Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Mission d'information relative à l'analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière

Séance du 28 juin 2011 à 17h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • assureur
  • radar
  • route
  • routière
  • vitesse
  • véhicule

La séance

Source

La séance est ouverte à 17 heures 30.

Présidence de M. Armand Jung, président.

La mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Robert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière.

PermalienPhoto de Armand Jung

Nous poursuivons les auditions de la mission d'information en accueillant M. Robert Namias, journaliste que nous connaissons bien mais dont j'ignorais qu'il avait publié en 1994 un rapport consacré à la vitesse et à la sécurité routière. Ce sujet intéresse particulièrement notre mission, dont l'objectif est de mieux connaître les causes des accidents de la route afin de faire des propositions précises au Gouvernement.

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

Je vous remercie de m'avoir invité. J'en suis à la fois très honoré et très heureux. Alors que je dirigeais la rédaction de TF1, je m'intéressais à de nombreuses questions de société mais pas particulièrement à la sécurité routière. En 1994, le ministre des transports, Bernard Bosson, m'a demandé de présider une commission extraparlementaire, laquelle comprenait des parlementaires, issus de l'Assemblée nationale et du Sénat, et des représentants du ministère de la défense, dont dépendait à l'époque la gendarmerie, du ministère de l'intérieur et de l'ensemble des acteurs de la sécurité routière – associations de victimes, constructeurs automobiles ou encore assureurs. J'ai accepté et durant trois mois, à raison de deux séances par semaine, nous avons étudié l'accidentologie au regard de la vitesse et les rapports entre sécurité routière et vitesse. Ces travaux ont donné lieu à un rapport, édité par la Documentation française, consacré à la vitesse et à la sécurité routière.

Ce rapport proposait un certain nombre de mesures susceptibles d'améliorer la situation. Il convient de rappeler les chiffres : en 1994, la route faisait plus de 12 000 morts par an – mais ce chiffre était de 17 500 en 1973, lorsqu'ont été prises les premières mesures telles que le port de la ceinture de sécurité et les limitations de vitesse. En vingt ans, le nombre de victimes n'avait baissé que de 5 000.

La situation était suffisamment alarmante pour nous amener à nous interroger sur l'efficacité des limitations de vitesse en vigueur à l'époque – elles ont d'ailleurs été maintenues – et sur les mesures qu'il convenait de prendre. Pendant dix-sept ans, toutes les mesures préconisées dans ce rapport ont accompagné la politique de sécurité routière. Toutes sauf une, à laquelle je continue de croire, qui n'a pas été mise en oeuvre à l'époque compte tenu de la difficulté administrative qu'aurait entraîné le travail conjoint de deux ministères - le ministère de l'intérieur et celui de la défense : il s'agit de la création d'une police de la route, dédiée à la sécurité sur la route.

Le rapport préconisait la mise en place de radars automatiques. Les experts de la police et de la gendarmerie que nous avions consultés estimaient qu'il était nécessaire d'installer 5 000 radars automatiques fixes pour assurer le contrôle effectif de la vitesse sur l'ensemble du territoire. Nous en sommes encore loin aujourd'hui ; et lorsqu'on voit les réactions que cela provoque, on peut se demander si nous pourrons un jour parvenir à ce résultat.

Je vous remercie d'autant plus de m'avoir invité que, depuis trois ans, je ne suis plus président du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), après l'avoir été pendant cinq ans. Ce qui m'inquiète, c'est que je n'ai pas de successeur et qu'il n'y a plus, de facto, de Conseil national de la sécurité routière.

Ce conseil, créé par le Gouvernement Jospin en 2001, a été présidé par l'un d'entre vous pendant les deux premières années. En 2003, le Gouvernement Raffarin, découvrant que la politique de sécurité routière était pour l'essentiel basée sur le rapport que j'avais produit en 1994, m'a demandé si je voulais en assurer la présidence, neuf mois après que le Président de la République eut décidé de faire de la sécurité routière une grande cause nationale. J'ai donc terminé le premier mandat avant d'assumer le second mandat de trois ans, de 2005 à 2008.

Le Conseil de la sécurité routière, à vocation consultative, était alors considéré par certains, dont le Gouvernement, comme l'un de ces nombreux comités Théodule qui n'ont qu'un intérêt relatif. Sa composition était presque identique à celle de la commission que j'avais présidée en 1994. J'avais souhaité qu'il en soit ainsi mais j'avais demandé aussi aux services du Premier ministre d'élargir la composition du Conseil aux représentants de différents secteurs. La totalité des acteurs de la sécurité routière y était représentée puisqu'il était composé de parlementaires, de représentants des ministères intéressés, dont le ministère des transports directement en charge de la sécurité routière – Gilles de Robien, qui fut un ministre très efficace, nous a beaucoup soutenus –, le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense. Étaient également représentés au Conseil tous les acteurs de la société civile dont les associations, y compris celles avec lesquels j'ai eu des rapports très conflictuels – je suis allé jusqu'à suspendre pendant un temps la participation de l'association des Motards en colère –, mais également les associations d'aide aux victimes, les associations des usagers de la bicyclette et des deux-roues, les représentant des piétons, enfin les constructeurs automobiles et les compagnies d'assurances.

Le Gouvernement avait confié au Conseil la mission de réfléchir, d'évaluer les effets – positifs et négatifs – des mesures en vigueur et de faire des propositions, inspirées notamment par les exemples étrangers. Le Conseil comprenait un comité d'experts qui nous a apporté ses lumières. Durant les trois premières années de vie du Conseil, jusqu'en 2007, tout a très bien fonctionné grâce aux acteurs impliqués en matière de sécurité routière, qu'il s'agisse du Gouvernement, en particulier des ministères des transports et de l'intérieur, du Président de la République, mais aussi de la Délégation interministérielle, en la personne de Rémy Heitz, qui a accompli un travail remarquable. Je me dois de dire que la politique de sécurité routière a été durant toutes ces années conduite de concert par le Gouvernement, le Président de la République, le délégué interministériel, qui appliquait avec beaucoup de conviction les mesures prises dans le cadre du comité interministériel, allant parfois jusqu'à en proposer d'autres, et le Conseil lui-même. Cela a permis d'éviter les cafouillages comme ceux auxquels nous assistons depuis quelques semaines.

Si le Conseil a permis d'éviter de tels cafouillages, particulièrement déplorables, c'est qu'il entendait les avis des uns et des autres et qu'il était capable d'évaluer la façon dont seraient accueillies les mesures qui pouvaient être envisagées.

Nous avons fait un certain nombre de propositions spectaculaires, dont certaines, qui n'ont pas été retenues, me paraissent plus que jamais d'actualité.

Si j'ai tant insisté sur le fonctionnement du Conseil, c'est qu'il traduisait une volonté politique extrêmement forte et courageuse permettant d'éviter les pièges, de mesurer les seuils d'intolérance de l'opinion publique et de prévoir la façon dont serait acceptée telle ou telle mesure – ce qui est primordial en matière de sécurité routière car le seuil d'acceptabilité évolue en permanence, en fonction de l'environnement dans lequel la mesure a été prise et de la façon dont elle est portée, expliquée et communiquée dans la durée.

Je considère que cette volonté politique n'existe plus au plus haut niveau de l'État. Certes, tout le monde affirme, la main sur le coeur, qu'il faut tout faire pour que le nombre de morts diminue, mais, derrière ces mots, je ne vois aucun acte, sinon des décisions contradictoires, très souvent prises à l'emporte-pièce et contraires à une politique efficace, utile et acceptée par tous.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

On dit que le Conseil national serait le Parlement de la sécurité routière ; pourtant il ne s'est pas réuni depuis 2008 et vous n'avez pas de successeur. Le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 11 mai dernier préconise de lui redonner vie. Comment expliquez-vous que son activité ait été interrompue ? Aurait-il permis, selon vous, d'éviter les récents cafouillages ? Enfin, que pensez-vous des mesures prises dans le cadre du CISR concernant les radars ?

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

Je vous remercie de me poser cette question, à laquelle j'entends répondre très librement. À l'époque, le Conseil national, qui travaillait étroitement avec les services de la Délégation interministérielle, était porté par cette délégation. J'ai, pour ma part, travaillé avec deux délégués, Rémy Heitz et Cécile Petit. Un an après la prise de fonctions de Mme Petit, j'ai quitté les miennes. C'est à sa demande que j'ai rencontré, à deux reprises, Mme Merli, qui m'a indiqué qu'elle entendait proposer à Matignon de remettre en activité le Conseil national et de nommer un nouveau président, me demandant si j'accepterais de prolonger ma mission – question à laquelle je n'ai pas répondu. Depuis, je n'ai jamais plus entendu parler de la déléguée interministérielle à la sécurité routière… Le Conseil national a disparu, faute de volonté de le réactiver et de lui redonner la place qu'il avait eue auparavant. Il n'intéressait plus personne, pas plus le ministère des transports que Jean-Louis Borloo ou le Premier ministre.

En ce qui concerne les radars, il est clair que la première décision annoncée, qui consistait à supprimer la totalité des panneaux prévenant de l'existence d'un radar automatique, décision qui, pendant 48 heures, a été confirmée, puis démentie, puis à nouveau confirmée, aurait fait l'objet d'une recommandation du CNSR. Je reste en contact avec un certain nombre d'acteurs : tous savaient que l'annonce urbi et orbi de la suppression de ces panneaux ne serait pas acceptée. Les associations qui se sont exprimées à la télévision ou à la radio – sachant que chacune s'exprime désormais en son nom et non plus dans une enceinte officielle, ou tout au moins semi-officielle – ont toutes indiqué qu'elles n'avaient pas demandé cette suppression.

Si le Conseil avait fonctionné correctement, le schéma aurait été le suivant : le délégué interministériel, après délibération du Conseil national, aurait rapporté ses conclusions au ministère intéressé, et cette décision n'aurait pas été prise.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Ce que vous nous dites est très important. Le Conseil national compte une cinquantaine de membres : ce chiffre ne vous paraît-il pas excessif ?

Certains critiquent le fait que les associations de victimes y sont plus représentées que les associations d'usagers de la route. Sa composition vous semble-t-elle équilibrée ?

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

À l'époque, les associations de victimes n'étaient pas surreprésentées. La seule vraie difficulté, c'est qu'elles entendaient être représentées à chaque réunion du Conseil par une personne différente.

La liste des membres mérite sans doute d'être actualisée. Le Conseil s'apparente peur-être à un parlement, mais l'ensemble des acteurs de la politique de sécurité routière - compagnies d'assurances, constructeurs automobiles, ministères, associations – ne peuvent représenter moins de 50 personnes.

PermalienPhoto de Armand Jung

Les délégués interministériels relèvent aujourd'hui du ministère de l'intérieur. Ceux que vous avez cités, Rémy Heitz et Cécile Petit, relevaient du ministère des transports. D'aucuns se demandent si le délégué interministériel ne devrait pas relever du Premier ministre.

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

J'en suis absolument convaincu. C'est une très mauvaise mesure que d'avoir transféré la Délégation interministérielle du ministère des transports à celui de l'intérieur, et ce pour une raison simple : la sécurité routière est un dossier symbolique ; or le fait qu'elle dépende du ministère de l'intérieur souligne le caractère répressif de la politique de sécurité routière. Je suis tout à fait favorable à la répression dans ce domaine, mais faire de la police, des contrôles et des amendes l'essentiel de notre politique de sécurité routière constitue une erreur. D'autant que les délégués interministériels viennent d'horizons très différents – nous avons souvent oscillé entre un préfet et un magistrat, et la personne actuellement en poste vient de la police. Cette origine est tout à fait respectable, mais elle a une connotation répressive et reflète une certaine culture de la sécurité routière qui pèse sur l'image de la politique que nous menons.

PermalienPhoto de Armand Jung

Dans son titre, le rapport de 1994 évoquait déjà la vitesse. Dix-sept ans après, nous sommes toujours confrontés à la même problématique, que nous ne parvenons pas à résoudre.

PermalienPhoto de Jean-Marc Roubaud

Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, monsieur Namias. Je suis d'accord avec vous sur un certain nombre de points, mais je ne peux vous laisser dire qu'il n'existe pas de volonté politique. Les décisions du CISR répondent à l'inquiétude des responsables politiques face à la hausse du nombre des morts sur les routes et tiennent compte de l'objectif que s'est fixé le Gouvernement de passer sous le seuil des 4 000 morts par an dans des accidents de la route.

Les mesures qui sont prises doivent en effet être utiles et acceptées par l'opinion publique, faute de quoi celle-ci entre en rébellion, ce qui mène à l'échec des mesures. Dans ces conditions, que pensez-vous des mesures proposées par le CISR en mai dernier ?

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

De par sa dimension interministérielle, le délégué doit être placé auprès du Premier ministre et non auprès de l'un des ministres.

La mise en sommeil du Conseil national il y a trois ans accompagnait la suppression de nombreuses instances, dont le nombre était pléthorique. Il était nécessaire de procéder à un balayage.

Lorsque j'étais inspecteur général de l'éducation nationale, j'ai eu l'occasion de travailler avec votre prédécesseur sur le brevet de sécurité routière dans les collèges et la politique de prévention dans les établissements scolaires. J'avais trouvé au sein du Conseil tous les interlocuteurs que je souhaitais rencontrer.

Les préfectures mettent en place des comités locaux pour lutter contre les exactions routières. Ne serait-il pas opportun de mettre en place un conseil ad hoc qui assurerait le suivi de toutes les mesures prises ? Les personnes que nous avons auditionnées nous ont indiqué que lorsqu'elles adressent des préconisations aux institutions, elles n'ont aucun regard sur le suivi de ces préconisations. Une structure relativement souple, composée de spécialistes, pourrait traiter les problèmes au fond.

PermalienPhoto de Michel Raison

En France, nous sommes en situation d'échec s'agissant de la compréhension par les automobilistes des règles qu'ils doivent respecter. Pour que les mesures soient acceptables, il faut qu'elles soient présentées avec pédagogie. Nous devons expliquer à nos concitoyens les raisons d'être de telle ou telle réduction de vitesse et faire en sorte qu'elles soient moins systématiques, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne. Ainsi dans ma ville, l'État a installé un radar sur une nationale, à un endroit où la route est parfaitement droite, mais il n'a pas expliqué pourquoi, alors même qu'on sait pertinemment que les accidents sont parfois plus nombreux dans les lignes droites.

PermalienPhoto de Jacques Myard

L'augmentation du nombre de tués sur les routes françaises en 2011 m'a beaucoup frappé.

Par ailleurs, certains chiffres me laissent pantois : selon certaines estimations, 10 % de nos concitoyens conduiraient sans permis. J'y vois plutôt un problème sociologique. En multipliant les peurs – peur des radars, peur du gendarme – n'avons-nous pas atteint les limites de la politique répressive ? Certes, toute infraction à la règle doit avoir une sanction, mais est-ce que cela ne finit pas par provoquer une certaine lassitude ?

PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt. La décision visant à remplacer les panneaux de signalisation des radars par des radars pédagogiques vous satisfait-elle ? S'ils répondent aux attentes de nombreux automobilistes et des motards, les radars pédagogiques n'auront pas plus d'effets que les panneaux, mais ils coûteront beaucoup plus cher.

PermalienPhoto de Rudy Salles

La mise en place de radars a permis de faire évoluer les comportements des Français au volant. Cela étant, s'ils s'appliquent de façon systématique aux conducteurs français, les radars ne s'appliquent pas aux automobilistes étrangers qui circulent sur nos routes. Or la France est un grand pays de transit, et l'on voit circuler sur nos routes des automobilistes qui roulent à une vitesse folle sans recevoir de procès-verbal et sans se voir retirer le moindre point. Le Conseil avait-il fait des préconisations pour lutter contre ce phénomène ?

PermalienPhoto de Michel Voisin

Je suis favorable à la répression, à condition qu'elle ne soit pas excessive – je peux en parler d'autant plus volontiers qu'il ne me reste que deux points sur mon permis…

Je m'intéresse à l'automobile depuis mon plus jeune âge et plus récemment, j'ai participé aux travaux de la Commission des affaires européennes en matière d'infrastructures et de technique automobile. Si nous voulons que les décès, les handicaps et les dégâts matériels décroissent, nous devons nous intéresser aux infrastructures routières.

Par ailleurs, il ne serait pas inutile que notre mission auditionne les représentants des ministères de l'intérieur et des transports.

J'ajoute que les nouvelles technologies, qu'elles soient embarquées sur les véhicules ou disposées le long des routes, offriront sans doute demain une meilleure sécurité ; les véhicules de moyenne gamme sont déjà équipés d'un système permettant d'éviter l'endormissement. Toutes ces technologies de pointe doivent être favorisées si l'on veut durablement diminuer le nombre des accidents.

PermalienPhoto de Armand Jung

Nous avons abordé ces aspects techniques dès que nous avons commencé nos travaux, ce qui nous amènera sans doute à rendre visite à quelques constructeurs. Les nouvelles technologies permettront sans nul doute de limiter la vitesse des véhicules.

PermalienPhoto de Marie-Line Reynaud

Vous avez indiqué, monsieur Namias, que certaines de vos préconisations étaient restées lettre morte. Quelles sont-elles ?

PermalienPhoto de Armand Jung

Permettez-moi de vous raconter une anecdote : depuis la mise en place de la Mission, j'ai été contacté par quelques journalistes, en accord avec le Président de l'Assemblée nationale. L'un d'entre eux, dont je tairai le nom par charité, souhaitait me parler des victimes de la route. Après une demi-heure de discussion, je me suis rendu compte que pour lui, les victimes de la route sont les personnes qui perdent des points de permis et non celles qui agonisent sur le bas-côté. Cette attitude dénote une inversion des valeurs que je n'arrive pas à comprendre...

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

S'agissant de la volonté politique, j'assume mes propos : c'est l'ancien président du CNSR et le journaliste qui a assisté depuis vingt ans à tous les épisodes de l'histoire de la sécurité routière qui les tient. La volonté politique s'est exprimée en 2002 à travers les actes et surtout les déclarations fortes du Président Jacques Chirac, mais depuis 2007 je n'ai jamais entendu le président Sarkozy rappeler que la sécurité routière était une priorité et qu'il entendait faire baisser le nombre des victimes de la route.

Cette volonté politique ne peut venir que de l'Élysée. Si le Président de la République ne met pas une pression permanente sur les différents ministères concernés, à commencer par ceux qui sont responsables de la Délégation interministérielle, ni sur la Délégation elle-même pour qu'elle oeuvre, quotidiennement et publiquement, en matière de sécurité routière, c'est que la volonté politique a disparu. Or, depuis deux ou trois ans, je ne vois pas beaucoup à la télévision, je n'entends pas souvent à la radio et je ne lis pas souvent dans la presse des déclarations de la déléguée interministérielle.

Vous connaissez les noms de certains délégués, comme Rémy Heitz et quelques autres avant lui ; mais demandez aux gens dans la rue le nom de la déléguée interministérielle à la sécurité routière : personne ne saura vous répondre. Rémy Heitz intervenait tous les trois jours à la télévision. La sécurité routière avait une image. Le Président de la République de l'époque l'avait voulu ainsi, et le Premier ministre avait pris le relais. Encore une fois, personne ne peut être défavorable à une politique qui tend à faire diminuer le nombre de victimes, simplement il faut que les actes suivent.

En ce qui concerne les radars, si nous avions conservé les panneaux indicateurs, nous aurions pu, sans le dire, multiplier le nombre de radars et passer de 2 500 à 3 000, voire à 3 500 radars et personne ne s'en serait aperçu – nous ne sommes pas obligés de faire une conférence de presse chaque fois que nous installons un radar. Je ne comprends pas pourquoi cette décision a été prise. J'ai naturellement entendu les explications : en l'absence de panneaux, les conducteurs supposent en permanence que la vitesse est limitée – je pense en ce qui me concerne que c'est exactement le contraire. Toujours est-il que personne ne demandait une telle mesure. Nous aurions pu accentuer la politique de contrôle sans le dire.

Non seulement les décisions prises depuis deux mois n'améliorent pas la sécurité routière, mais, de plus, elles vont à l'encontre de la politique de sécurité routière et augmentent le seuil d'intolérance – ou diminuent le seuil d'acceptabilité – de l'opinion publique. Ce sont des décisions totalement contre-productives. Désormais qui osera prendre une mesure réellement efficace sans mettre 15 000 motards dans la rue et sans susciter un tollé général – avec toutes les conséquences électorales que cela pourrait avoir ? Je pense qu'il faudra laisser passer un certain temps avant de prendre la moindre décision.

Nous avions pourtant réussi à faire passer des mesures beaucoup plus difficiles que la suppression des panneaux indicateurs de radars – je pense à la diminution du taux d'alcoolémie toléré ou au durcissement du système de retrait de points sur les permis. Cela a été possible grâce à une communication permanente, qui elle aussi relève d'une volonté politique dans la mesure où elle a un impact budgétaire.

Je pense pour ma part qu'une politique de sécurité routière n'est efficace que si la communication est permanente. Ce ne sont pas quelques spots télévisés avant les départs en vacances qui peuvent changer les choses. On peut certes s'interroger sur l'efficacité des spots, des plus soft aux plus gore, mais une communication pédagogique est essentielle. Si les Français sont allés très loin dans l'acceptabilité s'agissant de l'alcool au volant, c'est que chacun peut vérifier que les effets de l'alcool au volant modifient son comportement, donc sa conduite. S'agissant de l'utilisation du téléphone portable, nous pouvons aussi aller très loin. Nous en sommes tous conscients, téléphoner au volant, même avec le kit mains libres, demande un effort de concentration. Celui qui engage une conversation professionnelle, sur un budget ou une affaire en cours, n'est pas capable de voir si le feu est rouge. Cette incompatibilité entre le téléphone et la conduite est relativement facile à comprendre et à accepter.

En revanche, personne n'accepte l'idée que la vitesse est fondamentalement dangereuse et meurtrière – cela n'a jamais fait l'objet d'une communication permanente. Pourtant le danger est assez facile à comprendre. J'avais proposé il y a quelques années de diffuser des spots afin d'alerter sur ce danger. On cite souvent l'exemple de l'Allemagne, mais en Allemagne la vitesse n'est vraiment libre que sur quelques autoroutes et elle est beaucoup plus réglementée qu'elle ne l'est en France. Lorsque vous conduisez à 50 kmh en ville, ce qui est autorisé dans la plupart des cas, si un enfant traverse la rue en courant, il a malheureusement beaucoup de risques d'être tué parce que vous n'avez pas le temps de freiner. Il est facile de comprendre cela, même si c'est difficile à accepter. Si vous roulez à 30 kmh, vous le renverserez mais il aura des chances de s'en sortir. Tous les travaux réalisés sur les dangers de la vitesse devraient faire l'objet d'une communication.

En ce qui concerne le téléphone, j'ai lu que parmi toutes les bonnes mesures qui ont été envisagées par le comité, aucune n'a été prise. La bonne mesure serait l'interdiction pure et simple de l'usage du téléphone au volant. Compte tenu du contexte, ce sera désormais très difficile. Il faudra faire preuve de beaucoup de pédagogie. Un délégué interministériel pourrait expliquer le bien-fondé de cette mesure, et si nous diffusions des spots informant du danger de l'usage du téléphone en conduisant, il ne faudrait que quelques mois à nos concitoyens pour accepter une interdiction.

Au Conseil national, après avoir consulté les experts et effectué un certain nombre de voyages à l'étranger, nous procédions à l'évaluation du nombre de vies qu'une mesure aurait permis d'épargner. Ainsi, on avait évalué à 400 le nombre de vies pouvant être sauvées grâce à l'interdiction de l'usage du téléphone au volant.

En 2007, le Conseil national avait voté, à une majorité très relative, le principe de la tolérance zéro en matière d'alcool au volant. Toutefois, le secrétaire d'État aux transports de l'époque, M. Dominique Bussereau, avait « retoqué » cette proposition. Il serait très pédagogique de reprendre les vieux slogans de la sécurité routière : « Boire ou conduire, il faut choisir », ou encore « Un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts ». Mais il faudrait aussi faire preuve de pédagogie pour déterminer, lorsque l'on a bu un verre, s'il faut attendre une heure ou deux avant de conduire, voire attendre le lendemain. Appliquer la tolérance zéro en matière d'alcool au volant aurait une valeur symbolique – même si chacun sait que l'on ne peut avoir moins de 0,2 g d'alcool dans le sang car certains résidus médicamenteux provoquent une synthèse de l'alcool.

Telle aurait pu être notre politique de sécurité routière. Nous aurions pu ne pas toucher aux radars et installer des radars supplémentaires sans rien dire, et, s'agissant de l'usage du téléphone, prendre des mesures fortes, après une large communication et grâce à la présence sur le terrain des délégués régionaux. Je suis persuadé nous en viendrons à la tolérance zéro dans quelques années, sauf si nous abandonnons l'idée de mener une véritable politique de prévention.

PermalienPhoto de Armand Jung

Les techniques, qui ont beaucoup évolué depuis 1994, nous y aideront.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Nous avons bien compris l'utilité du Conseil national.

Vous avez beaucoup parlé de volonté politique. Si j'ai bien compris, Rémy Heitz et Cécile Petit ont bien fait leur job, mais depuis les choses laissent à désirer… Dont acte.

Pouvez-vous nous dire quelques mots de la gouvernance en matière de sécurité routière ? Disposez-vous d'éléments de comparaison avec les pays étrangers ?

Je suis d'accord avec vous, le seuil de tolérance n'évolue que grâce à une démarche pédagogique. La communication est-elle adaptée ?

Que pensez-vous des publicités qui mettent en valeur les performances des véhicules, alors même que la vitesse est réduite à 130 kmh sur l'ensemble du territoire ?

PermalienPhoto de Armand Jung

Qui est le plus irresponsable en matière d'insécurité routière : le constructeur qui propose des voitures qui roulent à 220 kmh et des motos superpuissantes, ou le conducteur qui dépasse la vitesse autorisée ou roule sous l'emprise du cannabis ? Les constructeurs ne se sentent pas responsables, pas plus que les conducteurs qui prennent la route après une soirée arrosée. Où placez-vous le curseur des responsabilités ?

PermalienRobert Namias, ancien président du Conseil national de la sécurité routière

C'est une question très délicate, d'abord parce que je ne suis pas là pour porter des jugements sur la responsabilité de tel ou tel. Je crois sincèrement, sans vouloir me dérober, que la responsabilité est collective.

Il est absurde de construire des véhicules qui roulent à 220 ou 250 kmh, mais cette situation évolue car, aujourd'hui, les constructeurs automobiles, indépendamment de leurs obligations en matière de publicité, accentuent leur communication sur l'aspect confortable et convivial des véhicules, et sur leur capacité à protéger la vie. Par ailleurs, ils ont désormais l'obligation de proposer, y compris sur les modèles peu coûteux, des limitateurs de vitesse. Construire des véhicules qui roulent à 250 kmh n'a plus aucun sens, étant entendu qu'une voiture doit pouvoir aller jusqu'à 180 km pour pouvoir accélérer au cas où la situation l'exigerait.

J'en viens à la gouvernance. Un signal fort serait de dédier à la sécurité routière une administration, pourquoi pas un secrétariat d'État ? Dans le contexte très difficile que nous connaissons, alors qu'un certain nombre de choses ont été fragilisées, voire détruites, il faudra du temps pour rétablir la confiance entre les Français et les gouvernants. Cette confiance devra être incarnée soit par un délégué interministériel dépendant directement de Matignon, soit par un secrétaire d'État, en tout cas par une structure forte, administrativement cohérente et disposant d'un budget de communication. Car la sécurité routière, si elle est liée aux infrastructures, qu'elles soient régionales ou nationales, est surtout une affaire de communication. La communication peut représenter des sommes très élevées, mais s'il y a un domaine dans lequel elle peut faire avancer les choses, c'est bien celui de la sécurité. La création d'une telle structure serait le symbole d'une réelle volonté politique.

PermalienPhoto de Armand Jung

Je vous remercie sincèrement, monsieur, pour votre contribution aux travaux de notre mission d'information.

Puis la mission d'information procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Jean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances, accompagné par Mme Ludivine Daniel, chargée de mission, et Mme Ludivine Azria, attachée parlementaire.

PermalienPhoto de Armand Jung

Nous poursuivons nos travaux par l'audition d'un représentant de la Fédération française des sociétés d'assurances, M. Jean Pechinot, que je remercie d'avoir répondu à notre invitation.

PermalienJean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances

La Fédération française des sociétés d'assurances – FFSA – est un syndicat professionnel créé en 1937. Elle regroupe 248 entreprises d'assurances qui représentent environ 90 % du marché français et la quasi-totalité de l'activité internationale du secteur. Elle réunit des sociétés anonymes mais aussi de nombreuses sociétés d'assurance mutuelle. S'agissant du risque automobile des particuliers, le marché se répartit à égalité entre les adhérents de la FFSA et ceux du Groupement des entreprises mutuelles d'assurance – GEMA.

La promotion des actions de prévention est une des missions principales de la FFSA, en matière de sécurité routière, bien entendu, mais aussi dans de nombreux autres domaines, via notamment le Centre national de prévention et de protection – CNPP – et la Mission risques naturels.

Avec environ 120 sociétés d'assurances, le marché français du risque automobile est sans doute le plus concurrentiel d'Europe. En 2010, son encaissement s'est élevé à 18,3 milliards d'euros, les prestations à 15,5 milliards et le résultat à 50 millions, alors que les pertes avaient été de 500 millions d'euros en 2009.

L'assurance automobile indemnise environ 10 millions d'événements par an en France, parmi lesquels 270 000 accidents corporels concernant un total de 300 000 victimes – le ratio étant de 1,2 victime par accident.

Si le secteur des assurances participe à la prévention du risque routier, c'est tout d'abord parce qu'il est un acteur très important de l'économie française et qu'il a, à ce titre, un rôle sociétal à jouer. La FFSA est du reste à l'origine de la création, en 1949, de l'Association de prévention routière.

Mais l'objectif de la prévention est également de permettre l'« assurabilité » des risques. À titre d'exemple, le gros problème que constituait le vol des véhicules il y a une quinzaine d'années a conduit les sociétés d'assurances à mener un travail avec les constructeurs automobiles pour diminuer cette sinistralité, en équipant notamment les véhicules de systèmes de sécurité en première monte. Cette démarche a porté ses fruits puisque, au cours des cinq dernières années, la fréquence des vols – c'est-à-dire le nombre de vols rapporté au nombre de contrats d'assurance – a encore baissé de 30 %.

Pour en revenir à la sécurité routière, nous avons conclu au milieu des années 1990 un accord de partenariat avec la Direction à la sécurité et à la circulation routières – DSCR – aux termes duquel les assureurs s'engagent à consacrer 0,5 % des primes de responsabilité civile à des actions de prévention. Les primes s'élevant à 6 milliards d'euros, la somme consacrée à ces actions est de l'ordre de 30 millions.

L'accord prévoit trois axes prioritaires.

Le premier est l'éducation routière, expression à laquelle nous préférons celle de « continuum éducatif ». La prévention commence en effet dès l'école maternelle et primaire, où nous sommes présents notamment par le biais de la Prévention routière. Le concours « Les clés de l'éducation routière » récompense chaque année les établissements qui ont réalisé des actions dans ce domaine.

Ces actions se poursuivent au collège et au lycée, ainsi qu'à l'université où nous luttons principalement, en coordination avec les bureaux des étudiants, contre la conduite sous l'emprise de l'alcool.

J'ajoute que nous sommes les acteurs incontournables de la conduite accompagnée, pour laquelle nous avons pris l'engagement de ne pratiquer aucune majoration de cotisation. Nous organisons également des stages post-permis pour les conducteurs novices.

Le deuxième axe est celui des entreprises, où nous intervenons à deux niveaux.

En premier lieu, dans les grandes entreprises. Celles-ci se plaignaient, il y a une quinzaine d'années, de payer des primes trop élevées. Ces primes reposant sur une analyse de la sinistralité propre à chaque entreprise, nous avons proposé que les sociétés financent avec nous la mise en place de programmes de prévention. Les résultats ont été si satisfaisants qu'il n'est plus imaginable aujourd'hui, pour une grande entreprise, de souscrire un contrat d'assurance sans l'assortir d'un programme de prévention, et que les prix de l'assurance automobile dans ce secteur ont diminué de 50 % en sept ou huit ans.

En second lieu, nous intervenons dans les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles nous avons sollicité la création de l'association PSRE – promotion et suivi de la sécurité routière en entreprise. L'objectif principal de ce travail mené sur le terrain avec d'autres acteurs – en particulier les organismes de sécurité sociale – est de sensibiliser les patrons de PME à l'intérêt de mener des actions de sécurité routière.

Le troisième axe, qui est aussi la dernière étape du continuum¸ concerne les seniors, auxquels des stages de remise à niveau sont proposés.

Pour ce qui est de la lutte contre la conduite sous l'emprise de produits psychoactifs, la FFSA, en liaison avec l'Association de prévention routière, mène des actions telles que « Capitaine de soirée » ou « Rentrez en vie ».

La question des deux-roues motorisés constitue, pour nous comme pour la déléguée interministérielle à la sécurité routière, un grand sujet de préoccupation. Si aucun assureur ne fait de publicité pour assurer ces véhicules, c'est parce qu'il s'agit aujourd'hui d'un risque « inassurable », et donc, sur le plan technique, mutualisé avec le risque automobile.

Comment rendre ce risque assurable ? Après avoir réalisé plusieurs enquêtes, certaines pistes nous semblent prometteuses.

Premièrement, nous attendons avec impatience la réforme du permis de conduire. Le brevet de sécurité routière n'a pour nous aucune valeur et nous demandons avec insistance aux pouvoirs publics de faire du permis des 50 cm3 un vrai permis de conduire à points.

Deuxièmement, nous souhaitons la généralisation du gilet airbag à capteurs, lancé il y a quelques mois pour les motos – malheureusement pas pour les cyclomoteurs – et qui succède au gilet filaire. La plupart de nos adhérents se sont d'ores et déjà engagés à prendre en charge le remplacement ou la réparation de cet équipement en cas d'accident seul en cause. Nous avons néanmoins besoin d'un levier pour lancer ce système : c'est pourquoi nous sommes en train de bâtir un partenariat avec le fabriquant et deux syndicats de moniteurs de moto-écoles. Si l'on incite le candidat dès sa formation à porter un casque intégral et un gilet airbag, il y a tout lieu de penser qu'il se procurera ces équipements lors de l'achat de son véhicule. Pour les constructeurs, l'idée que l'on puisse livrer la moto avec ces gilets n'est pas inenvisageable. Par ailleurs, l'évocation d'une participation financière à l'équipement des moto-écoles a soulevé un certain enthousiasme.

Le gilet airbag doit permettre de réduire, sinon la fréquence, tout au moins la gravité des accidents corporels. Il y a les morts, mais aussi les blessés : combien de témoignages recevons-nous de jeunes gens gravement atteints et complètement désocialisés ! L'objectif est de protéger des lésions les plus handicapantes, celles du rachis cervical, de la colonne vertébrale et de l'abdomen.

À cet égard, nous avons engagé des actions communes avec des associations de victimes, ce qui constitue presque une révolution intellectuelle pour les assureurs. Nous travaillons par exemple avec l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens – UNAFTC – pour améliorer la connaissance des risques qui sont à l'origine des traumatismes crâniens. Nous participons au financement de l'Institut de recherche sur la moelle épinière – IRME – et collaborons également avec la Fédération nationale des accidentés de la vie – FNAV. Ces institutions sont autant de relais en matière de prévention.

Enfin, je rappelle que nous travaillons à partir de statistiques et que ni les données de la sécurité routière ni les nôtres ne sont suffisantes. Nous travaillons donc avec l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux – l'IFSTTAR – et avec le registre des victimes de la route du Rhône, en espérant étendre l'expérience au département de l'Ain, en coordination avec nos collègues de la MACIF.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Notre mission d'information serait très intéressée par les chiffres détaillés du coût des accidents corporels, notamment leur répartition entre les voitures et les motos. Par ailleurs, disposez-vous de données relatives à la responsabilité des collectivités ou de l'État pour cause d'un déficit d'infrastructures ?

PermalienJean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances

Non.

PermalienJean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances

En effet, mais il est très difficile de collecter des données cohérentes d'une société à une autre. Nous n'avons que des données globales. Par exemple, le coût moyen d'un sinistre corporel est de 50 000 euros. De façon plus détaillée, si nous n'avions, il y a sept ans, aucun dossier d'un montant de plus de 8 millions d'euros, il en existe aujourd'hui dix-sept. Les sinistres de plus de 3 millions d'euros ont doublé en cinq ans.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

En tout état de cause, la mission d'information vous serait reconnaissante de lui transmettre les données chiffrées dont vous disposez.

Nous souhaiterions également recueillir des éléments concernant la conduite sans assurance, la conduite sans permis et les indemnisations prévues dans de tels cas.

En matière d'incitation, ne pourrait-on réfléchir à une accentuation du système de bonus-malus ?

Enfin, comment gérez-vous le cas des personnes qui ont eu des accidents alors qu'elles étaient en infraction ? Qu'en est-il de leur capacité à souscrire à nouveau une assurance ?

PermalienJean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances

La conduite sans permis et la conduite sans assurance n'entraînent pas les mêmes conséquences.

Lorsqu'il n'y a pas d'assurance – soit que la personne n'en ait jamais souscrit, soit que le contrat ait fait l'objet d'une annulation pour fausse déclaration, soit que la cotisation n'ait pas été payée dans les délais –, c'est le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, anciennement Fonds de garantie automobile, qui indemnise les victimes et engage systématiquement un recours

Quant à la conduite sans permis, le code des assurances considère qu'elle constitue une exception inopposable aux victimes. Il appartient donc à l'assureur de les indemniser et, en fonction de ses propres critères, d'engager un recours.

S'agissant du bonus-malus, le système a fait l'objet d'un recours devant la Cour de justice des communautés européennes pour atteinte à la concurrence. Le dispositif était inscrit dans la loi de trois pays – France, Belgique et Luxembourg –, mais, dès le début de la procédure, la Belgique s'est empressée d'y mettre fin. La France a persisté et la Cour lui a finalement donné raison.

Aujourd'hui, moins de 10 % des assurés n'ont pas de bonus et 35 à 40 % sont au seuil de 50 %. Certains assureurs pratiquent des bonus complémentaires, mais il s'agit de dispositions commerciales contractuelles qui ne sont pas transférables lorsque le client passe d'une société à une autre. Il me semble que la concurrence, très importante en France comme je l'ai dit, est à elle seule un élément d'incitation considérable.

Pour ce qui est, enfin, des personnes connaissant beaucoup de sinistres, la France a mis en place un Bureau central de tarification. Cet organisme, présidé par un professeur de droit, et réunissant des représentants des assureurs et des représentants des consommateurs, statue sur le montant de la cotisation d'assurance obligatoire et tout assureur est alors tenu d'accepter cette tarification. Il est intéressant de noter que le nombre de dossiers soumis à cette instance a considérablement baissé, passant de 2 000 ou 2 500, il y a trois ou quatre ans, à environ 700 aujourd'hui. De plus, l'alcool est devenu la première cause de refus de prendre en charge un client de la part des assurances.

PermalienPhoto de Armand Jung

Je m'associe à la demande du rapporteur concernant les chiffres.

PermalienPhoto de Philippe Houillon

Je précise que les seuls chiffres objectifs sont ceux des condamnations de l'État ou des collectivités à des indemnisations pour dommages de travaux publics, et de l'intervention des assurances à ce titre. Mais je comprends qu'il soit difficile de les établir.

PermalienPhoto de Gérard Voisin

Comme l'a souligné le rapporteur, il existe des risques associés aux infrastructures. Certaines routes sont particulièrement accidentogènes : 100 morts par an, par exemple, pour la route Centre-Europe Atlantique.

En tout état de cause, les infrastructures jouent un rôle déterminant en matière de sécurité routière. Le ministère chargé des transports et les collectivités territoriales – y compris les municipalités – ont le devoir de les maintenir en état et de veiller à leur signalisation. Il est en effet établi qu'un bon entretien des routes a des conséquences importantes sur la diminution de la mortalité et des accidents corporels.

Je ne peux qu'approuver l'idée de livrer les motos avec un gilet airbag. Sans doute l'effet sera-t-il le même que celui de la ceinture de sécurité pour les voitures. Je considère que ces aspects techniques ont une importance primordiale.

Pour déterminer le montant de la prime annuelle, les assureurs évaluent le risque pour le véhicule, pour le conducteur, pour les personnes qu'il transporte et pour les personnes extérieures susceptibles d'être victimes. C'est là une mine de renseignements qui intéresse notre mission.

En ce qui concerne les systèmes intelligents de transport, tout ne relève pas de la plus haute technologie. Un carrefour à feux, où le conducteur a tendance à accélérer lorsque le feu passe du vert à l'orange, est plus accidentogène qu'un rond-point. L'airbag a constitué une avancée déterminante. Les perspectives ouvertes par l'eCall et le système d'anti-endormissement sont considérables. Les assureurs peuvent et doivent travailler avec les constructeurs pour développer ces systèmes qui, loin d'être des gadgets, sont essentiels à la sécurité de tous.

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

Une question de la part de M. Jacques Myard, qui a dû s'absenter : dans quelle mesure les assureurs peuvent-ils refuser d'assurer les véhicules surpuissants, qui sont potentiellement les plus dangereux ?

Avant l'annonce du ministère de l'intérieur, je travaillais à une proposition de loi tendant à obliger les conducteurs à passer de façon régulière – tous les dix ans, par exemple – un stage de remise à niveau. Une telle obligation étant difficile à instituer, les assureurs seraient-ils prêts à participer financièrement à un dispositif de cette sorte ? À l'évidence, si nous devions passer à nouveau notre permis de conduire, nous serions en difficulté !

La conduite en circuit permet aussi de mieux comprendre le comportement du véhicule. Comment la rendre plus accessible ?

Des questions se posent quant à l'habilitation des organismes effectuant le contrôle technique des véhicules. Les assureurs ont-ils un droit de regard à ce sujet ?

Qu'en est-il, enfin, de l'assurance des personnes qui conduisent un véhicule différent de celui sur lequel elles ont reçu leur formation initiale ? Une voiture automatique, par exemple, suppose une conduite particulière. Les assureurs seraient-ils prêts à aider les conducteurs à s'approprier de tels véhicules ?

PermalienPhoto de Armand Jung

Notre mission auditionnera également les associations de motards. Il nous serait très utile, à cet égard, d'assister à une démonstration du nouveau gilet airbag.

PermalienJean Pechinot, sous-directeur à la direction des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances

Les assureurs, madame Hostalier, n'ont aucun droit de regard sur les centres de contrôle technique. L'habilitation est du ressort des pouvoirs publics. En revanche, la plupart des sociétés d'assurance ont un partenariat avec ces centres, qui accordent des réductions aux assurés.

Le contrôle technique des cyclomoteurs sera mis en place au 1er janvier 2012. Nous y sommes tout à fait favorables : dans une enquête récente effectuée sur 3 000 cyclomoteurs accidentés, nous avons établi que 60 % des véhicules ne répondaient pas aux règles élémentaires de sécurité.

Pour ce qui est des stages de remise à niveau, la directive européenne laisse aux États membres la possibilité de poser des règles concernant l'actualisation du permis de conduire. En tout état de cause, beaucoup d'assureurs s'occupent déjà de remise à niveau, notamment en milieu rural.

Votre question concernant l'assurance des véhicules surpuissants me conduit à soulever un élément d'ordre juridique : lorsqu'un assureur garantit un risque, il peut faire le lien entre le véhicule et son conducteur habituel mais le code des assurances lui impose de garantir la responsabilité de tout conducteur dudit véhicule. Dans l'absolu, donc, nous ne pouvons savoir qui conduit un véhicule surpuissant : le pilote confirmé, par exemple, à qui nous avons bien entendu accordé la garantie, ou son fils ou tout autre jeune conducteur, à qui nous ne pouvons l'interdire.

Dans les faits, les vrais assureurs motos apportent des conseils à leurs clients et peuvent orienter un jeune motard, par exemple, vers un engin semblable à celui qui a été utilisé pour le passage du permis.

Nous sommes très favorables aux avancées technologiques, monsieur Voisin. Mais la Commission européenne a demandé aux assureurs de participer au système eCall en tenant le même raisonnement que le consommateur, à savoir que les primes baisseraient dès les premiers résultats, voire permettraient de financer une partie du système. Pour ma part, je crois que l'on doit se référer à notre expérience en matière de vol de véhicule : il faut que la plus grande partie du parc soit équipée pour que le système soit efficace. Sachant que l'âge moyen du parc est de plus de sept ans, on a une perspective à dix ans. Dans l'intervalle, on continuera à payer les sinistres comme aujourd'hui. On ne peut attendre des conséquences à court terme sur la sinistralité et le coût des sinistres.

S'agissant enfin des infrastructures, nous pourrons nous renseigner auprès des quelques assureurs spécialisés dans la garantie des collectivités locales. La responsabilité de l'État et des collectivités est établie par le tribunal administratif et, en dernier ressort, par le Conseil d'État. Ce n'est pas une procédure des plus rapides. Aussi beaucoup d'assureurs préfèrent-ils payer les sinistres et clore les dossiers, en estimant que la gestion de ces derniers leur coûterait beaucoup plus cher. Il sera donc difficile d'avoir une vue précise de la situation.

Cela dit, j'ai lu dans le Journal officiel de ce matin que le passage à deux fois deux voies de la route Centre-Europe Atlantique ferait l'objet d'une procédure accélérée.

PermalienPhoto de Armand Jung

Je vous remercie, monsieur Pechinot, pour votre contribution.

La séance est levée à 19 heures 40.