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Commission des affaires étrangères

Séance du 15 février 2012 à 9h30

Résumé de la séance

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La séance

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Compte rendu du déplacement en Egypte d'une délégation de la commission (M. Hervé Gaymard, président de la délégation)

La séance est ouverte à neuf heures trente.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Nous avons effectué, il y a deux semaines, une mission de 48 heures en Egypte. Je tiens à remercier l'ambassadeur de France, M. Jean Félix-Paganon, ainsi que ses collaborateurs, pour leur accueil et le programme qu'ils ont organisé pour nous, qui nous a permis de rencontrer l'ensemble des forces politiques représentées à la chambre basse du Parlement, y compris les salafistes, ainsi que le grand imam de la mosquée al Azhar et des acteurs économiques et sociaux. Nous avons ainsi eu un panorama assez complet de la situation.

Ceci dit, nous devons absolument faire preuve d'humilité devant les faits : les signes « avant-coureurs » sont souvent reconnus comme tels a posteriori ! Absolument personne n'avait prévu que le régime du président Moubarak s'effondrerait aussi rapidement, tout comme l'ampleur du raz-de-marée islamiste aux élections législatives a surpris l'ensemble des observateurs. Depuis un an, nous assistons à un processus révolutionnaire, même s'il a été relativement peu sanglant, mais ce processus ne fait probablement que commencer et il est impossible de prédire comment il va se poursuivre.

Mon exposé s'organisera autour de trois pôles : l'histoire parallèle de l'Egypte et de ses mouvements islamistes, depuis deux siècles ; les caractéristiques des acteurs d'aujourd'hui ; les questions pour l'avenir.

L'Egypte moderne naît avec la campagne de Bonaparte. Mohamed Ali s'affranchit alors de la tutelle de la Porte ottomane et fonde un régime moderne. Il se lancera dans une politique de conquête qui le conduira jusqu'à l'actuelle Arabie saoudite, avant de devoir réfréner ses ambitions. Le pouvoir est ensuite dans la main de khédives, plus ou moins ouverts vis-à-vis de l'extérieur, certains étant même franchement xénophobes. Une nouvelle période s'ouvre en 1882 avec le bombardement d'Alexandrie par les Britanniques, qui imposent leur main mise sur le pays, laquelle va durer jusqu'à la crise de Suez en 1956, en dépit de la proclamation de l'indépendance égyptienne. Après la première guerre mondiale, le pays connaît une période de démocratie libérale : l'agitation conduit à la création du Wafd, le parti issu de la délégation qui plaide pour l'indépendance à l'occasion de la conférence de Versailles. Une première constitution est établie en 1923, directement inspirée de la constitution belge. En 1952, le général Néguib conduit un coup d'Etat ; il est rapidement supplanté par Nasser qui, à partir de 1956, met en place un Etat policier, renforce les liens avec l'Union soviétique et exproprie largement les propriétaires privés. Après sa mort, en 1970, Sadate lui succède jusqu'à son assassinat en 1981. Moubarak arrive alors au pouvoir, qu'il conserve pendant trente ans. Mais les soixante années de pouvoir militaire ne sont pas uniformes : les acteurs sont très différents les uns des autres et la situation géopolitique évolue beaucoup. Après la défaite humiliante contre Israël en 1967 et la restauration de la dignité égyptienne en 1973, Sadate fait le choix de la paix, conclue en 1979. Mais, pendant toute cette période, le pays a connu la stabilité : avec la chute du président Moubarak, il a donc fait un saut dans le vide.

Pour ce qui est de l'histoire des mouvements islamistes en Egypte, il faut rappeler que les Egyptiens ont toujours eu des relations délicates avec les habitants de la péninsule arabique car leurs conceptions de la religion islamique diffèrent profondément et car le peuple égyptien a toujours eu un certain mépris pour les bédouins de la péninsule. Dans les années 1810, Mohamed Ali a guerroyé contre les wahhabites. Aujourd'hui, ce sont les interprétations de la doxa émanant de la mosquée al Azhar qui influencent les sunnites du monde entier, même si l'Egypte n'est que le quatrième pays musulman pour la population. On observe actuellement que le Qatar apporte son soutien, notamment financier, aux Frères musulmans, tandis que l'Arabie saoudite aide les salafistes.

C'est en 1928, dans une Egypte qui compte une important minorité copte et où l'islam est très modéré, qu'Hassan al-Banna crée la confrérie des Frères musulmans, en réaction au système monarchique, à l'emprise britannique, à l'occidentalisation, voire au cosmopolitisme que connaît alors le pays, où vivent un grand nombre d'occidentaux, de Levantins, de juifs. Ses relations avec le pouvoir politique vont varier dans le temps. Comme le Palais veut affaiblir le Wafd, il favorise les Frères musulmans dans les années 1930 puis au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Mais, en 1949, Hassan al-Banna est assassiné par la police secrète ; il devient un martyr et la confrérie rompt avec le roi Farouk. Elle se rapproche alors des militaires. En effet, pendant la guerre, comme il le raconte dans ses mémoires, Sadate a tenté de s'appuyer sur elle pour soutenir les forces de l'Axe aux dépens des Britanniques. Si un ancien membre des Frères musulmans l'assassine en 1981, c'est parce que son ouverture en direction d'Israël est très mal vécue. En 1952, donc, l'arrivée au pouvoir des militaires satisfait les Frères musulmans, mais, dès 1954, un grand nombre d'entre eux est arrêté et enfermé dans ce qui ressemble à des camps de concentration. Sayed Qotb, l'auteur du Signe de la piste, la référence des extrémistes islamistes contemporains, est l'un d'eux : il est pendu en 1966 et devient le deuxième grand martyr de la confrérie.

La répression connaît de nouveaux pics en 1971 puis en 1974. Sadate effectue son voyage à Jérusalem en 1977 et est assassiné à l'automne 1981. Toute cette période est celle d'une répression très forte du régime contre les Frères musulmans. Sous Moubarak, la situation empire encore, les militaires en profitant pour réenraciner leur pouvoir, mais de façon ni univoque ni uniforme. En effet, si la branche armée des Frères est sévèrement réprimée, les autres, vis-à-vis desquels le pouvoir est moins répressif, sont les sous-traitants du pouvoir dans le domaine social ; c'est par cette voie que se fera l'islamisation de la société. Ce sont les Frères musulmans qui assurent la gestion de tout ce qui est caritatif depuis trois décennies.

J'ai oublié de dire que la guerre du Golfe n'avait pas eu d'incidence sur la diplomatie égyptienne : il y avait beaucoup d'expatriés égyptiens en Irak, en butte à un racisme fort et l'on n'a assisté à aucune réaction ou manifestation contre l'Occident car les Egyptiens ont du ressentiment contre les Irakiens.

Dans les années 1992-1993, beaucoup de djihadistes d'Afghanistan, dont de nombreux Egyptiens et Algériens, lancent une campagne de terrorisme contre les touristes et le pouvoir mène alors une véritable guerre interne contre les Frères musulmans, parallèle à celle qui se joue en Algérie, très violente et soutenue par la population. Cela va durer 10 ans. Moubarak est alors populaire ; les Frères musulmans continuent leurs actions caritatives, mais sans écho ni sur le plan militaire ni sur le plan politique. C'est l'époque où le régime est légitime car il s'oppose à Al-Qaida.

Par la suite, la situation a profondément changé : la menace terroriste s'est réduite, le népotisme, la corruption, sont devenus insupportables, et les classes moyennes islamistes se sont détachées du régime. En d'autres termes, tous les éléments se sont peu à peu mis en place, avec des facteurs divers qui ont joué dans le même sens : l'islamisme armé a cessé d'être une option ; les réseaux sociaux ont joué également un rôle certain. Par ailleurs, le pouvoir a perdu toute mesure : en dépit de l'opposition de l'armée, Moubarak a tenté de promouvoir son fils, Gamal, à sa succession ; à l'automne 2010, une véritable mascarade électorale a donné la presque totalité des voix au PND, ce qu'on n'avait pas connu en Egypte depuis très longtemps. La déconnexion entre le pouvoir et la réalité a été manifeste. A la fin de l'année 2010, le Noël copte a été marqué par des violences à Alexandrie, à Assiout et au Caire, qui ont conduit à des manifestations en faveur de la liberté religieuse et au soutien des chrétiens par les musulmans. Ces manifestations annonçaient ce qui allait se passer sur la place Tahrir en janvier 2011 et allait provoquer la chute de Moubarak. Des forces profondes et des éléments plus conjoncturels se sont donc conjugués.

Aujourd'hui, quels sont les acteurs en jeu ?

L'armée est la colonne vertébrale du régime depuis 1952 et fabrique les élites. Elle a poussé Moubarak à quitter le pouvoir et elle ne s'est pas compromise dans le maintien de l'ordre, à la différence de la police qui est honnie et s'est désintégrée en quelques jours. L'armée au contraire avait gardé une très bonne image. Il faut souligner que la désorganisation du système policier a des effets importants sur la sécurité des citoyens, dans un pays où, jusqu'à présent, il n'y avait pas de vols. C'est donc aujourd'hui un problème nouveau, grave surtout pour ceux qui n'ont pas les moyens de se protéger.

Toute la stratégie des militaires, c'est de gérer la transition. Certains disent qu'ils veulent garder la mainmise sur le pouvoir ; ils ont sacrifié le Premier ministre en novembre 2011 pour nommer quelqu'un de plus respectable. Il est certain que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) joue un rôle ambigu : il ne communique pas, reste opaque, mais est évidemment central.

Je ne reviens pas sur les Frères musulmans dont j'ai déjà parlé. Les salafistes sont apparus au début des années 1970 à Alexandrie. Ils sont très extrémistes, avec un discours officiel très ambigu. Leur succès a été très important aux élections, mais ils marquent une certaine retenue avec les étrangers, tiennent un discours très prudent.

Les libéraux, pour leur part, socio-démocrates, du Néo-Wafd ou indépendants, n'ont toujours pas compris qu'ils avaient perdu les élections législatives. Ils sont dans une sorte de déni de réalité. Ils sont divisés, ont des positions parfois différentes de celles des manifestant de la place Tahrir. Bref, il s'agit d'une nébuleuse dont le discours nous est spontanément sympathique, mais qui ne pèse pas vraiment dans le jeu aujourd'hui.

Enfin, il ne faut pas oublier la mosquée al Azhar, dont le grand imam joue un rôle très important qu'il est souhaitable qu'il garde, car l'interprétation modérée de l'islam qu'il fait est différente de celles des Frères musulmans et des salafistes. Al Azhar a toujours une très grande autorité morale et spirituelle, qui va dans le sens de la rénovation de la démocratie et de la lutte contre l'obscurantisme.

Pour finir, trois grandes questions se posent, qui touchent aux aspects institutionnels, économiques et au rapport de l'islamisme au pouvoir.

La question des institutions n'est pas le coeur du sujet, mais elle a néanmoins son importance. Sans revenir sur l'année 2011, très complexe, disons qu'après les élections de la chambre basse du Parlement, les prochaines échéances seront les élections à la chambre haute, qui sont en cours, puis l'adoption de la constitution et l'élection présidentielle, fin mai-début juin. Certains disent qu'il faudrait modifier ce calendrier et organiser tout de suite l'élection présidentielle. Il y a donc un certain flou quant à ce calendrier, mais la présidentielle se tiendra avant l'été, sans qu'on sache encore très bien qui sera candidat. M. El Baradei a finalement renoncé à se présenter. Qu'en est-il d'Amr Moussa, l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe ? C'est un bon diplomate, respectable aux yeux des Occidentaux, mais on ne sait pas s'il est populaire.

Quoi qu'il en soit, cette question est évidemment liée à la constitution. Après avoir envisagé que le parlement soit constituant, on a finalement opté pour la création d'un comité constitutionnel, de 100 membres, inspiré du comité consultatif constitutionnel de 1958. Nous avons d'ailleurs entendu dire beaucoup de bien de la constitution française de la Vème République, qui pourrait servir de modèle. Il y a évidement certaines ambiguïtés et l'on peut se douter que la position des Frères musulmans sur le soutien à tel ou tel candidat à la présidentielle pourra changer en fonction des pouvoirs qui seront conférés au Président de la République.

La question économique est majeure. L'économie égyptienne repose sur trois piliers : les revenus du canal de Suez, ceux du tourisme et les fonds transférés par les migrants. Ces deux dernières sources sont aujourd'hui presque taries. Seuls les revenus du canal continuent de rentrer. La situation du tourisme est catastrophique, celle des envois de fonds par les immigrés aussi, sachant qu'ils étaient en grand nombre en Irak, au Yémen et en Libye. Par ailleurs, le pétrole et le gaz rapportent peu de ressources, d'autant que la consommation interne augmente, comme le coût des importations.

Pour sa part, l'aide militaire américaine représente 1,4 milliard de dollars par an depuis des décennies. Il n'y a pas de changement pour le moment et les Etats-Unis entretiennent de bonnes relations avec les Frères musulmans. Ce sera un des paramètres importants pour le futur.

Nous avons rencontré des hommes d'affaires français, qui étaient optimistes avant la révolution, quant à la croissance, à l'amélioration des infrastructures. L'avenir dépend désormais des soubresauts politiques. Il risque même d'y avoir une crise des paiements extérieurs à très court terme : les réserves de change chutent et il pourrait y avoir un grave problème avant l'été. Cela étant, il n'y a pas de raison d'être trop pessimiste pour le moyen terme.

Reste enfin la question de l'islamisme à l'épreuve du pouvoir, pour reprendre la distinction de Léon Blum entre conquête et exercice du pouvoir. On ne sait pas ce qu'il en sera. Les islamistes sont aujourd'hui intéressés par les secteurs de la santé, de l'éducation et les collectivités locales ; le reste ne les intéressent pas. Ils n'ont pas réfléchi à la question de l'économie mais seraient d'ailleurs plutôt libéraux, voire même ultralibéraux, à l'instar des Soudanais proches d'Al-Tourabi autrefois, à la fois très rigoristes et véritables émules de l'école de Chicago.

Qu'en sera-t-il enfin au plan diplomatique ? Beaucoup de questions se posent aussi. Les Frères musulmans sont bien sûr solidaires des Palestiniens, plus proches du Hamas que du Fatah, mais ils donnent l'impression de ne pas être obsédés par cette question. Les relations israélo-égyptiennes seront inévitablement modifiées, mais il ne faut pas non plus se voiler la face : depuis 1979, elles n'étaient pas si bonnes au quotidien, et la rencontre entre Sadate et Begin à Jérusalem n'a pas tout changé. Est-ce que cela sera pire ?

Au final, nous avons le sentiment que l'ensemble des acteurs égyptiens veulent que la transition se passe bien. S'y ajoute le fait que le pays n'est fondamentalement ni violent ni expansionniste.

PermalienPhoto de Serge Janquin

Je n'ai pas l'érudition historique et culturelle d'Hervé Gaymard sur l'Egypte et je serai donc plus direct, même si nos conclusions sont très voisines. Ce que l'on appelle « les printemps arabes », qui recouvrent des réalités différentes, ce sont en Egypte les attentes exprimées place Tahrir par les jeunes et les classes moyennes. Qu'en reste-t-il ? Il y a un processus révolutionnaire, mais on ne peut parler de révolution. Les acteurs actuellement au premier plan ne sont pas ceux de la place Tahrir. Est-ce une révolution avortée ou une révolution en devenir ? Je ne saurais répondre.

Les Frères musulmans ont été portés sur le devant de la scène au-delà de ce qui était attendu et la poussée salafiste a surpris plus encore. Tout est a priori en place pour l'établissement d'une théocratie islamiste mais ils se méfient les uns des autres et le Conseil supérieur des forces armées tient les rênes du pouvoir jusqu'en juin. Le calendrier est controversé et les procédures le sont tout autant, si bien que le flou est complet sur les étapes à venir d'ici le mois de juin.

La rue rejette de plus en plus le pouvoir des militaires, mais ces derniers ne sont pas pour autant prêts à renoncer à leurs intérêts. Ils disposent d'un statut particulier, avec un budget propre, et contrôlent une partie importante de l'économie. Les islamistes restent disposés pour le moment à maintenir leur pacte avec les militaires. Ils n'ont pas intérêt à exercer seuls le pouvoir et doivent donner des gages à la communauté internationale et aux bailleurs de fonds. Les Frères musulmans souhaitent une alliance avec les libéraux pour ne pas se trouver seuls face aux salafistes au Parlement, d'une part, et face aux militaires, d'autre part. Tout le monde observe tout le monde et attend la faute de l'autre.

Par ailleurs, la situation économique est désastreuse. Il n'est pas sûr que le pouvoir puisse continuer à subventionner l'essence et les produits de première nécessité. L'abandon de cette politique serait explosif. La classe politique est prête à mener une guerre d'observation et d'usure jusqu'en juin, mais la rue a ses attentes et ses impatiences. Le scénario du pire est-il envisageable ? L'affaire du stade de Port-Saïd montre qu'une étincelle suffit pour conduire à l'embrasement, dont le seul bénéficiaire serait l'armée, seule capable de rétablir l'ordre, sauf si les Frères musulmans trouvaient dans l'intervalle un candidat à la présidence qui reste pour l'instant introuvable. L'armée ne veut pas gérer le pouvoir mais le conserver. Les Frères musulmans veulent bien d'un nouveau pharaon civil à condition qu'ils en tirent les ficelles. Al-Nour, le principal parti salafiste, veut faire la démonstration de leur collusion et de leur échec.

Pour terminer, je veux dire combien j'ai apprécié la contribution de l'ambassadeur et de ses services.

PermalienPhoto de Jean-Louis Bianco

Presque tout ayant été dit, je serai bref. Je voudrais m'associer aux observations de M. Janquin et en formuler quatre. Premièrement, il y a un processus révolutionnaire. La roue tourne. Par exemple, les Frères musulmans soutenaient il y a quelques mois la candidature de M. El-Baradei, ce qui paraît aujourd'hui surréaliste. La communauté copte, après l'élan de solidarité qui a fait suite aux attentats, est aujourd'hui partagée et inquiète. Deuxièmement, la percée des salafistes s'explique pour les mêmes raisons que celle d'Ennhada en Tunisie : figure d'opposition, patient travail de terrain, influence autour des mosquées. Troisièmement, j'ai beaucoup d'interrogations au sujet de l'armée. Je me demande si le CSFA est encore uni et si les violences de Port-Saïd ne sont pas la première manifestation de la division de l'armée, dont une partie resterait pro-Moubarak. Dernier point, que veulent et que vont pouvoir faire les équipes au pouvoir ? Je m'interroge sur leur sincérité. Tout le monde exprime une volonté de consensus pour gérer le pouvoir. J'ai des doutes, et plus encore s'agissant de certains salafistes. Il y aura bien sûr le rapport de forces. Les libéraux et les jeunes de la place Tahrir sont en dehors de la réalité, comme l'a souligné M. Gaymard. Il y aura l'épreuve de l'exercice du pouvoir et de l'économie, pas au sens doctrinal, mais au sens de comment faire lorsque l'économie va mal. L'islamisme est déjà rampant dans la société égyptienne depuis des années et pour moi le plus révélateur est que la seule demande des députés salafistes était d'obtenir la présidence de la commission de l'éducation et qu'ils l'ont eue. La moitié des Egyptiens ayant un baccalauréat ou un équivalent l'on obtenu dans des écoles religieuses.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Je pense que nous avons été l'objet d'une grande opération de séduction. Tous avaient envie de nous rassurer et de nous signifier que tout irait bien. On a peu parlé aujourd'hui de cette question de l'article 2 de la constitution qui fait référence à la Charia. Il fait l'objet de débats qui portent cette fois sur la société. Des questions ont été posées. Il est important de connaître le positionnement des acteurs sur les grandes questions de société, que sont les femmes, la peine de mort ou l'homosexualité.

Si les salafistes ont demandé la présidence de la commission de l'éducation, c'est qu'ils souhaitent réduire le poids d'al Azhar et cela augure d'une vraie bataille idéologique vis-à-vis du monde arabe dans son ensemble. Il faudra être attentif à ces questions.

Concernant l'armée, j'ai été frappé de constater que ce n'est pas seulement une armée, mais le premier acteur économique du pays, un trust, qui imprègne toutes les facettes de la société et il me semble qu'on n'a pas encore fait le tour de son rôle.

On a beaucoup parlé sur place des pratiques religieuses. Tous ont fait valoir qu'il y aura liberté des pratiques et que nous devions être rassurés sur ce point. Je ne pense pas que ce sera simple.

Enfin, à l'égard de Gaza, les islamistes ont tous fait savoir que rien ne changerait sur la frontière : elle ne sera pas ouverte et les tunnels seront combattus. On peut en être étonnés par rapport à leur solidarité naturelle avec les Palestiniens.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Effectivement.

Je reste perplexe à l'issue du déplacement. Nous n'avons pas rencontré directement de personnes qui sont sur la place Tahrir, mais je pense qu'ils vont encore jouer un rôle et qu'il faut y être attentif. Ce qui s'est passé à Port-Saïd n'est peut-être pas qu'une péripétie. Tout peut aller très vite.

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

J'émettrai quelques observations. J'ai été frappé par le fait que la constitution égyptienne impose, lors des consultations électorales, d'avoir un quota de 50 % d'ouvriers et de paysans, ce qui a largement contribué aux résultats. Un des débats en cours est de savoir s'il sera supprimé ou non. Il le sera probablement. Cela modifierait les choses.

Ensuite, j'ai été frappé par ce que nous a dit le ministre du tourisme actuel, issu du Wafd et qui est copte, Mounir Fakhry Abdel Nour, qui considère que les Frères musulmans sont une survivance du passé. On peut se demander, quelle que soit la structuration très importante des Frères musulmans, s'il n'y a pas un risque d'éclatement à l'exercice du pouvoir, avec d'un côté la connivence réelle et obligatoire avec les militaires et une certaine tendance à jouer le jeu des institutions démocratiques, et de l'autre la tentation de se rapprocher des salafistes. Cette possibilité de fracture en deux branches ne doit pas être écartée.

J'ai aussi été frappé par les salafistes. C'est un mouvement qui n'est pas nouveau. Il a des racines assez anciennes en Egypte, où il existe depuis les années 1950 et 1960. Il avait été un peu occulté et il était peu pris en considération dans les analyses. Or il est fort aussi en Syrie, en Jordanie, en Libye et au fond dans l'ensemble du monde musulman. L'appui de l'Arabie saoudite et du Qatar, qui a été souligné à plusieurs reprises au cours de nos rencontres, n'est pas totalement désintéressé.

Concernant l'armée, on a officieusement rencontré un général. L'armée paraît un peu impuissante ou n'a pas envie de bouger. D'un autre côté, ce général a bien insisté sur le fait qu'ils avaient tous été élevés dans la haine des Frères musulmans et de l'islamisme et que, si jamais la situation tournait mal, l'armée se réservait le droit d'intervenir. Que faut-il entendre par là ? Difficile de le savoir.

Sur le plan économique, nous avons rencontré des entrepreneurs que j'ai trouvés confiants. France Télécom vient de racheter le principal opérateur de téléphonie égyptien, Mobinil, Total est engagé dans des démarches de prospection pour un gisement de gaz en Méditerranée. Il ne faut donc pas voir tout en noir.

Enfin, en matière de politique étrangère, le guide supérieur des Frères musulmans nous a dit qu'il avait conseillé au Hamas de se mettre sous le couvert de l'OLP. C'était très clair.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Je confirme l'intérêt exclusif des salafistes pour l'éducation, la religion et les collectivités locales. Au Parlement, la présidence de la commission de l'éducation est en effet la seule qu'ils aient revendiquée. Il faut rappeler que 40 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté et que la même proportion est illettrée.

L'optimisme des hommes d'affaires me paraît surprenant au regard de la situation actuelle ; apparemment, les personnes plutôt privilégiées s'interrogent sur leur avenir en Egypte.

PermalienPhoto de Michel Terrot

Malgré la victoire écrasante des islamistes, le courant libéral peut-il espérer peser sur la rédaction de la future constitution ? Alors que l'élection présidentielle interviendra avant l'application de la nouvelle constitution, sait-on quels seraient selon cette dernière les pouvoirs du Président, notamment héritera t-il des prérogatives du Conseil suprême des forces armées ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

Prolongeant les interrogations sur le devenir politique et économique de l'Egypte, je souhaiterais savoir comment le peuple survit au quotidien et s'il se tourne volontiers vers les Frères musulmans ou les salafistes.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Le salafisme n'a pas pour ambition de gouverner mais d'imprégner la société. Ce dessein, inscrit dans leur ADN, explique leur intérêt pour l'éducation. Cela correspond à la démarche habituelle des intégristes : ce fut le cas lors de la guerre civile en Algérie dans laquelle les instituteurs des madrasas ont joué un grand rôle.

Vous n'avez pas évoqué la croissance démographique pourtant rédhibitoire pour l'avenir du pays. Il me semble que toute solution en faveur du développement économique butera sur ce problème.

PermalienPhoto de Philippe Cochet

Quels sont aujourd'hui les pays qui cherchent à nouer des relations étroites avec l'Egypte, notamment par le biais de l'armée ?

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Cet exposé passionné a largement abordé les questions de politique intérieure mais insuffisamment, il me semble, le rôle de l'Egypte au Moyen-Orient. Quel peut-il être à l'avenir ? Par ailleurs, qui tient les rênes économiques du pays, outre l'armée ?

PermalienPhoto de Marie-Louise Fort

Je regrette que la délégation n'ait comptée aucune femme. Il me semble que nous devrions donner l'exemple et montrer que les femmes doivent tenir leur rôle dans toute société démocratique. Ma question concerne le regard que porte l'Egypte sur la Turquie, son rôle régional et le possible modèle qu'elle représente.

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

La conjugaison de plusieurs éléments doit retenir notre attention : d'abord, les révolutions arabes ne sont pas abouties mais se trouvent dans une phase intermédiaire qui pourrait déboucher sur quelque chose de plus fort ; du fait de la crise économique et financière, le scénario grec va se reproduire dans d'autres pays ; une attaque d'Israël sur l'Iran semble programmée ce qui ne manquera pas de mobiliser encore la rue arabe. Cette conjonction de facteurs n'est-elle pas annonciatrice d'un mouvement historique de grande ampleur ?

PermalienPhoto de Michel Vauzelle

Vous avez souligné la puissance des Frères musulmans et des salafistes en même temps que celle de l'armée qui semble s'être débarrassée du président Moubarak pour conserver son pouvoir. Cela ressemble plus à un coup d'Etat qu'à une révolution. Comment cette armée qui conserve le pouvoir politique mais aussi économique – le mot de trust a été prononcé à son sujet – et qui est soutenue par les Etats-Unis, se positionne t-elle sur l'échiquier politique face aux deux forces précitées ?

PermalienPhoto de Jacques Remiller

L'avenir de l'Egypte ne risque t-il pas d'être troublé par le sort judiciaire d'Hosni Moubarak ? Quelles seraient les conséquences d'une intervention israélienne contre l'Iran pour le pays ?

PermalienPhoto de Paul Giacobbi

Il ne faut pas sous-estimer la force du wahhabisme qu'il tire de son antériorité, de son universalité, de sa simplicité et de ses moyens infinis mais aussi des circonstances économiques et diplomatiques idéales. Les wahhabites ont obtenu 25 % aux élections malgré l'existence d'un parti islamiste très organisé.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Nous sommes dans le brouillard absolu concernant la constitution. Sa rédaction donne lieu à des discussions entre militaires et islamistes dont on ignore ce qu'il sortira. Je ne peux pas vous répondre sur son contenu. Je ne pense pas néanmoins que le courant libéral pourra peser sur celui-ci.

Sur la nature des pouvoirs du président, il me semble que la conception minimaliste devrait s'imposer. Les islamistes sont plus intéressés par l'exercice d'un pouvoir informel plutôt qu'institutionnel et identifié.

M. Janquin a résumé la situation de la population, qui est victime de la pauvreté du pays malgré l'émergence d'une classe moyenne depuis vingt ans. La population parvient à vivre grâce aux biens subventionnés que sont le sucre, l'huile, le pain et le butagaz. Tant que cette subvention demeurera, tant que l'Etat en aura les moyens, cet amortisseur social qui s'ajoute aux solidarités familiales permettra de sauvegarder une situation qui est néanmoins préoccupante.

Ce pays de 80 millions d'habitants semble vivre un début de transition démographique. Il est vrai que cette transition ne réglera pas ce problème crucial à court terme mais à moyen terme seulement.

L'Egypte est aujourd'hui autocentrée. Elle ne manifeste pas d'intérêt pour le reste du monde. Le pays est en quelque sorte en apesanteur. Sur l'Iran, je rappelle que le Shah a obtenu l'asile politique après son éviction du pouvoir et est enterré au Caire. Les deux pays n'entretiennent pas de relations compliquées qui se caractérisent plutôt selon moi par une forme de négligence. Il n'y a pas d'interférence confessionnelle. L'un étant persan, l'autre arabe, ils ne partagent pas le même jardin. Ils sont deux pôles importants du grand Moyen-Orient. Ce n'est pas une question majeure.

Les Egyptiens n'aiment pas les Turcs. Ils n'ont jamais été fascinés par le kémalisme et je ne suis même pas sûr qu'ils soient intéressés par la politique de M. Erdogan. Ils regardent de loin ce qui se passe en Turquie. Le nom du pays n'a été cité à aucun moment lorsque nous étions en Egypte. Ce sont deux univers différents.

Je partage l'interrogation de M. Boucheron sur ce qui se trame à l'égard de l'Iran.

L'armée détient directement et indirectement un tiers du PIB du pays. Il s'agit d'une institution complexe qui a noué depuis longtemps des liens forts avec les Frères musulmans sur lesquels l'opacité règne. Les militaires semblent hésiter sur l'attitude à adopter car ils ne veulent pas perdre le pouvoir. Dans le débat constitutionnel sur le rôle futur de l'armée et le contrôle de celle-ci, les réponses qui nous ont été apportées relèvent toutes de la langue de bois. Chacun convient de l'importance d'un contrôle mais le plus grand flou entoure sa traduction constitutionnelle. Les militaires sont affaiblis car ils ne possèdent pas une figure politique susceptible de les représenter. Ils ne sont plus les fringants et ambitieux jeunes hommes d'antan mais des notables ayant bâti des fortunes.

Enfin, le wahhabisme est en effet très ancien et très implanté. Il faut donc surveiller de près les agissements des tenants de celui-ci.

Examen du rapport d'information sur l'application de la loi relative à l'action extérieure de l'État

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Je serai assez bref car vous trouverez toutes les précisions nécessaires dans le rapport qui sera publié. La loi sur l'action extérieure de l'Etat résulte largement des modifications intervenues au cours de l'examen parlementaire. Le projet de loi initial prévoyait la création de deux établissements publics : l'un pour l'action culturelle extérieure, l'autre pour la mobilité internationale, incluant à la fois l'accueil des étudiants étrangers et l'expertise international. A la faveur de nos travaux, le texte est très différent de ce projet.

Concernant l'action culturelle extérieure nous avons imposé au ministère des Affaires étrangères et européennes, à la demande du Président de la Commission qu'il faut remercier de sa prescience, une expérimentation du rattachement du réseau au nouvel EPIC dans au moins dix pays. Il existait au sein du Quai d'Orsay une opposition forte entre la position maximaliste du ministre de l'époque Bernard Kouchner et la résistance de ses services, si bien que le projet était de ce point de vue mal ficelé, avec une solution qui s'arrêtait au milieu du gué. Nous avons souhaité aller jusqu'au bout pour expérimenter dans ces dix pays une organisation dans laquelle le Président de l'Institut français est le patron de l'ensemble de l'ensemble de l'action culturelle, certes sous la responsabilité des ambassadeurs, mais en assurant la présidence d'un EPIC à Paris tête de réseau.

Sur ce premier volet de la loi, la mise en oeuvre est très satisfaisante. Comme vous le savez, Xavier Darcos a été nommé Président et il me semble important que ce soit à un homme de son rayonnement culturel, ancien ministre et disposant de l'autorité nécessaire, que cette mission ait été confiée pour asseoir l'institution. Les mesures règlementaires ont été adoptées dans les délais et l'expérimentation est en cours. M. Rochebloine, rapporteur pour avis du programme 185 de la mission extérieure de l'Etat pourra apporter des précisions sur les aspects budgétaires, mais je considère pour ma part que la feuille de route est remplie et que son prolongement est la généralisation à tous les postes de l'expérimentation.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Je me félicite de la mise en oeuvre positive de la loi concernant l'Institut français et le rattachement. Combien de pays sont finalement dans l'expérimentation ?

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Il en fallait au moins dix. Treize avait été sélectionnés et la Syrie a été retirée de la liste.

Concernant les autres dispositions de la loi, les résultats sont plus contrastés. Un des établissements publics se met très difficilement en route : CampusFrance. Il faut rappeler rapidement l'histoire de la politique d'accueil des étudiants étrangers pour mesurer les difficultés. Je considère que la politique de l'attractivité des étudiants en France est un sujet majeur. C'est la raison pour laquelle je suis opposé à la circulaire du 31 mai 2011, même réformée, car elle adresse un contre-signal. La France doit être une terre d'accueil pour les étudiants étrangers.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

La France a été classée n°1 comme terre d'accueil pour les étrangers par un institut britannique, comme le rapporte le Figaro dans son édition d'aujourd'hui.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

C'est une bonne nouvelle car ce n'était pas le cas. La politique d'attractivité recouvre plusieurs aspects : la prospection, la délivrance des visas, l'organisation du voyage, l'accueil dans les universités, l'hébergement et les alumni, pour reprendre le terme employé aux Etats-Unis, c'est-à-dire les associations d'anciens qui entretiennent la flamme une vie durant. Sur ces aspects, la France est plutôt moins performante que les Etats-Unis et le Royaume-Uni qui conduisent ces politiques depuis un siècle, que les Australiens qui ont commencé il y a une dizaine d'années et que les Allemands qui n'ont pas une langue internationale.

J'avais travaillé en 2006 sur un rapport qui traitait notamment de cette question de l'attractivité des étudiants étrangers et je préconisais alors le regroupement de ces activités dans une même entité. Le GIP CampusFrance a été créé à cet effet début 2007 avec comme parties prenantes le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et, enfin, le ministère de l'intérieur au titre de la facilitation de la délivrance des visas. Les étudiants qui venaient du pays du champ pour l'accueil et pour l'hébergement relevaient d'Egide et les autres dépendant du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires, ce qui évidemment ne relevait d'aucune logique intégrée. Le GIP fonctionnait plutôt bien avec une amélioration sensible dans certains pays « expérimentateurs », notamment la Chine.

Le projet de loi relatif à l'action extérieure de l'Etat détricotait l'évolution positive qui avait été engagée avec le GIP pour la simple et bonne raison que le ministère des Affaires étrangères ne souhaitait pas de la co-tutelle du ministère de l'enseignement supérieur. Il était donc proposé de laisser le CNOUS hors du champ de la réforme. C'est pourquoi j'ai proposé la création d'un EPIC sous double tutelle avec le nom existant de CampusFrance pour gérer l'ensemble de la chaîne de la politique d'attractivité des étudiants.

Le résultat est que les choses traînent car le projet qui avait été conçu par l'administration a été bouleversé et qu'il existe par ailleurs des querelles de personnes très fortes. Une éclaircie au tableau toutefois est à relever : l'EPIC a finalement été créé au 1er janvier 2012 et notre ancien collègue député puis sénateur Christian Demuynck a été nommé préfigurateur. Il n'est prisonnier d'aucun corporatisme et a pris le taureau par les cornes avec des propositions judicieuses. De plus, j'ai ressenti une très forte volonté de la part du cabinet du ministre d'Etat Alain Juppé pour aboutir avant la fin de la législature et régler les problèmes en suspens.

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Pour le moment il y a un préfigurateur et un administrateur provisoire.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Il manque l'équivalent d'un Xavier Darcos !

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Tout à fait. Mais il faut gérer les querelles entre les anciens opérateurs, trouver des solutions satisfaisantes et c'est ce qui est en cours actuellement.

PermalienPhoto de François Rochebloine

L'arbitrage sur les transferts d'emplois et de masse salariale entre le ministère de l'enseignement supérieur et le ministère des Affaires étrangères et européennes a-t-il été rendu ?

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

L'arbitrage a été rendu, mais il n'est toujours pas publié. Le détail figure dans le rapport.

Enfin, s'agissant de l'expertise internationale, qui est un sujet important pour notre politique d'influence qu'on néglige, la question récurrente est de savoir s'il faut unifier les différentes entités ou maintenir la multiplicité des intervenants. Initialement je penchais pour la première solution, mais après avoir étudié la question j'ai changé d'avis. Il existe quelques grands opérateurs à conforter : l'Adetef (ministère des finances), Civipol (ministère de l'Intérieur) et désormais France expertise international, nouvel EPIC sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères et je pense que des liens intéressants peuvent être noués avec le ministère de la Santé, qui pourrait être plus présent dans le champ de l'expertise internationale. Pour résumer, les choses vont plutôt dans le bon sens pour France expertise internationale, malgré un léger retard.

Permalienprésident

Je vous précise qu'avant la fin de la présente législature, nous aurons à désigner deux membres du conseil d'administration de Campus France, comme nous l'avons fait pour les deux autres EPIC.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Je salue la qualité de l'état de lieux que vient de dresser le Rapporteur. Toutefois, je reste réservé car j'ai le sentiment qu'on conduit une politique insuffisante pour l'accueil des étudiants étrangers en France, avec le prisme de la RGPP. On voit trop cette politique comme un coût. Or, c'est un investissement ! Chez moi, au Havre, des étudiants se font contrôler par la police, à la tête du client, sur le campus ! Ce n'est pas ainsi qu'il faut accueillir les étudiants étrangers et l'image de la France en est affectée. Il manque une coordination politique au plus haut niveau sur ces questions, avec des désaccords interministériels. Ce n'est pas cette loi qui apporte une réponse.

PermalienPhoto de Jacques Remiller

Le Rapporteur a parlé d'une expérimentation. Peut-il nous indiquer si un délai a été prévu ?

PermalienPhoto de François Loncle

Je partage le constat du rapporteur sur l'accueil des étrangers. Il a cité un certain nombre de pays, auxquels il faudrait ajouter le Canada, qui gère depuis longtemps une politique active et attire de plus en plus les étudiants notamment africains. Par ailleurs, Egide existe toujours, quel est son budget et qui l'alimente ? Enfin, quelles étaient les positions maximalistes de Bernard Kouchner évoquées par le Rapporteur dans son intervention ?

PermalienPhoto de Hervé Gaymard

Tout d'abord, je pense que la politique d'attractivité des étudiants étrangers doit être considérée comme un axe de notre politique d'influence et devrait être portée au plus haut niveau. Je pense que la création de l'EPIC, une fois qu'il sera opérationnel, va dans le bon sens. Il faudra veiller à ce qu'on mette à sa tête une personnalité d'influence comme on l'a fait à l'Institut français avec Xavier Darcos.

S'agissant de l'expérimentation, l'échéance est 2013. Le processus est juridiquement réversible, ce qui complique d'ailleurs l'exercice, mais en pratique il doit aller au bout. Je préconise cette évolution.

Concernant Egide, elle gère des fonds pour le compte du ministère des Affaires étrangères et européenne. Sa comptabilité fait apparaître un déficit structurel, quand bien même elle facture ses prestations, notamment du fait de la baisse des crédits du ministère sur ces programmes. Egide existe encore aujourd'hui mais a vocation à disparaître dans le nouvel EPIC. Vous trouverez dans le rapport un schéma qui illustre la complexité du dispositif qui prévalait et sera simplifiée dans un opérateur unique.

Puis la commission autorise la publication du rapport d'information.

Liban : accord relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels (n° 3711)

La commission examine, sur le rapport de M. Pascal Clément, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise relatif à la mobilité des jeunes et des professionnels (n° 3711).

PermalienPhoto de Pascal Clément

Notre pays entretient des relations particulièrement intenses avec le Liban, dont plus de 200 000 citoyens résident en France. Ces liens privilégiés sont très marqués dans le domaine éducatif et dans le champ économique.

Ainsi, la France soutient 7 des 42 établissements d'enseignement supérieur reconnus par l'Etat libanais : 4 sont entièrement francophones et 3 disposent de filières francophones. En dépit de la concurrence croissante des établissements anglophones, une part très importante, de l'ordre du quart, des étudiants suit des formations entièrement assurées en français. Aussi n'est-il pas surprenant que la France soit de loin la première destination à l'étranger pour les étudiants libanais : elle accueille 40 % d'entre eux, soit environ 5 000 par an, contre 1 800 partis aux Etats-Unis. Il existe en outre une trentaine de « doubles diplômes » communs à des établissements d'enseignement supérieur libanais et français.

Pour ce qui concerne l'économie, en 2010, les exportations de la France vers le Liban ont atteint 894 millions d'euros et les importations françaises depuis le Liban se sont limitées à 32,5 millions d'euros. La balance commerciale avec la France est donc positive à hauteur de 862 millions d'euros. Notre pays a été le 5ème fournisseur du Liban et son 6ème client. De fait, elle est le premier importateur de produits libanais parmi les Etats membres de l'Union européenne. La présence française est en plein essor, notamment grâce à l'installation de nombreuses franchises d'enseignes françaises au centre-ville de Beyrouth. D'après Ubifrance, le nombre d'entreprises françaises (tous secteurs confondus) actuellement implantées au Liban est de 90, employant au total un peu moins de 5 000 personnes.

Ces relations particulièrement intenses justifient pleinement que la France et le Liban prennent des mesures afin de faciliter la mobilité de leurs ressortissants entre leurs deux territoires. C'est dans ce but qu'ils ont signé, le 26 juin 2010, un accord sur la mobilité des jeunes et des professionnels dont l'approbation est l'objet du présent projet de loi.

Cet accord comporte trois volets : un relatif aux visas de circulation, un en faveur des jeunes, un en faveur des professionnels en général.

Afin de favoriser la circulation des personnes entre les deux Etats, la France s'engage à faciliter la délivrance de visas de circulation aux Libanais dont la venue régulière en France participe au développement des relations bilatérales. Prévus par la convention d'application de l'accord de Schengen, ces visas, d'une durée de validité comprise entre un et cinq ans, permettent à leurs détenteurs d'entrer autant de fois qu'ils le veulent dans la zone Schengen sous réserve que la durée de leurs séjours n'excède pas trois mois par semestre. Il s'agit en effet de visas multi-entrées de court séjour. Environ 9 000 visas de ce type sont d'ores et déjà délivrés par la France à des ressortissants libanais chaque année : l'accord se contente de faciliter leur délivrance.

Les stipulations de l'accord sont en revanche plus favorables que les règles de droit commun en ce qui concerne le séjour des jeunes qui relèvent de l'une des catégories suivantes : étudiants, stagiaires, jeunes professionnels, volontaires en entreprise. Les mesures de l'accord sont très proches de celles que nous avons récemment examinées dans le cadre de la discussion d'accords relatifs à la mobilité des jeunes conclus avec la Serbie, la Macédoine et le Monténégro.

Ainsi, les jeunes ayant obtenu un diplôme de niveau au moins équivalent au master en France ou dans un cursus de double diplôme seront autorisés à rester en France pendant six, voire douze mois, afin d'y chercher et d'y exercer un emploi, à condition que cet emploi soit en relation avec la formation suivie et rémunéré au moins à hauteur d'une fois et demie le SMIC. A l'issue de cette période, s'ils le souhaitent, ils pourront rester en France pour exercer leur activité sans que la situation de l'emploi soit prise en considération. Le droit commun ne permet pas le renouvellement de la période de six mois et maintient la prise en considération de la situation de l'emploi pour obtenir le droit de rester en France une fois cette période écoulée.

Les jeunes stagiaires français au Liban ou libanais en France obtiendront quant à eux un titre de séjour de douze mois, qu'ils soient des étudiants faisant un stage dans le cadre de leur cursus ou des salariés venant suivre une formation dans une entreprise française liée à celle pour laquelle ils travaillent dans l'autre pays.

Afin de stimuler les échanges de jeunes professionnels de 18 à 35 ans, l'accord prévoit qu'ils obtiendront un titre de séjour de douze mois, renouvelable une fois, pour pouvoir exercer dans l'autre pays un emploi correspondant à leur formation ou à leur expérience professionnelle, sans que la situation de l'emploi soit prise en considération. Ces mesures dérogatoires bénéficieront à un contingent de 100 jeunes Français et de 100 jeunes Libanais chaque année, ce qui est quatre à cinq fois plus élevé que le nombre de jeunes Libanais recevant annuellement une carte de séjour portant la mention « travailleur temporaire ». Pour développer cette pratique, l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que l'Agence pour l'emploi des cadres mettront en place une plateforme d'accès à des offres d'emplois dans les deux pays, grâce à l'octroi par la France d'un financement de 25 000 euros par an pendant trois ans.

Enfin, le Liban s'engage à délivrer aux jeunes volontaires en entreprise (VIE) un titre de séjour de douze mois, renouvelable, sur production d'une attestation d'Ubifrance, l'organisme public français qui les détache auprès d'entreprises françaises implantées au Liban.

Le volet de l'accord relatif à la mobilité professionnelle d'une manière générale comporte trois mesures :

– la France s'engage à faciliter la délivrance de la carte de séjour « salarié en mission » aux ressortissants du Liban salariés d'entreprises situées sur le territoire de ce dernier qui doivent effectuer des séjours en France pour les besoins de ces entreprises, en application du 5° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;

– notre pays prend le même engagement en ce qui concerne la délivrance de la carte de séjour portant la mention « compétences et talents », régie par l'article L. 315-1 du CESEDA ;

– enfin, les deux pays conviennent d'accueillir sur leur territoire respectif les travailleurs hautement qualifiés ressortissants de l'autre Etat qui remplissent les conditions pour bénéficier de la « carte bleue européenne », lesquelles figurent en droit français au 6° de l'article L. 313-10 du CESEDA, c'est-à-dire qui justifient d'un contrat de travail d'au moins an pour un poste « hautement qualifié », rémunéré à hauteur d'au moins une fois et demie le salaire annuel brut moyen, et qui ont un diplôme d'un niveau égal ou supérieur à « Bac + 3 » ou cinq ans d'expérience professionnelle d'un niveau comparable correspondant à la profession qui sera exercée. Ces personnes seront autorisées à travailler sur le territoire de l'autre Etat sans que la situation de l'emploi leur soit opposable et recevront un titre de séjour d'une durée de validité comprise entre un et trois ans, et renouvelable.

Cet accord vise ainsi à développer la mobilité des personnes entre la France et le Liban tout en maintenant l'obligation de visa, y compris de court séjour, afin de limiter les risques d'immigration illégale. Qu'il facilite l'accès à des dispositifs de droit commun ou fixe des règles plus favorables, il s'adresse à différents types de personnes dont la mobilité est la plus susceptible de contribuer à l'enrichissement des relations bilatérales et d'avoir des effets positifs sur la situation des deux Etats. Il relève à ce titre de l'esprit qui a conduit le Président de la République à prendre l'initiative de la création de l'Union pour la Méditerranée.

L'utilité de ces dispositifs ne fait aucun doute à mes yeux. Reste à savoir dans quelle mesure les autorités libanaises actuelles seront disposées à faire le nécessaire pour permettre l'entrée en vigueur de l'accord : pour l'heure, la procédure d'approbation de l'accord n'a pas été lancée. Cela constituera un test de leur volonté de contribuer à la mise en oeuvre de cette belle idée euro-méditerranéenne et de poursuivre les relations privilégiées que l'histoire a nouées entre le Liban et la France.

En espérant que les autorités libanaises saisiront cette opportunité, je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

PermalienPhoto de Jacques Remiller

Le projet de loi mentionne que l'accord vise à « faciliter la mobilité des professionnels et principalement celle des jeunes qui souhaitent bénéficier, dans l'autre État signataire, d'un stage ou d'une expérience de travail ». Aussi souhaiterais-je savoir s'il y a déjà des échanges, à ce titre, entre la France et le Liban et combien de personnes en bénéficient.

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Et dans quels autres pays vont les étudiants libanais ? En outre, combien y a-t-il de binationaux franco-libanais ?

PermalienPhoto de Pascal Clément

La France accueille 5 000 étudiants libanais chaque année. Comme je l'ai indiqué, la France est leur première terre d'accueil. Viennent ensuite les Etats-Unis avec 1 800 étudiants par an, l'Allemagne (745 étudiants par an), l'Italie (700 étudiants par an) et le Canada (650 étudiants par an). Quant aux binationaux, je ne dispose pas des chiffres. Je souhaite apporter des précisions sur la question des visas. 836 titres de séjour étudiants ont été délivrés à des ressortissants libanais en 2009. 7 titres de séjour « stagiaires » en 2010. En 2009 et 2010, respectivement 399 et 336 titres de séjour « travailleur salarié » ont été délivrés. S'agissant des titres de séjour « travail temporaire », 21 ont été délivrés en 2009 et 25 en 2010. Ce ne sont pas des chiffres très élevés.

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Les événements actuels en Syrie risquent-ils de compliquer la mise en oeuvre de cet accord ?

Pascal Clément, rapporteur. Il est frappant de constater que le Gouvernement libanais – pourtant favorable à la Syrie – adopte une attitude de neutralité. La Syrie lui reproche même son manque d'entrain ! En plus, le pouvoir libanais est assez pluraliste. Je souhaite ajouter que le Liban est encore assez francophone et on peut espérer que la convention sera rapidement ratifiée.

PermalienPhoto de François Rochebloine

Je trouve le rapporteur optimiste quant à la présence de la France au Liban. Or cette présence est en déclin ! Beaucoup d'étudiants libanais partent aux Etats-Unis, par exemple.

PermalienPhoto de Pascal Clément

Je suis optimiste en voyant les chiffres : 5 000 étudiants libanais en France contre 1 800 au Etats-Unis. Dans un monde de plus en plus anglo-saxon, le Liban reste une exception. Il est de notre intérêt de ne pas l'abandonner.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n°°3711).

La séance est levée à onze heures trente-cinq.