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Intervention de Didier Mathus

Réunion du 10 avril 2008 à 15h00
Traité d'organisation mondiale de la propriété intellectuelle : droit d'auteur — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes curieusement réunis pour voter deux projets de loi visant à autoriser la ratification de deux traités signés en 1996. Or, il y a douze ans, la première plate-forme de peer to peer n'était pas encore apparue – Napster a démarré en 1999 – et les échanges numériques n'étaient que balbutiants. Ce sont pourtant ces traités qui ont servi à légitimer, avec la directive européenne EUCD de 2001 et la loi DADVSI d'août 2006, les DRM – MTP en français –, ces verrous numériques qui empêchent la reproduction des oeuvres, donc le libre accès à une nouvelle forme d'échanges culturels.

Ironie du calendrier, le jour même où le Gouvernement nous invite à ratifier ces traités manifestement obsolètes, le Parlement européen a adopté une résolution qui, tout en rappelant son attachement au respect et à la protection de la propriété intellectuelle, condamne les initiatives françaises, en particulier celles esquissées dans le rapport Olivennes. Soulignant que « la criminalisation des consommateurs qui ne cherchent pas à réaliser des profits ne constitue pas la bonne solution pour combattre le piratage numérique », il a voté un amendement appelant à éviter l'adoption de mesures allant à l'encontre des droits de l'homme et des principes de proportionnalité, d'efficacité et d'effet dissuasif, telles que l'interruption de l'accès à internet, piste retenue dans le rapport Olivennes et reprise dans un projet de loi dont nous devrions débattre à l'Assemblée au mois de mai. C'est là une véritable claque infligée au Gouvernement et la condamnation d'une stratégie fondée sur les traités de l'OMPI de 1996 et obéissant à une logique purement répressive et totalement aveugle aux évolutions de la société.

Aujourd'hui, la France est isolée dans cette vision archaïque du droit d'auteur, qui sert, chacun l'a bien compris, de faux nez à des intérêts marchands très puissants – ceux de Windows, d'Apple et autres grandes majors de la musique. Nous sommes donc dans une impasse du fait de l'entêtement du Gouvernement. En réalité, le procédé des DRM, qui devait empêcher la reproduction de CD, était si mal maîtrisé qu'il empêchait bien souvent la lecture du CD sur des autoradios. Tout le dispositif du traité de l'OMPI, de la directive de 2001 et de la loi DADVSI était fondé sur la légitimation de ces DRM en criminalisant leur contournement. Or ce dispositif est aujourd'hui un échec. De plus en plus, des plates-formes marchandes adoptent le principe d'économie forfaitaire esquissé par certains au moment du débat sur la loi DADVSI, qui permet, en contrepartie d'un abonnement, d'avoir libre accès à des fichiers numériques. Au fond, le seul effet des DRM, c'est de consolider les positions dominantes des grands groupes et de fragiliser les logiciels libres.

Ratifier aujourd'hui des traités élaborés à une époque où l'on ignorait tout du développement que connaîtraient les échanges numériques, en particulier avec les plates-formes peer to peer, c'est aller à contresens de l'histoire.

Je voudrais rappeler l'aventure de la loi DADVSI, dont M. Remiller se souvient sûrement puisqu'il faisait partie des « conjurés » de l'UMP qui avaient eu la lucidité de ne pas soutenir le projet de loi en l'état et de défendre, avec d'autres députés de tous les bancs, le principe de la licence globale. Si celui-ci était techniquement imparfait, pas tout à fait abouti, il avait au moins le mérite de refuser le prétexte de la sauvegarde des droits d'auteur pour légitimer l'appropriation des échanges sur Internet. Un soir de décembre, avec Jacques Remiller, Martine Billard et beaucoup d'autres, nous avons mis le Gouvernement en minorité en adoptant deux amendements identiques, l'un déposé par Alain Suguenot et Jacques Remiller, l'autre par moi-même, introduisant le principe de la licence globale. Cela a suscité, au cours des trois mois qui ont suivi, un grand débat très utile et très intéressant sur la question des échanges culturels par la voie numérique. La loi DADVSI n'a pas manqué de revenir sur cette disposition, adoptant un principe extrêmement répressif. Outre que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs partiellement censuré cette loi, celle-ci s'est vite révélée tout à fait impraticable. L'impasse était donc manifeste puisque même la Commission européenne préconise, dans les travaux préparatoires de la future directive, un système qui s'apparente de très près à la licence globale.

En fait, dans cette affaire, nous cherchions à mettre en place un dispositif permettant de rémunérer les créateurs, puisque l'abonnement à la licence globale devait leur être affecté. Aujourd'hui, curieusement, les plates-formes Nokia ou Universal Music aux États-Unis fonctionnent sur le même principe, sauf que la rémunération, au lieu d'aller aux auteurs, va aux majors du disque. Si le principe de l'abonnement forfaitaire a été retenu, l'esprit de la licence globale a été détourné, tout comme la rémunération des créateurs, qui sont les dindons de la farce !

L'inapplicabilité de la loi DADVSI étant avérée, le Gouvernement a commandé un rapport à M. Olivennes. Ce dernier, soucieux de défendre ses intérêts de principal marchand de disques français, et touché par la grâce du sarkozysme, n'a pas déçu : constatant que l'énormité des menaces de la loi DADVSI les rendait inapplicables, il a proposé de substituer au gros bâton un bâton moyen. Ce grand visionnaire considère que les jeunes qui téléchargent des musiques pour les partager continuent d'être des voleurs et des criminels qui spolient ces bienfaiteurs de l'humanité que sont les industriels du disque et du logiciel, seulement soucieux de création ! La répression est certes mieux dosée, mais elle reste la répression et rien que la répression. Hormis le « flicage » généralisé des internautes, le rapport Olivennes ne propose donc aucune piste pour élaborer un nouveau modèle de la création à l'ère numérique.

À mesure que se généralisait le haut débit, le téléchargement d'oeuvres est devenu le nouveau mode de partage et de multiplication des échanges de culture, de goût, de savoir. Et les arsenaux répressifs adoptés partout dans le monde n'y ont rien pu : on n'endigue pas la mer avec du sable. Un nouveau mode de consommation, d'abord générationnel puis étendu à toute la société, s'est imposé peu à peu, en une vague irrépressible. Au lieu d'imaginer un autre modèle économique pour rémunérer la création – car il faut la rémunérer, nous en sommes tous d'accord ; personne n'a jamais défendu le principe de la gratuité – autrement qu'à l'acte, les industriels rêvent d'un Big brother surpuissant, capable d'aller fouiller dans les ordinateurs de tous les foyers du monde pour protéger leur rente. Évidemment, cette approche est vouée à l'échec, et la résolution du Parlement européen adoptée ce matin est un sévère avertissement pour le Gouvernement français. Le débat que nous aurons au mois de mai sur le rapport Olivennes ne manquera pas d'intérêt.

Ratifier ces traités à contretemps et dans la seule optique de légitimer la répression n'aurait aucun sens. C'est pourquoi le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche ne votera pas les projets de loi. Depuis 1996, nous avons constaté que les droits d'auteur ne servent que de prétexte à défendre une vision marchande des échanges culturels. La multiplication des capacités d'échanges entre les individus, notamment avec les plates-formes peer to peer, a totalement révolutionné les industries de la culture et de l'information, les échanges ont été désindustrialisés, surtout dans le domaine de la musique. La possibilité offerte à chacun de constituer des assemblages apporte une incontestable valeur ajoutée. De même, l'apparition des blogs, des liens RSS, des wikis a révolutionné l'information, remettant en cause les transmissions verticales qui existaient depuis la création de la presse. Internet a bouleversé le schéma traditionnel – un émetteur actif et des récepteurs passifs. Évidemment, cela a suscité un conflit entre les industriels propriétaires des contenus et des catalogues et les citoyens internautes, qui tentent de faire valeur leur droit à l'expression et à la diversité culturelle librement choisie.

La question est de savoir pourquoi le Gouvernement français a éprouvé le besoin de prêter main-forte à ces industriels au lieu de défendre l'intérêt des citoyens et des consommateurs. Cette question, du reste, nous avons pu nous la poser en maintes occasions ces derniers temps : lors du récent débat sur les OGM et, dans le domaine de l'industrie biogénétique, lorsque des industriels comme Monsanto ont voulu imposer des formats de gènes propriétaires. La propriété intellectuelle est aujourd'hui l'objet d'une frénésie d'appropriation de la part d'industriels. Leur voracité de profits les pousse à imposer l'idée que tout ce qui circule sur Internet devrait leur appartenir. La grande bataille de la propriété intellectuelle ne fait que commencer. C'est une bataille citoyenne dont l'enjeu est d'inventer un nouveau modèle économique dans lequel la rémunération de l'acte de création ne soit pas déterminée par les schémas du monde ancien.

Quand l'atmosphère a changé, les dinosaures ont disparu. Le monde économique a changé, mais les dinosaures que sont les majors de l'industrie de la musique essaient de gagner quelques années à l'aide d'un arsenal répressif.

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