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Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Séance du 11 mai 2010 à 18h00

Résumé de la séance

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La séance

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA GRIPPE A(H1N1)

Mardi 11 mai 2010

(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la commission d'enquête)

La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) entend le Professeur Marc Gentilini, professeur émérite des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, président honoraire et membre de l'Académie de médecine et membre du Conseil économique, social et environnemental, et le Professeur François Bricaire, chef du service maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière.

La séance est ouverte à dix-huit heures quarante-cinq.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous accueillons maintenant le professeur Marc Gentilini et le professeur François Bricaire, tous deux spécialistes des maladies infectieuses.

MM. Marc Gentilini et François Bricaire prêtent successivement serment.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je vous propose, messieurs, que nous en venions directement aux questions que les membres de la commission souhaitent vous poser.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Messieurs, vous nous direz tous deux ce que vous avez pensé de la gestion de l'épidémie de grippe H1N1. Mais, pour commencer, professeur Gentilini, vous avez écrit que le problème majeur en cette affaire vous a paru être le bon usage du principe de précaution. Quel pourrait être selon vous un bon usage de ce principe ?

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Vous ne commencez pas par la question la plus simple. Nous savons tous d'où est né le principe de précaution et comment il a progressivement dérivé. Il est grand temps à la fois que les instances scientifiques prennent position publiquement et que le Parlement s'intéresse de près à cette question. Le principe de précaution, initialement conçu pour protéger de risques mal définis ou inconnus, est aujourd'hui invoqué à tout bout de champ afin de prendre les précautions maximales sans savoir ni où l'on va ni quel sera le prix à payer, ce qui me paraît une dérive grave. Les membres de l'Académie de médecine et de l'Académie des sciences désapprouvent d'ailleurs ce que l'on a fait de ce principe, devenu un « machin » qui entrave la science et la recherche, et partant bloque le progrès. Tel n'était pas du tout l'esprit de ceux qui l'ont fait inscrire dans la Constitution – place qui, soit dit au passage, est discutable. Je souhaite, pour ma part, que s'engage une réflexion sur le bon usage de ce principe.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ce qui s'est passé dans le cadre de l'épidémie de grippe H1N1 vous paraît-il une dérive ?

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Je suis mal à l'aise pour vous répondre car j'ai conscience que le poste de ministre de la santé est particulièrement exposé dans une société comme la nôtre et que je ne veux pas critiquer ceux qui sont chargés de prendre les décisions. Toujours est-il qu'on a pris des précautions extrêmes…

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Déjà en juin, je trouvais que l'on en faisait beaucoup trop autour de cette grippe, notamment par rapport à la multitude des problèmes sanitaires qui se posent dans le monde. C'est l'Organisation mondiale de la santé qui a lancé l'alerte. Peut-être faudrait-il redéfinir le rôle de cette organisation. Quoi qu'il en soit, il ne serait pas mauvais de lui rappeler de temps à autre que son rôle est de s'occuper des problèmes de santé dans l'ensemble du monde, pas seulement dans l'Europe privilégiée. Déjà alors, je trouvais les mesures prises indécentes face aux milliards de personnes qui souffrent encore de la faim et aux millions de celles qui meurent encore chaque année du paludisme, dans l'indifférence la plus totale. Pour quelque 370 morts imputables à la grippe H1N1 dans notre pays, on aura dépensé un milliard et demi d'euros, si l'on additionne le coût de toutes les mesures. Pour un nombre sensiblement équivalent de sans-abri morts dans la rue, pas un sou en revanche ! C'est disproportionné, indécent et insupportable.

Je mesure combien il est difficile pour un responsable politique de prendre la bonne décision. Je ne pense d'ailleurs pas que les coupables en cette affaire soient avant tout les politiques, mais les experts. Tout cela a été une arnaque sanitaire et économique…

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Une arnaque médiatique aussi. Les politiques ont été victimes des pressions qu'ils ont subies. Vu le nombre de morts alors annoncé – de 30 000 à 60 000 dans l'année –, je comprends que la ministre de la santé ait pu être effrayée et céder aux pressions d'un entourage peu critique pour appliquer le principe de précaution. Je désapprouve totalement ces positions car pour moi, le rôle des responsables n'est absolument pas celui-là.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Le principe de précaution était au départ un bon principe, tout à fait justifié dans une société moderne comme la nôtre qui a les moyens de prévoir certaines risques, de s'organiser pour y parer au mieux et de protéger la population. Mais dès lors que la menace est inconnue, il existe incontestablement un risque de dérive. Dans des sociétés exigeantes, à juste titre, les décideurs peuvent être obligés de prendre des mesures pouvant paraître disproportionnées. Dès lors que le virus de la grippe H1N1 s'est révélé moins virulent qu'on ne l'attendait, cette démesure est devenue évidente. Mais c'est là tout le problème d'un risque inconnu. Si celui-ci se révèle finalement faible, le dispositif mis en place peut apparaître surdimensionné. S'il se révèle, hélas, fort, et que le dispositif a été par chance bien dimensionné, chacun s'en félicitera, mais s'il a été sous-dimensionné, chacun déplorera que l'on n'ait pas fait davantage.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La grippe nous paraissait une maladie assez bien connue et maîtrisée. Or, au fil de nos auditions, nous nous apercevons qu'elle ne l'est pas autant que nous le croyons. Toute pandémie grippale risquant de s'inscrire dans le même contexte d'incertitude, ne serait-il pas utile que la population sache mieux de quoi il est question ? L'ensemble du corps médical a-t-il d'ailleurs la même position à ce sujet ? Il est surprenant par exemple que les médecins se soient assez largement fait vacciner, les infirmières beaucoup moins. Pensez-vous que dans le cadre de la préparation à d'autres pandémies, de gravité variable, il soit possible de réduire l'incertitude ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Contrairement à ce que l'on pense, la grippe est assez mal connue, du corps médical comme des citoyens. Elle est mal connue car trop banale, ou plutôt parce qu'elle a été banalisée, le terme même de grippe étant souvent utilisé à tort. En dépit d'un très grand nombre de travaux scientifiques sur le sujet, il demeure énormément d'inconnues sur les virus de la grippe, multiples et dont la plasticité est telle qu'il est impossible de prévoir quoi que ce soit de fiable en matière d'évolution de l'infection. On sait que des épidémies se succèdent, que de temps à autre se déclenchent des pandémies après la mutation substantielle d'un virus, que la population n'a donc pas rencontré antérieurement et contre lequel elle n'est donc pas protégée. Mais on ne sait jamais quel type de virus sera responsable de l'épidémie ou de la pandémie ni quand celles-ci se déclencheront. Ce qui s'est passé l'année dernière est emblématique. On s'attendait plutôt à l'attaque d'un virus aviaire, l'Organisation mondiale de la santé ayant alerté, à juste titre, sur une épizootie, devenant panzootie, de grippe aviaire H5N1, dont le virus pouvait s'adapter à l'homme. Or, c'est finalement un virus H1N1 qui a frappé. Il nous faut donc faire preuve de la plus grande modestie. Pour ma part, j'en reste à ce que m'a enseigné l'un de mes anciens maîtres, le virologue Claude Hannoun : « en matière de grippe, on se trompe tout le temps. » Ne pensez pas que ce soit là une dérobade. Je veux seulement dire que nous devons continuer à travailler et affiner nos connaissances épidémiologiques afin de mieux appréhender le phénomène lorsqu'il apparaît, mieux évaluer son extension potentielle et déterminer les meilleurs moyens de le contrôler.

Il est un point sur lequel je diverge quelque peu d'un autre de mes maîtres, le professeur Gentilini : je ne pense pas, moi, que l'on en ait fait trop de fin avril à juin dernier. Il fallait faire ce qui a été fait.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Fin avril, des cas de décès avaient été recensés au Mexique, et attribués, à tort ou à raison, à la grippe. Face à la gravité apparente de ces cas et une extension très rapide de la maladie, il fallait réagir vite et faire dans notre pays ce qui était prévu dans le plan « pandémie grippale », à savoir activer les plans de surveillance, alerter les centres référents ainsi que les hôpitaux chargés, avec l'aide du service d'aide médicale urgente, le SAMU, d'accueillir les premiers malades. Ce plan avait déjà fait ses preuves. Les Canadiens, qui ne disposaient de rien d'analogue, l'avaient regretté lors de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, à Toronto.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Quand le dispositif avait-il fait ses preuves en France ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

En 2003, lors de l'épidémie de SRAS, mais aussi dans le cas d'autres pathologies infectieuses moins contagieuses et lors de l'épisode de l'envoi de lettres contaminées au bacille du charbon, qui avait fait craindre des attaques bioterroristes.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Il paraît normal lorsqu'on ne connaît pas bien un risque de faire le maximum pour y parer. Tout le problème est de parvenir à décélérer lorsqu'on se rend compte qu'il n'était pas aussi grave qu'on le craignait. Or, les plans ne prévoient pas de décélération. Toute pandémie annoncée risque donc d'enclencher la même mécanique. Dans l'incertitude, on sort l'artillerie lourde sans possibilité de revenir en arrière, semble-t-il.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je suis tout à fait d'accord. Je suis certain qu'une prochaine pandémie conduirait à la même stratégie, avec la mise en place, à mon avis nécessaire, d'un dispositif aussi lourd au début. On pourrait imaginer de partir doucement et de monter en puissance selon la virulence de l'agresseur. L'inverse me paraît néanmoins plus raisonnable. Face à un agresseur annoncé comme dangereux, on a frappé fort et il fallait frapper fort. Tout le problème en effet a été de ne pas pouvoir décélérer rapidement. Il faut non seulement adapter en permanence nos connaissances, mais aussi pouvoir faire preuve de souplesse, ce qui a précisément fait défaut. Il était ahurissant à un moment que des personnes soient hospitalisées pour des symptômes ne justifiant nullement une hospitalisation en milieu confiné. Lorsque nous l'avons fait remarquer, on nous a fait valoir qu'il n'était pas sûr que ces patients auraient pu avoir accès de manière satisfaisante à du Tamiflu dans le cadre d'une prise en charge en ville ni que les médecins de ville auraient été prêts à les recevoir, alors qu'on ignorait la virulence du virus. Il y a nécessairement un temps de latence entre la perception d'un phénomène, sa connaissance et une réaction adaptée de la part des décideurs.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Si l'incertitude prévalait au début de l'épisode viral, on a ensuite mieux connu le virus. Vous aviez dit, professeur Gentilini, devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qu'il faudrait renoncer à utiliser le mot « pandémie » – sans nous dire d'ailleurs par lequel le remplacer. Ce terme est-il encore justifié ?

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Il ne s'agit pas de le remplacer, mais de lui redonner son sens véritable. J'appartiens à une génération qui savait ce qu'était une pandémie. Le mot, à juste titre, faisait peur, désignant une maladie meurtrière frappant l'ensemble du monde. Mais il n'y a pas si longtemps, avant toutefois cette épidémie de grippe H1N1, l'Organisation mondiale de la santé a modifié sa définition d'une pandémie, estimant que seule la rapidité de la dissémination devait être prise en compte. Je ne partage pas cet avis. Une maladie infectieuse non ou peu meurtrière, qui ne fait que se répandre vite, n'est pas selon moi une pandémie mais seulement une épidémie mondiale. Vaccinant naturellement ceux qui la contractent, elle les dispense d'ailleurs de se faire vacciner ultérieurement.

Il semble que dans la prise en charge de la grippe H1N1, on se soit trompé de guerre. On a utilisé les plans élaborés pour lutter contre la grippe H5N1.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Certes, mais étant Français, je connais mieux ce qui s'est passé en France.

PermalienPhoto de Catherine Génisson

Le professeur Gentilini a raison, on a utilisé contre cette possible pandémie de grippe H1N1, les plans prévus contre la grippe H5N1, sur lesquels le Gouvernement avait beaucoup travaillé. Or, on a très rapidement su que le virus H1N1 n'avait pas, en tout cas a priori, la même virulence que le H5N1.

L'Organisation mondiale de la santé doit-elle, selon vous, messieurs, demeurer l'organisation sanitaire de référence sur le plan mondial, tant en matière d'information que de plans d'action ? Comment fonctionne-t-elle et quel rôle a-t-elle joué exactement ? Vous semblez dénoncer son armada d'experts…

Vous avez tous deux regretté le manque de souplesse des plans mis en oeuvre. C'est certain mais dans le même temps, il y a eu, à plusieurs reprises, d'étranges ruptures. De mai à juin, la mobilisation, notamment des centres 15, a été extrême et des hospitalisations sans doute indues ont eu lieu avant que, du jour au lendemain, ces mesures ne soient stoppées, sans que soit donnée à l'appui de ce changement total de cap la moindre explication scientifique ou épidémiologique. Il en a été de même lors de la fermeture des centres de vaccination, décidée elle aussi du jour au lendemain, davantage, semble-t-il, devant leur manque de fréquentation que sur la base de données scientifiques. Le message adressé à nos concitoyens s'en est trouvé brouillé, au point de devenir illisible, et ne les a finalement pas « éduqués » à la gestion d'une épidémie. Or, le principe de précaution ne concerne pas que les experts mais aussi chacun de nos concitoyens.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

La création de l'Organisation mondiale de la santé honore l'ensemble du monde politique international. Je défends cette organisation, mais pas telle qu'elle fonctionne actuellement. Les États y sont représentés, sur un plan politique, mais c'est la direction générale qui agit, entourée d'une armada d'experts monopolisant l'information et prenant seuls les décisions, ce qui est profondément regrettable. Songez que dans certains pays, on est toujours à ce jour au stade 6 d'alerte. Heureusement qu'en France, Mme Roselyne Bachelot-Narquin n'a pas cédé à Mme Margaret Chan et n'a pas décrété le passage au stade 6. C'eût été aberrant, alors l'on frôlait déjà la démesure ! En fait, cette bonne institution est actuellement mal dirigée : Mme Margaret Chan, excellente spécialiste de santé publique, qui connaît plus particulièrement les grippes et virus associés, et a été formée à Hong-Kong, a complètement pollué l'Organisation mondiale de la santé. Pour ma part, je souhaiterais qu'après le coût faramineux de cette opération internationale qui s'est soldée par un lourd échec, elle quitte la tête de l'organisation. D'ailleurs, si Mme Margaret Chan avait le respect d'elle-même, elle soumettrait sa démission à la prochaine assemblée générale. Alors que l'Organisation devrait être le phare sanitaire de l'humanité, elle s'est trompée et elle a trompé. Il faut faire preuve d'une extrême sévérité, afin que cela ne se reproduise pas.

Pour le reste, oui, on a manqué dans notre pays de souplesse, se contentant d'appliquer les plans prévus pour la grippe H5N1, sans analyser plus avant ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud. Or, plusieurs publications en attestaient dès juin, on était loin de l'apocalypse annoncée ! Hélas, jamais ceux qui défendaient un scénario moins pessimiste n'ont été entendus. En dépit de mes prises de position publiques qui auraient pu appeler l'attention des décideurs politiques, jamais le ministère de la santé n'a pris contact avec moi, pas plus qu'il n'a consulté l'Académie de médecine. Il existe quantité d'organismes comme le Haut conseil de santé publique, la Haute Autorité de santé, l'Institut national de veille sanitaire, et bien d'autres. Mais cet excès d'instances, toutes très onéreuses, ne finit-il pas par entraver une bonne diffusion de l'information jusqu'au tissu sanitaire du de proximité ? Ne constituent-elles pas un mauvais filtre ?

Certains dispositifs ont en effet été arrêtés du jour au lendemain sans aucune explication. Se souvient-on qu'à un moment, l'Organisation mondiale de la santé avait établi une liste de onze opérations nécessaires pour bien se laver les mains – ce qui, soit dit au passage, n'avait aucun sens pour les un à deux milliards de personnes qui, de par le monde, n'ont pas accès à l'eau potable ! La vaccination telle qu'organisée, qu'on l'admette ou non, a été un échec. Si on avait procédé à une vaccination ciblée, en mobilisant tout le réseau sanitaire, elle aurait probablement été une réussite. Je n'ai pas de leçons à donner à quiconque mais je réagis en tant que citoyen, un peu plus au fait que d'autres de ces questions. Je n'aimerais pas que si c'était à refaire, on refasse la même chose, comme l'ont dit certains décideurs, notamment le directeur général de la santé. Je pense, pour ma part, qu'une réflexion est nécessaire et j'espère que votre commission d'enquête invitera à définir une nouvelle expertise mobilisant aussi la société civile. Toute décision sanitaire intéressant l'ensemble de la communauté ne peut rencontrer de succès que si on l'y a préalablement intéressée et associée, notamment par le biais du réseau des médecins généralistes. Une aussi mauvaise information et une aussi mauvaise communication ne doivent pas se reproduire.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Même si, face à l'incertitude qui existait au départ, on avait déclenché l'artillerie lourde et commandé 94 millions de doses de vaccins, pensez-vous qu'il aurait été possible en cours de route de décider de ne procéder qu'à une vaccination ciblée, au vu de ce qui s'était passé dans l'hémisphère Sud, en expliquant en toute honnêteté à la population que l'épidémie serait moins grave qu'on le craignait bien qu'elle puisse, comme la grippe saisonnière, être dangereuse pour certaines populations qui devaient, elles, se faire vacciner ?

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Pour avoir connu en Afrique des campagnes de vaccination massive imposées, j'en sais toute la difficulté. La quasi totalité des vaccinations généralisées à l'ensemble de la population se sont soldées par des échecs. Ce qui réussit, ce sont les vaccinations ciblées. Si on avait fait ce choix-là, la vaccination aurait été mieux comprise, mieux dispensée et mieux acceptée par la population. Il aurait suffi de commander douze à quinze millions de doses, ce qui aurait permis de vacciner largement toute la population scolaire et tous les groupes à risques comme les femmes enceintes. On a au contraire sorti la Grosse Bertha contre une grippe que d'aucuns ont qualifiée comme on le sait…

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Ne pensez-vous pas qu'en prenant position, avec d'autres, en faveur d'une vaccination ciblée, vous avez contribué aux réticences de nos concitoyens à se faire vacciner ?

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

On ne m'a pas demandé mon avis.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

J'ai dénoncé l'achat d'emblée de 94 millions de doses de vaccins, et je maintiens ma position. La commission d'enquête du Sénat m'a demandé ce que j'aurais fait si j'avais été à la place de la ministre de la santé. En aucun cas, je n'aurais commandé autant de vaccins. Le 30 août 2005, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, avait annoncé l'achat de 200 millions de masques et confirmé celui de 130 millions de comprimés de Tamiflu. Par ailleurs, avaient été commandés deux millions de doses de vaccins contre le virus non muté de la grippe H5N1 et réservés quarante millions de doses contre le virus muté. Les décisions prises à l'époque, alors même que le danger était beaucoup plus important, étaient beaucoup plus sages que celles prises à l'emporte-pièce face à la grippe H1N1. Je ne sais pas qui est responsable des choix faits l'année dernière mais c'étaient à l'évidence de mauvais choix.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je voudrais revenir un instant sur la définition de la pandémie. Une pandémie, c'est la dissémination d'un agent infectieux dans l'ensemble du monde, en tout cas sur une zone géographique très large, deux continents au moins, sans nécessairement de gravité potentielle. Toute l'ambiguïté réside dans le fait que nos concitoyens sont persuadés qu'une pandémie est mortelle.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Cet aspect fait partie des caractéristiques d'une pandémie.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Non, il peut y avoir des pandémies bénignes. Mais cela, personne ne veut l'entendre ! Une pandémie de grippe, c'est la diffusion d'un nouveau variant viral qu'on ne connaît pas et qui se répand très largement.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

L'Organisation mondiale de la santé en a modifié la définition.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Permettez-moi de lire les définitions qu'elle en donnait avant et après le 1er mai 2009. La mention « with enormous numbers of deaths and illnesses » a disparu après cette date. Pourquoi ? Des documents de l'organisation évoquaient aussi alors les centaines de milliers de morts que ferait la pandémie. « Même dans l'hypothèse la plus modérée, on dénombrera au bas mot jusqu'à 233 millions de consultations, cinq millions d'hospitalisations et sept millions de décès. » Pourquoi la notion de morbiditémortalité a-t-elle disparu à un moment donné ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je maintiens ma définition, tout en reconnaissant qu'il y a eu un sérieux problème de communication, ayant conduit à de mauvaises interprétations, qui n'ont pas été sans incidence sur les décisions prises.

Il est tout à fait vrai qu'on a extrapolé ce qui était préparé contre la grippe H5N1 à la grippe H1N1. Pour travailler depuis longtemps sur la question des infections émergentes, j'ai toujours trouvé regrettable qu'on se focalise sur un agent infectieux particulier pour élaborer un plan de prévention. À partir de structures générales de base, on pourrait adapter dans chaque cas la réponse aux caractéristiques de l'agent viral en cause, qu'il s'agisse de sa virulence, de ses capacités d'extension géographique, de sa létalité potentielle et des moyens thérapeutiques disponibles.

Le virus H5N1 était en effet potentiellement très dangereux mais les cas de décès constatés chez l'homme, imputables au H5N1, résultaient tous d'un virus aviaire. La virulence d'un virus mutant, capable de transmission interhumaine, n'était absolument pas connue.

PermalienPhoto de Catherine Génisson

Toutes les contaminations de l'animal à l'homme avaient toujours donné lieu, semble-t-il, à au moins un décès.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Il s'agissait du virus aviaire. Mais ce n'est pas celui-là qui était redouté pour provoquer une pandémie chez l'homme. Ce qu'on craignait et dont on ignorait les conséquences potentielles, c'était la mutation du virus aviaire.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

On ne savait d'ailleurs pas si la mutation augmenterait ou diminuerait la létalité.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je ne m'exprimerai pas, pour ma part, sur l'Organisation mondiale de la santé. Le professeur Marc Gentilini a fort bien dit tout le bien qu'il fallait penser d'une manière générale de l'existence d'une telle organisation, même si sa gestion peur prêter à critique. Elle a certes géré de manière très vite alarmiste la grippe H1N1. Je ne dis pas cela pour la défendre, mais je rappelle néanmoins que lorsqu'est déclenché le seuil 6 d'alerte, des mesures, notamment administratives, sont prises qui facilitent la tâche des laboratoires pharmaceutiques et leur permettent d'accélérer la fabrication des vaccins.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Tout à fait. L'un n'est peut-être pas indépendant de l'autre…

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Chaque pays peut faire ce qu'il souhaite en fonction de ses moyens. Il faut se féliciter que la France ne soit pas passée au stade 6. Mais que l'Organisation mondiale de la santé l'ait décidé, elle, pour des raisons qui la regardent, on peut à la rigueur le comprendre.

PermalienPhoto de Catherine Génisson

L'Organisation aurait dysfonctionné par excès dans l'application du principe de précaution, avez-vous dit. Peut-on éliminer toute arrière-pensée dans sa position comme dans les discours des différents experts ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je ne sais pas répondre à cette question.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Le déclenchement d'une alerte de niveau 6 facilite la fabrication accélérée des vaccins par les laboratoires. Puisque nous réfléchissons aux moyens d'améliorer les choses dans le futur, plutôt que de « contraindre » l'Organisation à déclencher une telle alerte pour obtenir la livraison de vaccins dans des délais raisonnables, peut-être pourrions-nous, nous, trouver les moyens de faciliter les procédures sans que l'on ait à aller jusque là. Serait-ce utile ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Oui, surtout au niveau international, car il est franchement déraisonnable de devoir déclencher une alerte de niveau 6 pour mettre en place des plans de prévention, qui devraient pouvoir être déployés même en cas de maladie infectieuse bénigne.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

C'est l'application stricte du règlement sanitaire international, validé par tous les États, dont la France.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

À la lumière de cette expérience, peut-être ce règlement pourrait-il être modifié. Notre pays pourrait précisément porter un message en ce sens.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Le représentant de l'État français, M. Didier Houssin, directeur général de la santé, votera-t-il en faveur du renouvellement du mandat de Mme Margaret Chan ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

Nous avons d'autres représentants, en la personne notamment du secrétaire exécutif du groupe stratégique consultatif d'experts sur la vaccination, M. Philippe Duclos.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Vous nous avez dit, Monsieur François Bricaire, que la dangerosité potentielle du virus H1N1 est demeurée longtemps mal connue. Mais il faut reprendre les choses à l'origine. L'épidémie serait partie de La Gloria au Mexique, dans un élevage porcin – d'où le nom initial de grippe mexicaine ou porcine. La première souche a toutefois été isolée en Californie. Il y a eu beaucoup de morts parmi les animaux du fait notamment de leurs conditions d'élevage. On devrait d'ailleurs peut-être aider le Mexique à construire des stations d'épuration et les éleveurs mexicains à se débarrasser de leurs animaux morts sans polluer la nappe phréatique.

Dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'Organisation mondiale de la santé du 22 mai 2009, il est fait état de 45 cas mortels au Mexique, mais à cette date, l'épidémie est pratiquement terminée dans ce pays. À La Gloria, le pic a eu lieu fin avril. Sur la base de ces seuls 45 morts au Mexique, pays aux conditions sanitaires précaires, avec toutes les fragilités qui peuvent s'ensuivre pour la population, on déclenche une alerte sanitaire mondiale. Voilà ce que je ne peux pas comprendre, pas plus que le fait qu'on se soit interrogé encore en décembre en France sur la létalité de ce virus. Sur quelles bases a-t-on décidé d'une telle stratégie vaccinale et d'une telle mobilisation des États ? Au moment même où l'organisation mondiale de la santé s'alarmait, le responsable du Center for Disease Control and Prevention aux États-Unis déclarait, lui, que cette grippe tuait moins qu'une grippe saisonnière. Voilà la question à laquelle nous aimerions que soit apportée une réponse afin qu'une prochaine fois, notre ministre de la santé, quel qu'il soit, ne soit pas placé dans la même situation que celle dans laquelle s'est retrouvée Mme Roselyne Bachelot-Narquin, avec notamment le professeur Antoine Flahault qui, trois jours avant la commande des vaccins à GlaxoSmithKline, le 12 mai 2009, déclarait qu'il y aurait « au bas mot, 30 000 morts en France. » Je comprends que, devant de telles affirmations, la ministre ait décidé de faire le maximum. Soit dit au passage, je suis choqué qu'un professeur exerçant des responsabilités de si haut niveau nous ait dit, lorsque nous l'avons auditionné, que son seul conflit d'intérêts potentiel était l'emploi de sa femme au groupement « Les Entreprises du médicament », le LEEM, alors que la commission d'enquête sénatoriale lui a fait avouer qu'il siégeait au conseil scientifique de cet organisme. Il ne nous l'a pas dit, semble-t-il, parce que ce conseil a été dissous en février dernier. Il n'empêche que durant toute l'épidémie, il en était membre, et qu'il va en tout état de cause l'être de l'organe appelé à lui succéder.

La stratégie adoptée en France repose-t-elle sur le moindre élément scientifique ? Y a-t-il eu beaucoup plus de morts en Pologne, pays qui n'a pas vacciné ? Il y en a eu 132 en France, selon l'Institut national de veille sanitaire, dont 50 qui n'avait aucune pathologie associée. C'est, hélas, toujours trop, mais c'est moins que le nombre de tués sur la route en un mois ou de suicides chez les jeunes. Ce que je déplore, c'est ce consensus intellectuel, cette « pensée unique » des experts qui travaillent en circuit fermé sans entendre ce que dit la société. Dès le mois de mai 2009, les généralistes avaient compris, aux dires de leurs homologues de l'hémisphère Sud, que cette grippe ne serait pas grave. Et on nous dit qu'on n'en savait rien encore en juillet-août, ou plus tard même ! C'est cela qui interpelle, encore davantage que les ratés de la gestion de la pandémie sur le plan national, qui pourraient toujours être corrigés une autre fois. C'est à la source qu'il faut éviter que puissent se reproduire de tels errements.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je ne voudrais pas avoir l'air de défendre qui que ce soit. Je vous réponds sur la base d'éléments que j'espère les plus scientifiques possible. Il est vrai que le Mexique a initialement déclaré des décès imputés finalement à tort à la grippe. La surveillance épidémiologique dans ce pays n'est pas aussi facile et donc fiable que dans d'autres. Quoi qu'il en soit, à ce stade, on craignait une pandémie qu'on voyait, j'allais dire enfin, arriver…

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'ai moi aussi le sentiment qu'on attendait tellement une pandémie que lorsque celle-ci est arrivée, on s'est dit que c'était la bonne !

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Tout à fait. Et il y a bel et bien eu pandémie.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Mais pas la pandémie mortelle, attendue, redoutée – ou espérée – par les spécialistes !

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Chacun devrait s'en réjouir.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Il faut voir comment l'information était traitée au journal télévisé de 20 heures et dans la presse – il est un grand quotidien du matin que je ne peux plus lire tant m'a choqué la manière proprement scandaleuse dont y a été relatée l'épidémie de grippe A. Pendant des mois, la désinformation a succédé à la désinformation. On annonçait presque avec délectation les morts, surtout quand, « enfin », il y en avait un sans pathologie ni facteur de risque associés. Il ne faut pas que cela puisse se reproduire.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Nous en sommes d'accord. Les médias ont exprimé des regrets, les scientifiques j'en suis moins sûr. Il n'y a pas eu le nombre de morts attendus – pour ne pas dire souhaités. On a en effet pu se demander à un moment si certains ne souhaitaient pas des morts pour justifier le dispositif mis en place.

Cela étant, dans l'incertitude, il était normal de se mobiliser. Il est difficile de savoir si un virus, toujours potentiellement mutant, ne mutera pas. Souvenons-nous qu'en 1918, la première vague de grippe espagnole au printemps avait été bénigne et que ce n'est qu'après la mutation du virus, que la seconde vague à l'automne fut aussi meurtrière.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Est-on sûr que c'était le même virus ?

PermalienFrançois Bricaire A priori

, oui.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Avait-on clairement identifié la souche virale en 1918 ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Non, on ne savait pas le faire. Mais nous avons aussi l'expérience des épisodes de 1957 et 1968.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

Les antibiotiques n'existaient pas encore en 1918 et sans doute la majorité des victimes de la grippe espagnole sont mortes non pas du virus lui-même, mais de complications pulmonaires bactériennes, liées aux pneumocoques.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

En outre, du fait de la guerre, la population souffrait également de dénutrition, ce qui la fragilisait.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

C'est toutefois en Amérique du Nord que la grippe espagnole a fait le plus de victimes alors que c'est en Europe que la population avait le plus souffert. Mais en effet, ce sont bien des surinfections pulmonaires qui tuaient l'essentiel des grippés, en particulier âgés, alors que les plus jeunes étaient plus atteints par le virus.

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Ne vaudrait-il donc pas mieux vacciner à large échelle contre les pneumocoques ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Je suis un farouche partisan de la vaccination contre le pneumocoque, notamment pour les sujets fragiles ou à risques.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Messieurs, nous vous avons beaucoup interrogé sur les virus, beaucoup moins sur ce que vous avez constaté de cette grippe dans le cadre de vos fonctions. Vous avez certainement reçu à l'hôpital des patients infectés par ce virus. Quelles atteintes avez-vous directement observées ? Quelles propositions auriez-vous à faire ?

Par ailleurs, la multiplicité des autorités sanitaires amenées à se prononcer, chacune sur le seul aspect du problème pour lequel elle est sollicitée, ne finit-elle pas par être dommageable, notamment en matière de communication ? Ne serait-il pas utile de regrouper certaines de ces autorités ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Dans le service de maladies infectieuses que je dirige à La Pitié-Salpêtrière, j'ai en effet reçu un certain nombre de cas, initialement des cas suspects qui se sont ou non confirmés, mais qui, en tout cas, étaient tous bénins.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Vous n'avez pas eu à traiter de syndrome de détresse respiratoire aigu ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Non, mon service n'étant pas équipé pour ce faire. Plus tard, lorsque les patients étaient traités en ville, nous en avons reçu quelques-uns plus sévèrement atteints qui nécessitaient une hospitalisation pour gêne respiratoire ou troubles neurologiques. Mais pas plus d'une centaine de patients n'ont été hospitalisés dans mon service pour cause de grippe. En revanche, en tant que « responsable grippe » à La Pitié-Salpêtrière, j'ai été amené à travailler avec mes collègues réanimateurs. Et il y a eu des malades hospitalisés en réanimation pour syndrome de détresse respiratoire aigu, avec parfois nécessité de mise en place d'une assistance respiratoire extracorporelle. Seuls les cardiologues peuvent le faire et c'est donc le service de réanimation cardio-vasculaire qui a été très sollicité, et non le service de réanimation pneumologique comme attendu. Au total, ont été hospitalisés un nombre limité de malades présentant une grippe bénigne et un nombre faible de malades beaucoup plus sévèrement atteints, dont certains sont décédés.

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Oui, s'ils avaient pu être pris très tôt, dès l'apparition des premiers symptômes. Dans les formes sévères, il était trop tard pour en donner aux patients lorsqu'ils arrivaient à l'hôpital.

PermalienMarc Gentilini, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses

L'Académie de médecine, dont l'approche est transversale, devrait permettre de dépasser les difficultés que pose l'approche, toujours sectorielle, des autres autorités sanitaires, structures plutôt verticales. Toutefois, la Haute Autorité de santé ou le Haut conseil de santé publique, de par le nom même qui leur a été donné, devraient eux aussi avoir une vue globale. Il serait bon de dresser l'inventaire de toutes ces instances, de savoir à quoi elles servent exactement, combien elles coûtent et s'il n'y a pas des redondances, ce qui me paraît à évident.

Lorsque j'ai remis au Gouvernement en avril 2009 le Plan national Santé Environnement 2 – PNSE 2 – que j'avais élaboré, j'ai incidemment demandé comment il s'articulait avec tous les autres. Je vous remets la liste de tous les plans mis en oeuvre par le ministère de la santé, qu'il serait intéressant que vous examiniez de plus près. Je suis sidéré par les dysfonctionnements d'un ministère aussi important !

Le milliard et demi d'euros dépensés en France pour cette grippe est à mettre en regard par exemple des 145 000 euros dont dispose l'attaché sanitaire auprès de l'Ambassadeur de France au Viêt-Nam pour toute l'année 2010 contre les 91 millions de dollars de son homologue aux États-Unis. Un milliard et demi d'euros, c'est aussi deux fois le montant des crédits du plan Cancer, lequel n'est doté que de 750 millions d'euros pour la période 2009-2013. Faut-il rappeler aussi, dans un autre ordre d'idées, que l'ensemble des ambassades françaises dans le monde n'ont pour conduire l'ensemble de leurs activités, que 82 millions d'euros ? On ne peut qu'être effaré lorsqu'on porte le regard au-delà de l'Hexagone, comme nous devrions tous le faire. Plus d'esprit critique serait nécessaire et si je suis heureux de payer des impôts, je le serais encore davantage si cet argent était bien utilisé !

Je suis très inquiet de tous ces dysfonctionnements. Je vous supplie donc, messieurs les parlementaires, de faire en sorte que pareil épisode ne se reproduise pas à l'automne prochain. Il est, hélas, à craindre que les mêmes équipes n'aient les mêmes réflexes et que l'on retombe donc dans les mêmes travers.

PermalienPhoto de Catherine Génisson

À quelles conditions le Tamiflu est-il efficace contre la grippe et, bien prescrit, peut-il empêcher l'évolution vers les formes plus sévères, rares mais très graves ?

PermalienFrançois Bricaire, professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière

Comme la plupart des antiviraux, les anti-grippaux comme le Tamiflu et le Relenza d'ailleurs, ne sont efficaces que lors de la phase d'intense multiplication du virus qui suit immédiatement l'infection. Dans l'absolu, le Tamiflu est efficace contre la grippe, certes pas à 100 %, mais, prescrit dans les premières heures, son efficacité est de 70 à 80 %. Prescrit dans les quarante-huit heures, elle tombe à moins de 50 % et au-delà, elle devient quasi-nulle. Peut-il éviter les formes graves de la grippe ? Oui, en théorie, s'il a été administré assez tôt. De nombreuses discussions ont d'ailleurs eu lieu pour savoir s'il fallait en donner systématiquement ou non à titre préventif. Pour des patients dont la situation risquait de s'aggraver, attendre pour en prescrire représentait potentiellement une perte de chance.

PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Je vous remercie, messieurs les professeurs, de votre participation à nos travaux.

La séance est levée à vingt heures.