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Intervention de Jean-Claude Sandrier

Réunion du 14 janvier 2009 à 15h00
Application des articles 34-1 39 et 44 de la constitution — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Sandrier :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d' État, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle de juillet dernier a été l'objet, chacun s'en souvient, de très vifs débats : l'adoption de ce texte allait-elle vraiment dans le sens d'un rééquilibrage de nos institutions et du renforcement des pouvoirs du Parlement ou, au contraire, assistions-nous à un jeu de bonneteau institutionnel visant à nous faire prendre des vessies pour des lanternes ?

Le premier et le seul mérite du projet de loi organique dont nous abordons l'examen est de lever toute ambiguïté sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité, à tel point que l'éminent professeur Carcassonne, membre de la commission Balladur, a pris quelque distance avec ce qu'il appelle leurs « bévues » – bévues qui sont en fait des choix politiques, déjà inscrits dans le texte même de la révision de la Constitution.

Nous étions donc fondés, dès l'origine, à dénoncer le véritable leurre que constituait la réforme constitutionnelle au regard de son objectif affiché : donner davantage de pouvoir au Parlement. Nous affirmions – et ce projet de loi organique nous le confirme – que, loin de revaloriser les droits du Parlement, votre réforme allait accentuer un peu plus les déséquilibres de notre régime politique au profit du Président de la République. Au fond, le coeur de votre réforme a consisté à offrir au Président de la République, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement, et de placer de facto ce dernier dans une situation de soumission institutionnelle. Tout le reste se résumait à une accumulation d'artifices cosmétiques visant à rendre moins apparente la dérive présidentialiste à l'oeuvre : une sorte de miroir aux alouettes.

À quoi se résumaient en effet les avancées en faveur du Parlement ? À quelques mesures favorables pour l'essentiel au parti majoritaire, et dont la portée reste mineure au regard de ce que devrait être une grande avancée démocratique en matière de droits du Parlement. De surcroît, ces mesures se paient de contreparties inacceptables en matière de respect du pluralisme démocratique et de reconnaissance des droits de l'opposition ; pire, ces mesures ignorent tout des questions essentielles auxquelles notre démocratie représentative se heurte – de la juste représentation de notre peuple aux pouvoirs réels reconnus aux députés en matière financière et budgétaire.

J'aborderai successivement les trois principaux chapitres du projet de loi organique, qui donnent la mesure des dangereuses dérives que ce texte propose de valider, dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet, par construction moins explicites.

Le chapitre 1er regroupe les dispositions de caractère organiques précisant les modalités d'application du nouvel article 34-1 de la Constitution, lequel prévoit que les assemblées « peuvent voter des résolutions ». Qu'en est-il exactement de ce soi-disant nouveau pouvoir accordé au Parlement ? La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolutions honore la fonction tribunitienne qu'ont toujours exercée les assemblées représentatives dans les régimes démocratiques. Néanmoins, les conditions de mise en oeuvre de l'exercice de cette fonction sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par les groupes d'opposition relèvent au mieux du jeu de hasard. Il s'agit en fait de reconnaître un droit formel à débattre, mais, de telle sorte que ce débat demeure sans conséquence législative. Vous qui êtes en apparence si soucieux de l'utilité du temps de débat, vous devriez vous interroger sur la pertinence d'un exercice totalement formel et improbable pour l'opposition.

À l'occasion de la réforme constitutionnelle, nous avions souligné le déséquilibre exorbitant des pouvoirs en faveur de l'exécutif, qui n'a cessé de s'aggraver au cours de ces dernières décennies – notamment à la faveur d'une dégradation de la condition juridique de la loi et de l'émergence de notions telles que la gouvernance, qui trahissent l'affirmation du primat du droit sur la loi et du primat de l'approche proprement technicienne du travail politique sur les exigences du débat et de l'expression démocratique.

En séparant la notion de débat parlementaire de celle de délibération à caractère législatif, vous entérinez cette dangereuse évolution en accompagnant désormais la dégradation de la condition juridique de la loi d'une dégradation de la condition normative du débat parlementaire. Chacun est donc conduit à s'interroger sur la portée qu'auront réellement les résolutions adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l'espèce, qu'à sa propre demande et surtout qu'il pourra s'opposer à tout moment, conformément au second alinéa de l'article 34-1 de la Constitution, à l'examen d'une proposition de résolution qu'il estimerait mettre en cause sa responsabilité ou contenir une injonction à son égard.

Autant dire que, dans les faits, notre Assemblée n'aura à connaître et à débattre que des seules propositions de résolutions agréées par le Gouvernement, ou de celles qu'il juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres objectifs – y compris en termes de communication – ou troubler l'opinion publique. Est-ce oeuvrer dans le sens du renforcement des pouvoirs du Parlement, et singulièrement des pouvoirs de l'opposition ? Il est permis d'en douter ; disons même qu'il faudrait être bien naïf pour le croire !

Quid de la possibilité pour les parlementaires de l'opposition de disposer d'un véritable droit d'initiative, tant au plan législatif que sur les procédures de contrôle telles que la création de commission d'enquête, l'audition des ministres ou la saisine de la Cour des comptes ? Cela supposerait un tel renforcement des moyens des commissions et des groupes, afin qu'ils puissent exercer un contrôle parlementaire effectif, que ces droits risquent de rester bien théoriques.

J'en viens au second chapitre de votre projet de loi organique qui, cette fois, rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 39, c'est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi. Ce chapitre est le moins polémique de tous et comporte quelques améliorations et précisions, essentiellement de nature technique. Qui pourrait bien s'opposer, en effet, à ce que les projets de loi soient précédés de l'exposé de leurs motifs, ou à ce qu'ils soient désormais accompagnés des documents rendant compte des travaux d'évaluation préalablement réalisés ? Certes, nous aurions souhaité que le texte du projet de loi organique soit plus rigoureux et plus précis, s'agissant de la teneur des évaluations en question. Reste que ces mesures vont dans le bon sens : celui d'une meilleure information du Parlement sur la portée des réformes envisagées par l'exécutif.

En revanche, nous sommes beaucoup plus circonspects quant à l'article 10, qui dresse l'inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d'évaluation n'est pas obligatoire. En particulier, il nous est difficile d'accepter que tant les projets de loi de programmation que les projets de loi de ratification échappent à la règle.

En tout état de cause, nous pourrions estimer que cet article est de nature à inciter le Gouvernement à contourner la procédure législative par la voie du recours à l'ordonnance plus fréquemment encore qu'il ne le fait déjà. Le recours à l'ordonnance constitue l'une des anomalies issues de l'excessive rationalisation de l'activité parlementaire – une anomalie à laquelle la réforme constitutionnelle de juillet dernier n'a pas apporté de réponse, pas plus qu'elle n'a abordé les enjeux décisifs que sont la suppression de l'article 40, celle de la procédure du vote bloqué ou celle de l'article 49-3.

De façon plus générale, les dispositions de l'article 7 du projet de loi organique revêtent à nos yeux un caractère trop peu contraignant. Dans les faits, le pouvoir exécutif aura tout loisir d'échapper aux dispositions qui le contraignent à porter à la connaissance du Parlement les documents d'évaluation utiles, et ce soit en recourant à la procédure des ordonnances, qui demeure trop peu encadrée, soit par la voie des modifications apportées aux règles de fixation de l'ordre du jour, qui vont permettre à l'exécutif de « faire porter » un nombre croissant de projets de loi par les parlementaires issus de groupes appartenant à la majorité, chargés de les déposer sous forme de propositions de loi.

C'est pourquoi nous proposerons, entre autres, et si la présente demande de renvoi en commission n'est pas adoptée, de soumettre à l'avenir les propositions de loi déposées par des parlementaires appartenant aux groupes de la majorité aux règles d'évaluation prévues à l'article 7.

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