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Intervention de François Rochebloine

Réunion du 23 juillet 2008 à 15h00
Convention contre la torture — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, malgré toute l'estime et l'amitié que je porte à M. le secrétaire d'État, je regrette – et ne suis sans doute pas le seul dans ce cas – l'absence de Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme auprès de M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

« Qu'as-tu fait de ton frère ? » L'interpellation biblique adressée à Caïn retentit à travers les temps. Malheureusement, notre débat d'aujourd'hui donne une nouvelle occasion de constater qu'elle conserve toute sa force : en effet, dans de trop nombreux pays, la pratique de la torture est couramment admise et utilisée ; elle est une forme de la violence politique ; bien plus, elle demeure un moyen ordinaire de constitution de la preuve dans les procès pénaux. Le rapport d'Amnesty International fournit, année après année, de trop nombreux exemples de tels comportements. Qu'il me soit permis de rendre hommage à cette organisation et à toutes celles qui, à l'image de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture – l'ACAT –, agissent sans désemparer pour la défense des victimes.

C'est en effet la défense de la personne humaine qui est le fondement le plus solide de l'action contre la torture. Comme le rappelle notre rapporteur, Jean Glavany, la définition juridique de la torture est une question en partie subjective, qui dépend aussi des conceptions philosophiques et religieuses de chacun. Mais, il le reconnaîtra sûrement avec moi, l'affirmation de la dignité de la personne humaine est un impératif moral qui préexiste à toute définition. Les souffrances, les blessures physiques et morales, l'asservissement durable que crée la relation entre le torturé et le bourreau en appellent immédiatement à la conscience. Aucune considération politique, philosophique ou religieuse ne saurait justifier de telles pratiques, et la solidarité avec les victimes s'impose à tout homme droit.

C'est pourquoi je m'inquiète de voir que la guerre contre le terrorisme a donné à la torture, pour certains, une nouvelle justification, au nom de l'efficacité et de la proportionnalité de la réponse à une menace collective d'ampleur inédite. C'est l'occasion de rappeler à quel point le recours à la torture se nourrit de la bonne conscience : faut-il vraiment reconnaître des droits à des personnes dont on a des raisons solides de penser qu'elles n'ont pas un grand respect de la vie des autres ? Pour ma part, je pense fermement que oui, parce que la torture avilit le bourreau, même si celui-ci prétend agir au nom de la justice.

Je relève également avec regret que de grands pays comme les États-Unis, la Chine, la Russie, ont refusé de signer le protocole dont nous débattons aujourd'hui : y aurait-il une sorte d'immunité de la puissance ? Je déplore que plusieurs pays, signataires de ce protocole, tolèrent dans leurs pratiques internes des actes qu'ils condamnent par leurs engagements internationaux.

Et puisqu'on a cité nommément le Brésil, comment ne pas saluer ici la mémoire du frère Tito de Alencar, dominicain brésilien, qui devait se suicider durant l'été 1974 dans un couvent français à l'âge de 29 ans, n'ayant pu surmonter les séquelles des tortures atroces qu'il avait subies lors d'un emprisonnement dans son pays ?

Ce drame d'une vie brisée a marqué les esprits. Il fut longuement décrit et analysé en particulier sur un plan psychanalytique, fournissant, s'il en était besoin, une justification à la démarche de prévention qui fonde le protocole dont nous sommes appelés aujourd'hui à autoriser la ratification. Les pratiques tortionnaires sont, non pas des accidents localisés, mais bien au contraire des événements derrière lesquels il arrive de trouver les pires des crimes, comme l'a d'ailleurs fort bien précisé le psychanalyste Jean-Claude Rolland, qui a vu dans la torture le début d'un génocide.

Même s'ils n'aboutissent pas toujours à une issue aussi fatale, les actes de torture infligent toujours en effet, à leurs victimes, des lésions profondes et souvent irréversibles ; les secours reçus peuvent en atténuer les conséquences, mais ne peuvent pas en effacer complètement la marque.

Il faut donc tout faire pour empêcher que ne se créent ou que persistent les conditions qui donnent naissance à la pratique de la torture.

Il faut viser la protection des personnes autant et plus que l'examen des législations : l'effort de prévention ne porte pas seulement sur les situations d'exception, même s'il apparaît plus immédiatement nécessaire en de telles circonstances.

Il faut prévoir l'intervention d'autorités indépendantes aux différents niveaux de la responsabilité politique : c'est ce que propose le protocole de 2002, prévoyant à la fois la création d'inspections internationales et l'institution de procédures nationales. Je me suis félicité en son temps de la nomination d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté : comme je l'ai déjà déclaré en commission des affaires étrangères, je considère en effet qu'il est essentiel de respecter la dignité des personnes détenues et de ne pas ajouter à une peine légitime la sanction illégitime d'un emprisonnement dans des conditions dégradantes.

J'ai noté, comme nos collègues rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, qu'il était envisagé de confier les tâches de ce contrôleur général au Défenseur des libertés créé par la réforme constitutionnelle. Comme eux, je m'interroge sur les modalités de la succession entre les deux autorités et je souhaiterais être assuré de ce que l'agrégation de la compétence spécifique de contrôle des lieux de détention au vaste champ d'intervention du Défenseur des libertés n'est pas contraire à la lettre ou à l'esprit du protocole de 2002.

La logique de prévention explique aussi, sans doute, la disposition a priori surprenante qui préserve de poursuites pénales les personnes qui, par de fausses déclarations, auraient déclenché à tort l'intervention d'une autorité nationale ou internationale d'inspection. Cette disposition me semble prendre tout son sens dans les pays où le respect du principe de légalité n'est pas encore pleinement assuré, et où la perspective de poursuites pénales peut dissuader la dénonciation de faits de torture. Elle est de toute évidence moins adaptée à l'état de notre droit et de notre société. La France a publié une déclaration interprétative rappelant l'existence en droit français du délit de dénonciation calomnieuse. Je souhaiterais cependant savoir si la seule existence de cette déclaration suffît à contrarier la jurisprudence qui admet désormais l'effet immédiat des règles contenues dans les traités internationaux.

Je souhaiterais savoir également si les auteurs de fausses déclarations intentionnelles peuvent voir leur responsabilité civile engagée à ce titre.

J'ai noté, par ailleurs, que le système européen de prévention des actes de torture, confié au Comité européen de prévention des actes de torture, demeurait à l'écart de la procédure à double niveau – international et national – prévue par le protocole additionnel. Je souhaiterais avoir des informations complémentaires sur les activités de ce Comité sur le territoire national.

Même si l'accumulation de procédures sur la base d'instruments juridiques différents peut créer une impression de confusion, je crois que la multiplication des contrôles, en accroissant la menace d'un appel efficace à l'opinion internationale, est de nature à favoriser la disparition de la torture.

Avec Jean-Étienne de Linarès, délégué général pour la France de l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, je conclurai en disant que « nous luttons contre la torture parce que nous le devons aux victimes ». Le vote positif du groupe Nouveau Centre sur le projet de loi de ratification est une manière d'honorer cette dette d'humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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