Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christian Vanneste

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Vanneste :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous étudions ne protège pas une profession, quasi sacralisée par certains, il garantit un principe fondamental de la démocratie : la liberté d'expression. Il faudrait dire : la liberté de communication, c'est-à-dire à la fois la liberté d'opinion de l'émetteur, mais aussi la liberté d'information du récepteur. C'est cette liberté-là que l'on garantit en protégeant les sources.

La démocratie exige à la fois que l'opinion ne soit pas entravée par des idéologies dominantes et que l'information du citoyen ne soit pas déformée par des pouvoirs attachés à protéger une opacité qui les renforce.

La transparence, ce que Guizot, ce grand ministre conservateur, appelait la « nécessité de publicité des affaires publiques », est une condition de la démocratie. La protection des sources de celui qui informe est, d'une manière un peu paradoxale, la condition de la transparence.

Un Président de la République fort soucieux quant à lui d'être informé par tous les moyens avait employé l'expression de « chiens » à l'encontre des journalistes. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a depuis rectifié : ce sont les « chiens de garde de la démocratie ». Ce rôle est parfaitement joué lorsqu'un journaliste d'investigation révèle au public une information sur un dysfonctionnement des pouvoirs publics ou sur les errements d'une quelconque puissance. Cette révélation présente un intérêt général puisqu'elle permet d'améliorer le fonctionnement même de la société, voire de protéger le pouvoir contre lui-même, et il est logique que la source des informations soit mise à l'abri des pressions, voire des représailles.

Mais le chien de garde – ne soyons pas naïfs – n'est pas un archange. J'ai été frappé, monsieur le rapporteur, lors des auditions, par la méfiance qui s'est manifestée le plus souvent à l'encontre de la notion d'intérêt général. Beaucoup en ont souligné le caractère trop vague. Cette notion est pourtant invoquée par la jurisprudence européenne, notamment dans l'arrêt Fressoz et Roire cFrance. Je ne pense pas que cette contestation soit valable, et cela pour deux raisons.

D'abord, parce que la loi doit toujours être assez large pour qu'à la légalité du Parlement puisse succéder l'équité des tribunaux.

Ensuite, et surtout, parce que ce qui s'oppose à l'intérêt général, c'est l'intérêt particulier. Or le journaliste est le plus souvent lié à des intérêts particuliers : sa carrière, ses préférences idéologiques, les groupes de presse, monsieur Muzeau, qui l'emploient, le tirage, l'audimat. C'est tellement vrai qu'une directive européenne du 24 décembre 2003 vise à ce que les journalistes financiers respectent un souci de grande transparence lorsque leurs informations sont de nature à entraîner des mouvements boursiers. Cette perspective ne me paraît nullement en contradiction avec l'exigence de notre texte. Celle-ci réside avant tout dans la transparence des pouvoirs en démocratie, y compris la transparence du pouvoir de la presse elle-même.

Il est bon, par exemple, qu'un journaliste d'investigation puisse souligner l'aveuglement de certains de ses confrères. Je pense notamment au livre Génération Battisti, ils ne voulaient pas savoir.

C'est pourquoi la norme utilisée par la CEDH me paraît très judicieuse pour encadrer le texte. Il s'agit de « l'impératif prépondérant d'intérêt public ». La protection des sources est ainsi limitée dans la mesure où un intérêt public incontournable l'emporte sur elle : l'intégrité physique et, a fortiori, la vie d'une personne, sa dignité morale, la sécurité nationale me paraissent être des exemples pertinents.

L'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'homme donne une liste plus large – vous l'avez rappelé tout à l'heure, madame la ministre. La protection doit donc être essentielle dans son principe, mais ne doit pas être absolue dans son application. Ce ne doit pas être un secret professionnel à la manière des pays scandinaves. Il ne doit pas s'agir d'une obligation de se taire, mais d'un droit limité par des exigences d'intérêt public. Mais ce principe, s'il n'est pas absolu, demeure essentiel.

Si d'autres moyens que la divulgation des sources permettent d'obtenir les mêmes résultats conformes à l'intérêt public, ils doivent être privilégiés. C'est ce que prévoit la loi belge, à laquelle il a été fait allusion à plusieurs reprises. Cependant, la loi belge restreint beaucoup trop le champ d'application, notamment pour le cas d'enlèvement, évoqué tout à l'heure.

La protection doit être générale dans ses moyens. Pour cela, elle doit englober tous ceux qui concourent à l'information du public, même s'ils ne sont pas professionnellement journalistes, et tous ceux qui collaborent à l'exercice de cette activité, ainsi que tous les locaux et moyens matériels utilisés.

Le texte qui nous est proposé vise à l'équilibre entre les principes et les valeurs d'abord, mais aussi entre ces deux pouvoirs, qui, rappelons-le, n'en sont pas : le « quatrième pouvoir », dont parlait Burke – la presse –, et l'autorité judiciaire. C'est au pouvoir législatif – héritier de la fonction tribunicienne, et donc de la plus ancienne et de la plus fondamentale des libertés d'expression, que certains, ici, osent contester, comme Mme Filippetti –, pouvoir législatif qui est l'émanation de la volonté générale exprimée par l'élection, qu'il appartient de fixer les limites entre l'investigation journalistique et l'enquête judiciaire.

Les objectifs complémentaires de la loi seront d'ailleurs d'autant mieux atteints qu'ils seront également intégrés à l'éthique des professions concernées. La recherche de la vérité et celle du bien commun doivent être les piliers d'une véritable info-éthique, aussi utile que la bio-éthique au monde d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion