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Commission des affaires étrangères

Séance du 2 mars 2011 à 11h45

Résumé de la séance

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  • kirghizstan

La séance

Source

Audition de Mme Rosa Otounbaeva, présidente de la République du Kirghizstan.

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Rosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan, accompagné de M. Ruslan Kazakbaev, ministre des affaires étrangères, et M. Melis Mamejanov, ministre des finances.

C'est un honneur pour nous, madame, d'accueillir la Présidente d'une jeune République, avec laquelle la France entretient d'excellentes relations. Votre présence dans notre pays, à l'occasion de la Conférence de l'Initiative pour la transparence des industries extractives, souligne votre volonté de donner à la République kirghize un nouveau cadre pour affermir son engagement démocratique. Après la « révolution des tulipes » en 2005, le peuple kirghize a renversé, en avril 2010, le régime du Président Bakiev, qui était tombé progressivement dans l'autoritarisme. Un gouvernement provisoire a été formé dont vous avez pris la direction, puis un référendum vous a portée à la tête de l'État kirghize.

Lors de votre accession à la Présidence, en juin 2010, vous vous êtes engagée à organiser, d'ici au mois de décembre 2011, une élection présidentielle à laquelle vous ne serez pas candidate. Vous aurez à coeur de veiller à ce que le scrutin ne soit entaché d'aucune violence et d'aucun comportement antidémocratique. La France et l'Europe peuvent certainement apporter leur contribution pour faciliter la transition kirghize.

Sur le plan économique, votre pays dépend très largement de l'industrie minière, notamment des mines d'or, et des transferts des Kirghizes émigrés : la diversification de son économie est donc un enjeu important pour l'avenir.

Par sa position au coeur de l'Asie centrale, la République kirghize est également soumise aux tensions multiples qui animent la région. Votre pays entretient une relation forcément privilégiée avec la Russie, et il s'est rallié, dès l'automne 2010, à la coalition antiterroriste.

Nous sommes également intéressés par l'évolution des relations du Kirghizstan avec ses deux principaux voisins, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan.

PermalienRosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan

Mesdames et messieurs les députés de l'Assemblée nationale française, c'est pour moi un grand honneur de m'exprimer devant vous. J'ai appris un peu le français autrefois, en Avignon, mais j'ai malheureusement presque tout oublié. Aussi m'exprimerai-je en russe.

À la fin des années 1980, lors de la glasnost et de la perestroïka, M. Chevardnadze m'avait demandé de participer à la création d'une commission de l'URSS pour l'UNESCO, commission dont je suis devenue présidente. J'ai eu alors, à ce titre, l'occasion de venir plusieurs fois à Paris, et je suis très heureuse d'y revenir en tant que Présidente d'une République indépendante.

Notre délégation, composée de deux membres du Gouvernement et de plusieurs députés, dont la vice-présidente de l'Assemblée, était hier à Bruxelles pour présenter notre République et exposer les questions qui intéressent son développement. La Conférence de l'Initiative pour la transparence des industries extractives, à laquelle nous participons, me donne aujourd'hui l'occasion de vous rencontrer.

Les énergies extractives occupent en effet une place essentielle dans notre économie. De grandes entreprises, notamment nord-américaines, travaillent sur des gisements d'or parmi les plus importants du monde, estimés à 700 tonnes, dont les deux tiers ont déjà été exploités. Notre pays, montagneux, dispose par ailleurs d'importantes ressources en eau qui approvisionnent les pays voisins, comme l'Ouzbékistan. Il possède aussi de grandes centrales hydrauliques, mais les infrastructures étant quelque peu désuètes, les coupures d'électricité sont fréquentes, ce qui est un paradoxe au regard des ressources.

Au cours des cinq dernières années, notre pays a connu des bouleversements. Notre Parlement, comme chez certains de nos voisins, était dominé avant 2010 par un seul parti, qui détenait 70 des 90 sièges. Il était très difficile de s'y faire entendre. C'est dans ces conditions que notre opposition a atteint le point de rupture à l'origine des événements d'avril 2010. La foule qui s'est rendue alors devant le palais présidentiel pour demander la démission de M. Bakiev fut accueillie par des balles : 87 personnes y laissèrent la vie et des centaines d'autres furent blessées ; certaines meurent encore aujourd'hui des suites de leurs blessures. Le 7 avril, avec mes collègues de l'opposition, je me suis rendue au Parlement pour exiger, et finalement obtenir, la capitulation du pouvoir en place. Nous avons alors promis de réécrire la Constitution pour instaurer un régime parlementaire et d'organiser des élections législatives.

Après le référendum du 27 juin dernier, des élections législatives libres, démocratiques et transparentes ont été organisées le 10 octobre. Des contestations ont rendu nécessaire un recomptage des voix, terminé en décembre. Cinq groupes parlementaires se partagent les 120 sièges, parmi lesquels un parti d'opposition nationaliste arrivé en tête des élections. Un nouveau Gouvernement a également été formé, au sein duquel sont représentés les trois partis qui forment la majorité. Nous sommes très fiers d'avoir montré qu'un tel processus démocratique était possible en Asie centrale et dans les pays de l'ancienne URSS.

Si mes prérogatives sont relativement étendues – les forces de l'ordre, à travers le ministère de la sûreté, sont sous mon contrôle –, notre pays vit désormais sous le régime de la séparation des pouvoirs, avec des institutions permettant les échanges démocratiques. Il est cependant confronté à de graves problèmes économiques et financiers, et le projet de budget en est à sa troisième lecture. Au Parlement, la commission des finances et celle de l'ordre public sont dirigées par des membres de l'opposition : autant vous dire que toutes les dépenses du Gouvernement sont passées au crible ! Par souci d'économies, je n'utilise quant à moi que des vols réguliers pour tous mes déplacements, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Bien qu'une telle organisation politique soit incompréhensible pour nos voisins – le Président Medvedev nous a affirmé sans détours qu'elle n'était pas viable –, nous nous efforçons, jour après jour, de suivre notre chemin. Notre pays, dont certains territoires étaient inclus autrefois dans le grand khanat, a hérité d'une longue tradition nomade : les particularismes y sont relativement marqués, notamment entre le nord et le sud, et les influences ouzbekes se font sentir à l'ouest. Mais il forme une seule et même nation, que ce soit au regard de la langue, de la culture ou de la religion. Nos problèmes, bien qu'encore nombreux, sont au fond ceux de n'importe quel pays naissant.

Malgré notre arrivée au pouvoir, le clan Bakiev a gardé la main sur de nombreuses richesses qu'il avait privatisées à son profit ; il a d'ailleurs tout tenté pour nous renverser. Un peu partout dans le pays, nos forces de l'ordre ont dû affronter des bandes criminelles armées, notamment le 10 juin dernier, dans le sud, où le nouveau pouvoir, encore faible, n'a hélas pu empêcher la répétition des violences de 1992. Le Kirghizstan étant au carrefour de nombreux trafics de drogue, certains souhaitaient un retour au régime de M. Bakiev, qui, en son temps, avait d'ailleurs essayé de prendre le contrôle de ces trafics.

Selon une commission nationale indépendante, les affrontements de l'an dernier ont fait quelque 450 victimes ; de nombreux autres rapports, livres et articles y seront consacrés, et publiés avec la plus grande transparence : si nous voulons que de telles violences ne se reproduisent plus, il faut en identifier les causes profondes. L'édification d'un vrai pouvoir judiciaire reste aussi, à cet égard, une tâche essentielle.

Notre pays est encore faible, mais il ne veut plus vivre sous des régimes autocratiques. Il a déjà chassé deux présidents et s'est forgé, dans l'épreuve, une histoire politique. Nous souhaitons un système éducatif ouvert, et nous avons garanti les libertés de la presse, d'expression et de réunion – notre voisin russe, par exemple, ne peut pas en dire autant. Bref, nous faisons tout pour installer un régime démocratique, et souhaitons que l'Occident nous aide dans cette tâche. Le fait est que les agissements de M. Bakiev, dont les frères peuvent voyager librement dans le monde entier alors qu'ils ont sucé le sang du peuple kirghize, n'ont pas suscité les mêmes réactions que ceux de M. Kadhafi. Quant à nos demandes d'extradition de membres de la famille Bakiev installés en Turquie, en Irlande ou en Allemagne, elles sont restées lettres mortes ; ces personnes jouissent même souvent d'un statut de réfugié, quand elles n'obtiennent pas la citoyenneté, car elles ont beaucoup investi dans ces pays. Il faut mettre un terme à cette situation et construire l'avenir plus juste que nous appelons de nos voeux.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Merci madame la Présidente. Nous en arrivons aux questions.

PermalienPhoto de Jean-Paul Chanteguet

J'avais eu l'occasion, madame la Présidente, de vous rencontrer en mai 2009, alors que vous étiez députée, et que je conduisais à Bichkek une délégation du groupe d'amitié que je préside. Je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui.

Ma première question concerne la nouvelle constitution : quels sont, au sein de ce régime parlementaire, les pouvoirs de la Présidence de la République ?

Par ailleurs, le Gouvernement français a décidé d'ouvrir une ambassade à Bichkek, aujourd'hui dirigée par M. Thibaut Fourrière. Envisagez-vous d'ouvrir prochainement une ambassade du Kirghizstan en France ?

PermalienPhoto de Marie-Louise Fort

Je veux saluer non seulement la Présidente de la République mais aussi la femme, dont j'ai beaucoup apprécié l'exposé sincère.

Ma question sera très générale : en votre qualité de femme politique, comment voyez-vous l'avenir de la paix dans le monde, à l'heure où des révolutions éclatent dans plusieurs pays ?

PermalienPhoto de Nicole Ameline

On ne peut qu'être impressionné, madame la Présidente, par votre parcours personnel et l'effort considérable de votre jeune démocratie au coeur de cette région du monde.

Qu'en est-il de l'État de droit après les violences, notamment celles faites aux femmes, et les atteintes aux droits de l'homme qu'a connues votre pays ?

Où en est la demande l'extradition de M. Bakiev, qui se trouve aujourd'hui en Biélorussie chez M. Loukachenko ?

Enfin, qu'attendez-vous en priorité de la France et de l'Union européenne : un concours à l'affirmation de l'État de droit ou un soutien économique ?

PermalienRosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan

Nous souhaitons ouvrir une ambassade en France, monsieur Chanteguet. Je remercie votre pays d'avoir ouvert l'an dernier une ambassade sur notre territoire : il est, en Europe, le deuxième à l'avoir fait après l'Allemagne. Si l'Union européenne a elle aussi une représentation diplomatique, les États qui la composent sont encore peu présents au sein de notre lointain pays. De nombreux touristes français le découvrent désormais pour le visiter ou y transiter sur le chemin de la Chine, et un certain nombre de vos concitoyens ont écrit des livres sur le Kirghizstan. Ces liens d'amitié nous sont très chers.

Toutes proportions gardées, certains agissements du pouvoir précédent étaient comparables à ceux que l'on observe aujourd'hui en Libye ; pourtant, nul ne s'en était ému – certains nous considéraient sans doute comme des sauvages ! Aujourd'hui, un article de l'International Herald Tribune évoque l'Ukraine, l'Indonésie et la Mongolie, mais ne dit pas un mot de ce pays du fin fond de la province du monde qu'est le Kirghizstan. La communauté internationale s'est montrée très critique à notre encontre, mais nous nous relevons progressivement ; nous avons ainsi trouvé des logements temporaires pour la population ouzbeke à Och, ce dont nos voisins d'Asie ne nous font guère crédit.

Les événements du 7 avril et du 10 juin 2010 sont les maillons d'une même chaîne, qui a fait se succéder révolution et contre-révolution. Alors que nous allons bientôt commémorer le premier anniversaire de ces événements, le Fonds monétaire international nous invite à les évaluer avec sévérité et objectivité. On voit aujourd'hui M. Kadhafi s'accrocher au pouvoir ; mais personne ne peut endiguer la soif de liberté d'un peuple. Dans la Révolution orange en Ukraine comme dans notre Révolution des Tulipes, certains ont voulu voir la main de l'Occident, mais il n'en est rien : dans les deux cas, c'est le peuple seul qui s'est soulevé contre un pouvoir autoritaire.

Il est vrai que les femmes, au Kirghizstan comme dans de nombreux pays asiatiques, sont particulièrement vulnérables ; aussi avons-nous pris des mesures en leur faveur, par exemple pour leur assurer la présidence d'au moins 30 % des commissions électorales. Malheureusement, le nouveau Parlement ignore ces décisions et attribue tous les postes aux hommes. C'est là une attitude que je ne cesserai de combattre. Il ne suffit pas que le pays soit présidé par une femme pour que l'égalité soit garantie.

Les femmes sont également victimes de violences au sein de certaines minorités, notamment la minorité ouzbeke ; en tant que femme, et aujourd'hui Présidente de la République, je me battrai jusqu'au bout pour garantir leurs droits.

M. Bakiev est en effet en Biélorussie, madame Ameline : le Président Loukachenko lui a réservé un accueil chaleureux, et l'on dit même qu'il dirige une usine militaire ; par ailleurs, de nombreuses personnes ont trouvé refuge à l'ambassade biélorusse à Bichkek. Évidemment, tout cela nous choque, et nous ne savons pas comment évoluera le contexte international en ce domaine ; quoi qu'il en soit, la France a fait beaucoup.

S'agissant de la Constitution, monsieur Chanteguet, nous avons opté pour un régime parlementaire ; ce n'est pas le chemin le plus facile, il suppose un grand engagement des députés chargés de faire les lois. Certains y rechignent d'autant plus qu'ils restent sceptiques sur la pérennité de ce régime et s'attendent à un retour au système présidentiel. Autour de nous, seules la Mongolie et la Turquie ont un régime parlementaire : nous sommes donc relativement isolés. Dans ces conditions, notre volonté et notre engagement seront essentiels.

Nous avons donc beaucoup de travail devant nous, et nous avons besoin de votre attention. Le Kirghizstan, nous en sommes conscients, n'est pas au premier rang des préoccupations françaises : certains pays d'Afrique ou du sud-est asiatique vous sont historiquement plus proches ; quant à notre pays, c'est la Russie qui est son allié stratégique.

Néanmoins la France reste à nos yeux un grand pays, symbole d'égalité et de liberté. Nous souhaitons concrètement bénéficier d'une aide de sa part pour mettre en place notre système judiciaire et renforcer notre police, car, sur ce dernier point, la mission de l'OSCE vient seulement de commencer ses travaux. D'autres réformes doivent être menées, à l'instar de celles réalisées par M. Saakachvili en Géorgie.

Nous avons aussi besoin d'une assise économique et financière plus solide, notre impasse budgétaire restant considérable. Nous espérons à cet égard qu'une redistribution aura lieu dans le cadre du G8. Sans tout attendre de la France, de l'Union européenne ou de l'OSCE, nous comptons sur leur aide. Nous vous remercions de rester à nos côtés, même dans nos heures les plus difficiles.

PermalienPhoto de Robert Lecou

Je veux, madame la Présidente, saluer votre courage. Vous avez clairement exprimé vos souhaits en matière de développement et de démocratie, mais aussi vos attentes quant à un meilleur accompagnement de l'Occident, qui n'a pas su réagir en 2010. À cet égard, l'OSCE, qui regroupe 56 pays de régions très différentes, vous paraît-elle en mesure de vous accompagner dans votre évolution démocratique ?

PermalienPhoto de Jean-Luc Reitzer

Vous avez dit de votre beau pays qu'il était au fin fond de la province du monde ; en réalité, il occupe une position stratégique au coeur de l'Asie centrale. Lorsque je m'y suis rendu en mai 2009, on s'interrogeait sur le devenir de la base militaire américaine de Manas : qu'en est-il aujourd'hui ? Nous avions aussi pu constater l'importance de la fondation de l'Aga Khan : son action est-elle toujours aussi efficace ?

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Je voudrais évoquer les questions ethniques. Après les événements du printemps dernier, on a assisté à une révolte de la minorité ouzbeke : quelles sont vos relations avec elle ? Quid, par ailleurs, de l'intégration des Russes, très présents dans le nord ? Enfin, qu'en est-il de la minorité tadjike ?

PermalienRosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan

L'OSCE, par l'intermédiaire du Haut-commissaire aux minorités, suit, depuis au moins quinze ans, la situation dans la vallée de Ferghana, qui nécessite aujourd'hui une attention accrue. Deux frontières suscitent mon inquiétude : celle qui sépare le Kirghizstan et le Tadjikistan, et celle du Tadjikistan et de l'Afghanistan, que j'aimerais voir renforcée dans la mesure où les Talibans sont de plus en plus actifs dans le Nord afghan. L'OSCE, compte tenu de ses multiples compétences, est l'une des rares organisations de sécurité capable d'opérer sur notre territoire en matière de liberté d'expression et d'autres droits ; les autres, à commencer par l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), n'interviennent que pour des conflits extérieurs : nous n'avons donc reçu aucune aide internationale lors des affrontements de juin dernier. Pourtant, la question de la sécurité décidera de notre avenir démocratique.

Quant à la base militaire de Manas, nous avons signé un accord pour qu'elle reste opérationnelle jusqu'en 2014. La question de l'approvisionnement des avions est en cours de règlement : les entreprises doivent agir dans la transparence, et non de façon clandestine.

S'agissant de l'activité de la Fondation Aga Khan dans la région, je rencontrerai prochainement les dirigeants du Kazakhstan et du Tadjikistan pour évoquer certains programmes, notamment en matière de lutte contre la pauvreté : les problèmes sont d'une ampleur telle qu'il faudrait aller plus vite.

J'en viens aux minorités. La crise de juin dernier a déclenché, il est vrai, une vague de nationalisme. Pourtant, si certains partis prônent dans votre pays la fin du multiculturalisme, on n'observe rien de tel chez nous : il est plutôt question d'intégrer les minorités, dont les cultures sont d'ailleurs très proches, sur la base d'un développement multi-ethnique dans l'ensemble des services de l'État ; cette question occupe d'ailleurs un département au sein de toutes les instances du pouvoir, à commencer par l'administration présidentielle, à la tête de laquelle j'ai nommé un Ouzbek. Nous entendons, ce faisant, adresser un signe à la société tout entière et lui montrer la voie. J'espère bénéficier du soutien du Parlement en ce domaine, notamment du parti Ar Namys, qui a obtenu la majorité des voix aux dernières élections.

PermalienPhoto de Jean-Claude Guibal

Vous avez, je crois, étudié puis enseigné la philosophie. Puis-je vous demander, madame la Présidente, à quel courant de pensée vous vous rattachez ?

Comment expliquez-vous tous les renversements de pouvoirs autoritaires par les peuples auxquels on assiste actuellement ? Comment entendriez-vous contribuer à une théorie des pouvoirs de transition ?

PermalienPhoto de Lionnel Luca

Quelles sont vos relations, d'une part avec la Chine, pays en plein développement, dont la situation politique se révélera peut-être problématique, et de l'autre avec la Turquie, avec qui vous avez des liens culturels étroits ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

Avez-vous, à court ou moyen terme, des projets d'exploitation des hydrocarbures et du gaz ? Une telle exploitation pourrait-elle contribuer à stabiliser votre situation budgétaire ?

PermalienRosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan

Monsieur Guibal, j'ai étudié il y a bien longtemps, à l'université de Moscou, la philosophie dialectique et la doctrine communiste, avant de soutenir une thèse sur l'École de Francfort – Marcuse, Habermas et Adorno – comme courant néo-marxiste en Allemagne. Si ma vie a pris ensuite un nouveau tournant, je continue de défendre les idées du parti social-démocrate, bien que je l'aie récemment quitté. La Journée de la femme du 8 mars, qui fêtera bientôt ses cent ans, tient par ailleurs une place importante dans les pays de l'ancienne URSS : Rosa Luxemburg ou Clara Zetkin restent des figures familières de notre paysage culturel.

Nous partageons avec la Chine, monsieur Luca, une frontière de près de 1 000 kilomètres. Ce pays nous a beaucoup aidés au cours des dernières années, et nous entretenons d'étroites relations avec lui. Aussi bien les pays qui nous entourent connaissent-ils un développement rapide, qu'il s'agisse de la Chine, de la Russie, ou du Kazakhstan ; nous devons les suivre, malgré les difficultés liées à nos deux révolutions récentes. Nous ne sommes pas des Che Guevara : nous voulons tirer bénéfice de nos ressources naturelles et nous développer économiquement.

À cet égard, l'Initiative pour la transparence des industries extractives, comme son nom l'indique, vise à rendre transparentes les sommes que les entreprises versent aux pays concernés. En 1994, malgré nos demandes, nous n'avions pu savoir combien touchaient les intermédiaires, et les accords passés à cette époque manquaient de transparence. Le cours de l'or est élevé et nos ressources sont importantes, mais, pour les exploiter, les entreprises devront passer par des appels d'offres publics. Nous possédons aussi des gisements de métaux rares, utilisés dans les technologies de pointe, ainsi que du charbon et de nombreux autres minéraux. Nous n'entendons pas être les récipiendaires éternels de votre aide : nous voulons nous remettre sur pied.

Quant au vent de liberté qui souffle actuellement en Afrique du Nord, il nous est difficile d'en juger. Notre petit pays souhaiterait devenir, l'an prochain, membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Notre groupe asiatique aurait ainsi trois représentants : les îles Fidji, le Pakistan et le Kirghizstan. Notre peuple en a assez de vivre dans l'ombre : il a soif de liberté et veut participer aux affaires du monde. Les pays d'Afrique du Nord traversent sans doute des moments historiques ; mais je me garderai bien d'en juger. En tout cas, j'espère qu'on ne vérifiera pas ce que dit une célèbre chanson russe, que si les révolutions ont toujours un commencement, elles n'ont jamais de fin.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Merci, madame la Présidente, d'avoir répondu aussi librement à nos questions. Je regrette que le temps ne m'ait pas permis de donner la parole à Mme Chantal Bourragué, MM. André Schneider, Jean-Pierre Kucheida, Jean Launay et Mme Geneviève Colot. Je terminerai par une question plus personnelle : pourquoi avez-vous pris l'engagement de ne pas vous présenter aux élections présidentielles de décembre 2011 ?

PermalienRosa Otounbaeva, Présidente de la République du Kirghizstan

En mai, lorsque nous préparions le référendum constitutionnel, la question s'est posée de savoir s'il fallait repousser les élections législatives pour les faire coïncider avec les présidentielles. Compte tenu du climat de violence, cela n'était pas envisageable. Après l'adoption du référendum le 27 juin, je suis devenue la seule responsable légitime, puisque toutes les institutions de l'ancien pouvoir avaient été mises à bas. Reste que je n'ai pas été élue par le suffrage populaire ; c'est pourquoi nous avons décidé de limiter mon mandat provisoire. Certains souhaitaient qu'il dure trois ans, d'autres un an et demi ; c'est cette dernière durée qui a finalement été retenue. L'autre condition était que je ne me présente pas aux futures élections présidentielles, ce que j'ai accepté. Il faut sortir notre pays de l'ornière et du vide politique : j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour atteindre cet objectif, et j'espère, par la même occasion, avoir montré que les femmes pouvaient apporter une contribution à l'histoire. (Applaudissements.)

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Merci, madame la Présidente : vous nous offrez en effet un bel exemple.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.