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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Par ailleurs, le 6 mai dernier, la police a tenté de prélever les empreintes génétiques de tous les membres de la rédaction de la radio corse Frequenza Mora, la station locale de France Bleu. Les policiers avaient été saisis par la section anti-terroriste du parquet de Paris, après la réception d'un communiqué d'un groupe clandestin, et malgré le refus des journalistes ils ont procédé à quatre auditions, dont celle de la standardiste de la radio, entendue pendant une heure et demie !

Tous ces risques de dérives sont aussi accrus depuis l'entrée en vigueur de la loi Sarkozy du 18 mars 2003 qui renforce les possibilités de perquisition des forces de police, à laquelle s'ajoute la loi Perben du 9 mars 2004 qui oblige les « détenteurs d'information » à les communiquer « sans que puisse lui être opposée l'obligation au secret professionnel ».

Madame la ministre, l'opposition ne condamne pas par principe votre projet de loi : le droit au secret des sources des journalistes n'est pas un droit absolu. Mais les restrictions prévues doivent être précises et compatibles avec l'exigence de la jurisprudence, notamment celle de la CEDH. Or le texte que nous examinons aurait des répercussions extrêmement néfastes s'il était adopté en l'état.

Ce serait vrai, tout d'abord, en raison d'ambiguïtés rédactionnelles, par exemple sur la notion d'« intérêt impérieux ». Je rappellerai simplement que la chambre d'appel du Tribunal pénal international de Yougoslavie a précisé le 11 décembre 2002 qu'un correspondant de guerre ne pouvait être cité à comparaître que si, d'une part, la partie requérante démontre que le témoignage demandé présente un intérêt direct, et d'une particulière importance, pour une question fondamentale de l'affaire concernée et, d'autre part, si la partie requérante prouve que ce témoignage ne peut être raisonnablement obtenu d'une autre source. Ainsi, même pour les faits de guerre, le TPI estime que le secret de la protection des sources doit être respecté.

Les conséquences de l'adoption de ce projet de loi seraient aussi négatives en raison du manque d'ambition de ce texte. Ce qui manque à notre pays, c'est une vraie loi sur la presse. Or les questions essentielles relatives au statut du journaliste et à l'indépendance des rédactions – y compris leur indépendance financière – sont repoussées à plus tard.

Enfin, ce projet de loi souffre d'un manque d'effectivité : le décalage entre discours et les dispositions du texte est flagrant. C'est pourquoi, si les syndicats de journalistes s'étaient d'abord réjouis lors de vos premières annonces, madame la ministre, ils ont vite déchanté après un examen plus approfondi des mesures proposées.

Comme le rappelle Me Basile Ader, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans le droit de la presse, le déplacement du régime de protection des sources dans la loi de 1881 tient essentiellement du symbole. Concrètement, tout dépend de la manière dont est rédigée la loi et de son interprétation. Il fallait un véritable saut qualitatif ; il fait défaut dans ce texte.

C'est pourquoi je défends l'exception d'irrecevabilité déposée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Elle se fonde sur le non-respect du principe de légalité. Conformément à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, le principe de légalité en droit constitutionnel est simple : les lois doivent définir les incriminations et les peines en termes clairs et précis.

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