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Commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux

Séance du 21 septembre 2011 à 15h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • emprunt
  • rastel
  • saint-Étienne

La séance

Source

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Nous reprenons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, que nous avions entamés avant l'été.

L'ordre du jour est particulièrement chargé. Nous entendrons tout à l'heure les représentants de la ville de Saint-Maur-des-Fossés, qui n'avaient pu prendre part à la table ronde du 6 juillet dernier. En accord avec le rapporteur, j'ai proposé cette « session de rattrapage » à notre collègue Henri Plagnol, maire de Saint-Maur, afin d'examiner en détail la situation de sa commune.

Mais auparavant je vous propose d'analyser un cas concret de collectivité confrontée à des emprunts toxiques, celui de la ville de Saint-Étienne.

Nous entendrons d'abord l'ancienne équipe municipale et poursuivrons nos travaux en auditionnant la nouvelle.

La Commission auditionnera enfin les responsables de la tutelle administrative et comptable à l'époque de la souscription des emprunts structurés : M. Michel Morin, préfet de la Loire entre 2002 et 2006, et M. Yves Terrasse, trésorier-payeur général de la Loire entre 2000 et 2005.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant notre commission d'enquête, qui a pour objet de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles des emprunts et produits structurés ont été souscrits auprès d'établissements de crédit et d'entreprises d'investissement par les collectivités territoriales, leurs groupements et les autres acteurs publics locaux.

M. Michel Thiollière, M. Antoine Alfieri, M. Jean-Claude Louchet et M. Jean-Michel Rastel prêtent successivement serment.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Monsieur Thiollière, dans quel but avez-vous souscrit des emprunts structurés au cours de votre second mandat, entre 2001 et 2008 ? Votre décision de baisser la fiscalité, dans un contexte démographique pourtant difficile, ne vous a-t-elle pas contraint à réduire par tous les moyens les charges, notamment financières ? Quand avez-vous pris conscience du caractère risqué de ces produits ? Pourquoi avez-vous malgré tout poursuivi la politique de gestion active de la dette stéphanoise, en souscrivant toujours plus de ces emprunts volatiles et opaques ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Monsieur Thiollière, par rapport au particulier qui engage ses économies, les collectivités ont une particularité : leur variable d'ajustement est la fiscalité. Il ne me paraît pas illégitime, lorsque les marges d'une collectivité se réduisent, d'envisager de réduire les charges financières afin de continuer d'offrir aux habitants les mêmes services sans augmenter la pression fiscale.

Toutefois, à Saint-Étienne, cette stratégie s'est révélée coûteuse et la souscription de produits structurés a abouti à une augmentation significative des charges financières, qui sont passées de 13 millions d'euros en 2004 à 14,9 millions d'euros en 2005, puis à 20 millions en 2006, 16,2 millions en 2007 et 15,4 millions en 2008, soit un ratio de 6,3 % des dépenses réelles de fonctionnement. C'est un ratio élevé comparé à la moyenne des collectivités appartenant à la même strate démographique, légèrement inférieure à 4 %. Je suis moi-même maire d'une ville où ce ratio est de 2 %. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

Je vous remercie de votre invitation. Nous nous efforcerons d'éclairer votre Commission sur cette période particulière qu'a traversée notre collectivité territoriale, avant la crise de 2008, avec l'espoir que les parlementaires que vous êtes pourront à l'avenir faire en sorte que soient mieux encadrées les relations entre les collectivités territoriales et les organismes bancaires, qui sont leurs principaux prêteurs.

Toutes les collectivités ne se ressemblant pas, je vais en quelques mots vous présenter la ville de Saint-Étienne et vous expliquer les raisons pour lesquelles nous avons eu recours à des emprunts structurés.

Saint-Étienne a connu un désastre industriel sans précédent. Après la guerre, notre ville a perdu toute son industrie – Manufrance, la manufacture GIAT Industries, le textile, les mines, notamment – et a subi de plein fouet toutes les reconversions industrielles qu'a connues notre pays.

Cela s'est traduit par la perte de dizaines de milliers d'emplois et par un exode de la population puisque nous sommes passés de 220 000 à 170 000 habitants en cinquante ans – notre ville a perdu 50 000 habitants en quelques décennies ! Comme le relève la chambre des comptes de la région Rhône-Alpes, une ville qui perd sa population dans de telles proportions dispose de moyens de fonctionnement qui n'ont rien à voir avec ceux d'une ville qui connaît une extension croissante de sa démographie. D'autant que la population qui est partie était globalement la plus solvable et que celle qui est restée est parmi les plus fragiles – notre PIB par habitant était très inférieur à la moyenne nationale. La pauvreté relative de sa population, une perte démographique considérable ainsi qu'une tragédie industrielle que peu d'autres villes ont connue ont fait de Saint-Étienne un exemple pour les experts internationaux, qui sont venus étudier son cas au même titre que ceux de Bilbao, Sheffield ou le bassin de la Ruhr, sans pour autant nous apporter de solutions.

Il fallait relancer la ville. C'est la raison pour laquelle, en 1994 et 1995, nous avons décidé de lancer un projet urbain qui visait à résorber les friches industrielles. La présence de friches entraîne nécessairement une perte de recettes pour une ville car, non seulement elle perd de la fiscalité et des emplois, mais en plus elle doit acheter les friches. Il fallait donc trouver des soutiens. Je les ai trouvés en créant en 1995 la communauté d'agglomération. Les 43 communes qui la composent ont épaulé la ville de Saint-Étienne, tout comme la population stéphanoise, qui a compris les enjeux de cette évolution, mais aussi l'État, qui, décidé à aider une ville en déclin, a accepté de créer deux établissements publics : l'un destiné à résorber les friches industrielles, l'autre à créer de l'aménagement et à restructurer la ville. C'est un avantage rare que nous partageons avec la ville de Marseille.

Saint-Étienne était alors une ville très endettée par habitant et elle l'est toujours, ayant perdu une part de sa population. Nous avons donc fait le maximum pour redresser la ville tout en la désendettant, afin qu'elle retrouve des capacités d'investissement. Et nous avons réussi puisqu'en quinze ans nous avons réduit la dette de la ville de près de 100 millions d'euros.

Jusqu'en 2008, nous avons centré notre action principalement sur la baisse de la dette et le maintien des taux de fiscalité, même si, sur ce point, nous n'avons pas fait autant que nous le souhaitions. La population la plus solvable, qui habitait à la périphérie de la ville, avait la chance de payer de deux à trois fois moins d'impôts locaux que les Stéphanois. Dans un souci d'équité, nous avons souhaité rétablir l'équilibre, sachant que les charges de centralité étaient portées par la seule ville de Saint-Étienne que les impôts payés par les Stéphanois devaient être revus à la baisse.

Nous avons dans le même temps souhaité investir pour restructurer la ville, et pour cela nous avons eu besoin d'emprunter. Comme toutes les collectivités, nous avons ouvert le jeu en direction des banques et choisi les produits les moins chers sur le marché de l'époque.

La chambre régionale des comptes indique dans son rapport que, si nous avions souscrit à des taux fixes de 3,60 %, cela aurait représenté une charge supplémentaire de 14 millions d'euros pour la ville de Saint-Étienne. Or je suis obligé de vous dire que nous avions besoin de ces 14 millions d'euros. Nous avons bénéficié de taux d'intérêt très bas. Comme beaucoup d'autres collectivités, nous avons géré notre budget de façon active afin d'économiser les moyens financiers de la ville. Peu de grandes collectivités ont échappé aux produits structurés, comme l'indiquait un rapport publié en juin dernier par le journal Le Monde.

Ainsi que le souligne la chambre régionale des comptes, j'avais dès 2006 demandé à nos services de veiller à réduire le nombre des emprunts structurés, mais il n'est pas raisonnable, pour une collectivité, de changer de cap à 180 degrés du jour au lendemain. Il fallait se désengager peu à peu, sécuriser davantage la dette et faire en sorte de retrouver des moyens – ce que j'appelle la « matière fiscalisable » –, grâce au retour des entreprises et des ménages dans la ville.

Nous avons souscrit des emprunts pour épargner le plus possible le budget de la ville et retrouver des marges de financement disponibles pour les investissements. Le fait pour une ville de passer de 220 000 à 170 000 habitants ne supprime pas du jour en lendemain l'entretien des écoles et des kilomètres de voirie : il faut continuer à entretenir la ville et à l'aménager comme si elle avait conservé 220 000 habitants. Quand une ville perd un quart de ses habitants, l'équipe municipale doit se battre chaque matin pour réaliser des économies, y compris sur les moyens de fonctionnement. La ville de Saint-Étienne compte 3 500 fonctionnaires municipaux. Nous avons peu à peu réduit la masse salariale, qui représente 53 % du budget de la ville, de manière à épargner les contribuables et aider la ville à redémarrer.

J'avais souhaité remettre à chacun d'entre vous un document incontesté et incontestable puisqu'il émane de la London School of Economics (LCE), qui a étudié sept villes européennes en danger de désindustrialisation. Dans un rapport approfondi de 40 pages relatif à la situation de Saint-Étienne, la LSE concluait que nous étions sur la bonne voie. Je ne dirai pas que nous avons tout parfaitement réussi mais, si nous avons emprunté – pas plus d'ailleurs que de nombreuses autres collectivités – c'est que nous avions besoin de trouver les moyens de relancer l'économie.

Les ménages stéphanois solvables, soit à peu près un sur deux, n'en pouvaient plus de payer tant d'impôts. Sans faire de miracle, nous avons essayé de maintenir le taux de fiscalité. Nous avons comparé le cas de Saint-Étienne avec celui de Montpellier, mais cette dernière est passée en quarante ans de 170 000 à 240 000 habitants. Je ne dis pas que tout est facile pour Montpellier, mais la ville retrouve de la ressource et cet afflux de population nécessite de nombreuses constructions. À Saint-Étienne, en revanche, il nous fallait gérer d'innombrables friches industrielles et urbaines. L'État doit soutenir les villes en difficulté. C'est ce qu'il a fait, comme vous le dira tout à l'heure le préfet de l'époque, Michel Morin, qui avait expliqué à l'administration centrale la situation de Saint-Étienne et la nécessité de faire appel à la solidarité nationale. Il fallait que nous trouvions les moyens de rebondir. Nous les avons trouvés en créant deux établissements publics : l'EPORA, pour gérer les friches industrielles, et l'EPA, créé pour accélérer l'aménagement de la ville, qui fut doté en 2007 de 120 millions d'euros. Tous ces éléments ont été longs à mettre en place.

Une ville est comme un gros paquebot : elle ne se manie pas facilement. Il faudra sans doute de nombreuses années pour rétablir l'équilibre.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Je note une contradiction entre vos propos et la situation décrite dans le rapport de la chambre régionale des comptes. C'est une bonne chose que d'avoir utilisé ce type d'outil pour dégager des marges et investir mais, entre 2004 et 2008, vos dépenses de fonctionnement évoluent plus que vos produits : plus 17 millions d'euros, soit une augmentation de 14 %. Cette évolution touche particulièrement les charges de personnel. Le magistrat mentionne que, lorsque le risque survient, vous utilisez vos marges pour régler des charges de fonctionnement sur lesquelles vous ne pourrez pas revenir, ce qui a encore un impact sur la situation actuelle de la ville. D'ailleurs, au cours du conseil municipal du 7 janvier 2008, il est dit que la quasi-totalité de la dette est considérée comme une variable d'ajustement. Je comprends votre logique, mais je ne la retrouve pas dans les comptes de la ville.

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

Ce que dit la chambre régionale des comptes est clair : notre potentiel fiscal, qui traduit la richesse relative de nos concitoyens, était très en dessous de la moyenne. En 2004, il était de 667 euros par habitant alors que la moyenne pour les collectivités de même strate était de 718. En 2008, nous nous trouvions sur une pente très légèrement croissante, nous avons donc augmenté le potentiel fiscal. Dans le même temps, les charges de fonctionnement représentaient 1 424 euros par habitant, contre 1 255 pour les communes de même strate. Comme l'indique la chambre régionale des comptes dans son rapport, « la baisse démographique n'est pas sans incidence sur les ressources encaissées et constitue un facteur aggravant de la situation ».

Vous devez en être persuadés, mesdames et messieurs les députés, on ne peut gérer le déclin d'une ville en utilisant des méthodes classiques. Tous les experts internationaux que j'ai rencontrés vous le diront, on ne va pas au secours d'une ville sans faire quelques sacrifices ni utiliser une méthode volontariste. C'est ce que nous avons choisi de faire. Je ne prétends pas que c'est une solution parfaite, mais je n'en connais pas d'autre. En outre, je ne connais pas de grande ville française qui se soit trouvée dans une situation comparable à celle de Saint-Étienne.

Dans sa réponse à la Cour des comptes, le maire de Bordeaux indique qu'ayant baissé sa dette de 100 millions d'euros, il ne comprend pas pourquoi la Cour lui pose des questions – nous, à Saint-Étienne, nous avons aussi fait baisser la dette. Quant à la présidente de Lille-métropole, elle indique qu'il appartient aux pouvoirs publics de réguler les relations entre les banques et les collectivités territoriales – je ne dis pas autre chose.

Nous étions dans une période tout à fait différente de celle que nous connaissons depuis 2008. Aucune demande de précaution particulière n'avait été adressée aux collectivités et pas un seul banquier ne nous avait alertés. Les représentants de l'État eux-mêmes n'étaient pas plus informés de la dangerosité de certains produits et de la survenue de la crise. Compte tenu des circonstances, ce que nous avons fait a permis d'équiper la ville, de relancer l'investissement et de maintenir la fiscalité et la dette à des niveaux raisonnables. Je le répète, si la ville continue de perdre des habitants, le ratio par habitant restera important.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Cette baisse de la démographie me semble contradictoire avec l'évolution des effectifs. Quant aux ressources, elles ne servent qu'à augmenter les charges de fonctionnement.

Je voudrais interroger M. Alfieri sur un point : dans les réponses aux observations provisoires de la chambre régionale des comptes, M. Thiollière indique qu'au cours de la période allant de 2000 à 2007, au cours de laquelle beaucoup d'emprunts structurés ont été contractés, personne n'avait formulé de mise en garde. N'avez-vous jamais été alertés par vos banquiers ?

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Jamais ! Il est un peu réducteur de comparer les années 2004 et 2008, car lorsque nos frais financiers atteignaient 13 millions d'euros, nous avons réussi à les réduire de 2,14 % grâce aux produits de pente que nous avions choisis avec M. Rastel. Pour analyser correctement notre action, il faudrait pratiquement remonter à l'année 2001. En 1995, les frais financiers de la ville de Saint-Étienne représentaient 17 % des dépenses de fonctionnement, ce qui constituait le record de France. Mais compte tenu de l'ampleur de la dette, 37 % des budgets servaient à rembourser le capital et les intérêts. Aucune ville n'a eu à gérer un tel phénomène. Dans le même temps, nous subissions une baisse de la démographie. Mais nous n'avons jamais dépassé, et c'est toujours vrai aujourd'hui, le taux de 4 % de frais financiers dus à la dette. Le taux de 6,5 % n'existe que pour les produits toxiques.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Le taux de 6 % que j'ai évoqué correspond à la part des frais financiers sur les charges d'exploitation.

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Nos frais financiers, après avoir été légèrement supérieurs à 20 millions d'euros, sont tombés à 13 millions puis remontés à 20 millions lorsque nous avons rompu notre contrat avec M. Rastel – nous n'avions alors pratiquement que des produits de pente. L'erreur que nous avons commise et que nous avons tous « cosignée » est d'avoir fait confiance aux services et aux banquiers. Michel Thiollière nous ayant demandé de sécuriser notre dette, en 2006, nous n'avons pas reconduit le contrat de M. Rastel. Les banques, connaissant le montant de 116 millions d'euros que nous avions en produits de pente, ont harcelé nos services pour que nous transformions les produits dits « à risques ». C'est ainsi que nous avons fait le choix de contre-swaps dix fois plus dangereux que les swaps. Voilà ce qui s'est passé ! Les services nous les ont présentés comme des produits miracles, capables de réduire le risque. Or nous l'avons multiplié !

Je vous citerai l'exemple frappant d'un produit de pente proposé par la Deutsche Bank (à l'époque les taux longs étaient inférieurs aux taux courts) dont le taux se situait entre 8 et 9 %. Nous avons remplacé ce produit par un produit capé à 24 %, que les services nous ont présenté comme un produit miracle. Dans un rapport de huit pages, un ancien de Dexia affirmait que la parité livre anglaise-franc suisse ne pouvait pas s'effondrer, que les parités seraient fixes pendant vingt ans et que transformer notre produit nous permettrait de bénéficier d'un taux court très bas. Eh bien, monsieur le rapporteur, c'est aujourd'hui le seul produit réellement toxique ! S'il n'était pas capé, et cela démontre la folie des banques, les taux d'intérêt atteindraient près de 130 % !

Personne n'a rien vu, pas plus les services que moi-même. Mea culpa, mais je ne veux pas porter seul la responsabilité car, comme le souligne le rapport de la chambre régionale, je ne peux passer mes jours et mes nuits à tout contrôler.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Ce rapport contient en effet des informations intéressantes, qui parfois contredisent vos propos. Ce que nous comprenons, c'est que les emprunts structurés vous ont à une époque fait gagner beaucoup d'argent. Le bilan doit être établi sur la totalité de la période.

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Quelles sont les informations qui contredisent mes propos ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Il apparaît dans les pièces versées au dossier que le groupe IXIS avait dès 2006 attiré l'attention de la ville sur le risque de conclure des contrats de type snow ball.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

On voit bien qu'il existait entre les uns et les autres des rapports subtils, mais nous devons comprendre comment la chaîne a fonctionné. Dans quelles conditions, monsieur Alfieri, aviez-vous reçu délégation pour contracter ces emprunts ? Quelles informations détenaient les autres élus du conseil municipal ? Enfin, aviez-vous reçu des indications, de la part des banques ou de l'administration, quant au fixing de ces produits dès le lendemain du jour où ils vous ont été prescrits ? Je vous pose la question car j'ai découvert cet été que des produits proposés à des acteurs publics avaient subi une dégradation dès le lendemain de la signature ! S'il s'était agi d'entreprises privées, elles auraient été contraintes de faire des provisions. Votre société de conseil ou les banques ont-elles attiré votre attention sur la dégradation qui pouvait exister au-delà de la période de taux bonifié qui vous avait été accordée ?

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Je peux vous répondre avec précision. La ville de Saint-Étienne – dont je rappelle qu'elle emploie 3 500 personnes – dispose d'un service financier chargé de procéder à ces analyses. En ce qui me concerne, on me transmettait un résumé de ces informations, mais on ne m'a jamais alerté, loin s'en faut. Si cela avait été le cas, pourquoi aurions-nous transformé des produits de pente en produits de change ? J'ai peut-être été mal informé, mais peut-être aussi n'ai-je pas su lire les informations qui m'étaient transmises car je ne suis pas un spécialiste des finances : j'en ai simplement reçu la délégation lorsque j'ai été élu.

J'avais toute la confiance du maire. Cette délégation des finances me donnait la possibilité de négocier avec les banques. Avec le secrétaire général, ici présent, nous avions créé une commission regroupant les services. Ceux-ci nous délivraient un grand nombre d'informations. Ils entamaient la négociation avec les banques et nous avertissaient de tel ou tel danger. C'est ainsi qu'ils nous ont avertis de la nécessité de sortir du produit de pente de la Deutsche Bank, nous conseillant de prendre un produit reposant sur la parité livre anglaise-franc suisse.

Il faut savoir qu'il est très difficile pour un élu, voire pratiquement impossible, de dire à des spécialistes réunis autour d'une table et d'accord entre eux qu'ils se trompent.

Quant aux fixings, ils ne m'étaient pas communiqués, mais si cela avait été le cas, sans explication complémentaire de nos services des Finances, je ne suis pas sûr que j'aurais été capable de les lire car ce sont des documents complexes. De mémoire les « snow ball » contractés par la ville de Saint-Étienne ont été conclus bien après 2006.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Votre franchise vous honore. De quelle manière aviez-vous présenté ce produit miracle au conseil municipal ?

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Vous parlez sans doute de mes maladresses, soulignées par la chambre régionale des comptes. Lorsqu'un élu est « titillé » par l'opposition, certains mots lui échappent, mais je n'ai jamais eu volonté de cacher quoi que ce soit. Je n'ai fait que présenter les résultats : dans les années 2005-2006, nos frais financiers tournaient autour de 2 %, et il était normal que la majorité présente cela comme un bon résultat, puisque c'était vrai. La société Finance Active, qui a étudié le cas de 800 villes, a démontré que Saint-Étienne, avec un taux de 2,09 %, se trouvait sur le podium des villes ayant le moins de frais financiers. Que cela ait été dit avec un peu d'emphase durant un conseil municipal, cela peut arriver dans toutes les villes, qu'elles soient de droite ou de gauche. J'ai été surpris de voir que ces propos avaient été utilisés.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

J'apprécie vos remarques. Nous sommes ici, non pour faire le procès d'une commune ou de quelques élus, mais pour essayer de comprendre car nous souhaitons que la situation ne se reproduise pas. Il semble que les banquiers soient allés trop loin et n'aient pas délivré suffisamment de conseils. Comment cadrer leur action ? Jusqu'où peuvent aller les collectivités ? Vous avez admis avoir réalisé un certain nombre de provisions. C'est un choix intéressant que font pourtant très peu de communes.

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Permettez-moi d'abonder dans votre sens. Ce n'est qu'après les élections de 2008 que j'ai cherché à mieux analyser les phénomènes financiers. Mea culpa ! Tous ceux qui me connaissent savent que j'ai toujours travaillé dans l'intérêt de ma ville. En dix-neuf ans, je n'ai jamais engagé un euro de frais personnels. J'ai cherché à comprendre, en lisant le rapport de la chambre régionale des comptes, par où j'avais péché. J'en ai déduit qu'au fond, je le dis très franchement, nous n'avions pas toutes les compétences nécessaires, au moins jusqu'à ce que nous ayons recours à M. Rastel.

Permettez au non-spécialiste que je suis de vous faire quatre suggestions.

– Tout d'abord, il faut imposer aux banques, dans les contrats de swap, d'indiquer toutes les formules, y compris les coefficients multiplicateurs s'il y en a. Le fameux produit de la Deutsche Bank que je vous ai cité présente, dans sa formule, un taux de 5,95 %, mais ce qui est calculé entre parenthèses, doit être multiplié par 100, ce qui n'est pas indiqué ! Non seulement les formules sont fausses – est-ce volontaire ou non ? je ne sais pas, mais, surtout, et c'est beaucoup plus grave, c'est une tromperie car, si l'élu qui signe le document contrôle uniquement les formules, il se trompe lourdement. C'est ce qui m'est arrivé à l'époque.

– Par ailleurs, si les villes continuent de recourir aux swaps, il faut mettre en place un système symétrique : il suffit, pour un gain de 2 %, de fixer un cap par rapport à un taux moyen fixe de 2 % au-dessus. Cette obligation priverait les banques de la possibilité de proposer des produits fous, avec des effets multiplicateurs, et les communes sauraient rigoureusement à combien elles s'engagent et ce qu'elles doivent provisionner, au pire.

– Il convient ensuite d'imposer, pour des produits aussi sophistiqués, la double signature de l'élu et du directeur général des services ou du directeur des finances.

– Enfin, sachant que ce sont des inspecteurs des finances de haut niveau qui siègent dans les conseils d'administration, comment a-t-on pu inventer les snow balls et autoriser les banques à placer de tels produits ? Il est scandaleux de devoir payer un seul trimestre négatif jusqu'à la fin du contrat : cela relève de l'usure, voire de l'escroquerie organisée. Je pense aujourd'hui que les services finances, en proposant ces produits, n'avaient pas tout compris sur des détails du calcul des taux chaque trimestre.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Nous avons prévu d'interroger les services, mais qui sont ces « spécialistes » que vous évoquez ?

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

Ce sont les banques. Nous leur faisions confiance. Les prêts de Dexia, par exemple, ont couvert jusqu'à 60 % des besoins de la ville.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Monsieur Rastel, en tant que gérant de deux cabinets spécialisés, FITECH et TECHFI, vous avez conseillé la ville de Saint-Étienne, qui pourtant disposait d'un service financier important. Quelles sont vos qualifications et votre expérience en matière de financement des collectivités ? Comment avez-vous été recruté par la municipalité ? Quelle a été la durée de cette collaboration ? Quelle prestation de conseil avez-vous assurée auprès de la ville de Saint-Étienne et selon quelles modalités de rémunération ?

PermalienJean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-étienne

J'ai occupé un emploi fonctionnel à la ville de Mantes-la-Jolie, dont je suis retraité. J'y étais secrétaire général adjoint chargé des finances. C'est durant cette période que j'ai acquis mon expérience et que je me suis aperçu que les banques savaient tirer d'importants bénéfices des produits qu'elles proposaient. En 1989, j'ai mis au point un produit innovant en matière de gestion de trésorerie. En 1988, la ville procédait à des ouvertures de crédits pour gérer la trésorerie. Considérant que c'était une dépense supplémentaire, j'ai passé un contrat avec le CIC pour gérer la trésorerie directement sur l'emprunt afin de diminuer les intérêts de l'emprunt sans payer ceux de l'ouverture de crédit. Pour la ville de Mantes-la-Jolie, cela représentait une économie d'un million de francs.

J'ai ensuite souhaité quitter la fonction publique pour présenter ce produit à mes collègues. Il a été mis au point et validé par la Société générale. C'est Christian Poirier, que j'ai rencontré en 1990, qui, dans un article paru dans la Gazette des communes en 1991, a fait valider l'ouverture de crédit à long terme (OCLT). Puis le produit a été copié par Dexia sous la forme du crédit à long terme renouvelable (CLTR). C'est ce qui m'a amené à conseiller les collectivités et à créer ma propre société.

J'avais pour objectif une obligation de résultats, ce qui m'a amené à travailler avec peu de collectivités, d'autant que je devais rester en permanence à l'écoute des marchés, qui ne cessent d'évoluer. J'ai travaillé notamment pour la ville de Meaux durant un mandat avec Jean-Claude Louchet, à la satisfaction de Jean-François Copé, ce qui m'a amené à conseiller la ville de Saint-Étienne.

En étudiant la dette de la ville, j'ai considéré qu'il y avait des marges de manoeuvre. Tout d'abord, cette dette n'était pas compactée, ce qui rendait sa gestion très difficile. Il fallait donc revoir sa structure. La ville était également engagée dans quelques swaps perdants, pour lesquels je n'ai rien pu faire. Les produits qui étaient à l'époque proposés par les banques permettaient de faire des économies d'intérêts. La ville est ainsi passée d'un taux de 5,5 % à un taux légèrement supérieur à 2 %.

Avant de proposer une opération, j'essayais de l'analyser pour savoir comment elle pourrait jouer sur l'économie réelle. J'ai opté pour plusieurs swaps, dont j'ai proposé à la ville de sortir dès que l'économie évoluait – sur le dollar, sur le TecDis, sur l'euro-yen, sur le Libor suisse.

J'ai travaillé avec la ville de novembre 2001 à décembre 2005. Au cours de cette période, elle a réalisé des économies d'intérêts pour un montant d'environ 13 millions d'euros. Mais certaines opérations étaient en cours et, en 2006, alors que je n'étais plus en charge de sa gestion, la ville est sortie d'opérations qui lui avaient permis de percevoir des soultes. Sur l'euro-yen et le franc suisse, la ville a perçu environ 7 millions d'euros liés à la sortie d'opérations que j'avais moi-même engagées. J'ai laissé la ville avec 110 millions de CMS (constant maturity swaps) – ou swaps de courbe. Mais avant de procéder à ces swaps, j'ai recherché la présence d'une inversion de courbe dans les autres monnaies. Il y en avait eu sur le yen et la livre, mais de très courte durée. L'inversion de courbe est une chose qui peut arriver, et d'ailleurs nous l'avons connue immédiatement après avoir fait les opérations de swaps. Un taux long ne peut rester éternellement en dessous d'un taux court. Les opérations de pente étaient des opérations logiques, un taux court coûtant généralement moins cher qu'un taux long. Lorsque la courbe a commencé à s'aplanir, puis à s'inverser, nous savions pertinemment qu'elle se retournerait, mais nous ne savions pas à quel moment cela se produirait.

Une collectivité qui se trouve dans cette situation doit conserver son sang-froid et ne pas sortir des opérations en cours, même si, durant la période au cours de laquelle une opération est négative, il lui faut la financer. Or nous savons que les collectivités utilisent leur budget jusqu'à sa limite. En 2006, Saint-Étienne disposait d'une soulte positive de 7 millions d'euros. La ville aurait très bien pu conserver toutes ces opérations sans que cela lui pose le moindre problème.

À partir de janvier 2006, la direction financière a changé d'optique et les banques lui ont proposé des contre-swaps, dont les snow balls et d'autres produits que je ne connaissais pas. C'est à partir de là que la situation s'est dégradée.

À la fin 2008, tous les CMS étaient à 0 % et, en 2009, la ville aurait pu percevoir 5 millions par an. Il ne fallait donc pas bouger. À la communauté d'agglomération de Saint-Étienne, avec laquelle je travaillais, nous n'avons pas bougé. J'ai proposé de prendre des CMS, qui sont restés à 0 %. Mais la direction financière a choisi de prendre une autre voie.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

Quelles étaient les modalités de votre rémunération ?

PermalienJean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-étienne

Ma rémunération était assise sur le résultat, tout en étant plafonnée, pratiquement en permanence, sur l'appel d'offres des marchés publics. La plupart des collectivités préfèrent organiser une mise en concurrence sans subir les formalités de l'appel d'offres. Toutefois, quelques collectivités ont lancé des appels d'offres, auxquels j'ai répondu. J'ai été retenu dans la quasi-totalité des cas. Les trois collectivités qui ont conservé mes services pendant la crise sont toujours bénéficiaires.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

La chambre régionale des comptes mentionne que vous avez participé à la négociation d'un emprunt de 22 millions sur trente-cinq ans, avec un différé d'amortissement de dix-huit mois, avec une banque irlandaise. Pourquoi avoir conseillé un prêt dont la durée n'est pas en corrélation avec la durée d'amortissement des actifs ?

PermalienJean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-étienne

La ville recherche toujours à faire des économies d'intérêts. Le produit euro dollar-euro suisse est proposé par les banques, j'ai donc cherché à l'optimiser. J'ai procédé à des calculs que j'ai soumis aux établissements bancaires. Je recherchais une sécurisation la plus longue possible parce qu'on sait bien que les courbes se retournent systématiquement. On l'a vu avec les CMS. J'ai obtenu les cotations de Depfa et de Natixis et j'ai recherché la meilleure optimisation. J'ai trouvé un produit au taux de 0 % sur une durée de douze ou treize ans, voire jusqu'en janvier 2024, avec un coefficient de réduction de la formule de 50 points de base. C'était énorme !

J'avais des contacts avec M. Alfieri dans le cadre de la communauté d'agglomération. Lorsqu'il m'a fait part des choix qui se présentaient à la ville, je lui ai indiqué que ce n'était pas de bons choix. C'est au cours d'une rencontre en présence de Jean-Claude Louchet que je lui ai proposé le produit en question. Ensuite, les choses sont allées très vite et, une semaine plus tard, la ville réalisait l'opération sans que les services financiers aient été informés de mon intervention. La mise en concurrence a duré un après-midi entier, avec Dexia comme acteur principal. Mais la formule n'est pas présentée de façon identique par Dexia et Depfa, si bien qu'il y a eu un mélange entre ce qu'ont compris les services financiers et les calculs que j'avais effectués. À la fin de la journée, j'ai indiqué à M. Alfieri que je souhaitais me retirer car je sentais que quelqu'un ne comprenait rien ! Plus tard, il m'a appelé pour me dire que Depfa avait remporté l'appel d'offres. Ils avaient eu de la chance : c'était le bon choix.

Aujourd'hui, en pleine crise, j'ai repris la cotation. Quand on me dit que c'est un prêt critique… La ville a repris ce produit euro dollar-euro CHF au taux de 7,15. Je suis, moi, à moins 20 avec un taux de 0 % jusqu'en 2020. D'ici là, croyez-moi, les choses se seront inversées.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Gorges

La question portait plutôt sur la durée d'amortissement des actifs. Quoi qu'il en soit, vous démontrez la nécessité de procéder à une expertise.

Monsieur Louchet, dans une ville importante comme Saint-Étienne, quel est le rôle des services ? Quelle est votre expertise ? Quel est le montant annuel de la rémunération que vous versiez à M. Rastel en échange de sa prestation ?

PermalienJean-Claude Louchet, ancien directeur des services de la mairie de Saint-étienne

Le rôle du directeur général des services est de veiller à ce que de bons niveaux de compétences interviennent dans tous les domaines.

En matière de gestion financière, l'expertise interne nous était apportée par notre direction des finances, et nous avions l'appui de deux cabinets externes.

S'agissant de la prise de décision, nous organisions régulièrement des réunions sur la base de dossiers préparés en interne ou par les consultants externes. Ces réunions nous permettaient de faire le point sur la situation globale antérieure ainsi que sur les perspectives de la période à venir, et de définir une stratégie.

En ce qui concerne la rémunération de M. Rastel, je ne m'en suis pas occupé en tant que directeur général mais j'en connais le montant pour l'avoir lu dans le rapport de la chambre régionale des comptes : elle se situait autour de 80 000 euros par an.

PermalienPhoto de Daniel Boisserie

Vous avez évoqué une perte de recettes due à la baisse de la population, mais cette perte de recettes n'est-elle pas également liée à la dotation de compensation de la taxe professionnelle ?

PermalienPhoto de Valérie Fourneyron

M. Thiollière a évoqué les circonstances qui l'avaient conduit à prendre ses décisions au regard de la diminution de l'activité industrielle de la ville de Saint-Étienne. Un certain nombre de collectivités, qui n'ont pas vécu les mêmes difficultés économiques mais qui ont eu en commun certains intermédiaires financiers, dont M. Rastel, connaissent la même situation.

Monsieur Rastel, votre société a changé de nom. Qu'est-ce qui a motivé ce changement ? Votre qualification est-elle en adéquation avec l'enjeu que représentent les produits que les banques proposent aux responsables communaux, parfois quelques jours avant les échéances électorales ?

PermalienPhoto de Jean-Louis Gagnaire

La Cour des comptes relève qu'un certain nombre de collectivités connaissent des difficultés d'expertise interne. Si elles ont recours à des experts externes, c'est bien qu'elles recherchent les meilleurs experts, s'agissant de produits de plus en plus sophistiqués. J'ai cru comprendre qu'il existait une relation entre M. Rastel et M. Louchet. Sachant que la situation que connaît la ville est due à ses conseils, comment M. Rastel a-t-il été recruté ? Celui-ci nous explique que, si ses conseils avaient été suivis jusqu'en 2008, la situation aurait été différente. Comment les décisions étaient-elles prises ?

Vous dites, monsieur Rastel, que vous avez une obligation de résultats. Or, à l'évidence, les résultats ne sont pas là. Certaines obligations n'ont donc pas été respectées. Dans quelles conditions M. Louchet a-t-il été autorisé par le maire et l'adjoint aux finances à recourir à un cabinet qui, semble-t-il, n'avait pas toutes les compétences, en tout cas n'était pas totalement certifié pour manipuler ce type de produits ?

PermalienPhoto de Henri Plagnol

Je suis maire d'une ville qui se trouve dans une situation comparable.

Monsieur Alfieri, votre mea culpa est un moment de vérité intéressant pour notre Commission et je vous en remercie. Sachant que vous n'aviez pas toutes les qualifications pour gérer ce type de produit, pourquoi avez-vous pris la décision de souscrire des contre- swaps ?

Doit-on en conclure qu'un élu ne devrait jamais signer un document qu'il ne comprend pas, a fortiori quand sa signature, lourde de conséquences, n'a pas été débattue en toute transparence en conseil municipal ?

PermalienPhoto de Marc Francina

Saint-Étienne n'étant pas très éloignée de la Suisse, monsieur Rastel, pourquoi vous êtes-vous basé sur un euro dollar-euro franc suisse sachant que le franc suisse était égal à 0,125 euro en 1963 et qu'il est aujourd'hui égal à 1,20 euro ? N'importe quel employé de banque sait que choisir un placement indexé sur le franc suisse est une folie, et c'est vrai depuis 1914 !

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

En 1999, nous avons instauré la taxe professionnelle unique au sein de l'agglomération stéphanoise. La ville de Saint-Étienne avait des taux beaucoup plus élevés que la moyenne des villes composant l'agglomération. Nous avons donc décidé de revenir, en douze ans, à un taux moyen, lequel se situe aujourd'hui autour de 17,30 %. C'était une façon de partager l'activité économique existante, mais surtout de reconstruire l'activité, tant pour l'agglomération que pour la ville de Saint-Étienne. Le système mis en place permettait toutefois aux communes de récupérer la part de taxe professionnelle qui leur serait revenue si elles avaient conservé leur propre taxe professionnelle.

Je voudrais revenir sur un point. Ceux d'entre vous qui ont présidé un conseil municipal savent bien que personne n'est capable de maîtriser l'aspect technique de chacun des quelque cent dossiers inscrits à l'ordre du jour et qui peuvent concerner la voirie, l'éclairage public ou les finances. J'avais donc mis en place des commissions, dont une commission des finances, instaurée en 1995. Une semaine avant chaque conseil municipal, cette commission permettait à tous les membres du conseil, majorité et opposition, de se renseigner sur les sujets venant en discussion au conseil. En outre, j'organisais une réunion préalable, le jour même du conseil municipal, en présence des présidents de groupes politiques, pour évoquer tous les problèmes inscrits à l'ordre du jour. Car on sait bien que le conseil municipal, s'il permet à certains de paraître à la télévision, n'est pas le lieu propice pour détailler chacun des dossiers présentés.

Vous avez choisi de débattre du cas de Saint-Étienne, mais beaucoup d'autres villes importantes ont été touchées, par les mêmes banques et au même moment. L'article du Monde que j'évoquais précédemment citait bien d'autres villes : Grenoble, Lille, pour 282 millions d'euros, Marseille, pour 272 millions d'euros, Nice, Nîmes, Clermont-Ferrand. Toutes ont connu les mêmes emprunts, les mêmes banquiers et les mêmes difficultés. Cela dit, je comprends l'intérêt que représente notre échange pour les parlementaires que vous êtes.

Je voudrais vous dire une chose : lorsque l'on est aux affaires, on ne trouve pas toujours auprès des pouvoirs publics le bon répondant. Les chambres régionales des comptes, qui disposent d'un certain nombre de documents et d'une réelle expertise, devraient pouvoir donner leur avis et leurs conseils aux collectivités qui le souhaitent, au moins sur les sujets importants. Toutes les communes de France appartiennent à des associations, telles que l'Association des maires de France ou l'Association des maires des grandes villes de France. Pourquoi ne pas établir des « tableaux de bord » qui offriraient aux collectivités la possibilité d'un échange régulier entre les pouvoirs publics, l'État, les banques et les responsables associatifs ? Cela permettrait à un élu, qu'il soit membre de la majorité ou de l'opposition, technicien ou non-initié, de se renseigner en temps réel par le biais d'internet.

Un haut magistrat de la Cour des comptes me suggérait récemment que le président de la chambre régionale des comptes vienne exposer ses conclusions devant le conseil municipal – je remarque que l'on jette parfois en pâture à l'opinion publique des documents qui n'ont pas grand-chose à voir avec la réalité. Ainsi, la majorité et l'opposition pourraient s'appuyer sur un document objectif.

PermalienPhoto de Paul Salen

Si nous participons à ces réunions, c'est pour nous documenter mais aussi pour échanger, et sur ce point nous sommes quelque peu frustrés.

À l'époque des faits, j'étais adjoint aux finances dans une ville et, parallèlement, je travaillais dans une banque. Je sais que les banques s'efforçaient de proposer aux collectivités les crédits les plus intéressants.

Lorsqu'une petite collectivité est pénalisée, je donne tort aux banques à 100 % car elle ne dispose pas des services compétents. Mais je m'étonne qu'une ville comme Saint-Étienne soit à ce point pénalisée sachant qu'elle bénéficie des compétences d'un directeur général et d'un directeur financier et qu'elle a la chance de pouvoir recourir à un cabinet de conseil. Certes, le maire ne peut pas tout vérifier. Et je connais Michel Thiollière : ce n'est ni un aventurier ni un joueur de casino.

Monsieur Alfieri, quelles informations régulières M. Thiollière recevait-il, de votre part et de la part du cabinet de conseil, sur le risque que représentaient de tels emprunts ?

J'ai cru comprendre que la rémunération du conseil était variable en fonction du résultat. Pourtant, son montant de 82 000 euros est resté inchangé pendant trois années successives. Cela signifie-t-il que le résultat a été positif durant ces trois années ?

PermalienAntoine Alfieri, ancien adjoint au maire de Saint-étienne, en charge des finances

La rémunération de M. Rastel était plafonnée. Nous avons tout de même gagné pratiquement 20 millions d'euros pendant la période où nous avons eu recours à ses prestations. 0,5 % de cette somme correspondent à un million d'euros ; or il n'en a même pas perçu 360 000 sur plusieurs années.

M. Rastel a cessé de nous délivrer ses conseils à la fin de 2005. Si nous avions conservé les produits qu'il nous avait conseillés, nous n'aurions couru aucun risque. Michel Thiollière, après avoir obtenu des informations au Sénat, m'a demandé de ne plus prendre aucun risque. Les banquiers nous ont expliqué que les produits de pente comportaient de gros risques. M. Rastel n'était alors plus le conseil de la ville. La preuve, la métropole, avec le même adjoint au finances et le même conseil, n'a connu aucun dérapage. Cela veut peut-être dire aussi qu'il y a eu une meilleure analyse, mais je n'en dirai pas plus car je ne veux attaquer personne.

J'apprécie la remarque de M. Plagnol. Je rappellerai l'exemple du contrat de la Deutsche Bank : je trouve aberrante l'utilisation de fausses formules dans les contrats. Je vous demande, mesdames et messieurs les députés, si vous légiférez sur cette question, d'imposer aux banques d'écrire toutes les formules, faute de quoi elles seraient condamnées pour défaut d'information.

Nous croyions sortir du risque avec les contre-swaps, j'ai l'honnêteté de le dire, mais ce faisant nous avons pris de véritables risques. J'ai décidé de ne dire que la vérité, nous avons été entraînés dans des risques importants en nous faisant croire (les banques) qu'on nous faisait sortir du risque. Nous avons peut-être été naïfs, je veux bien l'admettre. Pour vérifier le produit de la Deutsche Bank, j'ai fait plusieurs fois le calcul, et j'ai considéré qu'il n'y avait pas de gros risques. Cet exemple est significatif : il y a bien eu tromperie et la Deutsche Bank mériterait d'être accusée.

S'agissant de la transparence au conseil municipal, soyons attentifs : tout n'est pas parfaitement clair pour les participants. Il n'est pas possible, au cours d'un conseil municipal, d'entrer dans le détail de systèmes comme le floor ou le cap. J'ai moi-même essayé de donner des explications : il s'est ensuivi un brouhaha épouvantable car cela n'intéresse personne !

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Monsieur Thiollière, le rapport de la chambre régionale des comptes date de novembre 2010. À quelle date la chambre vous a-t-elle rendu visite ?

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

Au cours de l'automne 2008, la chambre régionale des comptes s'est autosaisie des finances de la ville entre 2004 et 2008. Elle a établi un premier rapport, mais un an plus tard elle décidait de ne pas le rendre public et d'entreprendre, avec d'autres magistrats instructeurs, un nouveau rapport – celui paru en décembre 2010.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Celui que vous évoquez n'a donc jamais été publié ?

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

Pas à ma connaissance. Le président de la chambre régionale des comptes de Rhône-Alpes m'a averti par courrier à l'automne 2009 qu'il reprenait entièrement l'analyse de la situation de la ville avec de nouveaux magistrats instructeurs et un nouveau président de section.

PermalienMichel Thiollière, ancien sénateur, ancien maire et ordonnateur de la commune de Saint-étienne

Cela faisait suite à un entretien privé, au cours duquel j'ai indiqué, preuves à l'appui, au président de la chambre m'a indiqué que le magistrat instructeur à l'origine du premier rapport, qui n'a jamais été diffusé, ne présentait pas toutes les garanties de neutralité requises pour instruire un rapport de la chambre régionale des comptes. Et je m'exprime là avec beaucoup de diplomatie.

PermalienJean-Claude Louchet, ancien directeur des services de la mairie de Saint-étienne

Il est important, en effet, de retracer l'histoire de ma relation avec Jean-Michel Rastel. En 1995, j'étais directeur général de la ville de Meaux. Or cette ville avait des similitudes urbaines et sociales avec Mantes-la-Jolie. C'est au cours de l'une des rencontres organisées entre les deux villes que j'ai rencontré Jean-Michel Rastel, à l'époque directeur général adjoint en charge des finances. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes aperçus que nous menions la même bataille. En effet, à l'époque, les communes souscrivaient surtout des emprunts à taux fixe, dont les taux étaient très élevés d'autant que le taux de l'inflation diminuait fortement. Les communes avaient pour objectif de sortir de ces emprunts à taux fixe pour souscrire des taux variables.

C'est ainsi que, lorsque Jean-Michel Rastel a créé sa société, nous avons fait appel à lui et à la ville de Meaux pour nous aider à analyser et à négocier les offres des différentes banques afin de sortir de ces taux fixes, car les banques habillaient leurs propositions de différentes manières aboutissant à ce que le coût de sortie soit le plus élevé possible. Satisfait de mon travail avec Jean-Michel Rastel, lorsque je suis arrivé à Saint-Étienne, je l'ai présenté à la mairie, au même titre que différents avocats et cabinets d'audit.

J'en viens à la manière dont nous sommes ensuite séparés. Fin 2005, une inversion de pente s'est produite. Il fallait réagir. J'ai considéré que notre conseil ne nous avait pas alertés en temps utile. C'est alors que Jean-Michel Rastel, qui avait permis à la ville de réaliser d'importantes économies en matière de frais financiers, a exprimé le souhait que soit supprimée la clause de plafonnement de sa rémunération. Considérant que ce n'était pas acceptable, j'ai demandé que la ville ne travaille plus avec lui. J'assume cette décision, même s'il apparaît qu'ensuite les services financiers ont pris des décisions moins intéressantes…

PermalienJean-Claude Louchet, ancien directeur des services de la mairie de Saint-étienne

La mise en concurrence appartenait à la direction : je n'ai fait que mettre M. Rastel dans le circuit, sachant qu'il existait à Saint-Étienne une procédure particulière pour les marchés publics due à la certification ISO 9001 que la ville a obtenue pour une période de dix ans.

PermalienJean-Michel Rastel, directeur général des cabinets TECHFI et FITECH, ancien conseil de la ville de Saint-étienne

En ce qui concerne ma qualification, je l'ai obtenue au fil des années par mon travail. Quant à mon niveau d'études, j'ai fait mathématiques élémentaires en 1957. Je n'ai pas fait l'ENA et cela ne me dérange pas du tout…

S'agissant de ma rémunération, je demandais en général aux collectivités 8 % du montant des résultats. Je n'ai jamais eu recours aux snow balls et aucun des prêts structurés qui figurent dans la liste actuelle ne me concerne, sauf si l'on considère que le produit euro dollar-euro CHF est un risque, ce qui n'est pas le cas dans le climat actuel. La Banque suisse, qui commençait à connaître de sérieuses difficultés, a fixé un taux plancher de 1,20 %. Il est actuellement à 1,22 % et je pense qu'à l'avenir il ne peut que s'améliorer, selon la position de l'euro.

Pourquoi ai-je créé deux sociétés ? Lorsque j'ai créé la société TECHFI, j'y ai associé mon fils, qui travaille dans l'informatique, avec l'intention qu'il prenne la suite. Il se trouve que cela ne l'a pas intéressé. Dans la mesure où je conservais toutes les économies et ne prenais pas de dividendes, s'il m'était arrivé un accident, mon fils aurait hérité de la moitié des parts de la société et mes deux autres enfants auraient été désavantagés. J'ai donc décidé de créer une nouvelle société, la société FITECH.

En septembre 2008, le nouveau maire de Saint-Étienne, Maurice Vincent, m'a fait l'honneur de m'informer qu'il donnait une conférence sur la dette. J'avais alors la possibilité de sortir du produit euro dollar-euro franc suisse dans d'autres collectivités, dont Conflans et Mantes-la-Jolie. J'ai donc informé Maurice Vincent, dans un courrier du 14 septembre 2008, qu'il pouvait sortir du swap avec une soulte de 4 millions d'euros que m'avait cotée Natixis. Il n'y a pas eu de sortie, ce qui suppose que le produit n'était pas aussi mauvais que cela…

PermalienPhoto de Claude Bartolone

Nous aurons l'occasion d'interroger M. Vincent sur ce point.

Je vous remercie, messieurs, de nous avoir éclairés sur la chaîne de commandement.

PermalienPhoto de Bernard Derosier

Compte tenu des informations que nous venons de recevoir sur la chambre régionale de la région Rhône-Alpes, il serait intéressant que nous ayons le temps de procéder à un debriefing et d'élargir le champ de nos auditions car il est évident que son président a des choses à nous dire.

PermalienPhoto de Claude Bartolone

J'ai évoqué cette possibilité avec le rapporteur, mais l'emploi du temps de notre commission d'enquête est très chargé avant la rédaction du rapport, et l'examen du projet de loi de finances va beaucoup occuper les administrateurs. Cela dit, il est évident qu'il faudra revoir le programme des auditions.