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Commission des affaires étrangères

Séance du 14 décembre 2011 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

Désignation par adjudication de plates-formes d'enchères communes (n° 4077) et d'une instance de surveillance des enchères (n° 4078)

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Jacques Guillet, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication de plates-formes d'enchères communes (n° 4077) et le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de la désignation par adjudication d'une instance de surveillance des enchères (n° 4078).

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

M. le Président, mes chers collègues, je vais tenter d'être clair et synthétique sur ces deux projets d'accord, qu'on nous demande, comme au Sénat, d'examiner sous des délais très brefs. La deuxième phase d'enchères de quotas au sein de l'Union européenne (UE) s'achèvera le 31 décembre 2012. Si la France ne veut pas se contenter d'être observatrice pour la mise en place du nouveau système, qui interviendra au cours de l'année 2012, il lui faut ratifier ces deux accords avant le 31 décembre 2011.

Nous sommes au coeur de l'actualité en examinant ces textes juste après la publication du dernier rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) et juste après la fin de la conférence de Durban. D'après le rapport du GIEC du 18 novembre 2011, nous allons vers un climat de plus en plus extrême. L'objectif de limiter la hausse des températures à deux degrés au cours du présent siècle ne sera sans doute pas atteint. Il faut s'attendre à 4 ou 6 degrés de plus. Il en résultera d'importantes vagues de chaleur et un accroissement des pluies torrentielles.

La conférence de Durban peut donner lieu à plusieurs grilles de lecture : comme à Copenhague et à Cancun, une déception certaine prévaut, puisque les décisions prises n'apparaissent pas à la hauteur des enjeux. L'aspect positif provient de l'espoir de rédiger un texte qui succèdera au Protocole de Kyoto. Il s'agit certes d'un compromis a minima, mais pour la première fois, les Etats-Unis, la Chine, le Brésil et l'Inde ont accepté l'idée de s'engager formellement vers des objectifs de réduction de leurs émissions, avec l'objectif d'aboutir en 2015 à un accord sur ce point. Il s'agit d'un succès pour l'Union européenne. 195 pays sont désormais prêts à suivre la feuille de route qu'elle propose. Les 37 pays les plus industrialisés signataires du Protocole de Kyoto ne seront ainsi plus les seuls à fournir des efforts puisqu'ils seront rejoints par les pays émergents.

Durban a également confirmé la mise en place du Fonds vert créé à Cancun, mais il s'agit juste d'une déclaration de principe puisque aucun pays ou instance ne sait comment trouver les 110 milliards de dollars qui doivent l'abonder.

En résumé, un résultat mitigé en l'absence d'avancées concrètes et d'un engagement plus ferme en faveur de sociétés plus sobres en carbone.

L'absence de résultat ne signifie en aucun cas qu'il y a inertie de l'ensemble des pouvoirs publics à travers le monde ou des opérateurs économiques. Le clivage s'établit entre pays qui acceptent de se soumettre à des règles internationales (Union européenne) et pays qui estiment préférable de mettre en place des politiques écologiques à leur rythme, comme les Etats-Unis et la Chine, en pariant plus sur le progrès technologique que sur des obligations issues d'accords internationaux.

L'Union européenne n'a pas attendu les échecs des conférences multilatérales sur le climat pour agir, avec son plan Climat, et de nouvelles réflexions pour une réduction supplémentaire d'émissions de CO2 à l'horizon de 2020, puis de 2050. Il en est de même pour plusieurs Etats fédérés des Etats-Unis et pour la plupart des Provinces canadiennes.

J'en arrive aux quotas de gaz à effet de serre (GES) pour rappeler qu'ils sont issus de l'échec de la mise en place d'une fiscalité carbone au début des années 90 ; la plupart des pays industrialisés se sont tournés en conséquence vers un mécanisme de marché, via un système d'échange de quotas.

L'Union européenne a mis en place son système en 3 phases :

– De 2005 à 2007, une phase expérimentale a été mise en oeuvre. Dans les grandes lignes, le plafond de quotas a correspondu aux objectifs que l'UE s'assignait pour 2012, soit 2,29 milliards de quotas chaque année, à raison de 500 millions pour l'Allemagne et 157 millions pour la France. Cette différence importante entre nos deux pays s'explique par l'importance du parc nucléaire en France, qui n'émet pas de CO2, à comparer avec le nombre considérable de centrales à charbon et à lignite outre-Rhin. Ces quotas ont été alloués à titre gratuit. En raison du manque de données fiables, le système a reposé sur les déclarations volontaires des industriels. Il s'est avéré que l'allocation totale a été surévaluée de 4 % environ.

– La seconde phase (2008–2012) a été plus contraignante. L'UE pouvait se fonder sur des données plus exactes et visait surtout à respecter les engagements pris à Kyoto. 90 % des quotas ont été gratuitement attribués.

– La troisième phase commencera en 2013. Elle se caractérisera par :

• l'intégration des activités aériennes et de nouvelles activités, notamment dans le secteur de la chimie ;

• l'extension du périmètre en assujettissant de nouveaux gaz en sus du dioxyde de carbone ;

• enfin, la mise aux enchères de quotas payants alloués par les États membres. Pour éviter certaines délocalisations, 50 % des quotas demeureront d'attribution gratuite. Cette quotité devrait rester stable pendant toute la période 2013-2020.

Je rappelle que ce système de quotas, ventilés par pays et par secteur industriel, vise à favoriser les investissements en faveur des énergies renouvelables et de modes de production sobres en carbone. Il pallie l'absence de fiscalité carbone en pénalisant sur les marchés les entreprises qui n'accomplissent pas d'efforts en ce domaine.

Sur un plan financier, la mise aux enchères des quotas payants permettra aux États membres de percevoir des recettes supplémentaires. Pour la France, elles sont évaluées à 500 millions d'euros sur la base du cours actuel (8 euros la tonne). La France émet en effet de l'ordre de 120 millions de tonnes, dont la moitié sera mise aux enchères. Les Etats sont censés consacrer cette somme à des investissements en faveur des énergies renouvelables, mais comme elle sera d'abord versée dans le budget général, rien ne garantit juridiquement que de tels investissements auront bien lieu. C'est avant tout une question de volonté politique.

Pour organiser le système d'enchères, l'Union européenne souhaite mettre en place, pour 2013 :

– en premier lieu, une plateforme d'enchères de quotas, qui est une infrastructure de marché, utilisée en commun par la Commission européenne et les Etats membres qui seront parties à ce système ;

– en second lieu, une procédure pour désigner une instance unique de surveillance des enchères afin d'assurer la transparence de l'ensemble du système.

Ce sont ces deux points qui font l'objet des deux accords que nous examinons. Ceux-ci comprennent une cinquantaine d'articles, portant principalement sur des questions de procédure.

Les grandes lignes du fonctionnement seront les suivantes :

– Les quotas seront mis chaque semaine aux enchères. Les soumissionnaires apporteront leurs offres durant une période précise d'enchères sans connaître les offres des autres soumissionnaires.

– Si les enchères ne couvrent pas la totalité du volume des quotas, la séance d'enchères sera annulée. Il en sera de même si l'on observe un prix de clôture nettement inférieur au prix prévalant sur le marché secondaire.

– La mise aux enchères a vocation à aboutir à un transfert de propriété des quotas émis par l'Etat à des acteurs privés. Toute transaction donnera donc lieu à une livraison physique de quotas et à un paiement monétaire, comme sur un marché financier.

– Les quotas pourront ensuite, comme c'est le cas actuellement, être utilisés par les adjudicataires, soit pour les restituer aux États en compensation de leurs émissions, soit pour les négocier auprès d'autres entreprises sur le marché secondaire.

– Une instance de surveillance des enchères contrôlera tous les processus d'enchères. Elle sera désignée par les États membres à l'issue d'une procédure conjointe de passation de marché entre la Commission et les États membres pour une durée maximale de 5 ans.

– Rappelons enfin que l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Pologne, qui sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre de l'Union européenne, ont décidé d'utiliser la clause d'option prévue et choisi de conserver des plateformes nationales, en raison de l'expérience qu'elles y ont acquises. Elles souhaitent également maintenir des emplois d'opérateurs de marché sur leurs territoires nationaux. Elles ne sont donc pas des parties à l'accord pour la désignation de plateformes d'enchères communes, mais le règlement européen prévoit néanmoins que le fonctionnement de leurs plateformes sera proche de celui retenu pour la plateforme commune. L'option nationale ne concerne toutefois pas l'instance de surveillance qui a vocation à assurer la surveillance de l'ensemble des plateformes européennes communes comme nationales.

En définitive, la nature technique des deux projets d'accord dont a été saisie notre commission des Affaires étrangères ne doit pas masquer leur utilité ; il s'agit d'assurer la transparence sur la future plate-forme d'enchères de quotas de GES, alors que plusieurs incidents et tentatives de fraude ont, un temps, jeté la suspicion sur le seul mécanisme dont l'Union européenne dispose pour limiter les rejets de ces gaz dans l'atmosphère. Je recommande donc leur adoption par notre commission.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Je suis maire dans une région qui possède une raffinerie, des usines chimiques et je vois les rejets de ces industries. J'ai discuté avec les pétroliers et j'observe une tentation de fermer les raffineries en France pour les rouvrir sur la rive Sud de la Méditerranée, puisque la quantité de produits pétroliers utilisée est supérieure à ce que l'on produit dans notre pays. La loi de 1928 ne semble malheureusement plus d'actualité. Elle nous protégeait car elle imposait que tous les produits pétroliers utilisés sur le sol français soient raffinés en France.

Le droit à polluer et les quotas représentent une contrainte économique, qui peut engendrer une tentation de délocalisation. Y a-t-il une évaluation des conséquences de la mise en oeuvre de cet accord sur le tissu industriel français ? On voit la dimension libérale de ce permis de polluer mais n'y a-t-il pas un contrôle un peu plus planificateur, qui serait utile en parallèle de ce dispositif ?

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

Il n'y a pas d'estimation des conséquences économiques en termes de délocalisations dans l'étude d'impact fournie par le Gouvernement. Il y a une estimation des conséquences politiques et des conséquences financières, notamment le coût et le profit pour les Etats, mais cela ne répond pas à votre question. Il y a un risque mais une fiscalité carbone présenterait le même risque. Le système d'échanges de quotas se substitue à une fiscalité carbone mais ce n'est pas un obstacle aux délocalisations.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Je voudrais demander au Rapporteur s'il y a déjà des processus de ratification engagés dans les autres pays européens.

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

Oui, nous sommes parmi les derniers. C'est pourquoi il faut adopter le texte avant la fin de l'année, sinon, nous ne serions qu'observateurs. La France ne peut se permettre d'être simplement observatrice d'un accord de ce type. L'Espagne et la Finlande, qui n'est pas un gros émetteur, doivent également encore le ratifier.

PermalienPhoto de Christian Bataille

Notre collègue a grand mérite d'avoir démêlé les fils de cette « usine à gaz », pour employer une métaphore énergétique, qu'est le marché des droits à polluer. Dans le même esprit que notre collègue Jean-Paul Lecoq, je voudrais souligner le fait que ce principe s'inscrivait au départ dans une volonté de moralisation et de limitation de la pollution. Or il a été détourné de son intention initiale et il est devenu, sur le marché libéral, un instrument pour peser sur l'industrie, dans le mauvais sens.

Je vous donne une illustration pour vous montrer que l'Europe riche et opulente, c'est-à-dire l'Allemagne, dépouille une Europe plus pauvre et nécessiteuse de son droit au développement industriel. Je me suis rendu dans la région du Bade-Wurtemberg en Allemagne. Le ministre Vert de ce Land était fier de fermer les centrales nucléaires et de les remplacer par des centrales au charbon. Je lui ai demandé comment il allait pouvoir les construire. Il m'a dit que le Land allait racheter les droits à polluer en Roumanie et en Slovaquie. L'Allemagne opulente, le Bade-Wurtemberg étant la région la plus riche d'Allemagne, peut s'autoriser tous les caprices et changer la nature de ses centrales sur le dos de pays démunis proches, peut-être sur le nôtre puisque vous avez dit que nous avons des excédents. Ce n'est pas un bon principe car cela va créer des déséquilibres en Europe. Le droit au développement industriel doit être réparti de manière équitable entre tous les pays. Les déséquilibres créés vont profiter à l'Europe qui a de l'argent au détriment de ceux qui vont les vendre pour avoir le droit d'exister.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

On ne peut qu'être de votre avis. Imaginez ce qui se passerait en France si on était amené petit à petit à fermer nos centrales nucléaires !

PermalienPhoto de Jean-Jacques Guillet

Je suis entièrement d'accord avec ces observations et je confirme ce que je disais sur les délocalisations. Il ne faut pas oublier que plus le cours de la tonne de carbone est bas, plus c'est intéressant pour des pollueurs comme l'Allemagne. Si le Bade-Wurtemberg remplace les centrales nucléaires par des centrales thermiques, il profite du cours actuel du carbone, qui est très avantageux à moins de huit euros. S'il remonte à vingt-quatre euros comme c'était le cas à l'origine, c'est nettement moins intéressant et cela pourrait donc inciter les Etats à évoluer. Même si l'on peut contester et reconnaître les effets pervers du système, et je trouve qu'une fiscalité carbone serait plus simple, nous avons intérêt à ce que le système actuel fonctionne avec les cours les plus élevés possibles. Leur niveau dépend de la santé économique de nos pays respectifs.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la commission adopte sans modification les projets de loi (n° 4077 et n° 4078).

Maroc : avenant à la convention sur l'assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés (n° 3520)

La commission examine, sur le rapport de M. Eric Raoult, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc sur l'assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés (n° 3520).

PermalienPhoto de Éric Raoult

Nous sommes saisis d'un projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention de 1981 entre la France et le Maroc sur l'assistance aux personnes détenues et sur le transfèrement des condamnés, signé le 22 octobre 2007 et adopté par le Sénat en première lecture le 8 juin 2011. Cet avenant vise à augmenter les possibilités de transfèrements. Ce n'est pas anecdotique car le Maroc est le deuxième pays, après l'Espagne, en nombre de transfèrements de ressortissants français depuis l'étranger.

Quelques données, en premier lieu, pour illustrer la richesse et la densité des relations bilatérales avec le Maroc. La France est le premier partenaire du Royaume et notre pays dégage depuis dix ans un solde commercial positif important et croissant. Les échanges s'élevaient à 6,9 milliards d'euros en 2010 et représentaient 17,3% des échanges marocains. Notre part de marché est néanmoins en régression depuis 2000 en raison de l'ouverture du marché marocain, qui profite largement aux pays émergents, notamment la Chine, troisième fournisseur du Maroc depuis 2009.

750 filiales de sociétés françaises sont installées au Maroc, qui emploient 80 000 personnes et font de notre pays le premier investisseur étranger. Le flux des investissements directs en provenance de France représente la moitié de ceux reçus par le Maroc sur la dernière décennie : en 2009, il a ainsi atteint un montant de 700 millions d'euros, que les projets d'implantations de Renault et de ses sous-traitants devraient maintenir pour les prochaines années. La France est enfin le premier bailleur de fonds bilatéral, en matière d'aide au développement, avec 188 millions d'euros en moyenne annuelle depuis 1999. En y incluant les financements transitant par les organisations internationales, notre aide globale avoisine désormais les 260 millions d'euros par an.

Les relations culturelles sont tout aussi importantes : on dénombre 30 établissements français, 10 instituts et 3 alliances françaises dans le pays. Enfin, près de trois millions de Français ont visité le Maroc l'année dernière, qui est une des destinations touristiques préférées.

Concernant les communautés expatriées, 39 000 ressortissants français, dont 46 % de binationaux, sont inscrits aux registres consulaires, auxquels s'ajouteraient 25 000 à 30 000 résidents français non-inscrits. Le nombre de Marocains résidant en France, bien plus important, dépasse les 800 000 personnes, dont 350 000 binationaux.

Concernant la population concernée par la convention et l'avenant que nous devons examiner, il faut savoir que, à ce jour, 1773 ressortissants marocains sont incarcérés en France : 1288 sont condamnés et 485 sont en attente de jugement, et détenus à titre provisoire. D'un autre côté, 292 citoyens français, dont 56 possèdent la double nationalité, sont détenus au Maroc. 80 % des incarcérations font suite à des infractions à la législation sur les stupéfiants, notamment lors de saisies à la frontière. Presque la moitié des ressortissants français sont d'ailleurs détenus à Tanger. L'importance de ces chiffres souligne la nécessité d'une coopération judiciaire étroite pour traiter les affaires qui se présentent et les éventuelles condamnations de citoyens français ou marocains dans l'autre pays. Cette coopération entre la France et le Maroc existe déjà et il y a un peu plus de deux ans, nous avons autorisé la ratification d'une convention d'extradition et d'une convention d'entraide judiciaire, qui avaient été signées le 18 avril 2008. Elle est également renforcée par la présence dans les deux capitales de magistrats de liaison depuis 2002, qui facilitent sa mise en oeuvre pratique et renforcent les liens entre les juges et procureurs des deux pays.

L'objectif de la Convention franco-marocaine sur l'assistance aux personnes détenues et le transfèrement des condamnés du 10 août 1981 est de rapprocher les personnes détenues de leur environnement familial, professionnel et social et de mieux préparer leur réinsertion une fois leur peine exécutée. Il s'agit également de permettre aux citoyens français détenus au Maroc de bénéficier des dispositifs d'accompagnement et d'individualisation prévus par le droit français.

Bien que le nombre de Marocains détenus en France soit très supérieur au nombre de Français détenus au Maroc, le dispositif prévu par la convention de 1981 a été principalement utilisé par la Partie française. Sur la période 1999-2010, 173 dossiers de transfèrements ont été instruits dont 152 à l'initiative de la France et seulement 21 à la demande du Maroc. 52 transfèrements ont été effectués, dont 49 au bénéfice de Français pour seulement 3 Marocains, soit respectivement 32 % des demandes de la France et 14 % des demandes du Maroc.

Il est relativement rare que les demandes sur lesquelles la France a émis un avis favorable soient refusées. Certains dossiers qui n'ont pas encore abouti ont pu être abandonnés par le demandeur ou parce que le détenu a été libéré entre temps. Un certain nombre de cas sont toujours en instance. La lenteur du processus peut s'expliquer par les délais de traduction des documents, de délivrance de certificats de nationalité ou de la constitution des dossiers par le ministère marocain de la Justice, qui fait preuve d'une certaine inertie dans l'attente des éléments transmis, parfois très tardivement, par les juridictions marocaines. Malgré la lenteur des procédures, la coopération avec le Maroc fonctionne bien.

L'avenant élargit les possibilités de transfèrement. Il convient de noter que les Etats gardent toujours la possibilité de refuser un transfèrement et que cette décision est souveraine. La convention distingue les cas dans lesquels le refus est automatique et énumère des situations dans lesquelles il est au contraire possible. A cet égard, les articles 1 et 2 de l'avenant modifient les articles 6 et 7 de la convention et suppriment le motif de refus automatique fondé sur le fait que le détenu possède la nationalité de l'Etat condamnation. Le refus deviendrait donc facultatif, permettant ainsi l'application de la convention aux personnes possédant la double nationalité française et marocaine.

La deuxième modification porte sur les transfèrements quand le reliquat de peine est inférieur à un an. La convention de 1981 précisait dans son article 12 qu'« au moment de la demande de transfèrement, le condamné doit avoir au moins un an de peine à exécuter ». L'avenant prévoit que les Parties ont la possibilité de prévoir un transfèrement dans des « cas exceptionnels » si le reliquat de peine est inférieur à douze mois. Ces cas exceptionnels ne sont pas définis explicitement mais répondraient principalement à deux situations : en cas de perspectives de réinsertion favorables ou si les coûts du transfèrement sont faibles et que la mesure est donc proportionnée à son efficacité.

Les modifications apportées sont donc mineures mais permettront néanmoins une meilleure prise en compte des cas individuels. Il est difficile d'estimer à ce stade son impact réel sur le nombre de demandes de transfèrement, mais il devrait être limité compte tenu du nombre de binationaux actuellement détenus dans les prisons marocaines. En outre, l'avenant ne modifie pas les modalités de mise en oeuvre des transfèrements décrites précédemment. Les coûts liés au transfèrement du Maroc vers la France et à la garde des détenus sont pris en charge par le budget ordinaire de l'Administration pénitentiaire du ministère de la Justice et des Libertés. Ils s'élèvent à quelque 70 euros par jour et par détenu.

La Partie marocaine a récemment notifié à la France l'accomplissement de ses procédures internes et c'est donc la communication de l'instrument français d'approbation qui déterminera sa date d'entrée en vigueur. Je vous invite donc à approuver ce projet de loi.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Ce projet de loi me semble bon sur le fond. Je voudrais néanmoins savoir sur quel territoire il a vocation à s'appliquer. En d'autres termes, s'appliquera-t-il aussi dans la zone occupée du Sahara occidental ? Les habitants de cette zone se verront-ils reconnaître les mêmes droits que les Marocains ou sont-ils exclus du bénéfice de ses stipulations ? S'ils sont concernés, cela veut dire que la France reconnaît l'occupation de ce territoire, qui compte un nombre important de prisonniers politiques sahraouis, dont certains ont encore la nationalité espagnole.

PermalienPhoto de Éric Raoult

Dans la mesure où 80 % des Français détenus au Maroc le sont pour des affaires liées au trafic de stupéfiants, il ne devrait pas y avoir beaucoup de prisonniers politiques parmi eux ! Il ne faut pas avoir de telles lubies ! Ce que vous appelez une « zone occupée » constitue les provinces du sud, qui sont une région du Maroc.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Les Nations unies leur ont reconnu le caractère de territoire occupé pas plus tard que la semaine dernière !

PermalienPhoto de François Rochebloine

L'avenant dont la ratification est demandée est un texte technique. Mais l'étroitesse des liens qui unissent la France et le Maroc donne sans doute à ses dispositions une portée supérieure à un simple aménagement. Au demeurant, c'est bien l'existence en grand nombre de personnes jouissant de la double nationalité française et marocaine qui a justifié, pour partie, les négociations ayant conduit à la signature de cet avenant. J'ai deux questions.

L'existence d'une double nationalité, situation de fait, ne fait pas disparaître l'obligation d'assistance et de protection qu'a tout Etat envers ses ressortissants se trouvant sur le territoire d'un Etat étranger, à quelque titre que ce soit. La surveillance des conditions de détention et du respect des droits des détenus peut faire partie des éléments constitutifs d'une telle obligation. Comment s'exerce-t-elle dans le cadre des rapports bilatéraux franco-marocains ?

Les divergences fortes de traditions juridiques en ce qui concerne le droit du mariage et de la famille peuvent avoir des répercussions négatives en cas de mésentente entre les parents dont l'un réside en France et l'autre au Maroc ou dans un autre pays de droit musulman. A côté des contentieux purement civils, des condamnations à des peines de prison peuvent être prononcées, dans certains cas graves, en vertu de dispositions protectrices des droits de la femme et de l'enfant. L'application de la convention dont nous parlons aujourd'hui présente-t-elle, dans un tel contexte, des difficultés particulières et dans l'affirmative quel peut être, s'il y en a un, l'effet de l'avenant aujourd'hui discuté ?

PermalienPhoto de Éric Raoult

Je me rends régulièrement au Maroc, où je suis allé encore récemment assurer la surveillance des élections législatives. Je connais donc très bien les problèmes qui se posent concrètement.

Un nombre non négligeable de familles se trouve dans des situations très préoccupantes en France parce que l'un de leur membre est en prison au Maroc. On m'en a signalé une centaine dans mon département depuis le début de la législature. L'entrée en vigueur de l'accord permettra le rapprochement entre le condamné et sa famille.

Les conflits familiaux opposant une Française et un Marocain sont aussi fréquents : c'est en établissant un contact direct avec le ministère de la justice marocain que l'on peut arriver à régler certains dossiers.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Cet amendement va permettre à la France d'extrader ses ressortissants, quand bien même ils auraient la double nationalité, ce que je trouve absolument scandaleux et contraire à tous nos principes.

Certes, ces derniers avaient déjà été enfreints avec l'institution du mandat d'arrêt européen et le nouveau mécanisme fonctionnera surtout du Maroc vers la France, mais enfin, les principes sont foulés aux pieds.

Il me semble en outre que les prisons françaises sont déjà pleines et qu'il n'est pas souhaitable que des Français fassent leur peine dans les prisons marocaines.

Aussi, je m'abstiendrai.

PermalienPhoto de Éric Raoult

Je vous rappelle que l'accord conditionne le transfèrement au consentement du prisonnier… Mais il est vrai que la France n'extrade pas ses citoyens, même s'ils ont écrasé une jeune Israélienne, comme cela s'est produit récemment.

Le président Axel Poniatowski. Dans la mesure où le prisonnier n'est transféré – et non pas extradé – que s'il en est d'accord, il ne me semble pas que l'accord pose un problème de principe.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 3520).

La séance est levée à dix-sept heures cinquante-cinq.