moindre dans la mesure où elle devrait par ailleurs faire diminuer le nombre d'arrêts de travail illégaux, quoique humainement justifiés.

Si nous développons davantage les soins palliatifs et l'hospitalisation à domicile, nous éviterons probablement ce que nous avons unanimement dénoncé, à savoir l'acharnement thérapeutique et l'obstination déraisonnable qui apporte plus de souffrances que de bienfaits au malade et à son entourage.

Je voudrais rapporter les paroles qu'a prononcées à ce sujet, devant notre mission, le docteur Godefroy Hirsch, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs : « Pendant les onze années où j'ai été médecin généraliste, je n'ai, personnellement, jamais refusé un arrêt de maladie à une personne pour rester auprès d'un proche. Cela me semble le B. A.-BA de l'humanité et du prendre-soin. » C'est dire que la mesure que nous proposons n'est probablement qu'un transfert de charges. Ce dispositif met donc fin à une situation insupportable pour le médecin et l'accompagnant, contraints à l'illégalité par le respect d'une humanité niée par la société.

Au-delà de l'intérêt pratique et humain de cette modification législative, cette décision est un « petit pas » lourd de sens, car la société reconnaît enfin le rôle éminent de l'accompagnant pour la personne en fin de vie, dans le « prendre-soin » qui doit imprégner profondément tout acte médical. Prendre soin : l'accompagnant fait pleinement partie de cette chaîne de gestes médicaux dans laquelle la dimension palliative succède aux procédures curatives.

Comment expliquer le fait que notre société rémunère les congés pris au moment de la naissance pour les deux parents et sur une durée de plusieurs mois, mais n'accepte pas de concéder une heure, un jour pour accompagner un parent, un enfant ou un proche en fin de vie ? Des soignants entendus par notre mission ont attiré notre attention sur ce problème. Mme Martine Nectoux, infirmière libérale à Montpellier, l'a indiqué de manière particulièrement claire : « Reconnaître et financer l'accompagnement représenterait une charge en moins pour l'entourage, ainsi qu'une reconnaissance de sa place et de son rôle. Je suis intimement convaincue qu'il s'agit d'une démarche de santé publique à l'égard de l'entourage. Aider les proches à accompagner pleinement les patients en fin de vie sans se retrouver en difficulté financière faciliterait aussi leur travail de deuil. » Le docteur Régis Aubry ne disait rien d'autre lorsqu'il déclarait : « Reconnaître ce temps essentiel honorerait notre société, qui montrerait ainsi le sens qu'elle accorde à la vie. »

Certains pensent que la période terminale de la vie est un temps inutile, et qu'il faut abréger, voire supprimer, ces moments douloureux. Si la souffrance doit être combattue fût-ce au prix d'un abrègement de la vie sous le double effet des antalgiques et des sédatifs, comme la loi actuelle le prévoit, on ne peut considérer pour autant la fin d'une vie comme dénuée de sens. Ce moment peut même être considéré comme indispensable, tant pour celui qui s'en va que pour ceux qui restent. C'est le temps de l'essentiel, des choses dites et longtemps retenues, des pardons, des aveux, des recommandations et des réconciliations. C'est le temps de l'au revoir dont parlait Marie de Hennezel, temps si nécessaire à l'apaisement du mourant et au travail de deuil.

Le mourant en fait n'existe pas. Utiliser ce participe présent est une erreur grammaticale et humaine. Le mourant est bien un vivant qui peut souvent connaître dans cette partie de sa vie une densité humaine particulièrement forte et chargée de sens. Les mots d'amour prononcés aux oreilles des mourants guérissent aussi du désespoir ceux qui les prononcent. Donner un sens à la mort revient inévitablement à donner un sens à la vie. C'est l'évident paradoxe de cette obscure clarté crépusculaire qui éclaire les existences et les console de leur finitude, du vide et de l'absence.

Mes chers collèges, si vous adoptez cette proposition de loi, vous démontrerez que, même et surtout dans une période difficile, le Parlement sait donner aux plus fragiles d'entre nous le droit à finir leur vie accompagnés dans un univers familial et familier. Vous prouverez aussi que par une mesure simple, juste et pratique, nous aurons su unanimement répondre à une demande légitime de nos concitoyens. Vous prouverez enfin que, dans une société qui dénie la mort et feint de l'ignorer, qui prône à l'excès la jeunesse, la force, la vitesse, la rentabilité, qui valorise le choix individuel par rapport au projet collectif, le Parlement a su inscrire dans la loi le devoir d'accompagnement et le refus de l'abandon de toute personne humaine vulnérable. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs.)

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