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Intervention de Nicolas Dupont-Aignan

Réunion du 10 avril 2008 à 15h00
Traité d'organisation mondiale de la propriété intellectuelle : droit d'auteur — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Dupont-Aignan :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le vote d'aujourd'hui – n'en déplaise au peu de membres présents dans notre hémicycle – est d'une importance capitale.

Il s'agit de déterminer si la France va ou non se lier les mains avec des dispositions d'un autre âge, témoignant d'une incompréhension totale tant de la réalité de notre temps que des enjeux économiques, sociaux et politiques qu'engendre la démocratisation des moyens de copie et de diffusion numérique.

Je m'oppose à la ratification de ces traités pour trois raisons.

Premièrement, ces traités sont dépassés, obsolètes, périmés. Leur objectif de contrôle de la circulation des oeuvres par la technique à l'ère du numérique n'a pas été atteint. Les millions d'internautes qui échangent chaque jour de la musique et des films sur Internet sans autorisation, peuvent en témoigner.

Les mesures de contrôle d'usage des oeuvres – les fameux DRM – ont toutes été contournées, cassées. Le fait que des traités internationaux soient venus punir leur contournement n'y a rien changé. Il faut reconnaître que l'idée était absurde dès le départ. Internet étant un réseau mondial conçu pour répliquer l'information à grande vitesse, les informations techniques nécessaires pour déjouer un DRM font le tour de la planète en quelques heures dès qu'elles sont connues.

De même, toute oeuvre mise à la disposition du public se retrouvera sur Internet, protégée ou non par DRM. C'est l'intérêt même d'Internet. Sauf à poursuivre la terre entière, il faut donc se faire une raison : contrôler l'information sur le Net revient à éponger la mer avec une serpillière.

Il est incroyable que le pays des droits de l'homme – la France – soit le pays le plus obscurantiste face à cette révolution numérique. Il est incroyable que, sous la pression d'intérêts, le Gouvernement fasse la même chose que M. Clinton, qui, pour gagner les élections, promettait tout et n'importe quoi au milieu hollywoodien du show-business. Faut-il que le show-biz soit assez puissant pour traverser l'Atlantique et aller à l'encontre du bon sens élémentaire ?

Le Gouvernement est même en retard sur les majors, qui l'avaient pourtant poussé à nous faire voter, il y a deux ans, une loi absurde, alors que sur tous les bancs de l'Assemblée s'étaient élevées des voix discordantes. En effet, les majors ne vous suivent plus, madame la secrétaire d'État. Elles ont abandonné ! Elles se sont affranchies de cette loi, en signant l'accord MySpace.

Madame la secrétaire d'État, si vous vous acharnez – et je ne comprends toujours pas pourquoi – ou si certains vous demandent de vous acharner sur la ratification de ces traités, c'est, non pas parce que les majors en ont besoin – elles n'en ont plus besoin puisque, heureusement, les consommateurs sont les maîtres –, mais parce que des intérêts américains sont à l'oeuvre pour lutter à tout prix contre l'interopérabilité, que nous avions arrachée de haute lutte – parlementaires de tous bords, tant au Sénat qu'à l'Assemblée – et qui a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Les consommateurs auront fait le travail en ce qui concerne la première raison.

La deuxième raison de mon opposition à la ratification de ces traités est très simple : c'est que la protection juridique des DRM a conduit à l'exclusion des acteurs commerciaux du logiciel libre du marché du grand public, en leur interdisant d'intégrer dans leurs offres des lecteurs multimédias capables de lire un DVD. Plus largement, elle a facilité les abus de position dominante, la vente liée et les ententes illicites entre monopoles, au détriment de nos PME et du consommateur.

Rendez-vous compte, mes chers collègues, que l'Assemblée nationale, elle-même, lorsqu'elle a voulu s'équiper de logiciels libres, n'a pas pu installer le lecteur DVD le plus populaire, le logiciel libre VLC, à cause de la loi DADVSI, votée ici même, pour se mettre en conformité avec ces traités absurdes ! Ce logiciel libre, dont les auteurs sont des étudiants de l'École Centrale de Paris, peut pourtant lire des DVD « DRMisés » ! Des millions de particuliers l'utilisent dans le monde, mais aucune entreprise ne se risque à le distribuer au sein d'une offre commerciale, précisément à cause de la loi découlant de ces traités. Nous-mêmes ne pouvons l'utiliser pour lire un DVD. Les services de l'Assemblée nationale se sont posé la question, mais, face à l'insécurité juridique, ils ont préféré renoncer.

Alors, selon certains, ne pas pouvoir lire un DVD avec un logiciel libre n'est pas très grave. Sauf que lorsqu'une entreprise, comme la société française Mandriva par exemple, cherche à concurrencer Microsoft sur le marché du grand public ou de l'éducation, cela se révèle problématique. Or, avec ces traités, vous n'aiderez en rien les majors du disque, qui y ont déjà renoncé. Au contraire, vous conforterez sensiblement le duopole américain, Apple et Microsoft. A-t-on jamais vu un éditeur, mes chers collègues, imposer une marque de lunettes pour lire les livres qu'il fait imprimer ? Or c'est la même chose ! En luttant contre l'interopérabilité, en empêchant cette possibilité, vous cloisonnez le marché, vous confortez un oligopole, un monopole, qui va à l'encontre des intérêts de notre pays. D'ailleurs, si la gendarmerie nationale a migré vers le logiciel libre, ce n'est pas seulement pour une question de coût, mais aussi pour des enjeux de sécurité nationale, qui avaient été mis en évidence lorsque nous en avions débattu ensemble.

Enfin, si je m'oppose à ces traités, c'est aussi parce qu'ils traduisent le dysfonctionnement de nos démocraties occidentales. Car si vous vous penchez sur la chronologie, que je vous communiquerai, madame la secrétaire d'État, vous noterez que c'est le président Clinton, qui a commencé à travailler sur ce dossier sous la pression des industriels hollywoodiens. Mais ce projet a suscité un tel tollé aux États-unis que le Congrès l'a vite abandonné, mais il est vrai que ce dernier est capable de plus de force de résistance que notre assemblée ! À l'époque, des centaines de professeurs de droit, des dizaines d'entreprises, des associations de consommateurs, des chercheurs avaient dénoncé les dommages sociaux et économiques que je viens de vous décrire, les menaces qu'il représentait pour les droits du public et de la vie privée, et pour le développement d'une économie ouverte et moderne.

Face à cette résistance, la réaction de l'administration américaine a été très simple : elle est directement passée par l'OMPI, dont le fonctionnement n'a rien de démocratique. Avec la complicité de la délégation française et européenne, loin des regards critiques et contre l'avis des pays en voie de développement, elle a pu imposer au monde une vision unilatérale et dépassée, aussi dépassée que celle des moines copistes, qui, à l'époque, voulaient faire interdire l'imprimerie de Gutenberg parce qu'ils perdaient leur monopole et leurs privilèges ! C'est aussi absurde que cela, et l'Histoire, vous le verrez, tranchera.

Face à cette résistance, l'administration américaine est passée par l'OMPI et elle a pu imposer ses vues à l'Union européenne, qui a adopté une directive qui nous tombe dessus grâce à l'acharnement du Gouvernement, et ce contre le bon sens des parlementaires de tous bords politiques qui s'y sont opposés.

Le bilan est lourd et éloquent : l'intégralité de nos institutions dysfonctionne ; les lobbies et les intérêts gouvernent ; l'Histoire est prise à contresens. Vous allez dans une impasse. J'espère que le Gouvernement renoncera et écoutera certains parlementaires de la majorité, comme certains de ses ministres, qui l'alertent sur les dangers du rapport Olivennes. Veut-on se fâcher avec notre jeunesse ? Veut-on ajouter un désordre à d'autres désordres ? Le projet de loi que vous préparez est d'autant plus absurde que les textes que vous vous apprêtez à ratifier sont totalement obsolètes : ils disparaîtront dans les poubelles de l'Histoire. Ils ne font honneur ni au Gouvernement, ni à la majorité.

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