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Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Séance du 29 juin 2011 à 14h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • accident
  • alcool
  • facteur
  • grande-bretagne
  • route
  • routière
  • tué
  • vitesse
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La séance

Source

La séance est ouverte à 14 heures 30.

Présidence de M. Armand Jung, président.

La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Au cours des dix ans passés en tant secrétaire général de l'Observatoire national, j'ai introduit plusieurs innovations destinées à mieux faire comprendre et à mieux faire connaître la sécurité routière.

Les données mensuelles sont publiées à J+7, ce qui a l'énorme avantage d'intéresser les médias à la sécurité routière. Désormais, les gros titres des journaux scandent les résultats, chaque début de mois. Les chiffres provisoires sont extrapolés de façon à dégager une tendance exacte. Surtout, une analyse des effets météorologiques est effectuée pour obtenir un résultat intrinsèque. Le but est d'interpréter le résultat à comportements inchangés, en effaçant les effets calendaires, de façon à savoir si le mois a été vraiment bon ou mauvais. Sinon, comparer un mois au même mois de l'année précédente n'a pas grand sens, car on ignore si le dénominateur a été un bon ou un mauvais mois. C'est comme si, en rentrant de l'école, votre enfant vous annonçait, au lieu de sa dernière note, l'écart de points avec la note précédente.

L'Observatoire a procédé à une modernisation du fichier accidents.

Je me suis beaucoup intéressé au concept d'effet « attribuable » qui nous vient de la médecine. Il s'agit de mesurer l'impact de tel ou tel facteur de risque – l'alcool, la ceinture, la vitesse, le téléphone portable… – sur le résultat obtenu. J'ai également établi un palmarès des départements. À l'aune du ratio entre le nombre de tués rapporté et le nombre d'habitants, les Hauts-de-Seine sont le meilleur département de France et la Lozère, l'un des pires. C'est sans compter les distances parcourues – plus courtes en milieu urbain –, la densité du réseau de transports en commun, et les autoroutes souvent congestionnées. La comparaison sera donc plus équitable si l'on tient compte du trafic. Après trois ans de mise en sommeil, le comité des experts, qui assiste le Conseil national de sécurité routière, va bientôt reprendre son activité.

J'ai publié, seul, le rapport « Impact du contrôle sanction automatisé sur la sécurité routière (2003-2005) » et, avec d'autres, les rapports « L'alcool sur la route : état des lieux et propositions » et « Le téléphone portable au volant ». Sans oublier une analyse du permis à points, dont il ressort que la base du ministère de l'intérieur ne se prête pas à des études sophistiquées. C'est à partir des sauvegardes annuelles des données « anonymisées » du ministère de l'intérieur que le ministère de l'environnement et du développement durable, auquel l'Observatoire est rattaché, a pu procéder à des études approfondies.

J'ai étudié deux populations sur lesquelles on ne s'attarde pas, mais qui sont intéressantes : les sans permis et les conducteurs sous l'emprise de l'alcool. Enfin, un ouvrage rassemble le fruit de dix ans d'expérience en distinguant les différents facteurs, ceux qui ont été étudiés et ceux qui mériteraient une analyse.

Sur le long terme, on observe une baisse tendancielle du nombre de tués sur les routes de 2,1 % par an, entre 1974 et 2001, avec, en toile de fond, une augmentation du trafic qui tourne autour de 2 % par an. Autrement dit, la sécurité routière améliore régulièrement son « efficacité » d'environ 4 à 4,5 % par an, depuis trente ans. À deux moments, le nombre de tués a chuté de façon plus accentuée : au démarrage de la sécurité routière, dans les années 1970, quand ont été prises les grandes mesures concernant la vitesse, l'alcool et la ceinture ; et en 2002, lors du lancement du chantier de la sécurité routière, notamment avec l'installation des radars.

PermalienPhoto de Armand Jung

À quoi imputez-vous principalement la baisse du nombre de tués ?

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Principalement, à l'infrastructure et aux véhicules. Une étude a mis en évidence que le risque d'accident doublait selon que les véhicules avaient moins de quatre ans d'âge ou plus de huit ans, à distances parcourues égales, et en neutralisant l'âge du conducteur. Pour les comportements, on ne peut pas remonter trente ans en arrière. Au cours des dix à quinze dernières années, les facteurs positifs tels que l'amélioration du port de la ceinture ou le recul de la vitesse ont été contrebalancés par les effets négatifs du téléphone portable. Pour ce qui est de l'alcool, cela ne bouge pas.

Le net ralentissement des infractions observé aujourd'hui était prévisible. En 2002, M. Chirac avait simplement ouvert le chantier alors qu'en 2007, M. Sarkozy a voulu se fixer un objectif très ambitieux, avec 3 000 victimes par an. Pour y parvenir, j'avais mis en avant plusieurs conditions, notamment en matière de communication.

Les infractions pour excès de vitesse, qui ont fortement chuté à partir de 2002, se décomposent en infractions décelées à l'occasion de contrôles aléatoires et infractions détectées par des radars fixes, installés à partir de décembre 2003.

L'analyse des courbes montre que la baisse des vitesses est bien antérieure à la mise en place des radars fixes. En matière de sécurité routière, l'effet d'annonce est courant. Ainsi, en 1978, les infractions ont baissé avant l'autorisation donnée aux forces de l'ordre de pratiquer des contrôles d'alcoolémie sans passer par le procureur ; puis elles ont remonté quand les gens se sont rendu compte que les contrôles n'étaient pas si nombreux. De même, la vitesse a diminué avant que les radars ne soient en service.

Les infractions constatées par contrôles aléatoires – pourtant plus rares que les autres car ils mobilisent du personnel – sont paradoxalement beaucoup plus nombreuses que celles enregistrées par les radars fixes fonctionnant 24 heures sur 24, et qui révèlent un taux d'infraction extrêmement bas : 0,3 %.

D'après l'étude de 2006 sur les effets du contrôle sanction automatisé, l'impact des radars fixes n'excède pas trois kilomètres, et ils ne font pas baisser la vitesse de plus de 5 % à 6 %. En fait, même si l'attention s'est focalisée sur les radars fixes, c'est à la complémentarité entre les deux types de radars et à l'apprentissage des radars fixes que l'on doit la baisse des vitesses. Certains contestent la conclusion au motif que les accidents peuvent baisser sans radars, mais, s'il y a une baisse globale de la vitesse en France, c'est à cause des contrôles de vitesse. La répartition autour de la vitesse moyenne fait apparaître un effet de peloton : tout le monde roule moins vite, ceux qui commettent des infractions, ceux qui n'en commettent pas ; il en va de même pour les étrangers.

Conclusion : le gros succès des radars fixes a été lié au fait qu'ils ont permis d'arrêter de raisonner en « grand excès de vitesse » ou en « récidive de grand excès de vitesse ». Ces dispositions n'ont pas marché car le contrôle en était excessivement difficile et elles n'étaient pas bien ciblées sur le gros du trafic. Or c'est quand le peloton réduit sa vitesse que le nombre d'accidents diminue. Quant au lien entre vitesse et accident, il est démontré par des centaines d'études. Les mesures concernant les radars expliquent les trois quarts de la baisse des vitesses observée de 2002 à 2006.

Je vous mets en garde contre le fait d'être plus accommodant avec les petits excès de vitesse, surtout s'agissant des retraits de points – l'amende n'est pas dissuasive. Ne plus punir les petits excès de vitesse reviendrait à relever la vitesse autorisée de 10 ou 20 kilomètres à l'heure. Autrement dit, on referait en sens inverse le chemin parcouru de 2002 à 2006 puisque les vitesses ont diminué de 8 % ; le nombre des tués augmenterait de 30 à 40 %.

Nos concitoyens, dit-on, supporteraient de moins en moins les radars. Mais il existe d'autres moyens pour faire baisser la vitesse : les infrastructures telles que les chicanes ou les ralentisseurs à l'entrée des villages ; ou le LAVIA, le limiteur de vitesse s'adaptant à la vitesse autorisée, lié au GPS, pourvu qu'il soit aussi facile à un conducteur de s'en servir qu'à un chauffeur de taxi de changer de zone de tarif sur son compteur. Il faudrait que le conducteur qui veut respecter la réglementation puisse le faire sans difficulté.

Le nombre d'infractions, qui était passé de 1 million à près de 6 millions entre 2002 et 2007, plafonne depuis cette date, après la décision de diminuer la durée nécessaire pour récupérer des points perdus à l'unité. Cette stabilisation globale dissimule une très forte augmentation, qui se ralentit toutefois, des infractions à un point et, corrélativement, une diminution des infractions à deux points et plus. La dureté du système a donc été considérablement atténuée avec cette réforme. Plus des trois quarts des conducteurs ont douze points sur leur permis, et ceux qui ont moins de six points représentent moins de 2,5 % – ces derniers sont donc très peu nombreux.

La comparaison des causes de la perte des points entre l'ensemble des conducteurs et ceux qui ont vu leur permis invalidé en 2006 ou 2007 pour solde nul est instructive : si les excès de vitesse sont à l'origine de près de 30 % des points perdus par l'ensemble des conducteurs, c'est l'alcool ou les stupéfiants qui sont, dans les mêmes proportions, la cause de la perte des points chez ceux qui ont perdu leur permis, ce qui n'est pas très surprenant puisque la sanction est de 6 points. Dans cette seconde catégorie, la vitesse n'explique pas plus de 8 % des points perdus.

Pour améliorer la sécurité routière, il est plus facile de réduire la vitesse que d'agir contre l'alcool, qui est pourtant à l'origine de plus de 25 % des accidents. Un chiffre parle de lui-même : la part des personnes tuées depuis 2002 dans des accidents où l'alcool est en cause est étonnamment stable – autour de 30 % – alors que les règles se sont durcies en même temps que les sanctions.

L'analyse de la répartition du nombre des conducteurs impliqués dans des accidents mortels en fonction de leur taux d'alcoolémie met à mal l'idée reçue selon laquelle les accidents seraient dus à de petits excès d'alcool. Le taux d'alcool moyen de cette population est de l'ordre de 1,8 gramme par litre. Tout le monde n'est pas capable d'en absorber autant.

On a tort de penser que l'alcool ne concerne que les jeunes. En se focalisant sur eux, comme dans la campagne vantant les capitaines de soirée, on déresponsabilise les autres conducteurs. Ensuite, il ne faut pas se cacher que la solution des problèmes d'alcool passe par la médecine – au stade curatif pour supprimer la dépendance et au stade préventif par une détection précoce. Il faudrait aussi être plus rigoureux dans le suivi des retraits de permis. Une autre piste intéressante est l'éthylotest anti-démarrage, autorisé depuis la LOPPSI, dont les tribunaux pourraient imposer l'installation, et qui est facile à vérifier et à contrôler. La suppression du permis ne sert à rien, les gens continuent de rouler. Les États-Unis installent tous les ans environ 20 000 éthylotests anti-démarrage. Il s'agit de modèles sophistiqués puisqu'ils identifient la personne qui souffle, indiquent le jour, l'heure et le taux d'alcoolémie.

En conclusion, ce qui nous différencie des autres pays est surtout le management de la sécurité. Beaucoup de pays ont opté pour des plans pluriannuels, arrêtés par une instance ad hoc, et non pour des mesures au coup par coup.

PermalienPhoto de Armand Jung

Notre mission bute sur la fiabilité des chiffres. D'où viennent vos statistiques ? Aucune de celles que nous avons ne corrobore les autres. Nous avons reçu des témoignages selon lesquels l'alcool était rarement le facteur unique des accidents. Si les personnes alcoolisées n'avaient pas des bolides entre les mains, elles n'auraient pas d'accident. Or personne ne s'offusque de la puissance des véhicules.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Le domaine de la sécurité routière est bien, et même très bien documenté, à partir des PV qui sont renseignés…

PermalienPhoto de Armand Jung

…sommairement, d'après ce que nous ont dit des personnes qui les reçoivent des préfectures. Les gendarmes, pour aller vite, se contentent de cocher la case « alcool », sans se préoccuper de savoir si le responsable roulait trop vite, téléphonait, etc. Du coup, on mesure mal les causes multiples.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Il ne faut pas confondre les remontées rapides du ministère de l'intérieur et le fichier accidents, où le délai de remontée des fiches est d'un mois, et que nous utilisons pour notre travail. En tout cas, les données alcool sont recueillies avec soin, et leur pertinence est avérée. Les données vitesse, produites par un bureau d'études indépendant suivant un plan de sondage, constituent une originalité française très intéressante. Nous disposons aussi de renseignements sur l'usage du téléphone tenu en main. Nous cernons les différents facteurs.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Nous avons l'impression, d'où nos questions réitérées, que la collecte des données est un peu floue. Incontestablement, la vitesse est un facteur aggravant des accidents. Vous venez par ailleurs de confirmer que les fiches de police étaient remplies vite, en s'en tenant à la cause la plus évidente. Peut-on aller plus loin dans l'analyse ?

PermalienPhoto de Rudy Salles

Les comportements ont changé sous l'effet des mesures prises pour limiter la vitesse. Vous nous avez dit que celle des étrangers, qui échappent aux sanctions, avait baissé, elle aussi. D'où tenez-vous vos chiffres, qui infirment l'impression que j'ai, au vu des étrangers roulant à vive allure sur l'autoroute ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Avez-vous des chiffres sur les automobilistes qui roulent sans permis ? La vitesse n'est pas la cause première des accidents, même si elle constitue une cause certaine. Comment mieux connaître les autres ?

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Le fichier accidents ne recense pas les causes ; il fait état de circonstances objectives. Un conducteur alcoolisé impliqué dans un accident n'est pas forcément responsable. On ne peut pas prouver la causalité, tout au plus la concomitance. En tout cas, et c'est l'essentiel, la baisse de la vitesse fait diminuer le nombre des accidents.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Respecter la vitesse ne suffit pas à ne pas provoquer d'accident.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

On ne pourra jamais faire des analyses aussi sophistiquées que vous le souhaitez. Mais le fichier accidents est une base de données extraordinairement riche, même si elle a des faiblesses, qui sont inversement proportionnelles à la gravité des accidents. C'est la raison pour laquelle on se focalise sur les accidents mortels. Vous avez raison, un accident est multicausal, mais le lien entre vitesse et accident est corroboré par des centaines d'études. Le meilleur accidentologue du monde, M. Elvik, a confirmé la liaison vitesse-accident-tués ; il a même trouvé un facteur 5, au lieu de 4, entre la variation de la vitesse moyenne et le nombre d'accidents. Toutes choses égales par ailleurs, les accidents augmentent avec la vitesse.

En ce qui concerne les étrangers, ils ont un taux d'accident similaire à celui des Français. Ils vont vraisemblablement plus vite que nos compatriotes, mais ils boivent moins. Ce qui distingue la France par rapport aux autres pays européens, c'est d'abord la moindre densité des autoroutes – qui est un facteur aggravant – et la consommation d'alcool au volant, qui est supérieure à celle des Anglais ou des Allemands.

Les sans-permis sont estimés selon la même méthode que la moyenne des conducteurs sous l'emprise de l'alcool, qui est de 1 %. On considère que les conducteurs impliqués dans un accident, mais sans en être responsables, sont en quelque sorte choisis au hasard. Ainsi évalués, les sans-permis représentent 1 % de cette population. On en déduit qu'ils sont environ 400 000, puisque le nombre de détenteurs d'une autorisation de conduire est de 40 millions.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Comment expliquer la réaction très négative d'un grand nombre de nos concitoyens aux décisions du dernier conseil interministériel de sécurité routière ? Et quelles mesures prendre pour faire baisser le nombre de tués et de blessés sur la route ?

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Beaucoup de nos concitoyens voient surtout, dans les radars fixes, un moyen pour l'État de gagner de l'argent – alors qu'il en perd, la baisse de la vitesse provoquant un manque à gagner sur la TIPP. Mais ils les ont peu à peu acceptés puisqu'ils sont allés au-delà de ce qui était demandé : la baisse de la vitesse a été constatée sur tout le territoire, et pas seulement autour des radars fixes. Le choix de les signaler par des panneaux a été une sorte de compromis politique, pour les faire accepter. Étant fonctionnaire, je n'ai pas à me prononcer sur l'intérêt ou non de les démonter.

Pour le futur, il faudrait retrouver un consensus. Bien que je n'aie pas à dire comment, je constate que certains pays ont créé une grande commission qui définit des plans, qui sont approuvés. Ensuite, des objectifs sont fixés. La facilité de mise en oeuvre des décisions dépend du cadre dans lequel elles sont préparées. Annoncer les mesures au dernier moment, à la sortie des CISR, a des inconvénients en termes de dialogue et de négociation, même si toutes les radios et les télévisions sont là pour relayer l'information.

Sur la vitesse, il faut tenir bon. En outre, vitesse, radars, permis à point sont indissociables. Si vous supprimiez le permis à point, les radars ne serviraient plus à rien. Cela dit, leur déploiement peut être discuté. En revanche, je vous mets en garde contre les radars aux feux rouges : la perte de points risque d'être énorme pour une efficacité assez limitée.

L'autre grande priorité serait de s'attaquer à l'alcool, mais ce n'est vraiment pas facile. Il faudrait travailler en transversal avec d'autres administrations : par exemple, avec celles de la santé et de la justice pour les éthylotests anti-démarrage.

Enfin, la question du téléphone portable mériterait d'être remise sur la table. On a interdit l'appareil tenu en main parce que les forces de l'ordre ne pouvaient pas vérifier le kit mains libres. Mais il faut savoir que, pour nos concitoyens, tout ce qui n'est pas interdit est autorisé…

Les feux de jour ont été tentés en 2004, sans grand succès. Mais, depuis 2011, la réglementation européenne impose les feux de jour sur tous les nouveaux modèles. Les modèles de luxe s'y mettent très rapidement, et, petit à petit, la mode aidant, les autres suivront.

PermalienPhoto de Rudy Salles

Le non-respect des feux rouges et les refus de priorité ne sont-ils pas une cause très importante des accidents en ville ? Pourquoi les considérer comme secondaires ?

PermalienPhoto de Armand Jung

Nous n'avons pas le droit à l'erreur, d'où notre prudence. Les chiffres d'excès de vitesse et de feux rouges non respectés – certains sont maintenant équipés de caméras – que l'on nous a communiqués sont proprement astronomiques. D'après eux, personne ou presque ne respecte plus rien. Cela ne provoque peut-être pas d'accident, mais je m'interroge. Les données que vous présentez isolent les facteurs d'accident mais ne disent rien des causes multiples – l'alcool n'est pas toujours seul en cause, la vitesse non plus. Nous avons besoin d'aller plus loin dans l'analyse pour pouvoir formuler des propositions.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Je parle en tant qu'accidentologue. Les feux rouges représentent un enjeu faible. Les études sont peut-être discutables, mais il en ressort que la baisse des accidents latéraux est compensée par la hausse des chocs à l'arrière. Après, c'est un choix politique. Mais, aux yeux d'un accidentologue, l'enjeu des feux rouges est faible car il y a très peu de tués aux feux rouges.

On ne peut pas dire que personne ne respecte la vitesse. Le taux de dépassement de 10 kilomètres heure au-dessus de la vitesse autorisée, au-delà de la tolérance admise, est tombé à 10 %, alors qu'il était de 33 % en 2002.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Sur les 35 millions de personnes qui conduisent régulièrement.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

Sachez que l'on prend les mesures à des endroits où les automobilistes ont le choix de leur vitesse. Par ailleurs, ces 10% vont provoquer 18% des accidents. C'est beaucoup, mais, a contrario, cela signifie que 90 % des gens respectent les limitations de vitesse.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Conclusion hâtive, me semble-t-il.

Revenons aux sanctions sur les petits excès de vitesse. Elles n'ont pas été assouplies, c'est seulement le temps de récupération qui a été réduit.

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

L'indulgence à l'égard des petits excès de vitesse, en deçà de 10 kilomètres à l'heure au-dessus de la limite, peut se comprendre, mais cela revient à relever d'autant la limitation de vitesse. Une telle mesure peut avoir des effets énormes : faire augmenter de 40 % le nombre de tués.

Un changement des règles entraîne aussitôt une modification des comportements. L'assouplissement des règles du permis à point décidé en novembre ou décembre va avoir un impact, comme en avait eu un l'annonce des radars en 2002.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Pensez-vous vraiment que le débat en France a eu un effet en Allemagne ou en Finlande ?

PermalienJean Chapelon, ancien secrétaire général de l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière

En règle générale, on constate une érosion de la baisse des vitesses car les dispositifs perdent en efficacité marginale à mesure que le temps passe. Pour se prononcer sur le raccourcissement du délai de récupération des points, il faudra attendre les résultats du premier quadrimestre 2011.

Quant à la simultanéité des conjonctures entre les différents pays, je n'y ai jamais cru.

PermalienPhoto de Armand Jung

Je vous remercie de votre contribution, monsieur Chapelon.

Puis la mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Sylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) (Ministère de l'Écologie, du développement durable, des transports et du logement et Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche).

PermalienPhoto de Armand Jung

Messieurs, notre mission d'information cherche à cerner au plus près les causes de l'accidentologie, afin de formuler des propositions aussi adéquates que possible, en particulier dans le contexte des évolutions technologiques actuelles. Nous espérons que vos travaux nous éclaireront dans cette voie.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Statisticien de formation, j'ai débuté ma carrière de chercheur dans le domaine de la sécurité routière en contribuant à guider la politique en la matière dans les années 1970. J'ai beaucoup travaillé sur l'évaluation et la gestion du risque routier et j'ai participé, en tant qu'expert, à plusieurs groupes internationaux. J'ai rencontré M. Robert Delorme à l'occasion du master « sécurité des transports » que nous avons codirigé pendant une dizaine d'années à l'université de Versailles-Saint-Quentin. C'est à cette occasion que nous avons entrepris ensemble des recherches dans le domaine de la sécurité routière. Notre exposé portera sur la notion de « caractérisation » ou de « régime » du risque routier.

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

Notre domaine d'expertise est celui des facteurs permanents du risque d'insécurité routière : au-delà des causes immédiates, il existe aussi de causes peu visibles, très difficilement saisissables et très rarement évoquées, qui font partie du risque routier. Ces causes ne se laissent pas appréhender de manière statistique et sont principalement qualitatives, voire organisationnelles.

Les travaux que nous avons consacrés à la France et les comparaisons internationales auxquelles nous avons procédé – principalement avec la Grande-Bretagne, où la situation est quasiment un miroir de celle de la France – nous ont permis de dégager plusieurs notions clé.

La première est celle de risque routier : au-delà des causes immédiates d'accidents, telles que la vitesse ou l'alcool, d'autres facteurs, je le répète, sont moins visibles et peu affectés par l'action touchant les facteurs immédiats.

Ces facteurs relèvent – et c'est la deuxième notion – de l'organisation de l'activité des acteurs de la sécurité routière. Aussi surprenant que cela soit en effet, l'organisation a une incidence sur l'ampleur, plus ou moins contrôlée ou régulée, des risques – ce qui pose la question des indicateurs.

La troisième notion est celle de l'information des acteurs de la sécurité routière sur le risque et sur le rôle de l'organisation comme facteur pertinent de sécurité routière. Dans ce domaine, une prise de conscience s'impose.

La quatrième notion est la comparaison internationale. Celle-ci est nécessaire, mais il convient aussi de s'en méfier, car il ne suffit pas d'importer « clés en main » les observations réalisées dans un autre pays, considéré comme plus performant en matière de sécurité routière. La comparaison internationale est révélatrice du rôle de l'organisation. Ce qui pourrait être adapté en France de l'expérience de la Grande-Bretagne est la combinaison de trois volets interdépendants : professionnalisation, intégration des actions et évaluation. Ces trois volets présentent une cohérence propre à chaque pays, que nous appelons « facteur P.I.E. », acronyme de ces trois volets.

En matière d'organisation, la présence de plans à moyen et long terme et de stratégies de sécurité routière est déterminante. Les pays scandinaves et la Grande-Bretagne parlent à ce propos de « vision » et les études faites par la Chambre des communes britannique sur la sécurité routière insistent sur la nécessité d'une vision à dix ans, qui permet de définir des orientations d'une grande stabilité, indépendantes des préoccupations conjoncturelles.

L'évaluation permet aux acteurs de rendre compte de leur activité et d'être responsabilisés. Ce facteur prioritaire est un stimulant des deux autres. L'évaluation pousse en effet à plus de professionnalisation et de coordination.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Je présenterai maintenant quelques points saillants de l'insécurité routière en France.

Tout d'abord, la courbe générale de la mortalité en France, toutes causes confondues, fait apparaître, vers l'âge de 20 ans, un sur-risque lié aux accidents de la circulation, qui frappe principalement les jeunes hommes, comme dans tous les pays occidentaux. L'apprentissage du risque par les jeunes conducteurs, hommes ou femmes, est particulièrement long : ce n'est que vers l'âge de 23 ans que le saillant de la courbe s'atténue, indiquant que le risque diminue – il est alors pratiquement divisé par 10.

On observe par ailleurs, en France comme en Grande-Bretagne, une très grande stabilité à long terme des évolutions du risque. De 1950 à 2010 en effet, les courbes du nombre de tués par milliards de véhicules-kilomètres dans les deux pays sont pratiquement parallèles, la Grande-Bretagne conservant toujours son avance sur la France. En 2003, la France a commencé à rattraper son retard, mais les chiffres britanniques accusent une nouvelle baisse en 2007-2008.

En France, la sécurité routière évolue à un rythme presque constant, avec une baisse régulière du risque routier de l'ordre de 6 % par an, et les seules modifications tiennent à l'application de mesures nationales. Les chutes brutales constatées en 1973 avec l'instauration des limitations de vitesse et du port de la ceinture de sécurité, puis en 2003 avec l'introduction des radars et la sensibilisation des usagers aux dangers de la vitesse, ont été suivies d'une reprise du rythme antérieur de la diminution. En Grande-Bretagne, en revanche, la tendance connaît des inflexions liées à des efforts de mobilisation réalisés au niveau des politiques.

En troisième lieu, la courbe du nombre de tués, qui a connu une croissance jusqu'à 1973, puis une décroissance, est le produit d'une compétition entre la mobilité et la sécurité. Au début des années 1970, la mobilité croissait à un rythme de 8 % à 10 % par an – taux que l'on observe aujourd'hui par exemple en Chine ou en Inde – et l'emportait sur la sécurité, qui saturait avec une progression de l'ordre de 6 % par an, d'où une augmentation du nombre de tués. La crise de 1973 a marqué une rupture dans la mobilité, dont le taux de croissance est passé à 3 % ou 4 %, voire à 0 % aujourd'hui. La sécurité l'emporte, ce qui se traduit par une baisse du nombre de tués – qui enregistre des records : moins 14 % en 1973 et moins 17 % en 2003.

Sur le court terme, les pays européens ont connu, entre 2009 et 2010, une décroissance moyenne de 11 % – avec des chiffres variant entre 0 % et 25 % selon les pays. En France, la décroissance est restée de l'ordre de 6 %, tandis qu'elle atteignait plus de 12 % en Grande-Bretagne.

Les pays obtenant les meilleurs résultats en termes de sécurité routière dans le monde sont européens : il s'agit de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la Suède, qui se sont regroupés en réseau et ont produit différents rapports en vue d'entraîner à leur suite les autres pays européens, la Commission européenne et les membres du Parlement européen. La Grande-Bretagne est actuellement le pays où les routes sont les plus sûres au monde et a l'intention de rester en tête de ce classement. À nous de relever ce défi. En adoptant l'organisation adéquate et les mesures nécessaires, la France peut en effet atteindre le niveau de la Grande-Bretagne.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Monsieur Delorme, vous avez évoqué d'autres causes d'accident, qui ne sont pas visibles. Quelles sont-elles ?

Monsieur Lassarre, quelle est la fiabilité des données à partir desquelles sont établies les statistiques de sécurité routière ?

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

Au-delà des causes immédiates d'accident, bien réelles, comme l'alcool ou la vitesse, il existe un facteur qui encadre les phénomènes conduisant à ces causes immédiates en créant un environnement de conduite et de comportements sur les espaces de transport routier : c'est ce que j'appelle « organisation » ou « facteur organisationnel ».

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Pouvez-vous préciser de quelle organisation il s'agit ?

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

J'ai déjà évoqué la professionnalisation, l'intégration et l'évaluation.

En Grande-Bretagne, la professionnalisation de l'activité de sécurité routière se traduit par le fait que l'on compte aujourd'hui sur l'ensemble du territoire britannique entre 650 et 700 road safety officers , c'est-à-dire des chargés de mission sécurité routière, dont les fonctions remontent aux années 1950 et qui sont très professionnalisés. Ces agents dépendent des autorités locales et ont une responsabilité directe dans l'établissement des plans locaux de transport et de sécurité des transports. Les subventions allouées par les organismes régionaux disposant de fonds du ministère des transports dépendent des résultats obtenus. En France, on compte tout au plus, pour l'ensemble du territoire, une dizaine de chargés de mission dans les conseils généraux. Le niveau de professionnalisation de l'activité est donc très différent.

Pour ce qui est de l'intégration, il existe en Grande-Bretagne une seule force de police, ce qui réduit les risques de comparaison ou de rivalité et la nécessité d'une harmonisation entre des intervenants dépendant d'autorités différentes.

L'évaluation, enfin, est en Grande-Bretagne une partie intrinsèque de l'activité de sécurité routière, du fait de l'affichage des plans de transport. À la différence de la France, les plans de transport sont définis en Grande-Bretagne à l'échelle des autorités locales – lesquelles sont au nombre de 450 et 500, comptant en moyenne 80 000 habitants, contre plusieurs dizaines de milliers en France.

Les efforts de professionnalisation, de coordination et d'évaluation des politiques publiques existent bien évidemment en France, mais leur niveau de coordination est très différent. C'est là que l'organisation fait une différence.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Ce seraient là les causes indirectes que vous évoquiez ?

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

C'est le facteur « P.I.E. » – professionnalisation, intégration et évaluation – qui représente un gisement de gains en termes de sécurité routière. Il s'agit d'un facteur profond, structurel, qui n'est pas modifiable à court ou moyen terme. Il explique en grande partie la différence observée en comparant la France et la Grande-Bretagne.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Comme pour les accidents touchant d'autres modes de transport, il faut aller au-delà des causes immédiates pour identifier les facteurs organisationnels.

Pour ce qui est de la fiabilité des données, nos collègues anglais rencontrent les mêmes problèmes que nous.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Les données dont nous disposons sont-elles fiables ou non ? S'il y a des carences, quelles sont-elles ?

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Les données ne sont pas fiables absolument, mais nous connaissons leurs limites. Il conviendrait que le recueil par la gendarmerie et la police soit plus exhaustif. Certains accidents échappent en effet encore au recueil, comme les accidents à véhicule seul ou ceux qui impliquent des enfants dans les milieux défavorisés, mais on sait les retrouver, par exemple par les registres des hôpitaux. Le rôle du chercheur analysant les risques consiste précisément à utiliser au mieux tout le potentiel des données dont il dispose. On peut corriger le tir en s'appuyant sur d'autres données et sur les recherches menées dans d'autres pays disposant de systèmes plus avancés. Ainsi, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas s'efforcent de connecter les données de la police et celles des hôpitaux – mais la France ne le fait pas. Ce sont pourtant là des occasions d'améliorer notre système d'information sur les accidents.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Existe-t-il, selon vous, un nombre de tués et de blessés sur la route qui représenterait un seuil au-dessous duquel on ne pourrait pas descendre ?

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Il est certain qu'on n'atteindra jamais le risque zéro. La Suède, qui vise l'objectif de zéro tué, a adopté un système de mobilité particulier, réduisant notamment fortement les vitesses autorisées. La société doit faire des choix et accepter des risques.

Il est néanmoins possible de bâtir un système sûr en adoptant par exemple des mesures telles que celles qu'appliquent les Britanniques en centre-ville – mais M. Jung n'est pas parvenu à faire adopter la limitation de vitesse à 30 kilomètresheure à Strasbourg. La technologie permet également d'équiper les véhicules de limiteurs de vitesse qui limiteraient considérablement le risque.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

C'est précisément la fonction des limiteurs de vitesse.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

J'attendais des réponses précises à des questions précises, mais nous n'avons pas eu ces réponses.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Bien qu'il existe certainement à l'étranger des modèles dont nous pourrions nous inspirer, il faut souligner que la Grande-Bretagne et la Suède ne sont pas des terres de transit routier.

En outre les statistiques qui nous ont été fournies présentent quelques incertitudes en ce qui concerne l'évaluation du nombre des tués. Ainsi, à la différence de la France, la Suède ne prend pas en compte les suicides dans ses calculs.

PermalienPhoto de Gérard Voisin

Je félicite M. Lassarre et M. Delorme pour leur travail fouillé et très méthodique. J'en retiens notamment que les différences entre la Grande-Bretagne et la France s'expliquent, en particulier, par l'aménagement du territoire lié à l'action des collectivités territoriales. Dans ma ville, le remplacement des carrefours à feux par des ronds-points et l'instauration de zones à 30 kilomètresheure ont eu des résultats très satisfaisants. Avec ses 36 000 communes, la France possède différents niveaux d'organisation territoriale ; il n'en reste pas moins qu'elle devra bien se mettre au diapason au regard des mesures qui donnent de bons résultats en Grande-Bretagne. Par ailleurs, les motos, qui provoquent des hécatombes, sont moins nombreuses en Grande-Bretagne.

Au-delà du contrôle et de la répression, il faut aussi recourir à la technologie. Nous avons les moyens d'obliger les constructeurs à installer, malgré le coût dont ils excipent pour ne pas le faire, des systèmes intelligents sur les véhicules. Il en existe aujourd'hui une douzaine dont le coût a baissé et qui devraient être systématiquement embarqués. Il existe également des systèmes de protection extérieurs, employés notamment au Japon.

PermalienPhoto de Marie-Line Reynaud

La conduite à droite a-t-elle une incidence sur l'insécurité routière ? Avez-vous également comparé les systèmes d'apprentissage de la conduite des deux pays ? Peut-on en tirer des conclusions ?

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

La question de la conduite à droite ou à gauche a donné lieu à de nombreuses hypothèses, mais aucune conclusion indiscutable ne se dégage encore. Nous nous sommes efforcés de neutraliser les effets géographiques ou ceux qui tiennent au trafic de transit. Il n'est en effet pas évident que ce dernier soit plus accidentogène.

Quant à l'apprentissage de la conduite en Grande-Bretagne, il est en effet différent, mais je n'ai pas de compétence particulière sur ce point.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Les différences entre les deux systèmes sont importantes. Le temps d'apprentissage est plus long en Grande-Bretagne et le nombre de kilomètres parcourus un peu plus élevé. Chaque pays d'Europe a son propre système et il y a sans doute beaucoup à apprendre des autres.

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

Les road safety officers ont un rôle d'enseignants de sécurité routière dès l'école primaire et ils entraînent également à la circulation cycliste. En Grande-Bretagne, cette profession, créée voilà cinq décennies, est très structurée. Elle possède sa propre documentation et ses propres diplômes, délivrés par une université. Cette situation témoigne d'une prise en considération différente de la sécurité routière par l'ensemble de la société.

Les road safety officers sont chargés de la rédaction des projets présentés par les collectivités locales pour obtenir le financement de leurs aménagements. Ces projets sont soumis à des évaluations conditionnant la reconduction des subventions. Ce système d'évaluation-sanction fait l'objet d'un large consensus dans la société et on remet chaque année une médaille au meilleur de ces road safety officers. C'est impensable chez nous !

PermalienPhoto de Jacques Myard

Vous n'avez pas évoqué les tués qui ne sont pas pris en compte dans les statistiques suédoises.

PermalienSylvain Lassarre, directeur de recherche à l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux, IFFSTAR

Les statistiques appellent évidemment une certaine vigilance, mais les suicides ne représentent que 1 % ou 2 % des tués, ce qui ne modifie que peu les données.

Il faut enfin préciser que les Britanniques s'intéressent aussi à nos routes ; en témoignent les publications diffusées en Grande-Bretagne avec l'intitulé : « How safe are you on french roads ? »

PermalienRobert Delorme, professeur émérite à l'université de Versailles, ancien président du conseil scientifique de l'Institut national de sécurité routière et de recherches, INSERR

La courbe indiquant le nombre de tués par année et par milliards de véhicules-kilomètres fait apparaître un écart constant entre les chiffres français et les chiffres anglais, avec une rupture lors de l'introduction des radars en France ; mais l'écart se creuse de nouveau à partir de 2008-2009, au profit de la Grande-Bretagne.

Durant les 50 à 60 années de régularité de ces courbes, le rapport de tués est resté constant, avec deux fois plus de tués en France par milliard de kilomètres-véhicules. Ce rapport est passé à 1,4 à partir de 2003, ce qui représentait un progrès par rapport à la Grande-Bretagne, mais il est remonté à 1,7 entre 2009 et 2008. C'est là un sujet d'interrogation pour lequel nous n'avons pas de réponses. Un travail de recherche s'impose car, quelle que soit l'observation statistique, les deux pays sont chacun comme le miroir de l'autre, en tendances lourdes.

PermalienPhoto de Armand Jung

Messieurs, je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre Mission.

Puis la mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Régis Guyot, préfet.

PermalienPhoto de Armand Jung

Nous accueillons maintenant M. le préfet Régis Guyot, qui a effectué des études sur la sécurité routière, en particulier sur la sécurité des motards, et a présidé un groupe de travail « Gisements de sécurité routière : les deux-roues motorisés ».

PermalienRégis Guyot, préfet

Je me présente d'abord devant vous comme un praticien. Voilà un peu plus de trente ans que je sais ce que sont les bords de route, les contrôles routiers et la pédagogie qu'ils requièrent. Je sais aussi, comme ceux d'entre vous qui sont maires, ce que sont les horreurs de l'accident, les drames qu'il engendre, et ce que cela signifie que d'avoir à annoncer un décès à une famille.

J'ai cependant eu l'occasion de prendre par deux fois du recul pour réfléchir, avec les acteurs de la sécurité routière et avec des chercheurs, aux causes de fond de l'insécurité routière et aux remèdes pratiques à appliquer. En 2000, la Direction de la recherche du ministère de l'équipement m'a demandé de constituer un groupe de travail pour revisiter ces causes en désagrégeant les principales – vitesse, alcool, oubli de la ceinture – et en opérant des coupes transversales. C'est ainsi que nous sommes arrivés à l'idée de « gisements de sécurité routière », croisements d'enjeux, définis par des circonstances et des caractéristiques communes d'accidents, avec des actions spécifiques à mener. Nous nous sommes efforcés de quantifier ces gisements, puis de les exploiter pour proposer des mesures susceptibles d'épargner, le plus vite possible, le plus grand nombre de vies. Remis au Gouvernement entre les deux tours des élections législatives de 2002, ce rapport a servi à élaborer une nouvelle politique de sécurité routière – qui a aujourd'hui fait ses preuves.

En 2006, constatant l'échec de cette politique en ce qui concernait les deux-roues motorisés, en particulier les motos, on m'a demandé de constituer un nouveau groupe de travail. C'était en quelque sorte une ironie de l'histoire, puisque nous avions déjà inscrit ces catégories de véhicules et d'usagers au nombre des « gisements de sécurité routière » importants, sans toutefois parvenir à une quantification adéquate faute de données suffisantes. Cette fois-ci, nous avons pu aller plus loin en leur accordant une attention spécifique. Mais la matière est difficile car une multitude de facteurs joue dans presque tout accident et nous avons du mal à pondérer leur rôle respectif.

Nous nous focalisons depuis une vingtaine d'années sur les comportements qui constituent en effet un problème massif pour la sécurité routière. Nous avons oublié que, même si nous avons beaucoup progressé dans les autres domaines, en particulier sur la sécurité des véhicules, il restait beaucoup à faire pour certaines catégories d'usagers. D'autre part, nous avons vu apparaître de nouveaux gisements de sécurité routière, au premier rang desquels les problèmes liés à la vigilance ou à l'utilisation du téléphone portable.

J'aborderai brièvement les causes de l'insécurité routière et les remèdes qui me semblent prioritaires à travers cinq thèmes : les infrastructures, les véhicules, certains publics particuliers, puis quelques problèmes transversaux à plusieurs gisements de sécurité routière – qui constituent sans doute des verrous dont le déblocage permettrait de mieux exploiter ces gisements et d'épargner des vies supplémentaires. Je finirai par les comportements.

La réelle amélioration des infrastructures et la croissance continue du réseau autoroutier, sur lequel l'accidentalité est beaucoup plus faible, ne doivent pas faire oublier que nous avons encore des marges de progression importantes qu'il convient d'exploiter, même si nous ne pouvons attendre de résultats qu'à moyen ou à long terme.

Les « points noirs » ayant été résorbés, ces marges se trouvent d'abord dans les zones de forte accidentalité – que nous avons baptisées zones prometteuses – qui requièrent une méthodologie nationale et locale de diagnostic et de traitement. Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, c'est d'abord là qu'il faut faire porter l'effort.

Notre priorité doit également aller au réseau interurbain, aux traversées de petites agglomérations – où l'usager de la route tend à se croire encore en rase campagne – et aux parcours internes aux quartiers, à savoir les « zones 30 ». En ce qui concerne les deux derniers points, les efforts entrepris commencent à porter leurs fruits. En 2009, alors qu'on a enregistré 225 décès sur les autoroutes et un peu plus de 1 000 sur les routes nationales, 3 640 sont survenus sur les routes départementales et communales : là est donc l'enjeu de sécurité majeur. N'oublions pas que deux tiers des tués le sont en rase campagne et 30 % en territoire urbain, même si la proportion est quasiment inverse pour les blessés. La priorité doit donc aller aux zones rurales de forte accidentalité.

Le traitement des obstacles fixes constitue un autre gisement important. Je n'évoquerai ici que ceux qu'on trouve en rase campagne, la densité de ces obstacles dans les zones urbaines étant telle que leur traitement est impossible. En 2009, un peu plus de 1 200 personnes se sont tuées en rase campagne contre des obstacles fixes – dont environ un tiers contre des arbres. La recherche a mis en évidence des données qui sont rarement portées à la connaissance du public. Dans ce type d'accident, 43 % des décès surviennent entre zéro et deux mètres de la chaussée, 25 % entre deux et quatre mètres, et un petit tiers au-delà de quatre mètres. Les études techniques ont par ailleurs prouvé que l'élimination ou le recul de ces obstacles fixes permettrait d'éviter 80 % des décès à moins de deux mètres de la chaussée, 50 % entre deux et quatre mètres et 30 % au-delà. Autrement dit, on pourrait espérer un gain de 700 vies. Bien évidemment, c'est une action qui ne peut être conduite que sur le long terme. Il faudrait reculer les obstacles à l'occasion des travaux qui peuvent être effectués, mais aussi remplacer les poteaux de signalisation par des « poteaux fusibles », qui se plient par articulation au sol ou par déformation. Il est tout de même paradoxal qu'on puisse se tuer sur des panneaux de signalisation ! On fabrique de ces poteaux fusibles en France et des expérimentations sont en cours. J'espère que leur emploi pourra être généralisé : nous en attendons le même effet que celui que nous avons pu obtenir pour les voitures se heurtant de face – à savoir une capacité d'absorption de l'énergie, de manière à ce que celle-ci ne soit pas restituée à la victime. Il faut savoir qu'aujourd'hui, les chances de survie d'un motard qui rate un virage et termine sa course 50 centimètres plus loin dans un platane sont nulles.

Il faut également travailler sur les dispositifs de retenue. Les améliorations apportées par les communes et les communautés de communes dans la traversée des petites agglomérations sont à cet égard particulièrement intéressantes. La mise en chicane étroite, par exemple, contraint dans la plupart des cas l'automobiliste à modifier sa vitesse. De même, la limitation de la vitesse à 30 kilomètres-heure sur les voies internes aux quartiers est une bonne chose, à condition qu'elle ne concerne que les voies terminales d'accès aux logements. Il faut en effet résister à la tentation d'en mettre sur les voies traversées par des axes plus importants car, comme on le constate souvent en matière de sécurité routière, si l'on ne « dose » pas les mesures, on leur fait perdre leur crédibilité.

Je note enfin que les routes ne sont pas faites pour les motards. Les panneaux de signalisation et les îlots directionnels n'ont pas été pensés pour eux. Il importe donc, lorsqu'on construit, restructure ou entretient une voirie, de porter une attention particulière à ces usagers qui sont – et de loin – ceux qui courent le risque le plus élevé. Nous avions ainsi recommandé d'apporter aux gestionnaires des routes et aux techniciens une formation orientée sur les questions spécifiques liées aux deux-roues motorisés, et de faire des contrôles de la signalisation. Il n'est pas rare en effet qu'un panneau de signalisation masque un deux-roues motorisé, provoquant un accident.

J'en viens aux véhicules. La majorité des progrès enregistrés en matière de sécurité routière entre 1980 et 2000 est venue de la conception des véhicules. Nous avons fait des gains considérables : après cinq ou six tonneaux, les voitures d'aujourd'hui peuvent certes être cabossées, mais leurs passagers sont vivants – sauf s'ils n'ont pas mis leur ceinture, auquel cas la mort est certaine.

Il reste cependant beaucoup à faire, ne serait-ce que parce que les gains que nous avons faits concernent les chocs de face, non les chocs perpendiculaires ou latéraux. Les constructeurs travaillent évidemment tous les jours sur ce point, mais les résultats en matière de baisse de la mortalité sont moindres, car l'espace disponible pour absorber l'énergie est beaucoup plus étroit. En revanche, l'amélioration du taux de port de la ceinture et l'airbag ont été facteurs de progrès.

Nous arrivons désormais à l'ère de l'aide à la conduite. Mais n'oublions pas qu'in fine, c'est bien le conducteur qui reste responsable de sa conduite. Ne prenons pas le risque de le déresponsabiliser en lui laissant croire que c'est de tel instrument ou de tel outil que dépend sa survie – certains comportements nous montrent qu'il s'agit hélas d'un danger réel. Nous avons néanmoins beaucoup à gagner au développement de ces instruments, notamment en matière de vigilance et de contrôle de la vitesse.

Sont cependant exclus de ces progrès les deux-roues motorisés, plus particulièrement les motards. Pour mémoire, on estime que 90 % des cyclomoteurs ne sont pas conformes à la réglementation sur la vitesse et cela pour une raison simple : il suffit de quelques secondes pour les débrider. N'oublions pas non plus que 68 % des cyclomotoristes tués ont entre 15 et 24 ans. Nous en arrivons donc à ce qui est désormais la seule solution : la réglementation européenne obligeant les constructeurs à fabriquer des blocs qui empêchent le débridage. On évitera ainsi qu'un certain nombre de jeunes se fracassent le crâne contre un poteau de leur quartier quelques semaines seulement après avoir étrenné leur cyclomoteur, comme je l'ai vu à plusieurs reprises…

J'en viens aux motos. Les constructeurs ont beaucoup moins travaillé sur ce véhicule que sur les autres, alors qu'il est infiniment plus vulnérable. Les deux-roues motorisés, et plus particulièrement les motards – du fait de leur vitesse et de leur capacité d'accélération – posent en effet un important problème de détection. C'était d'ailleurs l'un des gisements les plus importants identifiés par le groupe de travail sur les deux-roues motorisés. Pour le dire vite, la détectabilité résulte de mécanismes qui sont à la fois d'ordre physique, d'ordre cognitif et d'ordre comportemental, le comportement des conducteurs de ces véhicules ajoutant parfois à la difficulté de leur détection. Une première mesure a donc consisté à imposer l'allumage des feux de jour. Ce n'est cependant pas suffisant, car subsiste un handicap majeur : un trop faible gabarit visuel, qui fait que sur les routes de campagne, a fortiori de nuit, on ne peut ni voir arriver un motard, ni apprécier sa vitesse. Une équipe japonaise a ainsi démontré que l'augmentation du gabarit des motos rapprocherait leur détectabilité de celle d'un véhicule léger. Il suffirait pour ce faire d'élargir le guidon, d'ajouter deux lumières – orientées vers le véhicule qui arrive en face – aux extrémités de celui-ci, et deux de chaque côté de la fourche avant. On obtient alors une sorte de parallélépipède, avec un gabarit visuel plus proche de celui des véhicules légers. C'est une mesure que la France a proposée à l'Europe.

Il faut bien sûr aussi une meilleure connaissance par les autres usagers de ces véhicules et de leur conduite. Cet impératif a été pris en compte dans la préparation du permis de conduire. De même, comme le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) vient de le décider et même si la mesure a été mal comprise, il convenait de renforcer la visibilité des conducteurs de motos, notamment lorsqu'ils circulent à pied à côté de leur véhicule, en leur imposant – progressivement – le port de bandes réfléchissantes. Cela se pratique dans un grand nombre de pays et produit des résultats appréciables, en particulier de nuit.

Il faut également atténuer les gênes liées au véhicule, c'est-à-dire les effets des angles morts. On assiste justement aujourd'hui à l'arrivée de systèmes qui permettent de les éliminer. On peut enfin agir – j'en ai déjà parlé – sur l'implantation des panneaux de signalisation.

Je voudrais maintenant évoquer trois publics spécifiques, pour lesquels les enjeux et les gains de vies potentiels sont importants.

Il y a d'abord les entreprises. Dotées de processus organisationnels très rigoureux, elles ont la capacité de calculer des coûts et sont déjà des lieux de formation : elles constituent donc un cadre adéquat pour la mise en oeuvre de plans de prévention des risques routiers. Ce gisement est aisé à exploiter, car le risque pris est faible. Dans le meilleur des cas, l'entreprise réalisera même des économies importantes – il ne faut pas oublier que 50 % des décès par accident du travail ont lieu sur la route. Lors du dernier CISR, le Gouvernement a d'ailleurs renoué avec une initiative lancée à la fin des années 1990 en incitant les entreprises de plus de 500 salariés à relancer les plans de prévention des risques routiers. Nous avons beaucoup à y gagner.

Je pense en deuxième lieu aux personnes âgées. Le problème ne peut que s'amplifier et le négliger aujourd'hui obligerait demain à prendre des mesures mal ressenties. La catégorie des plus de 75 ans est celle qui a le plus augmenté au sein de notre population entre 2001 et 2008. C'est aussi celle où le nombre de tués sur la route a le moins diminué depuis 2002. C'est enfin celle où la responsabilité du conducteur impliqué dans un accident corporel est le plus souvent engagée – dans 59 % des cas, et même 70 % si l'on ne considère que les accidents mortels.

Deux solutions sont ici envisageables. La première consiste à interdire la conduite à partir d'un certain âge en l'absence de visite médicale « satisfaisante ». Je rappelle que tout médecin peut aujourd'hui prendre la décision d'empêcher une personne âgée de conduire ou de limiter l'usage de son permis de conduire, par exemple au jour. La deuxième méthode a été appliquée en Belgique avec l'aide des mutuelles : le diagnostic posé lors d'une visite médicale est transmis à un spécialiste de la sécurité routière qui, en fonction des capacités réflexes, visuelles et auditives de l'intéressé, lui explique comment adapter sa conduite à son état physique. En résumé, il s'agit d'une sorte de prescription-consultation. L'avenir me semble davantage résider dans cette voie. Les initiatives qui ont été prises – rappel des règles de conduite ou de prudence – ne suffiront pas en effet à traiter le problème.

Le troisième public spécifique est constitué par les motards – à distinguer des conducteurs de cyclomoteurs, dont les capacités d'accélération et de vitesse sont bien inférieures. Les motards sont à la fois les conducteurs les plus vulnérables et ceux qui roulent le plus vite. Ils ne sont guère convaincus du caractère dissuasif des radars… Ce sont enfin ceux qui ont les conduites les plus répréhensibles. Il n'est donc pas étonnant que la part des motards dans les tués ne cesse d'augmenter : sur les quatre premiers mois de 2011, les conducteurs de cyclomoteurs et les motards représentent 30 % des morts de la route – pour 2 % du trafic. C'est de loin la catégorie pour laquelle les progrès ont été les plus faibles : en dix ans, de 1999 à 2009, on est passé de 947 à 888 morts à trente jours. Les chiffres concernant la vitesse sont également sans appel : les excès de vitesse de plus de 30 kilomètres-heure sont treize fois plus fréquents chez les motards que chez l'ensemble des usagers ; ceux de plus de 40 kilomètres-heure sont vingt-quatre fois plus fréquents, et ceux de plus de 50 kilomètres-heure quarante fois plus fréquents. Leur vitesse moyenne a certes diminué depuis 2002, à peu près au même rythme que celle des véhicules légers, mais elle reste supérieure d'environ 10 %. Si elle s'alignait sur celle des autres usagers, un peu plus de 350 morts et de 600 blessés graves pourraient être évités chaque année. Chez les motards, les blessés graves sont en effet plus nombreux que les morts – on compte 1,75 blessé grave pour un mort, le rapport s'établissant à un pour un, environ, pour les véhicules légers.

Quant aux problèmes transversaux, j'en mentionnerai brièvement trois. Il y a d'abord l'éducation et la formation ; ensuite, il y a le fait que la sécurité routière est un problème de santé publique qu'on ne traite pas comme tel ; enfin, il y a l'obligation de prendre conscience qu'il ne peut y avoir de politique de sécurité routière réussie sans un constant aller et retour entre le national et le local et sans stratégies locales élaborées, celles-ci étant plus efficaces que les stratégies nationales.

J'en arrive aux comportements. Des progrès doivent certes être accomplis dans beaucoup d'autres domaines, mais ils relèvent d'efforts de longue durée, alors que faire évoluer les comportements permettrait des gains immédiats et d'une tout autre ampleur. Si tous les conducteurs avaient respecté les limites de vitesse en 2009, ils auraient réduit leur vitesse, en moyenne, d'un peu moins de 4 kilomètres-heure, et plus de 750 vies auraient été épargnées. Si tous les passagers avaient porté leur ceinture, à l'avant comme à l'arrière, ce sont environ 300 vies qui auraient été sauvées. Nous avons déjà beaucoup gagné sur ce terrain, mais il reste à faire : songez que le port de la ceinture double les chances de survie en cas d'accident ! En ce qui concerne l'alcool, les résultats des actions entreprises au niveau local restent très décevants. Or on considère que si personne n'avait conduit sous l'emprise de l'alcool, on aurait pu épargner de l'ordre de 1 200 vies.

Les trois facteurs sont certes souvent conjugués, de sorte que ces chiffres ne sont pas à additionner, mais nous avons là tous les éléments permettant de ramener le nombre de morts à moins de 3 000 par an.

Je vous livre pour conclure quelques réflexions de praticien. Le lien entre vitesse et mortalité est non seulement direct, mais instantané. Je prendrai ici l'exemple de ce que j'ai vécu dans l'Ain. En 2008, nous avions enregistré 49 morts sur la route. Nous avons commencé l'année 2009 avec une baisse simultanée du pourcentage d'usagers dépassant les limites de vitesse – mesuré par trois stations SIREDO implantées sur le réseau départemental – et du nombre de morts. Début août, nous étions à 11 morts de moins que l'année précédente. Nous avons pourtant terminé l'année avec 51 morts – autrement dit, nous avons tout reperdu en quatre mois – et je dois dire que nous avons constaté une simultanéité, au mois près, de la remontée du pourcentage d'usagers roulant trop vite et du nombre de morts. Je ne pensais pas que la corrélation serait établie de manière aussi nette.

Je note aussi, à nouveau, l'efficacité salvatrice de la sécurité passive des véhicules légers. Le défi à relever maintenant est celui de la sécurité sur le réseau interurbain, départemental et communal.

L'analyse semaine après semaine des accidents mortels permet d'incriminer non seulement la vitesse excessive, mais aussi la vitesse inadaptée – deux maux avec lesquels il faut rompre. La vitesse inadaptée par rapport à la configuration de la route, à l'environnement et aux circonstances, comme la surestimation de soi, conduisent à se priver de toute marge de manoeuvre par rapport aux aléas. On le constate notamment avec les sorties de virage à vitesse inadaptée, les dépassements mal calibrés ou le non-respect des distances de sécurité. Les gens qui tuent les autres sur la route ne l'ont en général pas voulu ; mais bien souvent, ils savaient – et leur entourage aussi – que leur comportement était dangereux.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Vous avez répondu par avance à un certain nombre de mes questions. Il m'en reste néanmoins quelques-unes ! Vous aviez écrit dans votre rapport de 2002 qu'en matière de sécurité routière, l'interministérialité n'était pas complètement mise en oeuvre. Que pensez-vous de la gouvernance actuelle ?

PermalienRégis Guyot, préfet

Elle est particulièrement éprouvante pour le délégué interministériel à la sécurité routière. Dans tous les systèmes organisés de sécurité, la coordination est un élément primordial. Or notre système de circulation routière n'est pas un système professionnel à proprement parler ; cela entraîne des incohérences structurelles qui sont sources de risques.

La réforme des responsabilités en matière d'environnement, l'amélioration de la sécurité des véhicules et la décentralisation de l'organisation de la voirie ont conduit à mettre l'accent sur les comportements et à revoir la répartition des tâches : l'animation du système repose désormais sur le délégué interministériel, sous la tutelle de deux ministres essentiellement. Or on peut regretter que le ministère de la santé ne soit pas plus actif sur ces questions. Nous aurions beaucoup à y gagner, en particulier pour le travail d'éducation et de prévention que pourraient effectuer les médecins.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Les méthodes de recueil des données vous paraissent-elles fiables ?

PermalienRégis Guyot, préfet

Les recueils sont inégalement fiables, pour des raisons qui tiennent à la fois au nombre des données traitées et à la difficulté du travail. Le nombre de données recueillies pour les deux-roues motorisés est insuffisant : nous avons besoin de séries plus longues pour assurer une fiabilité scientifique. Mais certains éléments sont difficiles à mesurer : je pense à au port de la ceinture à l'arrière ou à l'utilisation du téléphone portable au volant.

Les données humaines et économiques de l'insécurité routière sont d'une ampleur telle qu'il me semble nécessaire d'investir pour disposer de plus d'informations sur un certain nombre de points. Ainsi en ce qui concerne ces « emmurés vivants » que sont les blessés graves : j'appelle de mes voeux la création de deux indices médicaux, l'un mesurant la gravité immédiate des blessures et l'autre la gravité des séquelles potentielles. Je suis convaincu que porter ces données à la connaissance de nos concitoyens nous permettrait d'obtenir des résultats concrets. On crée chaque année des dizaines de milliers de handicapés à vie ; mais on compte pour rien leurs souffrances et celles de leur entourage. Je rappelle que, jusqu'en 2004, nos statistiques enregistraient les morts à six jours quand le monde entier en était déjà aux morts à trente jours. Nous avons mis fin à cette anomalie mais, s'agissant des hospitalisés, nous en restons à des données bureaucratiques. Il existe des échelles médicales de mesure de la gravité des blessures et des séquelles, qui sont reconnues dans le monde entier, et nous ne nous en servons pas ! Or je le répète, la prise de conscience et la connaissance publique de ces données seraient capitales pour le combat que nous menons.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Tout le monde s'accorde bien sûr à dire que si les véhicules roulaient très lentement, il y aurait moins d'accidents. Mais ne pensez-vous pas qu'en la matière, il existe un seuil d'acceptabilité ? Le principal motif de retrait de points sur le permis de conduire – dans 57 % des cas – reste en effet la vitesse, sachant que dans la majorité des cas, il s'agit de petits excès de vitesse, de moins de 20 kilomètres-heure. La vitesse ne pèse cependant guère plus de 18 ou 20 % dans les causes d'accident. La répression vous paraît-elle bien ciblée ?

S'agissant des motos, les contrôles de vitesse par radar vous semblent-ils efficaces ? Que pensez-vous des mesures – agrandissement des plaques et port de gilet – décidées par le CISR le 11 mai ?

PermalienRégis Guyot, préfet

Il y a, d'un côté, les faits que l'on peut établir grâce à la recherche et, de l'autre, le décideur public et la population. Le moment où un certain nombre de mesures dont le bien-fondé est reconnu sont prises correspond à celui où le besoin et l'acceptabilité se rejoignent. C'est toute la difficulté pour le décideur public. Je note à ce propos que le dialogue entre le chercheur et le décideur public reste en partie à inventer – les chercheurs ne savent pas toujours parler aux décideurs publics, qui eux-mêmes ne savent pas toujours exprimer parfaitement les objectifs qu'ils poursuivent. Quoi qu'il en soit, la ligne de crête est bien l'acceptabilité sociale.

Aucun gouvernement n'a jamais pensé qu'on pouvait séparer l'éducation, l'information et la prévention de la dissuasion et de la répression. Il faut agir sur les deux fronts. Nous le constatons aujourd'hui avec la vitesse : dès que la vitesse moyenne effective remonte de quelques kilomètres-heure, on en paye le prix ; lorsqu'elle diminue, les progrès s'amplifient rapidement. Prenons un autre exemple qui s'inscrit dans le débat des dernières semaines. Nous n'allons pas demander aux usagers la permission de leur appliquer la loi. Cependant, tout montre que, sauf consultation fréquente du compteur, le conducteur a une notion floue de sa vitesse. Je l'expérimente régulièrement : le tableau lumineux implanté à l'entrée de la commune bretonne où je passe mes vacances, qui m'indique ma vitesse en approche, est toujours riche d'enseignements pour moi ! La multiplication de ces signaux aux abords des agglomérations et des zones accidentogènes, ou encore aux fins de rappel sur les trajets longs, me semble donc utile. Mais si les usagers ne savent pas qu'ils s'exposent à une sanction, nous n'aboutirons à aucun résultat. En 2000, nous avions observé que plus de 50 % des usagers roulaient au-dessus des limites de vitesse, et cela sur toutes les catégories de routes ! La répression doit donc demeurer, mais il importe tout autant de créer un terreau favorable aux prises de conscience et aux changements de comportement. On en revient ici à la nécessité de rendre publiques les données sur les blessés graves.

Agissons cependant à bon escient : je me suis toujours opposé – y compris auprès des agents agissant sous mon autorité – à l'installation de contrôles radars mobiles dans des lieux où il était prouvé que l'accidentalité était faible. Il m'est arrivé de refuser de prendre les résultats de ces contrôles en compte lorsqu'on n'avait pas obéi à mes instructions. En matière de contrôles, comme de limites de vitesse, on décrédibilise en effet l'appareil réglementaire si l'on ne se fonde pas sur l'accidentalité réelle.

PermalienRégis Guyot, préfet

Je suis convaincu qu'en allant trop loin, on va à l'encontre des objectifs visés.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Vous avez dit que les trois sources d'insécurité sur lesquelles agir pour épargner encore des vies – vitesse, oubli de la ceinture et consommation d'alcool – étaient parfois combinées.

PermalienRégis Guyot, préfet

Souvent. C'est notamment le cas pour la consommation d'alcool et l'absence de port de la ceinture.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Cela prouve que la vitesse n'est pas toujours en cause. Du reste, vous avez aussi parlé de vitesse inadaptée : même en respectant les limites en vigueur, on peut avoir un accident en raison d'un comportement imbécile.

PermalienRégis Guyot, préfet

C'est en effet ce que tendait à démontrer, dans les départements où j'ai été préfet, l'analyse des causes d'accidents mortels. Dans un certain nombre de cas, le conducteur ne conduisait pas vite, mais il n'avait pas adapté sa conduite à la topographie de la chaussée – par exemple sa trajectoire au profil d'un virage, dont il sortait alors un peu trop à gauche. En l'absence de visibilité, on risque le choc frontal – je l'ai encore vu récemment dans l'Ain.

PermalienPhoto de Jacques Myard

Comment expliquez-vous l'incompréhension totale qui règne entre les motards, la sécurité routière et les autorités publiques, et l'échec des actions de sensibilisation ?

PermalienRégis Guyot, préfet

Je fais le même constat que vous. J'avais d'ailleurs écrit dans le rapport de 2002 que le lobby des motards effrayait les élus… J'ai participé à la première réunion de la concertation nationale sur les deux-roues motorisés. Les choses se sont fort bien passées ; le dialogue entre les pouvoirs publics, la Fédération française des motards en colère (FFMC) et les différentes autres organisations de motards paraissait bien engagé. Mais j'ai cru comprendre que, sitôt la réunion passée, des communiqués vengeurs avaient été publiés. J'avoue que j'ai éprouvé le même sentiment d'échec sur le terrain. Je pense que la base de ces organisations n'est pas encore familière du dialogue institutionnel, dans lequel on avance par compromis successifs. Mais, face à des usagers qui vous disent qu'ils ne vous suivront que s'ils obtiennent tout ce qu'ils demandent, le dialogue ne peut que tourner court… Il nous faudra donc de la patience et de nombreuses rencontres pour nous apprivoiser mutuellement – car ce n'est pas à un refus catégorique que nous sommes confrontés, mais à une incapacité à avancer ensemble.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Aux dires de ceux qui viennent nous trouver dans nos permanences, c'est la verbalisation au kilomètre-heure d'écart près qui exaspère le plus les usagers de la route. J'ai moi-même perdu trois points pour de tels dépassements. A-t-on appréhendé tous les effets de cette politique ? Je suis convaincu que conduire en ayant l'oeil rivé en permanence sur le compteur provoque un certain nombre d'accidents – d'où l'intérêt de l'avertisseur de dépassement.

PermalienRégis Guyot, préfet

L'expérience enseigne malheureusement que la marge de tolérance est considérée comme un droit, auquel chacun va ajouter son plus… Lorsqu'un de vos administrés vous explique qu'il a été pris en faute à 52 kilomètres-heure, vous pouvez être assuré qu'il roulait en réalité à 57 kilomètres-heure. S'il circulait en ville, il était déjà à plus de la moitié de la marge qui sépare la sauvegarde de la vie d'un piéton qui traverserait de sa mort !

Le limiteur sonore amène à poser la question autrement. N'est-ce pas notre compteur lui-même qui devrait être bruyant, à l'instar de ce qui existe pour la ceinture ? La technique a ici permis de triompher d'un certain nombre de récalcitrants : l'avertisseur sonore est tellement insupportable qu'on finit par boucler sa ceinture ! Peut-être est-ce dans cette direction qu'il faut aller, à moins que le respect des limitations de vitesse par les usagers ne nous permette de tolérer à nouveau les micro-dépassements. Quoi qu'il en soit, il faut rappeler que tout dépassement est une marge de manoeuvre dont on se prive. La limitation à 50 kilomètres-heure n'a pas été fixée au hasard mais elle a été calculée à partir de données scientifiques sur les chances de survie d'un piéton, renversé par un véhicule, en fonction de la vitesse de celui-ci.

Enfin, la mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Pillard, chef de la division police, M. Patrick Letailleur, chef de la division gendarmerie et Mme Dominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière (CNIR)

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

Comme vous pouvez le constater, la direction du Centre national d'information routière (CNIR) est strictement collégiale, à ce détail près que nous assurons chacun à tour de rôle la permanence pendant une semaine.

L'information routière est une composante à part entière de la sécurité routière. Jusqu'au début des années 1960, elle était de nature statique : élaboration de cartes routières et de guides touristiques, établissement de signalisations verticales, de localisation et de direction, et horizontales, de sécurité et de guidage. Le radioguidage, lancé en 1958 par la RTF, aboutira dix ans plus tard à la création du CNIR, puis, dans les années 1970, à celle de sept centres régionaux d'information et de coordination routières (CRIR ou CRICR), adossés chacun à une zone de défense.

Les missions, l'organisation, les prestations et le fonctionnement des centres d'information routière sont régis par un protocole interministériel en date du 4 novembre 1998, actuellement en cours de réécriture.

Depuis 1976, la production du CNIR est associée à la marque « Bison futé » : cette figure emblématique - que tous connaissent - sert de support aux campagnes de communication du CNIR, notamment lors des grands départs en vacances. La création de « Bison futé » a d'ailleurs été la réponse des pouvoirs publics à un événement qui avait connu un fort retentissement médiatique : le 2 août 1975, le traditionnel chassé-croisé de l'été avait entraîné la formation de 600 kilomètres de bouchons, par une chaleur torride.

Progressivement, les interventions de « Bison futé » se sont étendues à l'ensemble des trajets, y compris quotidiens. Ce personnage sert désormais de vecteur au CNIR pour diffuser des messages à caractère réglementaire, ainsi qu'une information à la fois prévisionnelle et en temps réel.

Notre tâche est ainsi de satisfaire à une obligation légale de l'État de veiller à la sécurité des usagers et à leur bonne information sur l'état du trafic. L'information routière est assurée sur le réseau des routes à grande circulation et sur le réseau routier national. Comme l'a rappelé le comité interministériel de la sécurité routière, lors de sa réunion du 24 janvier 2005, l'information des usagers en temps réel est « un axe d'amélioration pour la sécurité routière ». Dans le même esprit, une directive européenne sur les systèmes de transport intelligents prévoit, parmi les actions prioritaires à réaliser, la mise à disposition – si possible gratuite – d'« informations universelles sur la circulation », à partir d'une « liste type de situations liées à la sécurité routière ».

Le fait de fournir une information routière en temps aussi près que possible du temps réel, via par exemple les radios, les panneaux à messages variables et les navigateurs embarqués dans les véhicules, permet de prévenir accidents et sur-accidents. Lors des grandes migrations estivales ou lors d'événements particuliers comme des manifestations de masse ou des intempéries, elle offre aux usagers la possibilité de choisir leur mode de transport ou d'opter pour les itinéraires et créneaux horaires les moins chargés... Nous travaillons avec le souci d'un meilleur partage de la route, du respect des règles de la sécurité routière et d'une amélioration des performances environnementales.

L'ensemble de la réglementation applicable en France – interdictions de circuler et levée de ces interdictions, dérogations, arrêtés préfectoraux – mais aussi, autant que possible, dans les pays limitrophes, est également diffusée par « Bison futé » sur son site Internet à destination des professionnels de la route, français et étrangers, comme de l'ensemble du public.

Enfin, lorsqu'ils en reçoivent la demande de la part des autorités, le CNIR et les CRIR diffusent des messages d'alerte destinés à l'ensemble de la population : ainsi en a-t-il été lors des épisodes caniculaires de 2003 et de 2006 et c'est encore le cas chaque fois qu'est déclenchée la procédure « alerte enlèvement ».

PermalienDominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière, CNIR

Le CNIR est une entité interministérielle, composée de trois grands services dénommés divisions : la division gendarmerie, la division police et la division transports.

Il a pour mission d'informer les usagers de la route, afin d'améliorer leurs conditions de déplacement et leur sécurité, et de renseigner et de conseiller les autorités – autorités ministérielles pour le centre national et autorités préfectorales pour les centres régionaux.

Comme on l'a dit, la direction du CNIR est collégiale. Chaque semaine, l'un des trois chefs de division est de permanence : il n'y a donc pas « un » patron du centre, mais trois divisions dont chacune est à tour de rôle responsable de l'ensemble de la diffusion à l'échelle nationale. Le fonctionnement du CNIR, comme celui des CRIR, est assuré vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.

Le CNIR anime et coordonne les sept CRIR. Il garantit notamment une diffusion homogène de l'information : le site « Bison futé » est mis à jour à la fois par le centre national et par les centres régionaux, mais selon une norme commune.

Les informations nous sont fournies principalement par les gestionnaires de voirie : les directions interdépartementales des routes (DIR) pour le réseau routier national non concédé, les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) et, éventuellement, les collectivités locales. Les renseignements reçus portent sur les conditions de trafic, sur l'état des routes, sur la gestion des chantiers et sur les interventions liées à des incidents.

Les informations nous viennent également des forces de l'ordre, des pompiers et des services de secours – elles concernent alors généralement les accidents et les perturbations. D'autre part, nous avons conclu de longue date des marchés avec Météo France pour la fourniture de bulletins quotidiens, adaptés à la route, et nous répercutons ses alertes. Les autorités administratives nous communiquent les mesures de gestion de trafic qu'elles sont amenées à prendre en cas de crise notamment – interdiction de la circulation des poids lourds pour cause de neige, fermeture d'une autoroute… Enfin, il arrive que nous recevions des alertes de médias ou d'usagers de la route.

En bref, nos informations concernent tous les événements susceptibles d'affecter la fluidité de la circulation.

Leur diffusion est évidemment gratuite : nous sommes un service de l'État. Elle s'effectue d'abord en direction de ce que nous appelons des abonnés. Le premier canal est celui de notre messagerie – beaucoup de médias sont abonnés à nos bulletins –, mais nous disposons également d'un serveur vocal, dont le numéro d'appel, le 0 800 100 200, est gratuit et accessible de l'étranger. Enfin, notre site Internet « Bison futé », très riche en informations en temps réel, en prévisions et en informations sur la réglementation, est le site national le plus consulté après le site « Sytadin » consacré à l'information routière en Île-de-France ; en 2010, nous avons enregistré 12,4 millions de connexions. S'il est régulièrement fréquenté par des habitués, il connaît des pointes de consultation, notamment lors des grands départs d'été ou lors de crises climatiques – le 17 décembre 2010, par exemple, nous avons enregistré 232 000 connexions.

Pour traiter les informations que nous recevons, nous disposons d'une base de données. Depuis la fin de novembre 2010, le logiciel « Tipi » – n'oublions pas que nous sommes « Bison futé » ! – permet de recueillir l'information et de la diffuser auprès de nos abonnés, et ce automatiquement pour certains messages. L'an prochain, les DIR et les exploitants gestionnaires des routes nationales pourront mettre eux-mêmes à jour cette base de données. Dès qu'une information y sera introduite, elle sera diffusée. Les véhicules vont aussi être de plus en plus nombreux à être équipés de systèmes embarqués permettant aux usagers de disposer immédiatement des renseignements qui leur sont utiles.

Nos « abonnés », au nombre de 4 000 environ, sont composés pour moitié de médias et de professionnels de la route ; en font partie également les autorités publiques nationales, régionales ou départementales. Mais nous comptons aussi parmi ces abonnés des étrangers, surtout frontaliers.

En 2010, Bison futé a élaboré quelque 250 000 à 300 000 messages sur des événements qui lui ont été annoncés par la police, par les DIR ou par les SCA, et a adressé 11 millions de courriers électroniques. Le site, je l'ai dit, a enregistré 12,4 millions de connexions. Si le serveur vocal connaît un peu moins de succès, il reste un outil très intéressant : pour peu qu'ils soient munis d'un téléphone, les usagers, confrontés à une situation de crise, peuvent le consulter depuis leur véhicule.

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

Ce serveur vocal leur permet aussi, s'ils le souhaitent, d'être mis en relation avec un agent d'un CRIR. En outre, en situation de crise, il est possible de relier le serveur vocal de chaque centre au PC établi à cet effet au sein de la préfecture concernée. Le numéro vert, gratuit et dont nous venons de revoir l'ergonomie, conserve donc toute sa pertinence.

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

De deux : les divisions police et gendarmerie du ministère de l'intérieur et la division transports du ministère de l'écologie, du développement durable, du transport et du logement.

PermalienDominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière, CNIR

Je relève plus précisément de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) et, au sein de celle-ci, de la direction des infrastructures de transport.

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

Quant à moi, je relève de la direction centrale de la sécurité publique. C'est elle qui, au nom de la direction générale de la police nationale, assure la représentation de la police au sein des centres d'information routière.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Seriez-vous en mesure de nous fournir un document, une carte par exemple, détaillant les zones les plus accidentogènes du territoire ?

PermalienDominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière, CNIR

L'information que nous recevons ne concerne que les perturbations affectant le trafic routier ; de ce fait, nous ne disposons pas d'une vue d'ensemble des accidents survenant sur le réseau français – tous ne provoquent pas de perturbations.

PermalienPhoto de Armand Jung

La masse des informations qui remontent jusqu'à vous vous met peut-être en mesure d'effectuer des recoupements. Si, dans une zone donnée, les remontées sont plus nombreuses que dans d'autres, peut-être en avez-vous tiré des conclusions, qui pourraient être intéressantes pour notre Mission, sur les lieux, les périodes ou les horaires les plus dangereux.

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

Nous ne disposons d'aucune base de données où nous conserverions ces événements en mémoire. Notre mission est la production d'informations en temps réel pour aider l'usager de la route au cours de son trajet.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

À défaut de base de données, la répétition de certains événements peut vous suggérer certaines conclusions, par exemple sur un éventuel lien, à un endroit ou à un moment donné, entre la congestion du trafic et l'accidentalité. D'autre part, les informations que vous fournit Météo France ne vous permettent-elles pas, ne serait-ce que de pressentir l'existence d'une relation entre les conditions météorologiques et le nombre des accidents, à certaines époques ou dans certaines régions ?

Bref, à défaut d'éléments scientifiques, votre expérience vous permet-elle d'esquisser une analyse des causes d'accident ?

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

La France compte près d'un million de kilomètres de routes. Le CNIR exerce une veille sur 65 000 kilomètres, soit les 20 000 kilomètres d'autoroutes et les 45 000 kilomètres d'anciennes routes nationales qui constituent aujourd'hui ce qu'on appelle le réseau grande circulation (RGC). Dans cet ensemble, nous n'avons détecté aucun « point noir ».

En revanche, certains jours sont propices aux accidents. Les retours de boîte de nuit, le dimanche matin, s'accompagnent d'accidents graves, fréquemment mortels. Ainsi seize personnes sont décédées sur les routes de France dimanche dernier, dont deux très tôt le matin, sans doute après une nuit en discothèque.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Vous n'établissez pas de rapport entre la congestion de la circulation et l'accidentalité ?

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

Plus un bouchon sera important, moins il y aura d'accidents ! Et s'il s'en produit un, il y aura toute chance pour que les dégâts ne soient que matériels.

En revanche, on peut penser qu'un usager qui sort d'un bouchon se trouve énervé et qu'il y a là une cause possible d'accident. Mais nous ne disposons pas de l'ensemble des éléments permettant de l'établir.

D'autre part, les 500 ou 600 kilomètres de bouchons que provoquent, de façon assez récurrente, les grands flux migratoires de l'été concernent des personnes qui, partant en vacances, ne sont évidemment pas soumises à la même pression que celles qui se déplacent pour des raisons professionnelles. Une étude d'accidentologie doit évidemment en tenir compte.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Les bouchons ne se produisent pas seulement à l'occasion des grands départs en vacances. Quelles en sont alors les causes ? Sont-ils une singularité française ? Nos voisins connaissent-ils des situations comparables ou ont-ils développé des politiques plus efficaces que les nôtres ? Faut-il mettre en cause les infrastructures ?

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

La congestion des réseaux routiers ou autoroutiers est liée à des perturbations. Celles-ci peuvent se cumuler : des intempéries vont provoquer une série d'accrochages, les autres automobilistes vont ralentir pour satisfaire leur curiosité. D'autres fois, ce sera une opération « escargot » ou telle autre manifestation sociale, et l'embouteillage va très vite prendre de l'ampleur même si l'on n'a à déplorer que des dégâts matériels…

Partenaires de la sécurité routière, nous travaillons en liaison étroite avec la Délégation interministérielle et pouvons être amenés à lui rendre compte à toute heure de tout accident particulièrement significatif ou à fort retentissement médiatique, même si le bilan n'en est pas aussi grave qu'on aurait pu le craindre. Il faut en effet souligner l'effet amplificateur de la couverture médiatique. J'ai ainsi le souvenir d'un épisode de verglas, en Île-de-France, qui avait, certes, provoqué des carambolages, mais très peu d'accidents corporels : on en a pourtant parlé à la radio toute la matinée ! Les périodes qui mobilisent le plus l'attention des médias ne sont pas forcément celles où l'on enregistre les accidents les plus graves.

Quoi qu'il en soit, nous ne souhaitons pas nous immiscer dans le domaine de compétence de l'Observatoire national de la sécurité routière, d'autant que rien ne nous permet de contester ses conclusions.

PermalienDominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière, CNIR

En fonction des conditions météorologiques, les CRIR ou le CNIR vont compléter leurs messages par des conseils de conduite adaptés à la situation. Les CRIR connaissent bien, dans les régions dont ils ont la responsabilité, les zones les plus exposées aux risques de verglas ou de brouillard.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Seraient-ils à même de dire où les accidents sont les plus fréquents ?

PermalienDominique Choffé, chef de la division transports au Centre national d'information routière, CNIR

Les CRIR ne s'occupent pas d'accidentologie. En revanche, les plans de gestion du trafic, comme les plans « intempéries », recensent toutes les zones exposées à un risque de verglas – ponts, sous-bois, etc. – ou de brouillard. Ils répertorient également les pentes un peu raides, par exemple celles où les poids lourds risquent de se mettre en travers en cas de neige.

PermalienJean-Pierre Pillard, chef de la division police au Centre national d'information routière, CNIR

Les CRIR sont astreints à une veille opérationnelle vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En situation de crise ou lors des grands départs estivaux, le personnel qui assure cette veille est renforcé. Nous essayons alors d'accompagner les messages d'information de conseils de sécurité routière que nous qualifions d'opportunistes, adaptés au contexte, à la saison, mais aussi aux dangers qui ont pu être identifiés : nous réagissons en effet aussi promptement que possible aux situations accidentogènes sur lesquelles nous sommes alertés.

Nous sommes en permanence reliés à l'ensemble des médias : radios généralistes ou spécialisées, ou encore presse audiovisuelle. Tous les jours, nos chefs de salle sont contactés par des journalistes. Dans notre rôle primordial d'information, nous sommes donc pleinement intégrés au dispositif de sécurité routière.

Tous les internautes peuvent aussi trouver sur notre site Internet la réglementation applicable en France et dans les pays limitrophes, des conseils de sécurité routière et des panoramas par saison. Nous y mettons également en ligne des informations à la demande de la direction de la sécurité et de la circulation routières.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Se fondant sur la politique allemande, certains proposent de relever la vitesse maximale sur les autoroutes, ou au moins sur certaines portions de celles-ci. Qu'en pensez-vous ? Nous ne vous demandons pas de vous substituer à l'Observatoire national de la sécurité routière, mais votre expérience doit bien vous donner quelques idées de mesures qui répondraient aux voeux de nos concitoyens sans nuire à la sécurité routière…

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

Nos études font apparaître que si la vitesse n'est pas systématiquement la première cause d'accidents, elle peut transformer un accident en accident mortel.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Je réitère ma question. Selon certains, la vitesse maximale sur autoroute devrait être relevée à 140 ou 150 kilomètres-heure au lieu de 130. Quelle est votre position ?

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

Les conducteurs français respectent globalement la vitesse maximale sur autoroute. Si un effort doit être fait dans ce domaine, il doit porter sur l'harmonisation des comportements des usagers étrangers avec ceux des Français. Aujourd'hui, les conducteurs étrangers roulent tous au-delà de la vitesse autorisée ! Le système de contrôle et de sanction automatisé n'a aucun effet sur eux.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Vous avez raison d'évoquer ce point, mais vous ne répondez toujours pas à ma question. En tant qu'observateurs privilégiés de la sécurité routière et des routes françaises, ne pourriez-vous éclairer notre Mission d'information ?

PermalienPatrick Letailleur, chef de la division gendarmerie au Centre national d'information routière, CNIR

À titre personnel, je ne pense pas que relever de 130 à 140 kmh la vitesse maximale sur autoroute aurait un intérêt du point de vue de la sécurité routière. Aujourd'hui, il existe déjà un seuil de tolérance de 5 % qui fait qu'on peut déjà rouler à 137 kmh sans être sanctionné.

La séance est levée à 18 heures 35.