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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 11 janvier 2011 à 17h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mardi 11janvier 2011

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

(Présidence de M. Christian Kert, vice-président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend M. Laurent Heynemann, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), accompagné de M. Pascal Rogard, directeur général, et de Mme Janine Lorente, directrice générale adjointe.

PermalienPhoto de Christian Kert

Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue au nom de la présidente Michèle Tabarot qui, empêchée, vous prie d'excuser son absence, et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Nous avons souhaité organiser une série d'auditions sur la gestion collective des droits d'auteur et des droits voisins en raison d'une actualité soutenue, mais aussi afin de conserver à la France son rôle pionnier en matière de droits et de défense de la création. Nous avons déjà auditionné la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) le 24 novembre dernier. Je signale à ce propos à mes collègues que la présidente de la Commission a reçu un courrier, qui leur sera transmis, dans lequel le président de la commission de contrôle fait part des observations de celle-ci sur les déclarations du président du conseil d'administration et du président du directoire de la SACEM.

Pour en venir à notre audition d'aujourd'hui, madame, messieurs, quel bilan dressez-vous de dix ans d'application de la loi dite « Tasca » du 1er août 2000, qui a institué cette commission de contrôle ? A-t-elle permis d'atteindre l'objectif, qui était de garantir la transparence du fonctionnement des sociétés de droits à la fois dans leur mission de perception et dans leur fonction de répartition ?

S'agissant également de transparence, mais en matière cette fois de cinéma, je voudrais aborder la question des « remontées » de recettes de films, des producteurs vers les auteurs. Nous avons pris connaissance des conclusions de la mission de médiation confiée sur ce thème à M. Roch-Olivier Maistre, médiateur du cinéma, à la rentrée de septembre 2010. Vous-mêmes plaidez de longue date pour une plus grande transparence dans la définition du coût des films et pour une meilleure répartition de l'amortissement entre auteurs et producteurs. Êtes-vous satisfaits de la solution proposée par le médiateur ?

Les évolutions de l'environnement économique et technologique du secteur de la création ont des répercussions directes sur les droits d'auteur. Je ne reviendrai pas sur l'histoire agitée de la loi Hadopi. En revanche, nous sommes intéressés par votre approche du sujet en tant qu'ayants droit, et par les moyens dont vous vous êtes dotés pour vous adapter à l'univers numérique. Nous avons noté avec intérêt l'accord auquel vous êtes parvenus avec YouTube en novembre 2010. Qu'en escomptez-vous ?

Enfin, dans le cadre européen, des initiatives s'annoncent qui visent à créer un marché unique des droits, voire des guichets uniques pour favoriser le développement des offres légales en ligne. Qu'en pensez-vous ?

PermalienLaurent Heynemann, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, SACD

La SACD, fondée par Beaumarchais – qui ne supportait plus que les acteurs, faisant la quête à la sortie des théâtres, privent les auteurs de leur part des recettes –, a pour mission de veiller à ce que l'argent des auteurs ne soit confisqué à aucun moment lors des opérations dont il fait l'objet. Elle a la particularité d'être exclusivement composée d'auteurs et donc de ne compter ni éditeurs de musique, ni producteurs. Parmi les vingt-cinq membres du conseil d'administration que je préside, on trouve ainsi des cinéastes, des réalisateurs et scénaristes de télévision, des auteurs de théâtre, de chorégraphies et de spectacles de rue, des musiciens – et même un clown !

Société d'auteurs, la SACD défend donc le point de vue de ces derniers et c'est à ce titre qu'elle est favorable au contrôle des sociétés de perception. Ce contrôle est en effet dans l'intérêt des auteurs ! Du reste, nous avions mis en place dès avant la loi Tasca une commission de contrôle du budget, composée uniquement d'auteurs et élue par l'assemblée générale indépendamment du conseil d'administration. Cette commission, qui se réunit une fois par mois, s'est déjà montrée capable d'être très virulente en cas de problèmes.

Nous avons changé à plusieurs reprises nos statuts pour nous conformer aux recommandations de la commission de contrôle et nous ne voyons aucun inconvénient, puisque nous assurons un rôle de perception et de répartition, à être soumis à une obligation de transparence qui suppose la vérité des comptes.

La transparence des recettes des producteurs de cinéma est un autre problème. La loi française prévoit en effet que l'auteur doit être rémunéré proportionnellement à la fortune de son oeuvre, c'est-à-dire au prix payé par le public. Malheureusement, dans le cinéma, le calcul de la recette à partir de laquelle cette rémunération est décomptée relève jusqu'à présent du seul producteur, qui détermine le coût du film et l'amortissement à déduire des recettes générées, par exemple, par les entrées en salle, les recettes à l'étranger ou les ventes aux télévisions. L'accord conclu après une longue négociation menée avec la médiation de Roch-Olivier Maistre a pour objet de fixer le mode de calcul de ce coût et de son amortissement, et de permettre la transparence des comptes qui devront être communiqués aux ayants droit.

Jusqu'à présent, les auteurs ne bénéficient donc réellement que des revenus générés par de la gestion collective prévue par la loi sur le droit d'auteur. Permettez-moi d'évoquer à cet égard mon expérience personnelle : je n'ai jamais eu communication des comptes correspondant aux épisodes de Maigret que j'ai réalisés pour la télévision – qui ont pourtant rencontré un large succès auprès du public et se sont vendus dans le monde entier. Je n'ai jamais reçu que le produit de la gestion collective des droits, et jamais la rémunération que je serais en droit de percevoir en proportion du succès de Maigret, car le calcul de l'amortissement du film est d'une totale opacité. Dans un petit métier comme le nôtre, un réalisateur ou un auteur qui engagerait un procès pour faire valoir ses droits s'exposerait à ne plus pouvoir travailler : inutile donc de jouer les héros. L'intérêt suprême de la gestion collective réside ainsi dans l'automaticité des recettes qu'elle assure aux ayants droit.

Cependant, la SACD ne considère pas les problèmes du droit d'auteur sous le seul angle de la rémunération, mais elle a toujours également pris en compte l'intérêt économique de notre secteur d'activité. Ainsi, pour ce qui concerne la diffusion sur internet, nous voulons certes être payés, mais nous militons aussi pour la survie de notre industrie, qui est une industrie culturelle, et des mécanismes qui la soutiennent. Si notre approche n'était que corporatiste ou limitée à des revendications poujadistes, je ne serais pas ici ce soir.

PermalienPascal Rogard, directeur général de la SACD

Je partage l'avis de notre président sur la nécessité du contrôle. La loi qui l'établit est une très bonne loi et va dans le sens de l'intérêt tant des auteurs que des gestionnaires d'une société d'auteurs. M. Bernard Menasseyre, président de la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, et M. Christian Phéline, rapporteur général de cette commission, ont parfaitement compris le fonctionnement des sociétés de gestion collective, et nous avons avec eux d'excellentes relations. Le mécanisme du contrôle s'apparente quelque peu à celui de la Cour des comptes et, en cas de désaccord, nos observations figurent dans le rapport de la commission.

Pour ce qui concerne l'« accord Bonnell » – ainsi désigné car il fait suite à un rapport établi par René Bonnell, ancien dirigeant de Canal Plus –, il est vrai que les comptes des producteurs manquent de transparence et que les auteurs ne peuvent guère réclamer les rémunérations qu'ils seraient en droit de recevoir sans risquer d'avoir ensuite du mal à trouver du travail. L'accord conclu grâce à la médiation de Roch-Olivier Maistre ne règle pas le problème des rémunérations proportionnelles, mais seulement celui des rémunérations non obligatoires consenties dans certains cas après amortissement du film, en posant des définitions communes du coût du film et des recettes prises en compte pour calculer l'amortissement. Il est anormal que l'on continue de délivrer au cinéma d'importantes aides publiques alors même que les bénéficiaires de ces aides ne rendent pas de comptes aux auteurs – sans parler des chèques qui devraient parfois accompagner ces comptes. Des progrès restent donc à faire en matière de transparence et nous militons pour des améliorations allant au-delà de l'accord – important, mais partiel – qui vient d'être conclu.

Quant à l'accord avec YouTube, je rappelle que la SACD passe avec l'ensemble des diffuseurs d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques des accords de rémunération – qui ne portent pas atteinte aux droits des producteurs ou des distributeurs, puisque ceux-ci maîtrisent l'exploitation des oeuvres. Après avoir conclu voilà trois ans un tel accord avec le site communautaire français Dailymotion, il nous semblait normal de le faire aussi avec le site américain. Cet accord, salué positivement par le ministre de la culture et de la communication, permet de montrer que les principes de rémunération des auteurs sont parfaitement compatibles avec le développement des plus grandes sociétés de l'internet et des nouvelles activités de diffusion. Nous avons mis YouTube sous l'ordre de Beaumarchais et il faut nous en réjouir.

Cependant, les sites communautaires ne génèrent pas encore de recettes très importantes, alors que la multiplication de la diffusion complique la gestion collective pour les sociétés d'auteurs. Nous allons donc engager une réflexion visant à concilier les principes de rémunération des auteurs pour chaque diffusion avec cette expansion de la diffusion sous des formes de plus en plus variées.

La question européenne est très importante, car peu de pays européens appliquent les principes du droit d'auteur français – même si, bien souvent, ceux-ci ne sont pas respectés hors du cadre de la gestion collective. Nous venons donc de créer une société regroupant vingt-deux sociétés d'auteurs de divers pays européens afin de convaincre les autorités de l'Union de l'opportunité d'une extension de ce droit d'auteur « à la française ».

PermalienJanine Lorente, directrice générale adjointe de la SACD

La SACD est active au niveau international, tout particulièrement au niveau européen, et ce dans deux directions.

Il s'agit tout d'abord de saisir les occasions qu'offre l'univers en ligne pour favoriser dans chaque pays européen des politiques fortes de production audiovisuelle nationale – qui existent aujourd'hui plus souvent pour la télévision que pour le cinéma. Nous souhaitons, avec nos homologues européens, mobiliser les pouvoirs publics et les instances européennes et montrer la nécessité de l'investissement dans la création au moment où des plateformes de plus en plus nombreuses sont à la recherche de contenus.

En deuxième lieu, la SACD est, à l'exception des sociétés musicales et de très petites entités, la seule société de son genre au sein de l'Union. L'obstacle majeur à la mise en place du guichet unique que la Commission européenne souhaiterait voir créer pour faciliter la diffusion des oeuvres en Europe est qu'à la différence de ce qui a cours dans le secteur de la musique, le droit d'auteur du secteur audiovisuel n'est aucunement harmonisé à l'échelle européenne. En Allemagne, par exemple, l'exportation de programmes français ne donne lieu à aucune rémunération des auteurs. Nous voulons certes faciliter la circulation des oeuvres en autorisant leur diffusion sur les plateformes, mais nous souhaitons en contrepartie une harmonisation des droits des scénaristes et des réalisateurs, plutôt que la juxtaposition de vingt-sept législations.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Il est élégant de votre part, monsieur Heynemann, non seulement de ne pas remettre en cause la commission de contrôle, mais même de souligner son utilité pour tous – y compris d'ailleurs pour la représentation nationale, à qui elle permet d'être éclairée sur la rémunération des dirigeants des sociétés de gestion des droits.

Par ailleurs, l'audition de la SACEM à laquelle nous avons procédé récemment nous amène à penser que la musique se porte plutôt bien. Le cinéma, quant à lui, a connu une année exceptionnelle en termes d'entrées, qui témoigne d'une appétence forte des Françaises et des Français pour les salles obscures. La production audiovisuelle se porte elle aussi assez bien et France Télévisions y joue un rôle important. Le compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels (COSIP) fonctionne de façon satisfaisante et l'argent rentre. Il semble donc que l'environnement actuel soit idyllique. Quel est votre avis à ce propos ?

Par ailleurs, il semble qu'une troisième loi Hadopi soit en préparation alors même que l'application de la deuxième se heurte à quelques difficultés et n'a qu'un impact, au mieux, mesuré. La diffusion sur internet n'ayant pas entraîné de perte de substance perceptible, votre réflexion a-t-elle évolué depuis le débat sur la loi Hadopi 1 ?

Quelles sont, ensuite, les perspectives en matière de traçabilité de l'exploitation des films, compte tenu de la difficulté qu'il y a à suivre les cessions de catalogues ?

Quant au fonctionnement même de la SACD, j'observe que vos comptes semblent accuser pour 2008 et 2009 une certaine baisse de l'action culturelle pour ce qui est du soutien au spectacle vivant. Qu'en est-il de l'équilibre entre ce dernier et l'audiovisuel, et quels sont les montants que vous consacrez à ce secteur ?

Comment, enfin, réagissez-vous au trouble qu'a parfois suscité l'accord conclu avec YouTube ?

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Tout d'abord, pourriez-vous nous donner quelques précisions sur l'allocation complémentaire à la retraite que la SACD, sous certaines conditions, verse aux auteurs ?

Y a-t-il une réciprocité, en matière de rémunération des auteurs, dans le cas d'une diffusion de films étrangers en France ?

Enfin, pour ce qui est du spectacle vivant, pourriez-vous préciser quelle assistance la SACD apporte aux auteurs dans la négociation avec les entrepreneurs ?

PermalienPascal Rogard, directeur général de la SACD

Il est beaucoup trop tôt pour tirer un bilan de la loi Hadopi, dont l'application réelle n'a débuté qu'il y a trois ou quatre mois. Les ayants droit transmettent à l'Association pour la lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) de très nombreux relevés d'adresses IP de contrevenants – de l'ordre de 25 000 par jour –, mais les courriels envoyés à ces derniers sont bien moins nombreux. Or on estime à 500 000 environ le nombre de téléchargements illicites réalisés chaque jour et l'existence de la loi Hadopi a favorisé le recours à des procédés de « streaming » – contre lesquels, du reste, contrairement à ce que l'on en dit parfois, cette loi donne des moyens de lutter en recourant à une action en cessation qui permet de faire couper les liens avec ces sites. Une telle piraterie est indéfendable, car les sites concernés gagnent de l'argent par la publicité, voire en faisant payer les internautes pour leur donner un accès illicite aux contenus : on est loin des échanges entre internautes évoqués lors des débats sur la loi Hadopi !

En tout état de cause, il me semble que l'on ne sera en mesure de faire raisonnablement le bilan de cette dernière qu'à la fin de 2011. Je me bornerai à souligner une lacune dans l'application de ce texte : la Hadopi ne se penche pas assez sur l'offre légale, alors que le dispositif n'a de sens que s'il fait migrer vers celle-ci les personnes qui téléchargent de façon illicite. Il faut donc renforcer l'incitation au développement de ces offres. Cet aspect est, selon nous, plus important que la sanction.

Pour ce qui est des catalogues, il me semble possible d'en assurer la traçabilité. Il faut en revanche améliorer la législation : il devrait être impossible de vendre un catalogue sans avoir apuré les dettes à l'égard des auteurs, c'est-à-dire en laissant subsister des dettes cachées qui peuvent correspondre à dix ou quinze ans de rémunération. Aujourd'hui, en effet, l'acheteur ignore le montant de ces dettes au moment de l'achat.

Pour ce qui est de l'action culturelle au profit du spectacle vivant, la SACD pratique une mutualisation forte, l'essentiel des moyens disponibles à cet usage provenant en effet de la rémunération liée à la copie privée, elle-même générée par l'audiovisuel. Les baisses dont vous faites état, monsieur Rogemont, s'expliquent par des baisses de cette rémunération.

L'action culturelle est également financée par les sommes non réparties, de sorte qu'une amélioration de la répartition des rémunérations se traduit mécaniquement par une diminution des sommes disponibles à cet effet. Nous n'avons toutefois nullement l'intention de réduire le montant de l'action culturelle en faveur du spectacle vivant, dont nous connaissons l'importance. Nous avons d'ailleurs fêté hier les vingt-cinq ans de la copie privée, qui a été créée par la loi Lang sur le droit d'auteur et a irrigué l'ensemble de la vie culturelle de notre pays.

Certaines organisations de producteurs – généralement celles qui ont coutume de refuser les principes de transparence – se sont plaintes de l'accord conclu avec YouTube. Celui-ci est cependant de même nature que celui que nous avons conclu quelques mois auparavant avec France Télévisions – soumis du reste au conseil d'administration de cette dernière – et il vise à assurer aux auteurs une rémunération proportionnelle aux recettes du site communautaire. Il est également de même nature que celui que nous avons conclu avec Dailymotion et la SACD ne saurait délivrer d'autorisation à un particulier qui mettrait sur le site communautaire une oeuvre dont il ne détiendrait pas les droits. Il n'est pas question pour nous de légaliser une telle piraterie. L'accord ne concerne donc que les oeuvres mises en ligne avec l'accord des producteurs, des distributeurs ou de tous autres détenteurs des droits d'exploitation.

La SACD n'est pas un organisme de retraite et ne verse donc pas de pensions, mais des « libéralités », instituées à l'époque où la retraite des auteurs de l'audiovisuel et du spectacle vivant était très faible du fait de mauvaises conditions de gestion. M. Jean-Pierre Raffarin, lorsqu'il était Premier ministre, a procédé à une réforme qui a sensiblement amélioré la retraite complémentaire normale des auteurs : celle-ci fait désormais l'objet d'un précompte pour la partie des droits versée directement par les producteurs – alors que les auteurs devaient précédemment verser eux-mêmes les sommes correspondantes, ce qu'ils oubliaient souvent de faire ! En outre, les producteurs ont dû, comme le font les employeurs pour leurs salariés, participer au financement de cette retraite. Grâce à cette réforme, les sommes perçues par la caisse de retraite complémentaire des auteurs ont doublé. La situation des auteurs s'est donc améliorée de ce point de vue. Les libéralités ne sont pas un droit acquis et pourraient s'interrompre faute de financement. La SACD n'a du reste pas le droit de gérer un régime de retraite complémentaire et, au surplus, n'en aurait pas la capacité, car il y faudrait des provisions supérieures à nos ressources.

PermalienJanine Lorente, directrice générale adjointe de la SACD

Pour ce qui est de la réciprocité à l'échelle européenne, je rappelle que très peu de pays de l'Union reconnaissent un droit à rémunération des scénaristes et réalisateurs. Seules l'Italie et l'Espagne ont adopté, voici quelques années, des lois créant un droit auquel les scénaristes et réalisateurs ne peuvent pas renoncer et qui nous permet de les rémunérer lorsque leurs oeuvres sont diffusées en France, tout comme l'Italie et l'Espagne rémunèrent les auteurs français dans le cas symétrique. Cette rémunération est obligatoirement versée par les diffuseurs aux sociétés d'auteurs locales. En revanche, un film allemand diffusé en France ou un film français diffusé en Allemagne ne donnera pas lieu à rémunération. Par ailleurs, les producteurs français rendant très rarement des comptes, nos auteurs ne sont de toute façon généralement pas rémunérés lorsque leurs oeuvres sont diffusées à l'étranger.

La réciprocité s'applique pour la copie privée lorsque celle-ci existe dans les pays européens concernés, ainsi que pour les droits liés à la diffusion par le câble, auxquels s'applique obligatoirement la gestion collective. Dans de nombreux pays, cependant, les producteurs acquièrent des droits forfaitaires et les auteurs ne sont pas payés.

La France peut néanmoins contribuer à favoriser le droit d'auteur. Ainsi, lors de la création de la taxe sur la copie privée en France, alors que le droit britannique ne prévoyait pas de rémunération des réalisateurs et scénaristes, la SACD a décidé, contre l'avis des producteurs britanniques, de ne pas verser les droits à ces derniers, mais directement aux auteurs. Nous avons subventionné la création d'une société d'auteurs qui, dix ans plus tard, a pu négocier des droits avec les diffuseurs et commencer ainsi à faire exister le droit d'auteur au Royaume-Uni. Nous avons procédé de même dans plusieurs autres pays, comme l'Australie ou le Brésil.

En ce qui concerne le spectacle vivant, la SACD, à la différence de la SACEM, ne se substitue pas à l'auteur pour autoriser ou interdire une représentation. Chaque fois qu'un producteur, une compagnie indépendante ou une compagnie amateur souhaite représenter une oeuvre dans un théâtre, elle doit en demander l'autorisation. À la différence donc d'autres sociétés d'auteurs, nous négocions ces autorisations avec les auteurs, ce qui mobilise un certain nombre de nos collaborateurs. Compte tenu de la diversité des situations, nous avons conclu environ 150 « traités » avec des organisations professionnelles représentant les entreprises du spectacle vivant, traités qui prévoient des conditions adaptées au type de spectacle produit. L'une des dernières conventions de ce genre a été passée avec l'Association des familles rurales, avec laquelle nous travaillons désormais à expliquer ce qu'est le droit d'auteur.

Pour le théâtre amateur, très développé en France – et dont certains auteurs tirent l'essentiel de leurs revenus –, le nombre de demandes et les difficultés liées à leur traitement nous ont conduits à inviter les auteurs à nous donner mandat pour accorder ces autorisations, ce que nous faisons désormais au nom de 15 000 d'entre eux environ, généralement aux conditions négociées avec les fédérations de théâtre amateur. Lorsqu'il n'existe pas de convention, nous proposons des conditions générales, dont tout auteur ou tout utilisateur peut avoir connaissance sur notre site ou par courrier.

PermalienPhoto de Alain Marc

Au-delà de la défense du droit d'auteur, qui est votre objet principal, vous intéressez-vous aussi au maintien et à la perpétuation de la richesse culturelle française ? Avez-vous créé des bourses ou des prix destinés à de jeunes auteurs ?

PermalienPhoto de Martine Martinel

Plusieurs réalisateurs ont récemment formé un recours à l'encontre de la SACD, mettant en cause la répartition des droits d'auteur entre scénaristes et réalisateurs. Ils ont été déboutés par l'Autorité de la concurrence. Pouvez-vous nous donner quelques précisions complémentaires ?

Par ailleurs, vous avez demandé légitimement que les acteurs de l'audiovisuel, notamment les auteurs, soient représentés au sein du Conseil du numérique dont la création a été annoncée récemment. Avez-vous l'assurance que ce sera le cas et quels points de vue comptez-vous défendre dans cette enceinte ?

PermalienPhoto de Didier Mathus

Ma question porte sur le système économique du cinéma français. Au moment où Éric Garandeau prend la tête du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le cinéma ne s'est jamais si bien porté, battant le record d'entrées établi en 1982 ou 1984, et cela après plusieurs autres bonnes années, ce qui indique une tendance de fond.

Par ailleurs, le COSIP, alimenté par les fournisseurs d'accès à internet, apporte un véritable pactole au CNC, qui dispose aujourd'hui de 700 millions d'euros. Le cinéma français produit environ 200 films par an – même si, bien entendu, une vingtaine tout au plus connaissent le succès. Cette opulence relative – qui relativise d'ailleurs vos craintes face au téléchargement, puisque celui-ci ne semble pas avoir d'impact réel sur la fréquentation des salles de cinéma – et la rentabilité même du système de financement ne comportent-ils pas le risque d'assécher la capacité de création du cinéma français ? La situation n'est-elle pas trop confortable pour qu'il puisse continuer de briller sur les écrans européens ?

PermalienPhoto de Christian Kert

En bons observateurs du monde du spectacle, que pensez-vous du fait que le public n'a jamais été aussi nombreux que ces derniers mois dans les cinémas, les théâtres et les festivals ? Ce phénomène est-il momentané, lié à la crise ou durable ?

D'autre part, qu'en est-il du respect par les chaînes de télévision de leurs obligations en matière de création ?

PermalienLaurent Heynemann, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, SACD

Pour ce qui est du soutien à la création, monsieur Marc, je rappellerai d'abord que, si les recettes de la copie privée servent pour 75 % à la rémunération des auteurs dont l'oeuvre a été copiée dans le cercle familial au cours de l'année précédente, les 25 % restants sont consacrés à l'action culturelle des sociétés d'auteurs ou d'interprètes.

La SACD a créé dès 1985 – d'abord sous forme de fondation, puis d'association – une entité permettant de garantir l'indépendance de l'aide sélective apportée à la jeune création. Nous étions en effet conscients que ces bourses risqueraient de se limiter à un cercle étroit si nous les attribuions nous-mêmes. Cette association Beaumarchais, financée à 90 % par notre copie privée, se caractérise donc par son indépendance vis-à-vis de la SACD et applique en outre une règle de « one shot » : l'aide ne peut être accordée qu'une seule fois à un même bénéficiaire, afin de bénéficier à des jeunes auteurs et d'encourager la création sans créer d'« abonnements ». L'association Beaumarchais accorde des bourses pour toutes les activités liées à notre répertoire – écriture, théâtre, chorégraphie, cinéma de court et long métrage ou télévision.

Nous avons également créé, voilà cinq ans, un fonds d'aide à la production théâtrale, dont je suis très fier. De fait, il ne suffit pas d'aider à écrire, non seulement parce que beaucoup de gens écrivent, mais aussi parce qu'il existe un déséquilibre entre la production et l'écriture. Ce « fonds SACD » est distinct de l'association Beaumarchais, car il s'adresse à des auteurs plutôt expérimentés dont nous aidons à financer la production de l'oeuvre, selon des critères qu'il serait trop long de détailler ici. La commission qui attribue ces aides, indépendante de la SACD, est présidée par le président de celle-ci, mais il n'a pas de droit de vote.

Le même système de commission d'experts du métier, présidée par le président de la SACD sans droit de vote, s'applique également à un fonds « Humour », car les auteurs de one man shows ont eux aussi besoin d'être aidés dans la production de leurs spectacles, bien plus complexe qu'on ne pourrait le penser.

Après-demain se réunira pour la première fois une nouvelle commission d'aide, le « fonds 2.0 », conçu pour susciter la production de « pilotes » pour les écritures destinées au web. En effet, l'existence d'internet a donné naissance à une nouvelle façon d'écrire, avec des formats très courts et très percutants.

PermalienPascal Rogard, directeur général de la SACD

Le conflit évoqué par Mme Martinel est très ancien. Les réalisateurs de télévision qui ont déposé un recours considéraient qu'ils ne percevaient pas assez de droits d'auteur par rapport aux réalisateurs de cinéma, régis par des règles différentes. Ce conflit ne peut se régler que si les deux parties, scénaristes et réalisateurs, font preuve de bonne volonté pour établir un nouveau barème, qui devra être approuvé par l'assemblée générale des associés. Certains réalisateurs ont cru, contre mon avis, qu'ils pourraient résoudre le différend en saisissant l'Autorité de la concurrence. Ils en ont reçu la réponse que je leur avais prédite : la question ne relève pas de la compétence de cette Autorité. Au reste, si nous avions commis des actes contraires aux règles de concurrence, les plaignants eux-mêmes auraient été sanctionnés, car l'amende infligée à la SACD aurait alourdi les frais de gestion, diminuant d'autant leur rémunération. Ç'aurait été ce qu'on appelle se tirer une balle dans le pied – mais, heureusement de ce point de vue, cela n'a pas été le cas.

Pour ce qui est du Conseil du numérique, nous considérons en effet que les créateurs doivent y avoir leur place. Ce conseil n'est pas encore été constitué et nous attendons qu'on nous sollicite pour y participer. Il est en effet important qu'y siègent, à côté des entreprises de télécommunications et des entreprises de services d'internet, tous ceux qui apportent une valeur ajoutée au fonctionnement du système.

M. Didier Mathus, on le sait, ne craint pas le paradoxe : selon lui, le succès du compte de soutien à l'industrie des programmes (COSIP) pourrait entraîner la mort du cinéma français ! Mais si celui-ci enregistre aujourd'hui autant d'entrées, il y a à cela deux raisons : l'effort de modernisation des salles accompli avec l'aide du Centre national du Cinéma (CNC), mais aussi la diversité et la qualité des films proposés au public grâce au soutien du COSIP. Ainsi, la part de marché du cinéma français, de 35 ou 36 %, se situe bien au-dessus de celle des autres grands cinémas européens sur leur marché intérieur, ce qui prouve l'efficacité de ce système de soutien dont l'intérêt réside dans le fait que ses recettes sont assises sur l'ensemble des modes de diffusion de la création.

La forte augmentation de ces recettes relevée l'année dernière s'explique précisément, pour partie, par l'institution de la taxe sur les fournisseurs d'accès à internet (FAI). Cependant, d'importants besoins doivent être rapidement financés. Il est en particulier indispensable de procéder, dans les deux ans à venir, à la numérisation des salles si l'on veut continuer à y projeter des films, et les plus petites ne disposent pas forcément des moyens nécessaires. Il était donc important que le CNC bénéficie de ressources supplémentaires qu'il pourra affecter à cet objectif. Pour l'avenir toutefois, une réflexion globale s'imposera sur l'utilisation du produit de cette taxe sur les FAI. Car la sage décision que le Parlement avait prise de soumettre la partie audiovisuelle de l'abonnement dit triple play au taux réduit de TVA a été remise en cause. L'ensemble de l'abonnement est aujourd'hui taxé au taux normal, ce qui génère des comportements étonnants, tel celui de l'opérateur Free qui vend la partie télévision de son abonnement à 1,99 euro, alors que lui-même l'avait évaluée à 17 euros quand il s'agissait de bénéficier du taux réduit de TVA. Mais, dans le même temps, par je ne sais quelle magie, le montant de l'abonnement double play a été porté de 13 à 30 euros…

Il est exact que le secteur qui, aujourd'hui, manque le plus de ressources n'est ni le cinéma ni l'audiovisuel – bien qu'ils se plaignent toujours –, mais le spectacle vivant, particulièrement la création théâtrale. Et la situation n'est pas près de s'améliorer : la part du budget de l'État en sa faveur ne paraît pas devoir augmenter cependant que le soutien des collectivités locales va se réduire, si j'en juge par les propos que me tiennent leurs responsables.

C'est pourquoi la SACD défend l'idée de créer, d'une manière ou d'une autre, un système de compte de soutien au spectacle vivant, en particulier pour favoriser la diffusion des oeuvres sur l'ensemble du territoire. La création française est dynamique mais elle manque de moyens de diffusion. Il faut donc maintenant moderniser la gestion du spectacle vivant et réussir pour lui ce que l'on a réussi pour le cinéma. Je trouve formidable que celui-ci, en dépit des bouleversements techniques qui ont profondément modifié son économie au cours des vingt dernières années, demeure le premier d'Europe. Le nombre annuel d'entrées dans les salles est remonté de 120 millions, seuil le plus bas jamais enregistré, à 205 millions et la part de marché du cinéma français reste significativement supérieure, je le répète, à celle du cinéma de nos voisins. Comme il n'existe pas de quotas dans les salles, cela prouve bien qu'une bonne partie des films que nous produisons répond parfaitement à la demande du public. Le mérite en revient certes aux professionnels, mais aussi à la politique française de constant soutien au cinéma national.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) – dont certains estiment aujourd'hui qu'il faudrait le fusionner avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) – a toujours sanctionné les diffuseurs, publics ou privés, qui n'ont pas respecté leurs obligations. Ainsi, France Télévisions a dû payer une importante amende, dont le produit a été, selon la règle, versé au compte de soutien. Mais, curieusement, le bilan des chaînes pour 2009, que le CSA a publié en fin d'année au lieu de le publier, comme par le passé, au mois de juin, fait apparaître que M6 – dont les difficultés financières sont bien connues ! – n'a pas versé 9 millions d'euros qu'elle devait au titre de sa contribution au financement de la création patrimoniale française. La chaîne n'a pas respecté un décret résultant d'un accord professionnel signé un an auparavant dans le bureau de Mme Christine Albanel. Le fait que M6 ne respecte pas ses obligations ne surprendra que ceux qui ne sont pas au fait des réalités de l'audiovisuel français. Mais que le CSA ne sanctionne pas ce manquement, que nous lui avons signalé sans qu'il nous ait encore répondu, nous paraît extrêmement grave. Nous ne demandons d'ailleurs pas que M6 paye une amende, mais seulement qu'elle reporte sur 2011 l'effort pour la création qu'elle n'a pas accompli en 2009, ce qui lui permettrait en outre d'améliorer l'attrait de ses programmes.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Je constate que la SACD, qui consacrait 1,3 million d'euros au spectacle vivant dans l'enveloppe affectée à l'action culturelle en 2008, n'en consacrait plus que 1,13 million en 2009. Les sommes sont modestes mais la diminution n'est pas négligeable.

PermalienJanine Lorente, directrice générale adjointe de la SACD

Il ne faut pas oublier l'action de l'Association Beaumarchais, qui bénéficie essentiellement au spectacle vivant et qui ne figure pas dans les comptes de la SACD.

PermalienPascal Rogard, directeur général de la SACD

Il faut en effet distinguer l'action générale de la SACD et l'action de l'Association Beaumarchais, qui porte sur l'aide individuelle aux auteurs. Et celle-ci va en effet pour la plus grande part au spectacle vivant, ce qui, d'ailleurs, fait parfois frémir certains auteurs du secteur audiovisuel.

PermalienPhoto de Christian Kert

Vous n'avez pas répondu à la question concernant l'engouement que l'on observe pour les lieux culturels.

PermalienPascal Rogard, directeur général de la SACD

La pratique du numérique, qui a pour effet de retenir les gens chez eux, génère aussi, en sens inverse, un vrai besoin de sorties. L'augmentation de la fréquentation de lieux culturels constitue un élément de retour à la vie sociale. Car rester seul en face de son ordinateur n'est pas un idéal pour le citoyen.

C'est pourquoi une politique ambitieuse en faveur du spectacle vivant, créateur de lien social et vecteur d'éducation, mérite d'être encouragée par le Gouvernement et par le Parlement. Tel est le principal message que je voudrais adresser à votre Commission, car je crains que, dans les années qui viennent, ce secteur ne souffre, davantage que les autres, d'un manque de moyens alors même qu'il contribue plus qu'eux à l'animation des territoires.

Le cinéma et la musique en salles pâtissent peu de la piraterie. Après la musique enregistrée, celle-ci a surtout atteint le DVD, objet reproductible par excellence. Mais il parvient maintenant à résister grâce à l'arrivée du Blu-ray et à l'adaptation, par les éditeurs, de leur politique tarifaire après les excès constatés dans un certain nombre de cas.

Les auteurs veulent que leurs oeuvres soient diffusées le plus possible. Dans la perspective d'une modification de la loi, nous défendons l'idée d'appliquer à l'audiovisuel et au cinéma la règle déjà en vigueur dans l'édition littéraire : après expiration des contrats de première exclusivité, les oeuvres doivent faire l'objet d'une exploitation permanente et suivie. Car elles doivent demeurer disponibles pour le public.

PermalienPhoto de Didier Mathus

Je suis heureux d'entendre M. Pascal Rogard défendre les positions qui étaient les nôtres il y a deux ans. La circulation des oeuvres est en effet plus importante que tout le reste.

Dans le domaine du spectacle vivant, les plus grands succès vont aux événements de masse : les grosses productions musicales, les grands festivals… En revanche, le tissu des spectacles de proximité est en train de s'étioler. Dans les trente dernières années, s'était développé un réseau dense de salles et de lieux, généralement grâce aux collectivités locales. Mais, compte tenu de la considérable hausse des prix du spectacle vivant, surtout dans le secteur musical et, dans une moindre mesure, au théâtre, les scènes les plus modestes, à l'écart des grandes métropoles, vont beaucoup souffrir dans les années qui viennent. Ce sera autant de diffusion et d'irrigation culturelle en moins. Sur le terrain, nous sentons que ce phénomène est déjà amorcé.

PermalienPhoto de Christian Kert

Je vous remercie, madame, messieurs, pour la qualité de vos propos.

La séance est levée à 18 heures 40.