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Intervention de Martine Billard

Réunion du 10 avril 2008 à 15h00
Traité d'organisation mondiale de la propriété intellectuelle : droit d'auteur — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il s'en est fallu de peu que notre débat n'ait pas lieu. Nous avons dû beaucoup insister pour qu'il soit organisé, comme si le Gouvernement avait finalement envie de faire passer ces ratifications en catimini, compte tenu de tout ce qui avait entouré la transposition européenne dans la fameuse loi, dite DADVSI, en 2006.

Douze ans après la signature de ces traités, la demande d'autorisation de ratification nous paraît aujourd'hui un peu surréaliste. On pourrait presque dire que vous vous obstinez dans l'erreur. Déjà, lors du débat sur la loi DADVSI, nous avions mis l'accent, sur tous les bancs de cet hémicycle, sur les retards entre, d'une part, le texte proposé, les traités de l'OMPI de 1996 et la directive européenne de 2001 et, d'autre part, la réalité. Compte tenu de l'avance rapide de l'informatique et des modifications des modalités de téléchargement, il est un peu absurde de vouloir transposer des textes anciens. Mais cela n'a pas arrêté le Gouvernement, puisqu'il nous demande aujourd'hui d'autoriser la transposition de deux traités datant de 1996.

Revenons sur l'historique de ces traités qui ont été conclus en 1996. Il s'agissait, pour l'administration du président Clinton, de forcer l'adoption, par le biais d'accords internationaux, de mesures de clientélisme électoral favorables aux majors de productions audiovisuelles des États-Unis, notamment de la communauté hollywoodienne, et aux majors de l'informatique du pays. Tout cela avait entraîné une fronde aux États-Unis. Dès juillet 1994, un groupe de travail sur le droit de la propriété intellectuelle, convoqué par le Président Clinton, avait publié un Livre vert proposant, pour tenir compte de l'émergence des technologies de l'information et de la communication, de modifier la loi américaine relative à la propriété intellectuelle et d'étendre les droits des « ayants droit », au détriment du droit du public à accéder à l'information.

C'est alors qu'est apparue la proposition d'interdiction de la fabrication, de l'importation et de la distribution de tout produit permettant de contourner les dispositifs dits « de protection » – les DRM, en anglais, pour Digital Rights Management et MTP en français –, même si ces fameux DRM empêchent le simple usage licite, comme une copie à usage privée ou une copie de sauvegarde.

À l'époque, 106 professeurs de droit nord-américains adressèrent au vice-président Al Gore une lettre ouverte contre le texte, dénonçant le fait que le projet amenait à considérer la simple consultation d'un document dans un navigateur web comme une violation de copyright ; à obliger les fournisseurs d'accès à surveiller les activités de leurs abonnés et donc à porter atteinte à leur vie privée – cela fait écho au débat que nous avons eu sur la loi DADVSI – et à ériger en crime fédéral tout contournement d'un dispositif de « protection » DRM, y compris quand celui-ci n'a d'autre but que l'usage normal et licite – cela fait aussi écho au débat que je viens de citer.

Malgré cela, les traités ont été adoptés à Genève en 1996 et les États-Unis les ont transposés en octobre 1998 et procédé à leurs ratifications le 14 septembre 1999. Ces traités reprennent, à peu de chose près, les dispositions promues par le lobby des distributeurs de contenus, mais qui avaient été rejetées, comme pour la loi DADVSI, par la société civile – utilisateurs d'Internet, bibliothécaires, enseignants.

La directive européenne de 2001 a repris la pénalisation du contournement des DRM, dispositif prévu par les fameux traités de l'OMPI, et notre pays l'a transposé en droit français. Je voudrais rappeler la façon dont s'était déroulé le débat dans l'hémicycle. Le lobby des boîtes de productions audiovisuelles – qui ne me choque pas, si tout se passe dans la transparence – s'était même invité dans nos murs, rompant avec la tradition de neutralité de notre enceinte. Nous n'oublions pas non plus le déroulement des débats et l'adoption du fameux amendement, évoqué par M. Mathus, sur lequel le Gouvernement nous a fait voter à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il obtienne un vote conforme à ce qu'il souhaitait.

Lors de ces débats, souvent houleux, de 2005-2006, nous avions très difficilement acquis, après des réécritures d'amendements, le principe de l'interopérabilité, qui devait être le pendant de la pénalisation du déverrouillage des mesures techniques de protection. L'interopérabilité, c'est la possibilité de contourner une mesure de protection d'un système propriétaire qui empêche de copier un fichier d'une certaine marque sur un appareil d'une autre marque.

Or, le Conseil constitutionnel a censuré la notion d'interopérabilité, qu'il a jugée trop floue, ce qui est assez surprenant, puisque c'est la terminologie constamment utilisée par les professionnels du numérique. Toutefois, par un effet paradoxal, la décision du Conseil constitutionnel a maintenu la sanction dans le cadre de la législation contre les contrefaçons. Cette sanction, particulièrement lourde, qui vise les réseaux de contrefaçons, est difficile à utiliser contre des jeunes qui téléchargent de la musique sur Internet, même si c'est illégal au regard de la loi. La décision du Conseil constitutionnel a donc empêché le Gouvernement de mettre en oeuvre le dispositif de sanction qu'il s'était engagé à prendre auprès des acteurs de la vie culturelle et cinématographique. Il lui fallait donc trouver le moyen de réintroduire un dispositif de sanction, ce qui peut expliquer la mission confiée à Denis Olivennes.

Aujourd'hui, un producteur de CD ou de DVD peut insérer sur les plages numériques de ses supports un programme rendant impossible la copie non autorisée. Ce programme peut avoir pour conséquence de rendre impossible la lecture d'une oeuvre sur certains matériels de lecture – ordinateurs, lecteurs CD automobiles, etc. Certes, il existe des logiciels libres de contournement, mais ceux-ci tombent sous la qualification de contravention de quatrième classe dans le décret d'application du 23 décembre 2006 de la loi DADVSI.

Les exceptions au droit de la propriété intellectuelle nécessaires au respect de l'interopérabilité ont donc disparu du droit français. Pire : il est prévu une contravention applicable aux seules solutions technologiques qui permettent le libre usage de l'oeuvre par le consommateur qui a légalement acquis le support.

En tout cas, depuis l'adoption de la loi DADVSI, nous pouvons juger, grandeur nature, de l'échec des traités de l'OMPI, de la directive européenne et de la loi. Ceux-ci étaient censés protéger les droits d'auteur et les droits voisins des artistes en protégeant juridiquement les mesures techniques informatiques – les fameux DRM. Or, il est désormais avéré que ces DRM ne sont d'aucune protection pour les droits des créateurs et que les mesures de contournement se diffusent à grande vitesse sur Internet, ce que nous avions d'ailleurs tous souligné lors des débats – mais le Gouvernement n'avait alors rien voulu entendre.

En conséquence, aujourd'hui, les majors de la musique abandonnent ces dispositifs de contrôle anti-copie, tant ceux-ci sont rejetés par les consommateurs, qui se trouvent empêchés de jouir librement de droits légitimes sur des biens acquis légalement. Aucune des majors de la musique n'ayant pu imposer à l'autre major son format, elles ont donc été obligées de parvenir à un accord pour abandonner ces DRM. On peut citer l'exemple de la plateforme multimédias MySpace sans DRM lancée récemment par quatre majors.

Toutefois, si les DRM sont abandonnés, les plateformes multimédias sont toujours inaccessibles aux logiciels libres, et on ne voit toujours rien venir en ce qui concerne l'amélioration de la rémunération des artistes et des ayants droit.

Pendant le débat sur la loi DADVSI, nous avions évoqué la licence globale. J'avais proposé, au nom des députés Verts, d'instaurer un prélèvement sur les fournisseurs d'accès Internet et les sociétés de téléphonie mobile – qui engrangent d'importantes rentrées financières grâce aux chargements d'oeuvres musicales ou cinématographiques – afin de créer un fonds de rémunération des auteurs et interprètes destiné à améliorer le financement des droits d'auteur – ce qui, rappelons-le, était le but prétendument annoncé de la loi, de la transposition de la directive européenne et de la ratification des traités internationaux. Le Gouvernement avait refusé.

De façon surprenante, ces propositions, qui étaient inacceptables, à l'époque, pour la rémunération des droits d'auteur, font leur réapparition, afin de compenser la suppression de la publicité à la télévision – ce qui prouve que cette possibilité aurait pu être utilisée pour rémunérer les auteurs, les ayants droit et les interprètes, afin de régler le problème, au lieu de s'obstiner comme le Gouverment le fait.

Dans le même temps, le principe même de la protection juridique des DRM introduit par les traités de l'OMPI et la loi DADVSI a créé une insécurité juridique contre le logiciel libre, et même une distorsion de concurrence. C'est ainsi que des sociétés françaises de logiciel libre risquent des poursuites si elles proposent un simple lecteur DVD avec leur système d'exploitation en logiciel non propriétaire. Je prends l'exemple de nos bureaux à l'Assemblée, où nos postes de travail sont équipés en logiciels libres. Mais, pour lire des DVD, nous sommes obligés de passer par des logiciels propriétaires, à cause de la loi DADVSI.

Dans ce contexte, il est inquiétant de voir que le Gouvernement envisage d'aller encore plus loin que les obligations des traités de l'OMPI et de la directive EUCD, puisqu'il veut déposer prochainement un projet de loi inspiré du récent rapport de la mission Olivennes sur les téléchargements. Il s'agit de mettre en place la fameuse « riposte graduée », avec menace de suspension d'abonnement Internet. Toutefois, comme l'a indiqué notre collègue Mathus, le Parlement européen a voté ce matin une résolution engageant l'ensemble des membres de l'Union, dont la France : il considère que la mesure de suspension des connexions Internet est disproportionnée par rapport à la situation provoquée par les téléchargements.

D'une part, nous sommes face à des traités de l'OMPI sur la protection des DRM totalement obsolètes techniquement et commercialement, ainsi que le reconnaissent les majors, qui les utilisent de moins en moins. D'autre part, l'idéologie répressive, liberticide et anti-concurrentielle de ces traités est toujours à l'oeuvre, mais au seul bénéfice de quelques multinationales nord-américaines et non au bénéfice de la rémunération des auteurs et des artistes.

Pour cette double raison, les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine – communistes et Verts – ne voteront pas les projets de loi visant à autoriser la ratification des deux traités.

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