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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Séance du 13 avril 2011 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • client
  • prostitution
  • prostituée
  • réseaux
  • traite

La séance

Source

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Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Guy Geoffroy, le rapport d'information de la mission d'information sur la prostitution en France.

PermalienPhoto de Jean-Luc Warsmann

Je laisse à présent la parole à Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy, respectivement présidente et rapporteur de la mission d'information sur la prostitution en France, pour la présentation du rapport d'information adopté par celle-ci.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

La mission d'information dont l'objet portait sur la prostitution en France a entamé ses auditions en septembre 2010. Elle a mené un travail exhaustif, sans idées préconçues.

Nous nous sommes en effet attachés à entendre des intervenants divers et à examiner, de manière ouverte, leurs propositions, qu'elles émanent d'associations de personnes prostituées, de chercheurs, de philosophes, de juristes ou de médecins.

La mission d'information a auditionné plus de 200 personnes et effectué sept déplacements, dont quatre hors de France, afin d'inscrire sa réflexion dans une démarche comparative vis-à-vis des législations étrangères, notamment européennes.

Le résultat de ce travail est un rapport remarquable de Guy Geoffroy. Il a été adopté, ce matin, à l'unanimité par la mission d'information.

Cette unanimité souligne combien ce rapport montre de manière objective la réalité du système prostitutionnel français et transcende les faux débats, tels que celui sur l'opportunité d'une réouverture des maisons closes ou celui sur la liberté individuelle des personnes prostituées. Les enjeux dépassent de loin ces faux débats. Mais je laisse à présent au rapporteur, dont je salue le travail, le soin de vous faire part de nos constats et propositions.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Je tiens à dire en premier lieu la fierté que j'ai à présenter aujourd'hui ce rapport après son adoption par la mission d'information.

Nous avons su travailler, avec l'ensemble des membres de la mission, dans un esprit positif et réfléchi. Nous avons atteint, me semble-t-il, nos objectifs. Nous avons étudié ce sujet complexe, délicat et bien souvent douloureux, sans a priori, afin de faire non pas oeuvre de moralisateurs mais oeuvre d'acteurs publics éclairés, oeuvre de juristes, puisque cette mission a trouvé sa place au sein de la commission des Lois, et oeuvre de responsables politiques. Toutes les familles politiques représentées au sein de la mission ont travaillé dans une belle harmonie républicaine.

Je salue notre présidente, ainsi que tous les membres de la mission dont les réflexions ont été autant de contributions décisives.

Nous avons pu clore ce long travail d'entretiens et de déplacements par trois rencontres décisives avec les ministres concernés par la question de la prostitution : Mme Roselyne Bachelot, M. Michel Mercier et M. Claude Guéant. Nous avons reçu d'entre eux un accueil extrêmement intéressé et positif, chacun nous faisant savoir son intérêt pour la globalité de notre réflexion.

Nous avons souhaité travailler en partant des principes qui fondent notre République : l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité, la lutte contre les violences quelles qu'elles soient, notamment les violences de genre. Beaucoup des réflexions que nous avons menées trouvent des points de convergence non surprenants avec le travail fourni dans le cadre de la mission sur les violences faites aux femmes.

Notre travail s'est déroulé à plusieurs niveaux. D'une part, nous avons tenté de réaliser un état des lieux de la prostitution, ce qui n'a pas été une mince affaire. D'autre part, nous avons mené une réflexion sur la prétendue nécessité sociale de la prostitution, et plus largement sur tous les préjugés et idées reçues qui l'entourent. Enfin, nous avons formulé trente préconisations qui portent sur les trois acteurs de la prostitution que sont les personnes prostituées, les proxénètes et les clients.

Nous en sommes parvenus à la conclusion que la personne prostituée doit être protégée et aidée lorsqu'elle souhaite quitter la prostitution ; la lutte contre le proxénétisme et la traite doit être accentuée ; enfin, le client, qui fait aujourd'hui l'objet de l'attention des médias, doit prendre conscience qu'il est à l'origine de situations contraires à la dignité humaine.

L'état des lieux de la prostitution aujourd'hui en France n'a pas été aisé à établir. Nous proposons d'ailleurs qu'une enquête nationale soit menée à ce sujet. Par ailleurs, la prostitution des mineurs comme la prostitution en milieu étudiant doivent faire l'objet d'une attention particulière. Aujourd'hui, le nombre de personnes prostituées est évalué, par l'office central de lutte contre la traite des êtres humains, à 20 000, dont 85 % de femmes.

Il y a vingt ans, seules 20 % de personnes étrangères exerçaient la prostitution en France. Aujourd'hui, la proportion est plus qu'inversée, puisque 90 % des personnes prostituées exerçant sur la voie publique sont de nationalité étrangère et le plus souvent en situation irrégulière. Elles viennent principalement de Roumanie, de Bulgarie et des pays voisins, mais aussi, pour l'Afrique, du Nigeria et du Ghana. La prostitution chinoise se développe également.

Nous avons également constaté que la prostitution, y compris chez celles qui déclarent l'avoir choisie, a des conséquences non négligeables et irréversibles. Plus de la moitié des personnes prostituées ont été violées plus de cinq fois. Elles ont par ailleurs cent fois plus de risques de mourir assassinées que le reste de la population. Ce n'est pas là une activité banale ! Au contraire, elle a de lourdes conséquences.

La prostitution n'est jamais exercée de gaîté de coeur. Elle est bien souvent liée à un événement traumatique, parfois dans l'enfance de ces personnes. On pourrait penser que tel n'est pas le cas dans la prostitution dite « de luxe ». Et pourtant, près de la moitié des escortes ont vécu antérieurement un événement qui a permis le passage à l'acte et l'entrée dans la prostitution.

En matière de politiques publiques, le bilan est contrasté. Lorsque la France a signé, en 1960, la Convention des Nations unies de 1949 sur la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle d'autrui, elle a adopté une position abolitionniste dont le postulat fondamental est que les personnes prostituées sont des victimes et qu'il convient de punir ceux qui les exploitent. Ce qui était valable en 1949 l'est encore plus aujourd'hui, puisque les réseaux de traite ont pris une place considérable dans le système prostitutionnel actuel.

La politique de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains a donné des résultats satisfaisants. Nous avons également eu des échanges instructifs sur l'infraction de racolage, dont le but premier était le maintien de l'ordre public et le démantèlement des réseaux. La police a indiqué son utilité ; les associations ont, quant à elles, constaté qu'elle avait contribué à fragiliser les personnes prostituées, désormais isolées en périphérie des zones urbaines.

Nous n'avons cependant pas souhaité centrer nos réflexions sur l'opportunité de maintenir ou non le délit de racolage et ce, d'autant plus qu'une directive européenne va nous conduire à lever les sanctions pesant sur les personnes prostituées victimes de la traite. Nous n'ignorons pas qu'un repositionnement sera nécessaire à terme et nous proposons d'ailleurs que soit évalué l'ensemble de la « boîte à outil » législative sur la prostitution un an après l'entrée en vigueur des dispositions de pénalisation du client.

La déserrance est totale en matière d'accompagnement social des personnes prostituées. Les pouvoirs publics se donnent bonne conscience en finançant les associations d'aide aux personnes prostituées, qui font d'ailleurs toutes un travail admirable. Mais cela ne suffit pas. En réalité, les personnes prostituées souffrent de leur situation avant, pendant et après la prostitution. Quand elles veulent sortir de la prostitution, c'est à nouveau le parcours du combattant ! Les personnes que nous avons rencontrées nourrissent ainsi de fortes inquiétudes sur leur reconstruction psychique et quant à leur identité même.

Nous nous sommes ensuite interrogés sur ce qu'est fondamentalement la prostitution. Pourquoi la prostitution est-elle considérée comme un invariant social, une activité utile à la société, vouée à ne jamais disparaître ? Nous avons entendu, en Espagne, que la prostitution protégeait l'institution du mariage, les maris volages n'entretenant pas de réelles relations adultères grâce à la prostitution. Plus encore, la prostitution limiterait le nombre de viols ! Bien au contraire, des études menées en Suède et au Nevada montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre la légalisation de la prostitution et la diminution du taux de viol, bien au contraire.

La prostitution permettrait également de répondre à la misère sexuelle dans laquelle sont plongés certains hommes. Mais, plus de deux tiers des clients de la prostitution sont ou ont été en couple, et près de la moitié sont des pères de famille. Ce n'est pas là l'idée que l'on se fait de la misère sexuelle ! Par ailleurs, on entend souvent que la prostitution soulagerait les maux psychologiques de certains. Là encore, comme nous l'a dit une jeune femme anciennement prostituée, « notre corps est engagé ». Ce n'est pas un réconfort moral que les personnes prostituées amènent au client. Enfin, la prostitution libre n'existe pas. Une contrainte préside toujours au choix de la personne.

Nous ne sommes pas des moralistes, ni des puritains, mais bien des citoyens. C'est à l'aune des valeurs de la République, telles qu'elles sont traduites dans notre droit, que nous avons analysé la prostitution. En premier lieu, la non patrimonialité du corps humain, qui figure à l'article 16-1 de notre code civil, fait obstacle à la marchandisation du corps humain.

Ensuite, la violence subie au quotidien par les personnes prostituées est incompatible avec le principe d'intégrité du corps humain. Les divers témoignages recueillis par la mission d'information font état des sévices terribles vécus par les personnes prostituées victimes de la traite : violées, privées de sommeil, battues, elles se sentent presque libérées lorsqu'elles arrivent sur les trottoirs français.

« La prostitution abîme », nous a confié l'une d'entre elles. Nous garderons longtemps en mémoire les larmes des personnes que nous avons pu rencontrer. Les psychiatres font ainsi un rapprochement entre les violences subies par les personnes prostituées et les traumatismes résultant des violences les plus graves.

Enfin, l'égalité entre les hommes et les femmes constitue le dernier repère. La même réflexion sur l'égalité de genre a conduit les Suédois à libéraliser les moeurs dans les années 1970 et à pénaliser les clients en 1999. De fait, les clients sont presque exclusivement des hommes. Est-il normal que des corps de femmes soient en permanence à leur disposition ? On nous a indiqué que des rues dédiées à la prostitution étaient interdites en Allemagne aux femmes non prostituées. Lorsque la mission s'est rendue à La Jonquera, en Espagne, l'entrée des maisons closes a été refusée aux membres féminins de la délégation. Les personnes prostituées qui y travaillaient étaient d'ailleurs conduites sur les lieux par des hommes. C'est dire si cette question est sexuellement clivée.

L'analyse politique, juridique et républicaine de la prostitution nous a conduit à formuler 30 propositions, visant les clients, les proxénètes et les personnes prostituées.

Nous avons été sensibles à l'exemple suédois et à ses résultats spectaculaires et incontestés. En dix ans, la prostitution de rue a diminué de moitié et elle ne s'est pas réfugiée ailleurs, sur Internet ou sur des bateaux en mer Baltique. Des écoutes téléphoniques réalisées par la police suédoise ont montré que désormais les réseaux se désintéressaient de la Suède, ce qui a également eu un impact sur la criminalité de manière générale.

Le corps social comme le corps politique se sont d'ailleurs rendus à l'évidence. Alors que seul un tiers de la population soutenait la loi pénalisant le client en 1999, ce sont aujourd'hui les trois quarts qui s'expriment en sa faveur. Il en va de même au sein des partis politiques : ceux qui n'avaient pas voté la loi en 1999 ont affirmé qu'ils agiraient tout autrement aujourd'hui, tant la loi a fait la preuve de son efficacité.

À tout le moins, nous devons essayer d'aller dans cette direction en créant un délit de recours à la prostitution, mais surtout en sensibilisant les clients par le biais de rappels à la loi. D'ailleurs, en Suède, ce délit n'a donné lieu qu'à 700 peines d'amende en 10 ans, et à aucune peine d'emprisonnement. La répression a donc posé une sorte de frein mental à la prostitution, ce qui a permis la diminution de celle-ci.

Les personnes prostituées doivent être mieux accompagnées qu'elles ne le sont aujourd'hui. Elles doivent bénéficier d'un accompagnement intégral. Les associations fournissent aujourd'hui un travail admirable. Mais, comme le tonneau des Danaïdes, ce travail se perd dans les sables. C'est pourquoi nous proposons que des référents soient instaurés dans chaque service de l'État concerné, afin de faciliter le parcours administratif des personnes prostituées. Ensuite, nous devons prendre des dispositions intelligentes et responsables en matière de délivrance de titres de séjour. De même, l'accès au logement, aux soins, à la formation et à l'emploi doit être assuré.

Le proxénétisme fait d'ores et déjà l'objet d'une lutte efficace, qui doit être amplifiée et systématisée. Nous devons tirer parti des dispositifs communautaires que sont Europol et Eurojust. Il est aujourd'hui nécessaire de s'appuyer sur ces institutions. De même, des partenariats doivent être noués avec les chaînes hôtelières qui abritent malgré elles des « sex tours ». En outre, la presse quotidienne régionale, qui publie des petites annonces à caractère prostitutionnel dans l'impunité la plus totale, doit être sensibilisée à la question.

Enfin, il faut davantage confisquer les avoirs criminels. L'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que le président Jean-Luc Warsmann et moi-même avons d'ailleurs contribué à créer, devra prendre la place qui lui revient sur cette question qui génère des flux financiers considérables.

La traite et la prostitution, loin d'être deux phénomènes distincts, se confondent de plus en plus. C'est pourquoi nous avons présenté ces conclusions, dont nous pensons qu'elles sont cohérentes et respectueuses de l'ensemble des valeurs fondatrices de notre République.

PermalienPhoto de Philippe Goujon

Les conclusions de ce rapport étaient attendues par beaucoup d'entre nous. Étant moi-même membre de la mission d'information, je tiens à féliciter sa présidente et son rapporteur pour le travail considérable qui a été accompli et l'audace des propositions soumises à la commission des Lois.

Après une longue réflexion et plusieurs mois d'écoute et d'étude, nous entrons dans une nouvelle phase dans la prévention des phénomènes prostitutionnels, dont on peut attendre beaucoup. Jusqu'à présent, les dispositifs existants n'ont pas suffisamment permis de contrer ce phénomène qui se développe et évolue profondément.

La sanction pénale des clients constitue, à cet égard, une mesure plus qu'intéressante car elle a bien fonctionné dans les pays qui l'ont appliquée, à l'instar de la Suède. En France, l'exemple des mesures volontaristes mises en oeuvre à l'encontre des clients, il y a quelques années, dans le bois de Boulogne, qui était devenu le centre mondial de la prostitution de travestis, montre que de telles initiatives peuvent permettre d'assainir une situation et diminuer la « prostitution de la misère ».

Cette sanction va d'autant plus dans le bon sens que la prostitution s'apparente à une violence exercée à l'encontre de personnes humaines – parfois extrêmement fragiles dans la mesure où il s'agit souvent de mineurs isolés ou d'individus en rupture familiale, violence qui bafoue leur dignité et leur intégrité physique voire psychique, ce qui est particulièrement grave.

Ces personnes sont en outre les victimes de réseaux criminels très organisés, du stade de leur immigration jusqu'à l'exploitation de leur prostitution. Le visage de la prostitution a beaucoup évolué depuis l'image de la prostitution de trottoir des années 1920, popularisée à travers certains films : aujourd'hui, 80 % des personnes prostituées sont d'origine étrangère, ce qui illustre bien qu'il s'agit d'une « prostitution de la misère » – il nous a même été fait état de passes à 5 euros dans certaines villes… Originaires principalement d'Afrique et d'Europe de l'Est, les personnes prostituées d'aujourd'hui sont totalement tributaires de réseaux. La Chine apparaît aujourd'hui comme un nouveau lieu de provenance.

Parallèlement, Internet a aboli les frontières et permis à ces réseaux de prospérer à travers de nouvelles formes de prostitution, telles que l'organisation de tournées sexuelles d'escortes dans certains hôtels, de sorte que le législateur devra se pencher sur cette évolution et mieux la prendre en compte.

Je souhaite enfin souligner que l'instauration d'une sanction pénale pour les clients nécessitera de pérenniser le délit de racolage passif, complémentaire à bien des égards, même s'il faudra sans doute l'articuler avec le droit communautaire en gestation. L'instauration de ce délit en 2003 s'est accompagnée d'effets positifs, puisque les troubles à l'ordre public ont notablement diminué dans les deux années qui ont suivi. Il est vrai, cependant, que le taux de déferrement au parquet des personnes interpellées a diminué et que la prostitution sur la voie publique réapparaît, notamment à Paris, du fait de la propension de l'autorité judiciaire à se contenter de rappels à la loi, bien peu dissuasifs. Pour ma part, je souhaite me faire le relais des services spécialisés de la préfecture de police de Paris pour insister sur la nécessité d'appliquer de manière plus effective les sanctions prévues.

Il me semble, mais ce sera là mon seul regret, que le rapport de la mission d'information ne met pas suffisamment en avant les apports positifs du délit de racolage passif. Pour le reste, l'exemple suédois, qui révèle une diminution de la prostitution et un détournement sensible des réseaux mafieux vers d'autres pays, nous invite à introduire rapidement dans notre droit la pénalisation des clients, dont j'approuve le principe.

PermalienPhoto de Pascale Crozon

Je souhaite remercier les membres de la mission d'information pour le travail qu'ils ont accompli. Il s'agit d'un sujet difficile, qui donne lieu à des remarques et des sourires convenus car il est ancré dans l'inconscient – ou le conscient d'ailleurs – de notre société.

S'agissant de la troisième proposition de la mission d'information, consistant à dispenser obligatoirement un enseignement en matière d'éducation à l'égalité de genre dès l'école primaire et à tous les niveaux de formation, je m'interroge sur l'applicabilité d'une telle préconisation. Depuis 2001, l'éducation sexuelle est obligatoire dans les établissements scolaires mais cet impératif n'est mis en oeuvre que de manière aléatoire, ce qui nourrit mes interrogations. Ce point me semble important car la proposition de la mission d'information - qui rejoint d'ailleurs un certain nombre d'autres problématiques liées à la prévention des violences faites aux femmes ou à l'interruption volontaire de grossesse - est intéressante et doit, à mon sens, trouver à se concrétiser. En effet, plus la sensibilisation des esprits intervient tôt, plus les mentalités changent réellement.

Pour ce qui concerne les réseaux de traite internationaux, je souhaiterais avoir votre sentiment sur les actions qui vous semblent envisageables pour les démanteler plus efficacement.

Je conclurai mon intervention par un regret. Même si j'ai entendu les arguments avancés par le rapporteur, j'aurais souhaité la suppression du délit de racolage passif, qui me semble constituer une mesure injuste à l'encontre des personnes prostituées. En Suède d'ailleurs, cette suppression est intervenue concomitamment à la pénalisation des clients et il me serait apparu opportun que nous n'attendions pas les évolutions communautaires à venir pour nous pencher sur ce point.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Schosteck

Je félicite également les auteurs de ce rapport, qui paraît très complet et approfondi. Je souhaite toutefois exprimer une crainte, celle que la proposition n° 1 consistant à pénaliser le client n'occulte le reste des propositions. J'avais été rapporteur au Sénat du projet de loi reconnaissant la traite et l'esclavage comme crimes contre l'humanité, et j'avais à l'époque regretté que les dispositions ne s'appliquent qu'au passé et ne puissent pas s'appliquer aux réseaux actuels.

Or, la lutte contre la traite me paraît être l'élément le plus important. Le problème vient du fait que les réseaux, bien qu'ils soient connus et visibles, ne sont pas suffisamment attaqués, notamment par les juridictions interrégionales spécialisées en matière de criminalité organisée qui ne font pas tout le travail qui serait nécessaire. Il me semble donc indispensable de porter l'effort sur la lutte contre la traite, que la pénalisation du client ne doit pas conduire à occulter.

Par ailleurs, j'ajouterai, au sujet de la proposition n° 13 consistant à classer les personnes prostituées comme prioritaires pour l'accès au logement social, que l'ajout, une fois de plus, d'une nouvelle catégorie de populations prioritaires n'est pas de nature à placer les élus locaux dans une situation facile, faute de pouvoir créer de tels logements en proportion.

PermalienPhoto de Alain Vidalies

Ayant été rapporteur en 2001 de la mission d'information sur l'esclavage moderne, j'avais accompli le même parcours et réalisé les mêmes constats que ceux exposés aujourd'hui par le rapporteur de la mission d'information sur la prostitution. Je trouve affligeant que, dix ans après, l'on retrouve des témoignages identiques sur les réseaux et leur violence.

Le rapport et les propositions qu'il contient prennent pour point de départ que la prostitution est forcément liée à la traite des êtres humains. Or, historiquement, ce n'est pas vrai, et ce n'est pas aujourd'hui vrai pour la totalité des personnes prostituées. En réalité, la proposition consistant à pénaliser le client de la prostitution peut s'entendre comme un constat d'échec de la lutte contre les réseaux. En effet, la véritable réponse réside dans la lutte contre les réseaux, dont la violence est insupportable. Mais, alors que la lutte contre le proxénétisme au niveau national a été couronnée de succès dans les années 1970, en permettant presque de l'éradiquer, le constat d'aujourd'hui est celui de l'échec et de l'impuissance face aux réseaux internationaux de prostitution.

Ces réseaux sont complexes et atomisés, avec des ramifications dans plusieurs pays. Il faut néanmoins souligner que leur action est facilitée par les circuits financiers, et par certaines banques spécialisées dans les transferts de fonds telles que Western Union.

Mon sentiment est que c'est ce constat d'échec qui conduit aujourd'hui à formuler une proposition tendant à éradiquer la demande, par la pénalisation du client. Mais la formulation de cette proposition soulève des problèmes de cohérence, tout d'abord sur le plan fiscal, au regard de la prise en compte de la prostitution au titre de l'impôt sur le revenu. Le rapport reproduit une note adressée par le ministre du Budget, dont le paragraphe sur la déduction des sommes versées aux proxénètes est absolument stupéfiant : « L'imposition est établie sur la totalité des revenus perçus. Les sommes rétrocédées le cas échéant aux proxénètes sont admises en déduction ». Il y a également une incohérence dans le fait de maintenir le délit de racolage si l'on considère que les personnes prostituées sont des victimes de la traite : le délit de racolage, appliqué à des victimes, n'a alors pas de sens.

Je considère donc qu'il serait plutôt nécessaire d'apporter une réponse au phénomène de la traite, en adoptant au niveau européen une organisation policière et judiciaire qui soit adaptée à l'importance des réseaux à combattre.

À ce stade, je m'interroge sur l'efficacité que pourra avoir la pénalisation du client. Le risque, si la France choisit cette voie, est que se développe un tourisme prostitutionnel vers la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne ou l'Espagne.

Une autre solution aurait pu consister à légaliser la prostitution, afin de la contrôler, comme c'est le cas aux Pays-Bas, tout en étant conscient que cela n'élimine pas nécessairement les réseaux.

Je partage donc l'orientation principale du rapport : celle consistant à dire que l'on ne peut pas rester inactif face au constat d'impuissance à lutter contre les réseaux. Mais je pense que le pénalisation du client aura beaucoup d'inconvénients, notamment celui d'accroître les risques pour la sécurité des personnes prostituées, qui seront contraintes de se cacher davantage. Un suivi de l'application de la réforme sera nécessaire et, si mes craintes sont fondées, il faudra alors envisager de rechercher d'autres solutions.

PermalienPhoto de Patrice Verchère

En écoutant le rapporteur, je mesure combien certaines situations rencontrées lors de cette mission ont dû être douloureuses et combien il a dû être difficile de faire des propositions sur un tel sujet. À ce titre, j'adresse mes félicitations aux membres de la mission pour l'ensemble du travail qui a été réalisé.

Je rejoins M. Alain Vidalies sur le caractère édifiant de la circulaire que le ministre du Budget vous a transmise dans sa réponse : il est désormais avéré que le plus grand proxénète est bien l'État lui-même. Aussi aurai-je une question : combien la prostitution déclarée rapporte-t-elle chaque année au fisc ?

Enfin, la mission a formulé des propositions destinées à aider les personnes souhaitant en finir avec la prostitution, comme les aides au logement ou à la réinsertion. Ne peut-on pas, dans cette perspective, envisager que ces aides soient financées à partir des impôts que l'État prélève sur la prostitution ?

PermalienPhoto de Émile Blessig

Je m'associe à tout ce qui vient d'être dit sur le caractère complet et quasi-exhaustif des travaux réalisés par la mission.

J'observe ensuite que la notion de non patrimonialité du corps humain, sur laquelle le rapport met l'accent, est une notion que l'on retrouve aujourd'hui dans de nombreuses problématiques, comme les dons d'organes et les rapports sexuels.

Je m'interroge enfin sur les conséquences qu'induirait la pénalisation du client. En effet, une mesure aussi emblématique ne risque-t-elle pas de conduire à un transfert de la prostitution de la voie publique – forme la plus visible et la plus miséreuse de la prostitution – vers Internet qui ne connaît pas les frontières et qui repose sur l'anonymat le plus complet ? La question doit être posée afin de lutter contre ce « cancer » de la société.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Je souhaiterais répondre à certaines des points évoqués par les différents intervenants.

En ce qui concerne la lutte contre les réseaux internationaux de traite, une meilleure coopération entre États est nécessaire. C'est pourquoi nous proposons de promouvoir, au niveau international, la ratification du protocole de Palerme.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

À ce titre, il faut préciser que la position que prendra la France en matière de prostitution jouera un rôle très important au niveau européen. Nous sommes aujourd'hui sur la ligne de crête. Les choses peuvent basculer soit du côté de la légalisation de la prostitution, soit du côté d'une conception de la prostitution comme constitutive d'une violence, ainsi que le propose la mission. La France joue dans ce domaine un rôle essentiel, comme cela nous a été dit dans plusieurs pays étrangers.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

L'attente est en effet grande en Europe quant à la position que prendra la France. La Suède, la Norvège et l'Islande pénalisent d'ores et déjà les clients. L'Irlande et le Royaume-Uni l'envisagent. À l'inverse, des pays comme l'Espagne et les Pays-Bas ne considèrent pas la prostitution comme une forme de violence.

Bien évidemment, toutes les personnes prostituées ne sont pas des victimes de la traite des êtres humains. Pour autant, ceci ne signifie pas que la prostitution soit librement exercée. Dans certains cas, il peut exister un proxénète, par exemple le mari ou un membre de la famille. Dans d'autres, la prostitution s'apparente à une stratégie de survie. C'est le cas notamment pour les travestis prostitués que nous avons rencontrés et qui ont témoigné du rejet social dont ils faisaient l'objet. Enfin, il faut prendre en compte le fait que de nombreuses personnes prostituées ont débuté cette activité alors qu'elles étaient mineures, ce qui n'est pas sans soulever de question au regard de la liberté du consentement. Le client exploite donc dans tous les cas la vulnérabilité des personnes prostituées.

Par ailleurs, il faut souligner que les Pays-Bas s'apprêtent à encadrer encore davantage la prostitution en instaurant une obligation d'enregistrement pour les établissements de prostitution et pour les personnes prostituées. Or il est parallèlement envisagé de pénaliser les clients des personnes prostituées qui ne se situeraient pas dans le cadre légal.

En ce qui concerne la problématique fiscale, il faut préciser que la déduction des sommes versées aux proxénètes pour le calcul de l'impôt sur le revenu est illégale, ainsi que l'a jugé le Conseil d'État. Par ailleurs, le ministère des Finances n'a pas été en mesure de nous indiquer quelle était la recette fiscale procurée par l'imposition de la prostitution.

L'éducation à l'égalité entre les sexes est essentielle. Pour nous assurer que la proposition que nous formulons en la matière soit bel et bien mise en oeuvre, le rapport sera adressé au ministre de l'Éducation nationale et nous lui demanderons quelles sont les suites qu'il compte lui donner.

Enfin, je souhaite souligner que la prostitution, même lorsqu'elle n'est pas la conséquence de la traite des êtres humains, est constitutive d'une inégalité entre les sexes.

La Commission autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à 12 heures 45.