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Commission des affaires étrangères

Séance du 13 avril 2011 à 8h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à huit heures trente.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Monsieur le ministre de la défense et des anciens combattants, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion commune de la Commission des affaires étrangères et de la Commission de la défense nationale et des forces armées.

Il y a une semaine, nous vous avions entendu, en compagnie du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, après le premier engagement de la force Licorne à Abidjan. Il s'agissait alors, à la demande du Secrétaire général des Nations Unies, de mettre hors d'état de nuire les armes lourdes utilisées contre les populations civiles et les casques bleus par les forces fidèles à l'ancien président Gbagbo.

A l'issue de ce premier engagement, il paraissait possible que ce dernier s'incline, mais très vite les combats ont repris, plongeant Abidjan dans un chaos complet ce qui a conduit, une nouvelle fois, le Secrétaire général des Nations Unies à demander le concours de la force Licorne aux opérations menées par l'ONUCI. Cette deuxième intervention a permis aux forces d'Alassane Ouattara de reprendre le dessus et de s'assurer de la personne de Laurent Gbagbo.

Vous avez déjà largement expliqué devant la presse et dans l'hémicycle ce qu'a été le rôle exact des troupes françaises au cours des derniers jours. Néanmoins, cette audition vous donne l'occasion de présenter à nouveau l'enchaînement de ces événements, d'apporter aux parlementaires toutes les précisions nécessaires et de leur exposer quelle est aujourd'hui la situation de la Côte d'Ivoire et quelles sont les perspectives.

Le ministre des affaires étrangères et européennes, qui participe aujourd'hui à Doha à une réunion du groupe de contact pour la Libye, ne pouvait malheureusement assister à cette audition. Peut-être pourriez-vous le suppléer en nous indiquant comment ce dénouement est perçu par les pays africains.

PermalienGérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Vous avez eu raison de le rappeler, c'est à la demande du Secrétaire général des Nations unies que les choses se sont accélérées le dimanche 10 avril. Les attaques continues à l'arme lourde que les troupes restées fidèles à l'ancien président Laurent Gbagbo exerçaient à l'encontre non seulement des populations civiles mais aussi des lieux occupés par Alassane Ouattara, ainsi que les menaces et les agressions contre des personnels diplomatiques et contre l'ambassade de France, ont conduit le Secrétaire général à demander l'intervention des forces de l'ONUCI et, en soutien, de la Force Licorne.

C'est assurément un soulagement pour le peuple ivoirien et la condition préalable d'un retour à la paix dans ce pays, que nous appelons bien évidemment de nos voeux. C'est aussi, apparemment, l'impression ressentie aujourd'hui dans l'agglomération d'Abidjan. C'est également une victoire pour la démocratie en Afrique, où onze élections présidentielles doivent se tenir cette année. C'est enfin l'affirmation de l'autorité des Nations Unies et de la communauté internationale.

Factuellement, l'opération a été lancée le dimanche 10 avril par l'engagement de deux hélicoptères MI-24 d'équipage ukrainien de l'ONUCI sur le palais présidentiel. Afin de viser les armes lourdes, précisément des véhicules blindés et des dépôts de munitions, quatre hélicoptères Gazelle ont pris le relais, par vagues successives sur l'enceinte de la résidence du Président de la République ivoirienne, sur le palais présidentiel, qui est le lieu du pouvoir, sur les casernes d'Agban, de Treichville et d'Akouedo, sur la base navale, sur les PC du CeCOS et de la gendarmerie. Ces opérations ont été interrompues par un important orage entre 22 heures et 23 heures 10 et se sont arrêtées à 4 heures du matin.

Lundi 11 avril au matin, à la demande de l'ONUCI, la Force Licorne a pris position sur le boulevard de France, afin d'isoler la partie sud du quartier de Cocody, qui forme une sorte de presqu'île sur laquelle se trouve la résidence présidentielle, ainsi que celle, mitoyenne, de l'ambassadeur de France. Cette prise de position d'un détachement Licorne fort d'une compagnie de chasseurs et d'un escadron, soit une trentaine de véhicules et un peu moins de 200 hommes, a permis d'éviter que des forces et des armes lourdes ne viennent reprendre position là où l'intervention de l'ONUCI les avait neutralisées. Cette présence sur le boulevard de France a accéléré l'évolution militaire de la situation car les troupes bloquées dans le quadrilatère de la résidence du Président ont été isolées du reste des forces. Certains éléments, en se dirigeant vers le boulevard de France, ont pris contact avec la Force Licorne et, assez rapidement, après quelques échanges mais sans véritable combat, se sont rendus. Les forces françaises sont restées dans cette position de cordon et ont laissé passer vers le sud les Forces républicaines de la Côte d'Ivoire, les FRCI, qui se trouvaient au nord et qui avaient tenté la veille dans la nuit une première intervention à hauteur du boulevard Mitterrand. Ce sont ces dernières qui ont attaqué la résidence du Président de la République, qui était occupée par M. Laurent Gbagbo et par les hommes qui lui étaient restés fidèles.

Parallèlement nous observions, au sud du pont, dans le quartier de Treichville, la reddition d'environ 200 membres de la garde républicaine, qui étaient restés sous les ordres de l'ancien Président. Très rapidement, la Force Licorne qui était demeurée en position d'attente a accueilli des combattants effectuant également leur reddition et l'on a compté près de 300 prisonniers sur le boulevard de France. Les prisonniers du sud ont été transférés à l'ONUCI à la hauteur des ponts qui étaient gardés par des éléments jordaniens ; ceux qui se sont rendus à la hauteur du boulevard de France ont été transférés immédiatement sous la garde du bataillon togolais, qui a accompagné à tout instant la Force Licorne positionnée sur le boulevard de France.

Je confirme que les troupes des FRCI ont conduit seules l'assaut de la Présidence et ont procédé, après des négociations, à l'arrestation de Laurent Gbagbo. À ce propos, il est désormais inévitable – on peut s'en plaindre ou s'en féliciter – que des images soient rapidement disponibles. Sans doute celles que nous avons pu voir hier soir à la télévision ont-elles été filmées par des combattants eux-mêmes ou par ceux qui les accompagnaient.

Laurent Gbagbo a ainsi été détenu à 15 heures 08, heure de Paris, et, dans les conditions que la presse a relatées, conduit à l'hôtel du golf où il est sous la garde de l'ONUCI.

Tels sont les faits, dans leur simplicité et dans leur réalité.

Je ferai simplement deux commentaires. Le premier pour souligner que les forces françaises sont intervenues, c'est une évidence, à la demande de l'ONUCI, et que leur professionnalisme, leur sérieux, leur présence notoire et solide ont évité que les violences et les affrontements ne s'étendent à l'extérieur du quartier de Cocody et ont permis d'opérer l'arrestation de l'ancien Président en évitant des règlements de comptes inutiles et des affrontements meurtriers qui n'avaient plus de sens dès lors que le dénouement était parfaitement inéluctable pour les partisans de M. Gbagbo, en raison même de l'isolement que la force Licorne avait organisé.

Je rappelle par ailleurs que cette affaire s'est terminée par l'intervention des FRCI et que, à ce jour, les services publics, en particulier la gendarmerie, l'armée et la police, de l'agglomération d'Abidjan ont fait acte, si ce n'est d'allégeance, du moins de mise à disposition du Président élu. On peut donc espérer que ce dernier bénéficiera progressivement et rapidement de la remise en ordre d'un système d'état de droit s'appuyant sur la présence de ces forces, dans un pays où l'encadrement ne manque pas mais que le désarroi dans le commandement a évidemment paralysé depuis plusieurs mois.

PermalienPhoto de Philippe Vitel

Je vous remercie pour toutes ces précisions.

Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Guy Teisssier, qui conduit cette semaine en Afghanistan une délégation de la Commission de la défense nationale et des forces armées.

Vous avez conclu votre propos en évoquant la nécessité de la reconstruction d'un État de droit, de paix et de sécurité, reconstruction dans laquelle les forces armées et de sécurité intérieure vont jouer un rôle majeur. À l'évidence, lors de l'opération que vous venez d'évoquer, une coopération et une coordination ont été instaurées entre les forces françaises et celles du président Alassane Ouattara. Pensez-vous que la France a un rôle à jouer dans la reconstruction de ces forces militaires et de sécurité ? Allons-nous en particulier participer à la formation de l'armée ivoirienne dans sa nouvelle configuration ?

Pensez-vous par ailleurs que, dans ce cadre, le président Alassane Ouattara peut faire confiance à des responsables d'état-major qui sont restés fidèles à Laurent Gbagbo jusqu'au dernier moment et dont nous avons vu à la télévision qu'ils ont attendu ce matin pour faire allégeance au nouveau président ?

Quel sera enfin l'avenir de la force Licorne, dont les effectifs ont été renforcés pour résoudre la crise ?

PermalienGérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Outre le soutien à l'action de l'ONUCI, la force Licorne avait d'abord pour mission de protéger l'importante communauté de plus de 12 000 ressortissants français qui se trouve dans l'agglomération d'Abidjan, à laquelle se sont naturellement associés nombre de ressortissants d'autres communautés étrangères. Nous avons en particulier exfiltré l'ambassadeur du Japon et nous sommes intervenus au bénéfice d'autres représentations diplomatiques. La très importante et active communauté libanaise d'Abidjan, forte de plus de 80 000 personnes, s'est très largement appuyée sur le soutien et l'accueil apportés par la force Licorne à nos ressortissants. Sur les 5 500 personnes abritées au camp de Port-Bouët, la moitié seulement détenait un passeport français, les autres étant soit des ressortissants européens, soit des membres de la communauté libanaise.

La présence de la force Licorne est ancienne puisqu'elle remonte à des accords de 2003, indépendamment de l'accord bilatéral qui a été signé en 1960, au moment de l'indépendance.

Le Président de la République l'a dit clairement, cette force a vocation à revenir rapidement de 1 700 à 980 hommes, soit les effectifs qui étaient les siens avant la crise. Dans le respect de nos accords bilatéraux, nous devons tout aussi rapidement passer au dispositif prévu par le Livre blanc et mis en oeuvre par la loi de programmation militaire en ce qui concerne le pré positionnement des forces françaises à l'étranger. Deux points d'appui permanents, Djibouti et Libreville, ont été retenus. Nous avons en outre encore des forces au Tchad, dans le cadre du dispositif Épervier, ainsi qu'au Sénégal où elles sont en voie de diminution importante et où ne demeureront que des forces de coopération. La Côte d'Ivoire, où les accords bilatéraux seront réexaminés avec le nouvel exécutif, sera aussi, je l'espère, un lieu de coopération, mais pas de séjour permanent. La Force Licorne a donc vocation à disparaître et le stationnement des troupes à se réduire à la présence d'unités de coopération, d'instruction et de formation, bref, pour prendre un mot à la mode, de monitoring.

Telle est la volonté du gouvernement français, qui se traduira dans les faits au fur et à mesure de l'émergence d'un État de droit. La Côte d'Ivoire a été déchirée depuis dix ans par une instabilité chronique, en particulier ces cinq dernières années, dans l'attente d'élections qui ont enfin eu lieu. Mais ce pays est riche de cadres civils et militaires bien formés. Il appartient à l'État ivoirien de restaurer la confiance, les hommes sont disponibles et le pardon des offenses est assurément le meilleur fondement d'une démocratie apaisée. Tel a été le sens des deux interventions du Président Alassane Ouattara à la télévision ivoirienne : son appel à l'unité nationale, suppose en contrepartie, dès lors que les institutions ont vocation à servir la continuité de l'État ivoirien, que l'on renonce à poursuivre les personnes, à l'exception bien sûr des responsables de crimes de guerre et de délits avérés.

PermalienPhoto de Jean-Paul Lecoq

Vous nous avez présenté une vision quelque peu manichéenne de la situation. Nous ne pouvons en effet oublier que nous nous étions demandé, au lendemain des élections présidentielles, qui avait le moins triché… Pensez-vous vraiment que les exactions et les massacres commis lors des affrontements ne sont que le fait des partisans de Laurent Gbagbo ? Pour vous, l'arrestation de celui que nous, communistes, avons considéré comme un dictateur – d'ailleurs installé et soutenu par la France – serait la victoire de la démocratie. Cette vision simpliste ne saurait faire oublier que la France défend d'abord en Côte d'Ivoire ses intérêts économiques, ce qu'a confirmé hier la déclaration du Premier ministre. Cette politique fait perdre à notre pays toute sa crédibilité à l'étranger.

Mesurez-vous bien aujourd'hui la portée et les conséquences de votre soutien à Alassane Ouattara ? Pensez-vous que ce dernier instituera une commission destinée à juger les exactions, sur le modèle de celle qui vient d'être créée en Tunisie ? Cela paraît indispensable car l'apaisement ne peut reposer que sur la justice.

Vous avez souligné que la mission de la force Licorne était d'accompagner les ressortissants français. Qu'adviendra-t-il de leur sécurité si elle se retire, comme le Premier ministre l'a annoncé hier ?

Pourriez-vous par ailleurs nous rappeler pour combien de temps est installé le président Alassane Ouattara et nous dire si un processus électoral est prochainement prévu en Côte d'Ivoire ?

PermalienPhoto de Yves Vandewalle

La reddition de Laurent Gbagbo n'a été obtenue que grâce à l'appui de l'ONUCI, elle-même soutenue par la Force Licorne. Pourriez-vous nous en dire plus sur l'état des forces nationales de sécurité et de police en Côte d'Ivoire et sur l'autorité réelle qu'exerce Alassane Ouattara sur ces forces ?

PermalienPhoto de François Loncle

« L'ONU et la force Licorne ont-elles été au-delà de leur mandat ? », se demande, dans l'édition datée d'aujourd'hui, l'éditorialiste du Monde, ajoutant que « si oui, elles ont eu raison de le faire ». Sans me prononcer sur ce dernier avis, pourquoi ne pas assumer ? Pourquoi mentir ? En effet, le récit que vous avez fait contredit ceux des journalistes sur place et des hommes d'Alassane Ouattara. On dispose non seulement d'images, mais aussi de témoignages précis sur l'intervention des hélicoptères de la force Licorne qui, à partir de midi, ont pilonné puis détruit la résidence présidentielle. Puis les chars de Licorne sont bel et bien entrés dans la résidence de Laurent Gbagbo. Au moment de l'arrestation de ce dernier, un officier supérieur ivoirien, le général Dogbo, commandant la Garde républicaine, a remis son arme non pas un partisan de M. Ouattara, mais à un officier français. C'est donc bien que ce dernier se trouvait dans la résidence ! Pourquoi ne pas assumer ? De quoi avez-vous peur lorsque vous falsifiez le récit des événements ?

Ma seconde question est de portée plus générale. A l'occasion de chaque envoi de troupes sur des théâtres extérieurs, que ce soit en Afghanistan, en Libye ou en Côte d'Ivoire, le Parlement est placé devant le fait accompli et, lorsque le Président de la République ordonne des bombardements, la représentation nationale n'est ni informée ni consultée. La France fait ainsi figure de regrettable exception au sein des pays démocratiques puisque le Parlement n'y exerce aucun droit de regard sur les opérations militaires extérieures. Comment et quand allez-vous mettre fin à cette anomalie ?

PermalienPhoto de Lionnel Luca

Je tiens d'abord à vous adresser toutes nos félicitations pour l'action de notre armée qui a été, dans cette affaire, absolument remarquable. Toutes les suspicions et les insinuations ne pourront être que douloureusement ressenties par ceux qui ont fait ce travail exceptionnel, sans dérapage, avec professionnalisme. Pour compter dans mon département un certain nombre de personnes qui ont de la famille en Côte d'Ivoire, je puis ici porter témoignage du désarroi qui était le leur de voir notre armée l'arme au pied alors que se déchaînait une véritable guerre civile dans ce pays, et du soulagement qu'elles ont ressenti lorsque l'on a su que l'armée française allait, enfin, participer à la sécurité de nos ressortissants. Si la France n'était pas intervenue, dans quel état serait la Côte d'Ivoire ce matin ? Que serait-il advenu de nos ressortissants ? Dans quelles conditions devrions-nous procéder à leur rapatriement d'urgence ?

Alors, s'interroger à Paris sur le sexe des anges, se demander jusqu'où il fallait ou ne fallait pas aller, savoir si un officier français était là pour prendre les armes, ne présente strictement aucun intérêt et est même presque insultant pour nos compatriotes vivant en Côte d'Ivoire !

Mais maintenant, vient la suite, c'est-à-dire le rétablissement de la paix civile dans ce pays. Le Premier ministre a évoqué hier le retrait de la force Licorne, mais on ne saurait y procéder dans n'importe quelles conditions car la situation reste très tendue. L'apparence de reddition ne vaut pas réconciliation et la communauté internationale doit faire preuve de la plus grande vigilance quant à ce qui va se dérouler maintenant, afin que l'on n'assiste pas à ces règlements de comptes, hélas habituels en ce genre de circonstances. Quel rôle pensez-vous que notre armée doive désormais jouer, au-delà de garantir la sécurité de nos compatriotes ?

PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

On peut tout à fait saluer – et je tiens moi-même à le faire – le sérieux et le professionnalisme de nos soldats, sans pour autant acquiescer systématiquement à toutes les orientations diplomatiques et politiques prises par notre pays. Nous sommes membres des commissions de la défense et des affaires étrangères et non d'un club de supporteurs : notre rôle ne saurait se résumer à applaudir aux actions d'un gouvernement, quel qu'il soit, et toutes nos questions sont donc légitimes !

Vous avez dit, monsieur le ministre, que M. Gbagbo avait été arrêté à 15 heures 08, et vous avez ajouté « heure de Paris », précision qui, me semble-t-il, ne s'imposait pas…

La question n'est pas de savoir si la France est allée au-delà du mandat que lui avait donné l'Organisation des Nations unies, mais si elle a eu raison de faire. À court terme, on peut considérer que cette intervention a permis de mettre fin à une situation extrêmement dangereuse pour les populations de Côte d'Ivoire et pour nos ressortissants. Mais à moyen terme, il est plus difficile de répondre et il est normal que nous soyons attentifs. Je rappelle simplement que les alliés dont s'est entouré M. Ouattara sont loin d'être sans tache et que nous aurons besoin de connaître la vérité sur les événements qui ont précédé la chute de M. Gbagbo, qui relèvent très probablement de la Cour pénale internationale. Je peux comprendre les réticences de la France à se voir associée au nouveau pouvoir, quand on sait que des révélations pourraient être faites sur la situation particulière de certains officiels placés auprès du nouveau Président.

Plus généralement, j'aimerais comprendre la cohérence entre notre intervention en Côte d'Ivoire, les propos qu'a tenus hier le Premier ministre sur le fait que la France avait adressé aux dictateurs africains le message qu'ils devraient désormais respecter les droits de l'homme et la démocratie, et le soutien que notre pays apporte à un certain nombre de régimes, qui s'est traduit notamment la semaine dernière par la ratification d'accords de coopération militaire avec quatre pays qui ne respectent nullement les normes démocratiques. Devons-nous comprendre qu'alors que les élections législatives au Tchad ont été marquées par des fraudes, la France sera particulièrement vigilante lors des prochaines présidentielles dans ce pays et qu'elle empêchera M. Déby de se livrer à son sport favori, qui est la fraude, quand ce n'est pas l'élimination physique de ses opposants ?

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Cette opération visait trois objectifs : mettre fin au chaos, faire en sorte que le travail soit accompli essentiellement par des forces ivoiriennes, veiller à ce que M. Gbagbo, sa famille et son principal entourage soient arrêtés indemnes. Ces trois objectifs ont été atteints et je pense que nos commissions peuvent en féliciter tous les acteurs militaires français.

Ma question porte sur ce qui va se passer maintenant. Nous parlons beaucoup d'Abidjan, mais il faut aussi penser à la province : l'ONUCI peut-elle aujourd'hui exercer une mission d'observation afin d'éviter que des règlements de comptes et des carnages ne se produisent pas dans la banlieue d'Abidjan et en province ? La Côte d'Ivoire ne va pas se remettre rapidement d'une guerre civile aussi brutale.

Il semble par ailleurs que nous ne disposions d'aucun bilan en ce qui concerne les ressortissants français et européens : y a-t-il eu des exactions, des blessés, des morts ? On a parlé d'enlèvements : où en est-on ?

PermalienPhoto de Yves Fromion

Je remercie Jean-Michel Boucheron d'avoir redonné un peu de hauteur à ce débat car ce que nous avons entendu précédemment n'était guère conforme à ce que nous étions en droit d'attendre. J'imagine que nos soldats, qui se sont employés sur le terrain à faire en sorte qu'un dictateur soit mis hors d'état de nuire, auront trouvé ces derniers propos bien plus dignes.

L'engagement de nos forces en Côte d'Ivoire et en Libye a naturellement des conséquences financières très importantes sur le budget de la défense, déjà sous forte tension. Certes, vous nous avez dit il y a peu que nous demeurions sous le plafond des dépenses inscrites au titre des opérations extérieures, mais je crois que l'on ne tiendra pas bien longtemps de la sorte. Comment sera-t-il possible d'éviter que l'ensemble de ce budget ne soit déséquilibré ?

Même si cela ne relève pas de vos compétences, pourriez-vous également nous dire comment la France entend agir lors du deuxième acte de cette opération, c'est-à-dire comment elle va aider la Côte d'Ivoire à se relever le plus vite possible. À quelle action, vraisemblablement internationale, notre pays doit-il donner une impulsion pour que ce pays, tellement important pour l'Afrique, sorte du chaos économique et social ? Allons-nous laisser d'autres intervenants y prendre une place majeure ? Pour dire les choses clairement, allons-nous laisser la Chine acheter la Côte d'Ivoire ?

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

On ne peut qu'être soulagé que la guerre civile soit arrêtée en Côte d'Ivoire.

Dès lors que l'on est acteur dans une guerre de ce type, il est difficile d'être à la fois juge et partie et l'on peut donc comprendre que vous éprouviez le besoin de vous justifier. Mais y avait-il véritablement beaucoup d'armes lourdes dans la résidence de M. Gbagbo, puisqu'elle a été abondamment bombardée par les troupes françaises qui avaient pour mission de détruire de telles armes ?

Après le temps de la justification viendra celui de la transparence et il importe donc que débute au plus vite l'enquête internationale de la CPI et qu'elle soit menée à charge et à décharge, afin que l'on sache de la façon la plus équitable ce qui s'est véritablement passé.

Par ailleurs, peut-on voir dans cette opération l'avertissement que la France adoptera désormais une attitude comparable chaque fois qu'il y aura un problème à l'occasion des onze élections qui doivent se dérouler en Afrique au cours des prochains mois ?

Ne craignez-vous pas enfin que le fait que la France se soit mise en première ligne en Côte d'Ivoire, pays avec lequel elle avait des rapports particuliers et anciens, ne fasse jurisprudence dans d'autres conflits ? Je pense en particulier à la Libye : notre mission pourrait-elle s'en trouver modifiée pour que nous fassions ce que nous avons jusqu'ici nié vouloir faire, c'est-à-dire déposer M. Kadhafi ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Pour que la Côte d'Ivoire retrouve la paix civile, il est indispensable de récupérer les armes qui ont été largement distribuées, y compris à des enfants, par le sinistre M. Gbagbo. La France apportera-t-elle pour cela son concours au gouvernement légitimement élu d'Alassane Ouattara ?

Cela été rappelé, nos forces ont fait le travail qui leur avait été demandé dans le cadre du mandat des Nations unies. Or, j'ai été extrêmement troublé par le phénomène de manipulation médiatique et par les connivences du précédent régime ivoirien avec un certain nombre de nos concitoyens qui ont apporté leur soutien à ce gouvernement totalement illégitime et qui se sont même mis à son service. Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que les médias anglo-saxons se soient faits les propagandistes d'un mouvement antifrançais. Il me paraît indispensable de faire toute la lumière sur ce sujet, c'est pourquoi j'entends proposer la création d'une commission d'enquête sur les agissements qui ont servi, jusqu'en France, la propagande de M. Gbagbo.

PermalienGérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Je rappelle que Laurent Gbagbo est resté au pouvoir alors que son mandat était achevé et que le résultat de l'élection d'Alassane Ouattara avait été reconnu par les autorités internationales. MM. Myard et Lecoq ont évoqué les pro et les anti Gbagbo. De fait il a été élu, il a exercé son mandat de Président, puis il a été battu mais avec un score honorable. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'il ait des partisans, à la différence de certains régimes dont on s'est aperçu après la chute du mur de Berlin, qu'ils ne bénéficiaient que du seul soutien des apparatchiks. Simplement, Laurent Gbagbo et son entourage n'ont pas voulu comprendre que lorsqu'il y a un résultat électoral, il faut en tenir compte…

Je veux ensuite remercier Lionnel Luca d'avoir exprimé le sentiment – j'en suis certain unanime – de la représentation nationale : ce qui va sans dire va tellement mieux en le disant ! Je crois qu'il est bon pour un grand pays qui a une grande armée de dire de temps en temps du bien de ceux qui risquent leur vie non seulement dans cette opération mais aussi de façon constante : pour m'être rendu avant-hier matin à l'hôpital Percy auprès de nos blessés d'Afghanistan, je puis vous dire que certains de ces jeunes gens ne joueront plus jamais au football… Notre armée n'appartient ni à la majorité ni à l'opposition, elle est le bien de la République et cette dernière peut être fière de son patrimoine humain.

J'en viens à vos questions.

Bien évidemment, monsieur Lecoq, les pro Gbagbo ne sont peut-être pas les seuls à avoir commis des exactions. La Côte d'Ivoire est un pays complexe et y aura bien sûr des procédures. Il appartient aux autorités ivoiriennes de saisir la Cour pénale internationale dont l'action peut être complémentaire de celle de la justice nationale. Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a créé une commission d'enquête internationale, qui va s'efforcer de rassembler le maximum d'informations et dont je forme le voeu qu'elle soit impartiale.

Vous avez raison, monsieur Vandewalle, de souligner l'importance de la question des forces de sécurité. À cette heure, se sont mis à la disposition du Président élu, le directeur de la gendarmerie, le directeur de la police, le chef d'état-major des armées, le chef d'état-major de l'armée de terre. Par ailleurs, des patrouilles de gendarmeries ivoiriennes et françaises vont circuler dans Abidjan pour bien montrer qu'un État de droit s'instaure.

Je rappelle toutefois que la Force Licorne avait deux missions seulement, dont la première était de protéger nos compatriotes. Nous avons d'ailleurs vécu cette crise en direct parce que les télécommunications ont toujours fonctionné et que nous connaissons tous dans nos circonscriptions des familles qui ont ainsi été informées en permanence de la situation de nos coopérants, de nos industriels, de nos commerçants, de nos enseignants, de nos militaires, etc. Il y a d'ailleurs eu de nombreux appels d'Abidjan vers la France puis de la France vers la force Licorne, afin de veiller à ce que nos compatriotes ne soient pas isolés.

Je réponds à ce propos à la question de M. Boucheron : selon les informations dont je dispose à cet instant, à l'exception cruelle des quatre étrangers dont deux Français qui ont été enlevés au Novotel, il n'y a pas eu de blessés ou de disparus de nationalité française identifiés. Je suis toutefois prudent car nous n'avons pas pu patrouiller de façon systématique dans les quartiers nord d'Abidjan.

PermalienGérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Non et, contrairement à ce qui a pu être dit, aucun corps n'a non plus été identifié.

Les forces ivoiriennes de sécurité se mettent donc en place, mais la vocation de Licorne n'est pas d'assurer la sécurité à Abidjan et en Côte d'Ivoire. Nous n'en avons d'ailleurs pas les moyens dans un pays dont la surface équivaut aux deux tiers de celle de la France.

Sur les 10 000 hommes que compte l'ONUCI, 2 500 seulement sont déployés à Abidjan et les autres se trouvent donc à l'extérieur, mais il n'est pas certain que cela soit suffisant pour empêcher des règlements de comptes locaux. Espérons que l'existence de la commission d'enquête des Nations unies fera comprendre aux uns et aux autres que rien ne pourra être dissimulé à l'observation internationale.

Non, monsieur Loncle, nous ne sommes pas allés au-delà du mandat et je ne partage d'ailleurs pas le point de vue, plus bienveillant, de M. Gorce pour qui cela aurait été justifié parce que nous poursuivions une juste cause. Nous sommes intervenus dans le cadre du mandat et sur des demandes expresses. Ne vous privez donc pas de la joie de constater que le système a fonctionné normalement : le Président de la République, chef des armées, a informé le Secrétaire général des Nations unies et n'a pris d'autre initiative que d'appliquer les instructions de ce dernier. M'insérant au sein de la filière hiérarchique, j'ai naturellement exécuté les ordres. Pour sa part, le ministre d'État, ministre des affaires étrangères, a accompli un travail remarquable, de même que l'ensemble des diplomates, en particulier notre ambassadeur en Côte d'Ivoire, qui s'est efforcé avec constance et obstination de rapprocher les points de vue et d'éviter l'affrontement généralisé que nous redoutions dans Abidjan.

Je crois, monsieur Loncle, que vous êtes mal informé : il ne faut pas confondre le palais présidentiel et la résidence présidentielle. C'est dans cette dernière, où il n'y avait pas un seul soldat français, que la reddition de Laurent Gbagbo a été reçue par des soldats des FRCI. Mais, si nous avions la certitude que pour de fortes raisons de politique nationale et internationale, les FRCI se montreraient respectueuses de l'ancien Président, tel n'était pas le cas dans un certain nombre de casernes ainsi qu'au palais présidentiel, qui est le lieu du pouvoir et le siège de l'administration et où Laurent Gbagbo ne se trouvait plus depuis des semaines. C'est là qu'un officier de formation française a remis son arme à un officier français qui accompagnait les forces de l'ONUCI. Ne mélangeons donc pas les faits : je suis absolument formel, Laurent Gbagbo s'est rendu à des Ivoiriens.

L'article 35 de la Constitution française oblige à l'information, il n'oblige pas au débat. Cette obligation a été respectée et le Premier Ministre a rencontré les représentants de l'ensemble des groupes parlementaires, que je remercie de s'être rendu disponibles.

Lionnel Luca a mille fois raison : « la reddition ne vaut pas réconciliation ». Mais l'avenir de la Côte d'Ivoire appartient aux Ivoiriens. Tous les responsables se connaissent, ils peuvent mesurer ce qu'ont coûté la division, l'affrontement, l'ébauche d'une guerre civile qui, heureusement, ne s'est pas généralisée. La volonté de parvenir à une paix des braves semble partagée par tous ceux qui sont attachés à la réussite de leur pays. Ce qui est finalement absurde, c'est d'avoir refusé pendant des mois de reconnaître un vote : en démocratie, il n'est pas déshonorant de perdre des élections, nous le savons tous, et cela ne mérite pas de remettre en cause l'État de droit… De ce point de vue, à l'exemple du Tchad, qu'a évoqué M. Gorce, je préfère pour ma part celui du Niger où l'opposant est en passe d'être élu Président de la République. Ce précédent confirmera que la démocratie est un bien partagé par ceux qui gagnent comme par ceux qui perdent les élections.

Si nous étions les seuls gardiens des alternances politiques en Afrique, vous pourriez légitimement vous demander si nous en avons les moyens et la légitimité. Mais, dans l'affaire ivoirienne, nous n'avons fait qu'exercer le mandat de l'ONUCI, c'est-à-dire des Nations unies. Je me réjouis que ces dernières considèrent, au titre de la résolution de 2005, que des résultats électoraux ne sauraient être arbitrés par des armes lourdes. C'est donc le Conseil de sécurité qui exerce cette responsabilité et nous sommes les partenaires d'un projet international : nous ne sommes pas les seuls à porter le fardeau lourd mais honorable de la démocratie dans le monde.

M. Boucheron nous a dit que les trois objectifs avaient été atteints et je le remercie de l'hommage qu'il a rendu aux militaires. J'ajoute que, quand la politique, donc les ordres, sont clairs, il leur est plus facile d'accomplir leur mission.

Yves Fromion a évoqué à juste titre le déséquilibre du budget : les OPEX sont budgétées à hauteur de 900 millions d'euros au titre de 2011. Nous aurons des rendez-vous parlementaires si ce montant devait être dépassé car nous ne saurions financer les OPEX au détriment de la formation et de l'équipement indispensables à notre armée. C'est en tout cas le point de vue du ministre de la défense, que je tenterai de faire partager à l'ensemble du Gouvernement, ce qui sera plus facile avec le soutien du Parlement…

Bien sûr, il faut aider la Côte d'Ivoire à se relever, mais ce n'est plus l'affaire de la défense, à l'exception des missions de coopération pour la formation des cadres de l'armée, de la marine et de la gendarmerie.

Je m'inscris en faux contre l'affirmation de M. Dufau selon laquelle il n'y aurait pas eu d'armes lourdes dans la résidence où demeurait Laurent Gbagbo. Les deux derniers blindés étaient équipés de canons de 20 mm, dont les tirs ont entièrement détruit cinq des sept premiers pick-up des FRCI qui sont entrés dans la résidence par la brèche ouverte. Les forces en présence étaient donc incontestablement déséquilibrées, c'est pourquoi il y avait un devoir absolu de neutraliser ces armes lourdes – non pas que les armes légères soient satisfaisantes, je leur préfère toujours le bulletin de vote…

Je crois avoir déjà répondu sur le TPI et sur la commission d'enquête internationale du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

L'intervention en Libye est d'une nature différente, elle ne répond pas aux mêmes résolutions des Nations unies. Mais, là encore, la France n'intervient que pour mettre en oeuvre ces résolutions. Nous ne sommes pas un pays isolé, de va-t-en guerre, qui décrète le bien et le mal ; nous sommes un partenaire des Nations unies. Depuis 1945 et grâce au général de Gaulle, nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité et cela ne va pas sans un certain sens des responsabilités, auquel nous ne manquons en aucune occasion, lorsque les tensions l'exigent, pas plus d'ailleurs que le Royaume-Uni, l'autre pays européen membre permanent du Conseil de sécurité.

C'est à juste titre que Jacques Myard a insisté sur la nécessité absolue de récupérer les armes pour rétablir l'État de droit. Le Président Wade a suggéré à son homologue ivoirien d'offrir une prime pour chaque arme restituée.

Je laisse en revanche à Jacques Myard la responsabilité de ses propos quant à une manipulation médiatique. Il est vrai toutefois que les Français sont conservateurs et que, quand bien même les Ivoiriens avaient choisi massivement un autre candidat, beaucoup sont restés attachés à Laurent Gbagbo, qu'ils avaient soutenu pendant si longtemps. C'est sans doute une spécificité de notre pays : nous avions les derniers communistes, nous avons les derniers gbagbistes…

PermalienPhoto de Chantal Bourragué

Je ne reviendrai pas sur les questions qu'a posées Lionnel Luca, mais je veux m'associer aux félicitations qu'il a adressées à notre armée, d'autant qu'il n'est pas si fréquent que de telles missions onusiennes se terminent par un succès complet et rapide.

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

A-t-on de la part de M. Ouattara l'assurance que sera préservée l'intégrité physique de ses opposants, notamment des populations qui ont très largement subi le sort qui leur était imposé ?

Dispose-t-on par ailleurs d'un calendrier précis du retrait des forces de l'ONUCI ?

Enfin, confirmez-vous l'information diffusée par la télévision selon laquelle l'ancien ministre de l'intérieur, proche de Laurent Gbagbo, a été assassiné ?

PermalienPhoto de Damien Meslot

Tout comme Lionnel Luca, j'ai ressenti de la fierté à la suite de l'action de nos troupes. Alors que les médias internationaux encensent la France, je regrette que, dans notre pays, une certaine presse et nos collègues de gauche n'aient pas la même vision de cette action.

Il a été dit qu'un certain nombre de mercenaires ont participé aux forces qui soutenaient Laurent Gbagbo, a-t-on pu le vérifier, par exemple lors de leur arrestation ?

PermalienPhoto de Christophe Guilloteau

Je me réjouis que le ministre rende compte de la situation pour la deuxième fois devant nous. Il est bon que la représentation nationale soit ainsi informée et je trouve surprenant, si ce n'est insupportable, que certains collègues profitent de ces moments pour faire leur propre promotion ou celle de leur parti politique. Je ne suis pas sûr que les Français qui se trouvaient en Côte d'Ivoire se soient demandés quelle était exactement la feuille de route de nos soldats… Ces derniers ont été admirables et nous devrions nous contenter de les remercier pour ce qu'ils ont fait, ainsi que leurs collègues d'autres pays.

Quelques questions techniques. Pouvez-vous nous indiquer plus précisément à quel moment nos forces spéciales sont arrivées ? On a évoqué 3 Couguars et 1 Gazelle, le confirmez-vous ? L'aide financière que la France a promise à la Côte d'Ivoire comportera-t-elle une part de matériels ?

Pouvez-vous également nous dire combien exactement des 12 à 13 000 ressortissants français ont été mis sous protection ?

Enfin, si nous devions créer la commission d'enquête que notre collègue Myard a appelée de ses voeux, il me semble qu'elle devrait commencer par auditionner Roland Dumas…

PermalienPhoto de Patricia Adam

Les sociétés militaires privées sont très présentes en Afghanistan, l'ont-elles été également en Côte d'Ivoire ?

Je souhaite par ailleurs revenir sur le coût des opérations : à ma connaissance ce sont 670 et non 900 millions d'euros qui sont inscrits en loi de finances initiale au titre des OPEX. On peut imaginer que ce montant sera très largement dépassé d'autant que, l'an dernier, alors que ces crédits étaient de 570 millions, nous avons en fait engagé 870 millions. Il serait donc bon que nous ayons le plus rapidement possible des précisions sur le coût réel des interventions en Côte d'Ivoire et en Libye.

Enfin, dans le Livre blanc de la défense publié en 2008, l'arc de crise n'était absolument pas celui sur lequel nous intervenons aujourd'hui. Il était en outre prévu que la France limite ses forces présentes en Afrique. L'histoire l'ayant contredit, envisagez-vous de réviser le Livre blanc ?

PermalienPhoto de Daniel Boisserie

Nul parmi nous ne détient le monopole de l'admiration pour l'armée française : nous partageons tous le même sentiment de respect et nous lui adressons nos remerciements.

Les partisans de Laurent Gbagbo sont encore nombreux en Côte d'Ivoire et on sent bien chez eux un fort ressentiment vis-à-vis de la France et de son armée. On craint des exactions contre nos ressortissants. Quelles mesures concrètes entendez-vous prendre dans les jours qui viennent pour protéger effectivement les intérêts des Français ?

PermalienPhoto de François Lamy

En fait, nous avions pour mandat de détruire les armes lourdes et les blindés, ceux-ci se trouvaient dans la résidence, proches du mur d'enceinte, dès lors que nous les avons détruits, les FRCI sont entrées. Les juristes pourront toujours se demander si l'on a exactement respecté le mandat. Pour ma part je pense, comme Gaëtan Corse, que l'action était nécessaire.

Au vu de la montée en puissance des FRCI et de la rapidité avec laquelle elles ont réussi à aller du nord, où elles étaient stationnées, jusqu'au sud, pouvez-vous nous dire si vous avez eu connaissance d'un soutien que leur auraient apporté des puissances occidentales ? La France les a-t-elle soutenues directement ou indirectement, en matériels ou en hommes, par exemple en leur fournissant des instructeurs ?

Le premier ministre nous a dit hier que la Force Licorne allait être ramenée aux 900 hommes qu'elle comportait avant la crise, puis qu'elle quitterait le pays. Avons-nous, en conséquence, demandé au Secrétaire général des Nations unies de renforcer très rapidement les effectifs de l'ONUCI ? Pourriez-vous nous donner un calendrier précis du départ de nos troupes et nous dire pourquoi il serait nécessaire de maintenir des instructeurs en Côte d'Ivoire ?

PermalienPhoto de François Asensi

Bien qu'il soit la première victime de la situation actuelle, le peuple ivoirien est largement absent de nos discussions. Or, il s'agit d'un peuple très pauvre dans un pays très riche, doté d'importantes ressources en cacao, en pétrole, en café, en or. Les intérêts de la France sont présents dans ce pays à travers plusieurs multinationales comme Total, Bouygues, Bolloré, France Télécom. Quelle est la nature des relations que le gouvernement français a entretenues avec ces entreprises en cette période de crise ? Leur a-t-il en particulier conseillé d'agir en faveur du développement équitable du pays afin que les Ivoiriens bénéficient des fruits de sa croissance ?

PermalienPhoto de Philippe Folliot

Je m'associe bien évidemment à l'hommage qui a été rendu à nos forces, qui ont mené, aux côtés de celles des autres pays de l'ONUCI, une action rendue particulièrement difficile par l'imbrication des combattants au sein de la population. Vous avez eu raison de rappeler que nos capacités d'intervention ont été engagées uniquement dans un cadre international, non pas au motif d'un quelconque droit d'ingérence mais dans l'exercice d'un devoir de responsabilité vis-à-vis des populations civiles.

Il faut, mes chers collègues, nous garder des réactions à chaud : lorsque huit militaires basés à Castres sont tombés en Afghanistan dans la vallée d'Uzbin, un certain nombre des informations que nous avons reçues immédiatement se sont révélés fausses par la suite.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer quels moyens français sont engagés pour essayer de retrouver les quatre otages étrangers, dont deux ressortissants de notre pays ?

Par ailleurs, sur les 400 millions d'euros prévus pour la reconstruction de l'État ivoirien et l'aide au développement, certains moyens spécifiques seront-ils dédiés à la réorganisation des forces armées et de la gendarmerie ivoiriennes ?

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

MM. Jacques Lamblin et Jacques Remiller ayant tardivement demandé la parole, je ne puis malheureusement la leur donner, le ministre devant partir dans quelques minutes.

PermalienGérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Ces 400 millions d'aide prennent la forme d'un prêt d'urgence, que complète une aide de 180 millions de l'Union européenne. Rien n'est prévu dans ce cadre pour les équipements militaires et pour la gendarmerie. Votre question est cependant tout à fait pertinente, monsieur Folliot, car la restauration de l'État de droit est un préalable au développement économique.

Monsieur Lamy, le mandat de l'ONUCI vient à échéance en juin ; il devra donc être renouvelé. À cette occasion, il y aura un débat du Conseil de sécurité et la France considère qu'il s'agira d'une date importante pour prendre ses propres décisions concernant la Force Licorne. C'est donc vraisemblablement à partir du mois de juin que nous appliquerons un programme qui tiendra naturellement compte du projet des Nations unies, dont je forme le veut qu'il consiste à maintenir une présence afin que l'État de droit puisse être progressivement restauré avec un partenariat extérieur.

M. Boisserie a évoqué la protection des intérêts français. Nos grandes entreprises, monsieur Asensi, ont bien évidemment tout intérêt au développement de la Côte d'Ivoire, qui est un pays riche avec, en effet, une population trop pauvre, mais c'est un problème général du développement. Je le répète, ce développement suppose d'abord la restauration de l'État de droit : on ne travaille pas dans de bonnes conditions lorsque les risques politiques et militaires sont trop lourds. Au-delà, nous avons demandé la levée des sanctions : elle est effective depuis le 12 avril en ce qui concerne la circulation portuaire et la filière cacao. Mme Lagarde examine avec les grandes entreprises françaises les plus impliquées dans le pays, en particulier le groupe Total, ce qu'il est possible de proposer immédiatement en termes d'investissements et de reprise d'activité. Mais il appartiendra au Président Ouattara, qui est un économiste reconnu, de nous dire exactement ce qu'il entend obtenir comme aide des entreprises européennes et françaises.

À cette aide économique s'ajoute bien évidemment l'aide humanitaire, au bénéfice de laquelle la France a d'ores et déjà mobilisé 2 millions d'euros, versés aux ONG. Pour sa part, l'Union européenne a porté son aide humanitaire à 30 millions. L'urgence humanitaire est réelle : 800 000 à 900 000 personnes ont été déplacées ; sur les 5 millions habitants d'Abidjan, un million ont quitté la ville ; 135 000 Ivoiriens ont trouvé refuge hors du pays, principalement au Libéria.

J'indique à M. Guilloteau que moins de 2 700 des 12 000 Français sont passés par Port-Bouët et que 1 500 ont rejoint les capitales voisines d'Accra, Cotonou, Dakar et Lomé, certains en attente, d'autres pour regagner la France. La majorité de nos compatriotes d'Abidjan a fait preuve d'un grand sang-froid : nombreux sont ceux qui ont accueilli avec sympathie la formation d'un possible repli à Port-Bouët, mais sans l'utiliser.

À notre connaissance, madame Adam, il n'y a pas eu d'intervention de sociétés militaires privées comme celles que l'on observe dans le sillage de l'armée américaine en Irak. En revanche, des gardiennages locaux armés, improvisés et rémunérés, ont été organisés par quartier, par rue ou par commerce, à l'initiative d'entreprises ou de particuliers. Lors de l'enlèvement au Novotel, les quatre gardiens assurant la protection à l'entrée de l'établissement ont été abattus par les agresseurs.

Vous avez par ailleurs raison : le budget des OPEX en loi de finances initiales est effectivement de 630 millions, c'est la tendance qui est de 900 millions et nous aurons donc rendez-vous en fin d'année comme tous les ans sur le sujet.

Bien évidemment, aussi pertinent soit-il, un Livre blanc doit être en permanence réexaminé. Je confirme que les points d'appui en Afrique sont Djibouti et Libreville : il n'y a pas de changement et Licorne n'est donc pas appelée à perdurer. Si un accord bilatéral prévoit la formation de gendarmes et de militaires, nous avons toutefois vocation à assurer cette coopération, comme nous le faisons avec d'autres pays d'Afrique, avec d'autres partenaires comme le Canada au Mali. C'est dans ce cadre que certains hommes pourraient demeurer sur le territoire ivoirien.

Nous ne contrôlons pas les prisonniers, qui sont remis soit à l'ONUCI soit aux FRCI, et je ne puis donc répondre à la question de Damien Meslot sur la présence de mercenaires.

Il me semble, monsieur Dupré, que la notoriété, la transparence et l'information directe constituent la meilleure protection de l'intégrité physique de Laurent Gbagbo et de ses proches. On peut ne pas apprécier les commentaires de tel ou tel journaliste, mais leur travail et le fait que tout soit connu sont positifs pour la sécurité des personnes : le crime discret, ignoré de tous, est de moins en moins possible et je m'en réjouis. Nous voulions éviter les règlements de comptes locaux à Abidjan ; c'est la raison pour laquelle les forces françaises ont isolé les zones de combat et confiné dans un espace maîtrisé ceux qui étaient déterminés à se battre. Mais je n'ai pas d'autre réponse à ce propos car nous n'avons pas vocation à être les gendarmes de la Côte d'Ivoire.

J'indique à M. Guilloteau que les forces spéciales ne sont intervenues que pour l'exfiltration de l'ambassadeur du Japon, et en aucun cas lors des autres opérations.

S'agissant des élections, outre le Niger, on peut citer la Guinée où l'opposant a été élu. Certes, tout ne se passe pas à merveille, mais c'est le début d'une alternance démocratique.

Je vous prie de m'excuser si je n'ai pas répondu à toutes vos questions, mais je dois maintenant me rendre au Conseil des ministres.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Merci, monsieur le ministre, de nous avoir informés aussi complètement. Nous pourrons bien sûr être amenés à vous solliciter à nouveau en fonction de l'évolution de la situation.

PermalienPhoto de Philippe Vitel

Je me réjouis que vous-même, monsieur le ministre, et l'ensemble du Gouvernement alliez beaucoup plus loin que les obligations imposées par l'article 35 de la Constitution. Merci de nous donner de la sorte des informations aussi complètes.

La séance est levée à neuf heures quarante-cinq.