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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Séance du 16 septembre 2010 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • prélèvements obligatoires

La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Jeudi 16 septembre 2010

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Dominique Tian, rapporteur de la mission, puis de M. Pierre Morange, coprésident de la mission.)

La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Nous sommes heureux d'accueillir M. Bertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires, que nous avons souhaité entendre au titre de vos travaux, qui font autorité, sur la fraude aux prélèvements obligatoires, lesquels financent en partie nos régimes de sécurité sociale.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Je précise que ce rapport sur La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle est un ouvrage collectif qui a été adopté par le Conseil des prélèvements obligatoires. Le président du conseil et premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, qui n'a pu être là aujourd'hui, m'a demandé de vous le présenter.

Ce rapport date de mars 2007 ; il est donc déjà un peu ancien. Néanmoins, la question reste d'actualité, même si de nombreuses initiatives correctrices ont eu lieu depuis, en partie dans le droit-fil de ce rapport. J'imagine que les autres personnes que vous auditionnerez vous donneront des éléments plus précis sur le suivi des recommandations que nous avions faites à l'époque.

Je présenterai quelques observations sur l'évaluation de la fraude, puis sur la densité et les techniques et politiques de contrôle telles qu'on les connaissait dans les années 2005-2006 et qui nous ont servi pour ce rapport. Enfin, de façon plus particulière, je formulerai quelques propositions.

Ce rapport, précisons-le, ne porte pas uniquement sur la fraude sociale ; il traite de la fraude aux prélèvements obligatoires en général – ainsi, de très larges développements sont consacrés à la fraude aux impôts. L'option qui avait été retenue – c'était d'ailleurs une demande parlementaire – était de donner une vision aussi transversale que possible des deux grands blocs de prélèvements obligatoires : fiscaux et sociaux. Cela dit, je concentrerai plus particulièrement mon propos sur le bloc social.

Tout le monde mesure à quel point il est difficile d'évaluer la fraude. Par nature, celle-ci est dissimulée, et il est très difficile d'avancer en termes de méthode et d'évaluation. Le Conseil des prélèvements obligatoires s'y est employé, en s'appuyant sur les administrations et sur les caisses de sécurité sociale.

La méthode la plus fiable consiste à voir s'il est possible de faire des extrapolations à partir des contrôles. Le problème est que les organismes qui contrôlent ciblent leurs contrôles : par expérience, on finit par repérer les zones de faiblesse, qu'il s'agisse de prestations ou de prélèvements, et dès lors toute extrapolation des résultats risque d'aboutir à une forte surestimation de la fraude. Voilà pourquoi on doit procéder à une analyse un peu plus raffinée, par strate, par secteur, de façon à réduire l'incertitude liée à l'exercice d'extrapolation lui-même. D'autres approches macroéconomiques prennent en compte quelques agrégats, mais elles sont plus stimulantes intellectuellement qu'effectives dans leurs résultats. Le rapport présente par ailleurs quelques éléments sur les méthodes d'évaluation utilisées à l'étranger.

Les données que nous avons avancées résultent plutôt d'une extrapolation corrigée des ciblages actuels. Vous en avez l'analyse dans l'annexe III du rapport. En 2007, nous avons estimé la fraude aux prélèvements obligatoires dans une fourchette allant de 29 à 40 milliards d'euros. À l'intérieur de cet ensemble, nous avons considéré que la fraude aux prélèvements sociaux s'échelonnait entre 8,4 et 14,6 milliards et se décomposait ainsi : 6 à 12 milliards pour le travail dissimulé, le « travail au noir » ; 2,2 milliards pour les redressements imposés à des entreprises ou à des particuliers, qui n'étaient pas concernés par le travail dissimulé mais qui ont éventuellement fraudé ou fait des erreurs. Dans cet agrégat global, la part des prélèvements sociaux est donc sensiblement minoritaire – ce qui n'autorise pas à ne pas s'y intéresser.

Cette estimation appelle trois commentaires sur lesquels M. Philippe Séguin, qui présidait alors le conseil, avait beaucoup insisté quand il avait présenté le rapport.

Premièrement, quel que soit le soin que nous avions pris à essayer d'exploiter les enquêtes disponibles, l'intuition globale du Conseil des prélèvements obligatoires était que nous étions en réalité au bas de la fourchette. Mais il nous a semblé réaliste d'utiliser ce qui était disponible, et qui reste dans un ordre de grandeur tout à fait cohérent.

Deuxièmement, les résultats ne diffèrent pas des estimations un peu antérieures qui avaient été faites, notamment par M. Charles de Courson.

Troisièmement, il ne faut pas avoir des « yeux de Chimène » trop brillants devant ce « pactole », qui s'agisse de la fraude aux prélèvements sociaux ou aux prestations : on ne rééquilibre pas le budget de la sécurité sociale ou celui de l'État par le seul levier de la lutte contre la fraude. Certes, une partie de la fraude est détectée et récupérée – concernant les prélèvements obligatoires, nous avions évalué les redressements aux alentours de 16 milliards d'euros, ce qui est tout à fait significatif. Toutefois, on ne récupère pas toujours l'argent, ce qui est le cas lorsque les entreprises ont disparu ou sont insolvables. Par ailleurs, si le contrôle de la fraude était beaucoup plus systématique, certaines activités « au noir », donc frauduleuses, n'auraient même pas lieu. Bref, il serait erroné de rapporter les sommes que j'indiquais aux déficits respectifs de l'État et de la sécurité sociale en imaginant en combler une partie par une lutte plus intensive. Au demeurant, dans aucun pays, on n'arrive à des taux de recouvrement ou de récupération proches de 100 % : la méthode est toujours imparfaite ; le contribuable ou l'assujetti aux cotisations développe des stratégies ; l'on ne saurait développer de façon trop systématique les contrôles.

Pour autant, la lutte contre la fraude est un enjeu financier et politique important : financier, parce qu'elle contribue tout de même au redressement des comptes ; politique, parce qu'il n'y a pas de cohérence à vouloir lever des impôts ou des cotisations si les assujettis ou les contribuables éprouvent un sentiment d'injustice. Il ne faut pas non plus accréditer l'idée que la fraude n'est pas poursuivie.

Notre conclusion a été de dire que la fraude est un problème réel, mais qu'elle n'est pas un problème majeur ou massif. Et si on est impressionné par le montant des fraudes, on pourrait l'être aussi par le chiffre élevé des contribuables ou assujettis qui paient régulièrement leurs cotisations et leurs impôts. Dans l'ensemble, les gens jouent le jeu : parce qu'ils font leur devoir, et c'est sans doute la raison principale ; aussi par « peur du gendarme » – et le fait que le contrôle soit visible, connu, pèse d'ailleurs sur les comportements.

Il y a dans cette acceptation de l'impôt quelque chose qui, en France, s'apparente à un vrai civisme fiscal et social. Il ne faut pas considérer que tous les contribuables et assujettis fraudent de façon systématique et importante. Au demeurant, lorsque l'on fait des redressements dans une entreprise – hormis des situations très atypiques en matière de travail dissimulé –, on s'aperçoit que le taux de redressement n'est pas majeur, la plupart du temps, la fraude est peu élevée par rapport aux cotisations appelées. Il faut remarquer aussi que dans ces redressements, il y a une partie de mauvaise foi – c'est ce qui devrait être appelé « la fraude » – et une partie d'irrégularités plus ou moins subies parce que la législation est complexe ou mal comprise. Quelquefois d'ailleurs, le contrôle débouche sur une restitution financière lorsque l'on s'aperçoit que l'entreprise a cotisé au-delà de ses obligations.

Quelle était, à la date retenue pour nos études – autour des années 2005 et 2006 –, l'étendue de la politique de contrôle ? À la page 34 du rapport, un tableau donne, en ce qui concerne les cotisations sociales, une description assez synthétique du taux de contrôle des cotisants : globalement, pour une entreprise, il serait inférieur à 25 %. C'est un taux assez significatif, qui varie suivant la taille de l'entreprise. Dans l'ensemble, plus l'entreprise est importante, plus elle est contrôlée régulièrement ; cela ne signifie pas qu'elle fraude plus, mais comme son chiffre d'affaires est plus élevé, elle constitue une cible de contrôle à privilégier.

Ces contrôles ne sont pas du tout aléatoires : ils ont lieu à partir d'un plan de contrôle établi à la suite due repérage de zones de probabilité de fraude. Parmi les entreprises contrôlées, les toutes petites entreprises subissent des redressements dans plus de 40 % des cas ; les entreprises de 10 à 200 salariés, dans 72 % des cas ; les très grandes entreprises, dans 88 % des cas. Cela signifie que, quand on contrôle, on voit beaucoup d'irrégularités. Mais celles-ci sont mineures, puisque le taux de redressement des cotisations est de 4,17 % pour les toutes petites entreprises, 2,56 % pour les entreprises moyennes, et de 1,55 % dans les grandes entreprises.

Qu'elle résulte d'une intention délibérée, d'incompréhensions ou de difficultés objectives à établir l'état des cotisations, l'irrégularité est fréquente, mais elle n'est pas grave en valeur unitaire : l'essentiel de l'assiette, même dans les entreprises qui ont fait l'objet de ces contrôles, fait bien l'objet d'un prélèvement, dans le respect de la réglementation. Reste une zone tout à fait particulière, qui est le travail au noir, où les cotisations ne sont pas déclarées.

La densité des contrôles n'est ni plus élevée, ni plus faible qu'à l'étranger. Peu à peu, les pays finissent par rôder des techniques et des approches de contrôle à peu près cohérentes.

Il faut souligner que le ciblage des contrôles a beaucoup progressé. Par exemple, la fréquence des contrôles des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) a légèrement diminué, mais leur ciblage est bien meilleur et le rendement par contrôle s'améliore.

En 2005, les redressements ont été significatifs. Sur la seule sphère sociale, on évalue les redressements à peu près à 1 milliard d'euros. Cela peut sembler très peu par rapport à la fourchette de fraude estimée. Mais on peut penser aussi que cela représente déjà un effort important parce que, bien entendu, on ne peut pas contrôler tout le monde et que certaines fraudes ne sont pas détectées.

Le Conseil des prélèvements obligatoires a considéré néanmoins qu'on pouvait améliorer la performance du système. C'est dans ce sens qu'il a esquissé un certain nombre de propositions, dont la liste figure aux pages 258 à 262 du rapport. Les actions à mener ont été classées en grandes rubriques : d'abord, prévenir les irrégularités ; ensuite, se doter de nouveaux outils contre le travail dissimulé ; enfin, améliorer un certain nombre de dispositifs.

La première des propositions, qui peut sembler évidente, était qu'il fallait beaucoup améliorer notre compréhension de la fraude. Pour mener une politique adaptée, il faut bien connaître le phénomène. J'en veux pour preuve le saut qualitatif qui a eu lieu ces dernières années lorsque la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a entrepris de faire une étude systématique à partir d'un échantillon aléatoire et important de dossiers, pour repérer les zones de faiblesse. Nous avions donc recommandé de procéder assez régulièrement, par coupes, à des évaluations un peu systémiques. Ce sont des opérations lourdes, mais qui sont certainement rentables à moyen terme.

Le conseil a par ailleurs beaucoup insisté sur le fait qu'à l'origine des redressements, on trouvait à la fois de la fraude et des irrégularités, ces dernières provenant tout à la fois de la complexité de la législation et de la difficulté qu'avaient les entreprises ou les assujettis à trouver un interlocuteur qui leur explique le bon comportement à adopter. Nous avons donc fait des propositions tendant à mesurer la complexité des législations, pour réduire les zones d'incertitude, faciliter les contrôles et la gestion par les assurés, et généraliser la procédure de rescrit – celle-ci permet à une personne qui a un doute d'interroger l'administration sur ce qu'elle doit faire et la réponse qui lui est donnée devient opposable.

La deuxième de nos propositions a été de se pencher sur le travail dissimulé, qui constitue la partie la plus importante de la fraude sociale, mais qui est extrêmement difficile à apprécier. Nous avons fait plusieurs suggestions. Je pense que la direction de la sécurité sociale vous indiquera de quels outils elle dispose maintenant pour lutter contre le travail dissimulé.

La première suggestion que nous avons avancée – et ce avec beaucoup de précaution – concernait les marchés publics. Il s'agissait de définir des standards indicatifs de main-d'oeuvre afin de sensibiliser les acheteurs publics sur le fait que des prix trop bas peuvent laisser penser qu'il y a recours au travail dissimulé. L'exercice est très difficile parce qu'il ne faut pas risquer de fermer la concurrence en élaborant ce qui deviendrait peu à peu des références plancher. Toutefois, c'est une piste que nous pensons utile, et je sais que la direction de la sécurité sociale a déjà une première réalisation à son actif – je pense que le directeur de la sécurité sociale vous en parlera.

Notre deuxième suggestion était de prévoir, dans le code de la sécurité sociale, un redressement forfaitaire sur une durée assez longue. En effet, en cas de verbalisation pour travail dissimulé, la réaction classique d'un employeur est de dire qu'il vient d'embaucher ce salarié et qu'il n'a pas encore fait la déclaration d'embauche. Cela ne trompe personne, l'embauche étant vraisemblablement antérieure. Nous avons donc recommandé qu'en cas de verbalisation, on remonte sur six mois, à charge pour l'employeur verbalisé d'apporter la preuve contraire, ce qui ne doit pas être très facile non plus. Nous pensons que c'est un bon outil. Je crois qu'il a été mis en place depuis et que les premiers résultats sont au rendez-vous.

Reste un dossier très difficile, sur lequel on progresse lentement : impliquer le donneur d'ordre initial dans les cascades de sous-traitants en imposant à celui-ci d'attester qu'il a bien vérifié la régularité des procédures et, si possible, l'effectivité du paiement des cotisations.

Ces propositions nous avaient semblé pertinentes, et je crois qu'elles ont été mises en oeuvre pour partie.

Nos autres propositions étaient assez techniques, et je n'y reviendrai pas à ce stade. Elles visaient à améliorer les processus de contrôle et surtout à explorer un chantier considérable : celui qui résulte de la progression de nos échanges transfrontaliers et qui touche aussi bien la fiscalité, avec les « carrousels » en matière de taxe sur la valeur ajoutée, que le détachement transfrontalier des travailleurs ou les prestations de service. De nombreuses pistes ont été envisagées. Là encore, je pense que nous progressons régulièrement.

En conclusion, je peux dire que le sujet est pris au sérieux. Il n'y a pas d'acharnement, il n'y a pas d'abus de droit mais un travail continu qui mobilise de plus en plus les administrations et les caisses de sécurité sociale. Les conventions d'objectifs et de gestion signées entre l'État et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) insistent d'ailleurs sur ce point. C'est ainsi que des indicateurs de performance et des indicateurs de suivi ont été mis en place, que des moyens plus importants ont été alloués pour le contrôle du recouvrement, et que les contrôles sur les cotisations de chômage et de retraite complémentaire ont été substantiellement étendus – il faut se souvenir que, jusqu'à 2007, les cotisations de chômage et les cotisations de retraite complémentaire, qui représentaient tout de même à l'époque 75 milliards d'euros, ne faisaient l'objet d'aucun contrôle, alors que leur assiette était à peu près la même que celle des cotisations du régime général. Là encore, on a réussi à combler les lacunes : à peu près complètement pour le chômage, les négociations étant en très bonne voie pour ce qui est des régimes de retraite complémentaire.

Au fond, depuis quelques années, on enregistre de nets progrès à la fois dans la volonté et dans les outils. Il reste un travail considérable et il n'est pas déraisonnable de penser que l'action entreprise pourrait contribuer, pour partie, au redressement de nos finances publiques.

(M. Pierre Morange, coprésident de la mission, remplace M. Dominique Tian, rapporteur, à la présidence de la mission.)

PermalienPhoto de Pierre Morange

Merci, monsieur le président, pour cette présentation synthétique des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires. Je note avec satisfaction que la lutte contre la fraude sociale, qui, jusqu'à des périodes assez récentes, était considéré comme un thème quelque peu sulfureux, est désormais largement reconnue comme une nécessité, d'autant que nous avions pris quelque retard en la matière.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Dans son rapport, le Conseil des prélèvements obligatoires a considéré que « les travaux d'estimation de la fraude sont balbutiants et, en tout état de cause, très imprécis ». Il précisait également que, dans des pays européens, les choses étaient mieux organisées. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Le taux français n'est pas du tout aberrant. Nous ne nous distinguons ni par un taux de fraude trop élevé, ni par une acceptation complète de l'impôt ou des charges sociales. Mais le conseil a été frappé par le fait que le travail d'analyse n'était pas assez rationalisé, pas assez synthétisé, et surtout insuffisamment rigoureux.

Le progrès a consisté à développer des outils d'analyse. Par exemple, on utilise l'analyse dite « stratifiée ». On s'est rendu compte qu'il ne fallait pas se contenter de cibler par intuition ou par expérience, qu'il fallait peu à peu raisonner sur la stratégie de contrôle. De même, on s'est demandé s'il fallait procéder à des contrôles peu fréquents mais lourds ou à des contrôles plus réguliers, quitte à les alléger. Sur tous ces éléments, qui portent à la fois sur la connaissance et la compréhension du phénomène et sur la définition de la stratégie, le progrès est très réel.

Les Italiens ont une approche très intéressante du calcul du travail dissimulé, qui consiste à interroger parallèlement les entreprises et les personnes. Et l'on s'aperçoit que souvent, les personnes expliquent qu'elles ont perçu des revenus qui n'ont pas été déclarés. Mais tout le monde a des approches à peu près équivalentes. Nous y sommes parvenus vraisemblablement un peu plus tard que certains pays.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

J'ai tenu à assister ce matin à cette réunion, parce que j'estime que la fraude sociale doit être au coeur des travaux de la Commission des affaires sociales. Je remercie MM. Pierre Morange, Dominique Tian et Jean Mallot de s'être emparés de ce thème.

Quand on veut s'attaquer à un problème, on obtient des résultats : on l'a vu avec la vitesse au volant et l'alcool. Il peut en être de même si on s'attaque vraiment au problème de la fraude, ce qui est devenu un impératif compte tenu du poids de nos déficits. Cela passe par des mesures de justice fiscale accompagnées de mesures fortes.

S'agissant des dépenses de santé et de prestations sociales, j'ai observé une énorme différence selon les départements et les régions, ce qui laisse penser qu'il existe une forme de laxisme en France. Selon moi, il existe des marges de manoeuvre pour mieux redistribuer nos ressources sans augmenter le poids des prélèvements obligatoires. Des décisions s'imposent dans les douze ou quinze mois qui viennent.

Voilà pourquoi la Commission des affaires sociales, après le travail de la MECSS, devra prendre le problème à bras-le-corps au cours des années 2010 et 2011. En maints domaines, il y a encore une marge importante d'efficience dans la gestion des dépenses sociales, lesquelles recouvrent les dépenses de santé, mais aussi des prestations telles que l'allocation de parent isolé (API), l'aide personnalisé au logement (APL) ou encore l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Il s'agit tout de même de 590 milliards d'euros !

Monsieur Bertrand Fragonard, une mise à jour des données de ce rapport est-elle prévue ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Le Conseil des prélèvements obligatoires souhaite procéder à un suivi de l'ensemble des préconisations de ce rapport. Mais je suis persuadé que la direction de la sécurité sociale et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale apporteront à votre commission tous les éléments vous permettant de dresser un bilan à jour. Sur beaucoup de sujets, elles ont avancé et pourront vous transmettre les textes applicables. D'ailleurs, une partie de ces textes ont été votés par le Parlement car très souvent il faut un outil législatif. Le progrès accompli depuis le rapport est réel alors qu'il arrive fréquemment que des rapports ne débouchent sur rien ou n'aient que peu de suites…

PermalienPhoto de Pierre Morange

Vous nous avez dit que, finalement, le taux de fraude en France était à peu près comparable à celui des autres pays européens…

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

On n'est pas dans des ordres de grandeur totalement différents…

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Beaucoup de personnes se demandent si la fraude ne dépend pas du poids des prélèvements. Et il n'est pas absurde de penser que plus les prélèvements sont importants, plus les intéressés sont tentés d'y échapper. Or on ne trouve pas de corrélation aussi caractérisée car, globalement, cela n'a pas de sens. En revanche, sur certains types d'impôts très pointus, l'élévation du taux entraîne mécaniquement une augmentation de la fraude.

Quand le président Philippe Séguin a présenté ce rapport à la presse, il a indiqué qu'on ne pouvait pas dire si la France se comportait mieux ou moins bien que les autres pays. Il faut prendre en compte le contexte, la façon dont on évalue la fraude, et il serait très hasardeux d'en dire plus.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Avez-vous des informations sur les capacités de récupération financière des autres pays européens par rapport aux nôtres ? Quel est le pourcentage de sommes récupérées ? Par rapport à ces pays, notre système est-il efficient ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Le rapport n'a pas traité de ce sujet. Sur le plan macroéconomique, cela n'a pas de sens. Dans certains domaines, des pays développent des processus de contrôle plus fins. Par ailleurs, le taux de récupération des redressements notifiés varie.

PermalienPhoto de Marie-Françoise Clergeau

La fraude existe et représente des milliards. Mais les données que vous avez avancées concernaient l'ensemble de la France. Disposez-vous d'indicateurs plus fins, département par département ou région par région ? J'ai eu l'occasion d'évoquer le sujet avec des personnes qui travaillent dans certaines administrations, et j'ai relevé que les moyens humains consacrés au contrôle n'étaient pas partout les mêmes. Peut-on penser que davantage de moyens humains seraient nécessaires pour faire diminuer les fraudes ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Selon certaines analyses, la fraude varie suivant la taille de l'entreprise et suivant le secteur d'activité – éléments majeurs du ciblage des contrôles des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales.

L'administration fiscale a beaucoup travaillé sur la répartition des moyens de contrôle sur le territoire, pour essayer de définir une bonne politique d'organisation. Le rapport n'a pas signalé, s'agissant des moyens des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, des disparités choquantes au regard de ce qui semblerait être une bonne politique.

Le rapport n'appelle d'ailleurs pas non plus à un renforcement caractérisé de l'effectif des contrôleurs. Il ne le déconseille pas, mais il compte beaucoup plus sur l'amélioration des techniques.

Par exemple, quand on contrôle une grande entreprise, on reprend habituellement les déclarations de salaires, une par une, pour établir le redressement. Mais quand on en a étudié cent, on s'aperçoit très bien de la zone de fraude et de son importance. Peu à peu a émergé l'idée qu'il fallait se doter d'un outil juridique permettant, à partir d'un échantillon raisonné, de procéder à une extrapolation, afin d'alléger la technique de contrôle. C'est ainsi qu'il y a un peu plus d'un an, les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales se sont vu accorder la possibilité de procéder à un redressement, à partir de telles extrapolations.

C'est beaucoup plus en améliorant le ciblage, les techniques et la rapidité des contrôles que l'on progresse, qu'en multipliant les contrôleurs.

PermalienPhoto de Bérengère Poletti

Il n'y a pas que les entreprises qui fraudent ; les individus également. Certes, vous l'avez dit dans votre propos liminaire, mais chaque fois que vous citez un exemple, il concerne les entreprises.

Beaucoup de Français ne fraudent pas, avez-vous dit. Mais je pense que nos compatriotes seront de plus en plus nombreux à frauder si l'on manque de sévérité et si on ne conduit pas une politique faisant naître la peur du gendarme. Pour certains, riches ou pauvres du reste, il est tentant de profiter d'un système qui serait trop laxiste. Il faut donc une politique volontariste de lutte contre la fraude.

Vous avez dit également que les ordres de grandeur de la fraude en France et dans les autres pays européens étaient les mêmes. Mais je suis un peu sidérée des ordres de grandeur que vous nous avez donnés : la plupart des estimations vont du simple au double ! On est vraiment dans le flou. D'ailleurs, sur quelles périodes a-t-on fait ces estimations ? Ont-elles été faites par année ou sur plusieurs années ? J'aimerais avoir une réponse précise, par secteur et par année.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Je n'ai pas parlé des bénéficiaires de prestations sociales mais des personnes redevables de cotisations sociales, et il va de soi que, dans la plupart des cas, il s'agit d'entreprises, d'autant que le contrôleur de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales n'a pas le droit de pénétrer au domicile d'un particulier employeur sans l'accord de celui-ci. Existe donc une zone d'ombre s'agissant des particuliers employeurs en tant que cotisants. En ce qui concerne les ménages bénéficiaires de prestations sociales, la fraude est réelle, mais une insertion dans le dernier rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale fait état d'une estimation qui va surprendre par sa modestie plutôt que par son ampleur.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Je ne me souviens plus du montant. Quoi qu'il en soit, le montant de fraude estimé est très au-dessous de ce que beaucoup de gens imaginent. En fait, nos systèmes, qu'il s'agisse de prestations ou de prélèvements, ne font pas massivement l'objet de fraudes. Mais évidemment, un faible pourcentage du produit intérieur brut peut représenter beaucoup d'argent en valeur absolue.

Madame Bérengère Poletti, vous me demandez pourquoi je vous ai présenté une fourchette. Mais tout simplement parce que nous ne savons pas faire mieux ! Le processus est très compliqué à comprendre, et c'est pourquoi les estimations varient pratiquement du simple au double. S'agissant de la fraude sociale, par exemple, le travail au noir est la partie la plus difficile à apprécier et à quantifier. À l'époque où nous avons travaillé, nous n'avons donc pu faire mieux que de l'estimer dans cette fourchette, en indiquant qu'il fallait la prendre avec beaucoup de précaution.

Bien entendu, la base de notre évaluation de la fraude était annuelle. Elle résultait d'études qui se sont poursuivies sur plusieurs années. Mais comme ce sont des phénomènes qui ne changent pas brutalement, elle est vraisemblablement réaliste.

La fraude évolue-t-elle ? Vous pensez qu'il y en aura de plus en plus. Le rapport ne dit rien de cela. Il est déjà difficile de connaître, sur une année donnée, un phénomène si complexe ! De plus, la législation évolue également. En tout cas, le conseil ne dit pas que la fraude se développe… mais il ne dit pas le contraire non plus.

Il serait très utile de faire régulièrement et systématiquement des analyses pour voir ce qui évolue. Ainsi, l'étude de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a « peigné » 13 000 dossiers d'allocataires, ce qui constitue tout de même un échantillon significatif, me semble exemplaire. Il s'agissait d'un tirage purement aléatoire car extrapoler à partir de contrôles ciblés ne renseigne pas. Cette analyse assez fine a montré que certaines prestations sont plus « frauduleuses » que d'autres. Pour mesurer l'évolution de la fraude au cours du temps, il faudrait faire régulièrement ce type d'analyses, qui sont des analyses lourdes, mais certainement rentables parce qu'elles améliorent notre compréhension du phénomène.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Même si, selon vous, la progression de la fraude n'est pas évidente, les estimations, qui s'appuient désormais sur des montants de fraude identifiée, sont incontestablement plus élevées chaque année : elles sont le reflet d'une connaissance plus affinée, issue d'une volonté partagée de s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public dans le domaine sanitaire et social. Des chiffres publiés par des caisses font apparaître des progressions de un à trois, voire de un à dix. Ils traduisent sinon une augmentation de la fraude, du moins une meilleure connaissance de celle-ci. Cela nous renvoie aux amendements que j'avais déposés sur l'interconnexion des fichiers, amendements qui ont été diabolisés au prétexte qu'ils ouvraient, paraît-il, un débat sulfureux. Vouloir s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public avait même été considéré comme obscène. Désormais, cette démarche commence à être partagée de façon plus sereine et apaisée, au profit de l'ensemble de nos concitoyens.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

La lutte contre la fraude passe évidemment par la certitude pour le public que des contrôles sont effectués et qu'ils sont suivis d'effet.

Nombre de propositions ont pour objet de faire prendre conscience de l'existence du gendarme, de la probabilité de contrôles réguliers de sa part, et de la certitude que sa venue sera suivie d'effets. Dans ce but, et en conformité avec nos recommandations, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale a infléchi sa stratégie en faveur de contrôles peut-être moins lourds mais plus fréquents. Que l'assujetti puisse penser que la probabilité d'un contrôle est nulle ou très faible – une fois tous les vingt ou cinquante ans – est catastrophique. Il doit au contraire être convaincu que le contrôle est, sinon certain, sans doute probable, et au moins possible.

La publicité des sanctions, notamment de celles que prennent les caisses primaires d'assurance maladie et les caisses d'allocations familiales en matière de prestations, fait aujourd'hui débat. Doivent-elles les afficher dans leurs locaux ? Doivent-elles faire paraître dans la presse les résultats des contrôles ? Si oui, leur présentation doit-elle être simplement statistique ou, tout en respectant l'anonymat, doit-elle préciser les situations ?

Dans le monde des entreprises, la réelle circulation de l'information ne rend sans doute pas nécessaire le besoin de publicité des sanctions. En revanche, celles-ci doivent pouvoir être prises. Or, malgré la moindre lourdeur du processus de sanction administrative par rapport au processus judiciaire, dans le domaine social nous étions, à l'origine, dépourvus du pouvoir d'en infliger. Depuis, on constate une amélioration dans ce domaine.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Ne sommes-nous pas confrontés à une difficulté de vocabulaire ? Si le mot « fraude » choque, l'expression « petits arrangements » est d'usage plus facile et permet d'éviter l'utilisation du qualificatif de « fraudeur ».

Le poste d'observation privilégié que me donne mon mandat de maire m'a permis de constater un certain nombre de ces arrangements. Ainsi, un employeur pourra payer un salarié au salaire minimum, tout en lui concédant, de la main à la main, une rétribution supplémentaire de 200 euros. Le taux des cotisations patronales sera alors de 20 % au lieu de 46 %, tandis que le salarié conservera l'aide personnalisée au logement(APL) dont il bénéficie et ne paiera pas l'impôt sur le revenu. Le cas est assez fréquent dans certains secteurs, dont la restauration.

Concernant les recompositions familiales, des allocataires peuvent considérer que tant que leur nouveau conjoint n'appose pas son nom sur la boîte aux lettres, aucun contrôle, pas même de la part de la caisse d'allocations familiales, n'est possible. Il est même des personnels sociaux pour les en assurer ! N'évoquons pas les contrôles en matière de carte Vitale…

Enfin, il peut arriver que des personnels de maison demandent eux-mêmes à leurs employeurs – parfois des élus – de ne pas être déclarés.

Les 50 milliards d'euros de recettes de l'impôt sur les sociétés ou le revenu doivent aussi être comparés aux 590 milliards d'euros de notre budget social. Au contraire d'autres pays, c'est peut-être dans cette direction qu'il faut rechercher des éléments de solution.

Mais les collectivités locales peuvent aussi prendre leurs responsabilités et exercer leur pouvoir de contrôle. La décision du président du conseil général des Bouches-du-Rhône de contrôler l'enveloppe consacrée aurevenu minimum d'insertion, afin d'affecter à d'autres politiques les économies réalisées, a abouti, dans ce département, à la radiation de nombreux bénéficiaires !

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Ce type de résultats est tout à fait indépendant des sensibilités politiques.

Les personnes pratiquant des « petits arrangements » ne considèrent pas qu'elles fraudent. Elles trouvent leur comportement légitime et justifié par la complexité de la législation, qui rendrait celle-ci incompréhensible.

J'ajoute que mes réflexions sont celles du maire d'une ville, Vitré, qui a reçu des services fiscaux, il y a deux mois seulement, la palme du civisme fiscal en Bretagne !

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Ces observations concernent les prestations sociales. Pour ce qui concerne les prélèvements, notre rapport fait état d'analyses, en France mais aussi à l'étranger, de la perception du devoir fiscal. Monsieur le président, les exemples que vous citez correspondent à une réalité. La Cour des comptes a effectué sur la prime pour l'emploi (PPE) des analyses assez pittoresques ; elles font apparaître l'intérêt pour les contribuables, afin d'optimiser leur situation par rapport à cette prime, de déclarer des revenus un peu plus importants que la réalité, et une tendance à procéder ainsi.

Cependant, la tolérance envers ce type de démarche varie.

D'abord, chacun est plus tolérant envers ses propres arrangements qu'envers ceux du voisin.

Ensuite, une expérience de trente ans dans le secteur social – et non au titre des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires, dont le rapport ne traite pas du tout de cette question – me laisse à penser que la fraude des pauvres est jugée plus sévèrement par le grand public. Autant une fraude légère d'une personne relativement intégrée peut être considérée comme la juste reprise de son dû à un État budgétivore ou mal géré, autant la fraude du pauvre est considérée comme profondément immorale.

L'analyse doit cependant être très prudente. Selon le discours courant, les Français sont tous fraudeurs, leur comportement s'opposant ainsi à celui des citoyens des pays nordiques, par exemple. Mais est-ce vrai ? Faute d'une analyse approfondie, nous n'en savons rien. Tout cela n'est pas démontré. La réalité est beaucoup plus subtile.

Le sentiment que la fraude légère – l'arrangement – est un phénomène diffus est tout à fait pernicieux. Il faut donc peu à peu habituer les gens à clarifier leur vocabulaire. En matière de prestations, les qualifications dont usent les Britanniques sont d'une verdeur, voire d'une brutalité, très nette par rapport aux expressions françaises. Comment caractérise-t-on une fraude par rapport à une irrégularité ou une erreur ? Le débat sur ces concepts complexes est réel.

L'ampleur de l'un de ces arrangements – la facturation hors taxe sur la valeur ajoutée à des particuliers – n'est pas du tout connue. L'un des objectifs de la réduction de la taxe sur la valeur ajoutée sur les travaux était de la diminuer. Selon le rapport, dans ce domaine, l'opération a été relativement positive.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Dans un rapport parlementaire rédigé en 1995, M. Charles de Courson évaluait la fraude à un niveau supérieur à notre fourchette haute d'estimation. Cependant, il disposait à l'époque de moins d'outils de mesure. Peut-être sa perception différait-elle aussi de celle du Conseil des prélèvements obligatoires ? Pour autant, l'évolution ne signifie pas une diminution de la fraude, mais simplement la difficulté de comparer deux évaluations.

PermalienPhoto de Martine Carrillon-Couvreur

Monsieur le président, je retiens d'abord de votre présentation, malgré l'existence « d'arrangements », la constatation d'un vrai civisme fiscal en France. Des progrès peuvent être aussi notés ces dernières années. La réduction de la taxe sur la valeur ajoutée dans le secteur du bâtiment et le chèque emploi service ont été indéniablement positifs.

Dans le fort contexte de crise que nous connaissons, j'ai été saisie – je pense ne pas être la seule – par des entreprises qui, soumissionnant à des marchés publics, se trouvent confrontées à des concurrents proposant des offres très basses, dont les caractéristiques permettent de suspecter des difficultés en matière de déclaration ou de rémunération de leurs salariés. Pouvez-vous nous éclairer plus avant sur ce point ? J'ai été amenée à suggérer par écrit au préfet du département dont je suis l'élue d'effectuer un rappel aux règles.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Page 88 du rapport, il est exposé qu'en matière de cotisations sociales les règles juridiques au sein de l'Union européenne ne sont pas suffisamment bien établies. Et si la règle de principe concernant les travailleurs au sein de l'Union européenne est celle de l'affiliation dans le pays où se déroule l'activité du travailleur, il semblerait que les choses ne soient pas si claires que cela. Ainsi, de nombreuses entreprises nous saisissent, notamment en matière de marchés publics, de cas de « dumping » liés au manque de clarté des règles communautaires.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Notre proposition n° 5 proposait de définir des standards de référence minimaux destinés à alerter l'acheteur public sur le caractère aberrant, car trop bon marché, d'une offre.

Une difficulté est cependant qu'une fois publiées, les références peuvent être assimilées à des prix planchers, faussant ainsi la concurrence. À la suite de cette proposition, une expérience – le directeur de la sécurité sociale pourra vous la présenter – a été conduite en matière d'entreprises de gardiennage. Nous continuons à travailler dans ce domaine.

Monsieur le rapporteur, nous progressons moins rapidement sur les questions complexes relatives aux travailleurs détachés et à leur localisation dans des pays aux législations moins exigeantes en termes de prélèvement fiscaux et sociaux. Il faut mettre en place des mécanismes de communication intracommunautaire ou clarifier les règles. L'importance de ce chantier va s'accroître au fur et à mesure du développement des échanges transfrontaliers de services.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Les amendements que j'ai élaborés sur l'interconnexion des fichiers, notamment avec le Centre de liaisons européennes et internationales de sécurité sociale, et que la Commission des affaires sociales a adoptés, devraient, selon moi, permettre de répondre à cette problématique, s'agissant en particulier des mécanismes de dumping social, lesquels sont extrêmement pénalisants, tant pour notre économie que pour les travailleurs de notre pays.

PermalienPhoto de Jacqueline Fraysse

Comme d'autres, je me suis souvent insurgée en séance publique contre des extrapolations à mon sens fantaisistes et péjoratives pour nos concitoyens les plus modestes et les plus fragiles. La question de la fraude doit être traitée, mais avec sérieux et responsabilité. Les travaux de notre mission rejoignant ce souhait d'un travail objectif et sérieux sur ce sujet, j'essaierai donc de m'y consacrer avec le plus d'assiduité possible.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Le coprésident Jean Mallot, les membres de la MECSS et moi-même vous en remercions. Nous ne menons aucun procès d'intention. Nous devons aux Françaises et aux Français une approche raisonnée et raisonnable.

PermalienPhoto de Jacqueline Fraysse

Monsieur Bertrand Fragonard, j'ai apprécié le caractère à la fois précis et équilibré de votre exposé : il évalue l'ampleur des fraudes et les interprète avec justesse, réalisme et pertinence. Vous avez rappelé avec raison que la majorité de nos concitoyens est honnête, et que si – le président Méhaignerie l'a rappelé – une partie des anomalies est liée à la fraude au sens fort du terme, une autre a pour origine la complexité des procédures. Nous pouvons donc, tout en laissant aux personnes ainsi concernées le crédit de l'honnêteté, examiner les moyens de leur permettre de ne pas tomber dans l'irrégularité par incompréhension des règles ou par manque de moyens suffisants pour gérer leurs dossiers.

La nécessité de la lutte contre les fraudes ne fait pas débat. L'enjeu essentiel n'est du reste pas, comme vous l'avez excellemment exprimé, le rééquilibrage des comptes sociaux – cette action passe par des choix fondamentaux qui nous incombent – mais la limitation des gâchis.

Comme vous, nous devons être conscients que la lutte contre la fraude a certes des implications financières – bien que modestes, elles ne sont pas négligeables – mais qu'elle a surtout des implications politiques. Nos concitoyens doivent pouvoir vérifier la réalité de la lutte contre la fraude, en matière de versements comme de prestations. Ils doivent aussi pouvoir constater par eux-mêmes que cette lutte est conduite de façon juste, responsable, qu'elle s'appuie sur des critères transparents et qu'en cas de fraude, il y a bien sanction, visible, et pour tous.

Les pistes explorées ce matin – meilleure compréhension des causes de la fraude, lutte contre le travail dissimulé, amélioration des processus de contrôle – me paraissent utiles. Je suis aussi rassurée de constater que les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont partagées par d'autres pays, au regard desquels la France n'est pas forcément en situation défavorable.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Mes propos sur le civisme social et fiscal ne sauraient occulter l'existence d'une fraude significative pour des montants qui, malgré leur importance relative, seraient bien utiles lorsque, chaque année, on est à la recherche de quelques milliards d'euros…

Par ailleurs, le civisme fiscal et social s'entretient. Si le rapport du conseil convient que la vie des employeurs comme des particuliers doit être facilitée, il considère aussi que le maintien d'une certaine pression est nécessaire. Telle est la raison pour laquelle je cite comme pertinente l'orientation de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales en faveur de contrôles plus fréquents. Dans le milieu patronal, l'évolution du nombre de contrôle est connue.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Nous devons concilier deux objectifs : simplifier les rapports entre les organismes, publics ou assurantiels, et les citoyens ou les entreprises, concernant par exemple les pièces justificatives, tant pour les prélèvements que pour les prestations ; identifier et limiter les irrégularités, intentionnelles ou non. Nous serons très attentifs aux préconisations que vous pourrez formuler en ce sens.

Le rapport que vous avez rendu souligne la nécessité de développer l'interconnexion des fichiers qui facilite la détection des fraudes, en notant toutefois que celle-ci était encore insuffisamment développée. Vous le savez, l'Assemblée nationale a oeuvré en ce sens. Ainsi, grâce à des données plus fines et un partage de celles-ci, le rendement des récupérations a été clairement accru. Pour autant, comme vous, nous sommes tous convaincus que, compte tenu des montants en jeu, des marges de progrès subsistent.

L'interconnexion des 1 750 organismes sanitaires et sociaux a été réalisée. Le dispositif mis en place autour du serveur installé à Tours par la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) est désormais techniquement opérationnel. Son alimentation va débuter au cours du dernier trimestre de l'année 2010 avant de se développer en 2011. L'un des objectifs de la MECSS sera du reste d'en vérifier l'efficacité opérationnelle et de mesurer la progression de notre connaissance de la bonne utilisation de l'argent de nos concitoyens. Selon vous, quelles actions complémentaires devraient être conduites ?

Nous savons qu'une interconnexion avec les fichiers de l'administration fiscale a été réalisée, mais quel est l'état de la collaboration avec d'autres administrations comme celles du travail, de la justice, de l'intérieur ou de la défense ? Une réflexion sur ce point a-t-elle été engagée, sachant que certaines données concernant les personnes ne sont pas encore articulées avec les informations issues de l'interconnexion des fichiers sanitaires et sociaux ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Je ne peux vous répondre.

PermalienPhoto de Pierre Morange

C'est en effet aux administrations compétentes que nous devrons poser cette question. Pour autant, quel est votre sentiment sur une amélioration possible du partage des connaissances ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Toute tentative d'interconnexion mérite d'être étudiée.

Lorsque je dirigeais la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), j'ai régulièrement demandé à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) des autorisations de croisement des données. C'est moi notamment qui ai demandé celle du premier croisement systématique avec les données des services fiscaux sur les déclarations de ressources des usagers.

Il est très difficile de convaincre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – ou le Parlement – sans éléments de nature à prouver l'utilité d'une interconnexion. Pour des raisons liées aux libertés publiques, il existe – à tort ou à raison, je ne me prononce pas sur le fond – une volonté de ne pas trop multiplier les interconnexions. Nous n'avons sans doute pas suffisamment fait apparaître les progrès à attendre des interconnexions. En revanche, chaque fois qu'il en a été décidé une, elle a plutôt donné des résultats positifs. La politique d'interconnexion est donc en soi une bonne politique. Du reste, même s'il n'était pas très précis sur cette question – dont les éléments sont extrêmement évolutifs –, le rapport du conseil allait un peu dans ce sens.

En matière de prestations – domaine où nous avons rencontré des difficultés considérables –, le dernier rapport de la Cour des comptes a essayé de montrer les progrès accomplis. Il reste que les procédures sont lourdes. Il arrive un moment où il faut se contenter du résultat obtenu, même si des améliorations de détail seraient encore possibles.

L'idée qu'il faille développer des interconnexions est plutôt dans la ligne du rapport. La philosophie générale de celui-ci est que, chaque fois que c'est possible et que la mesure n'attente pas aux libertés publiques, il faut en réaliser. Comparés à leur rentabilité, les coûts de mise en place sont extrêmement faibles.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Monsieur le président, je confirme vos propos : il aura fallu trois ans pour que les amendements que j'avais déposés fin 2006 puissent être mis en oeuvre. C'est en effet un travail de longue haleine.

PermalienPhoto de Dominique Tian

Je remarque que la proposition n° 10 du rapport de 2007 prévoyait un recensement des fichiers et la réalisation d'interconnexions.

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Tout à fait. Le conseil était favorable à ce type d'opération chaque fois qu'elle était crédible, qu'il était possible de démontrer la probabilité d'un gain et qu'étaient respectées les libertés publiques.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Au regard des préconisations que vous avez formulées en 2007 et de leur prise en compte, pensez-vous qu'un axe particulier devrait être désormais privilégié ? Suffirait-il de maintenir une pression suffisante pour que les rapports entre les citoyens et leurs administrations soient plus vertueux ?

PermalienBertrand Fragonard, suppléant du président du Conseil des prélèvements obligatoires

Des pistes d'analyse ou des techniques de détection peuvent ne pas encore avoir été explorées. Une extrême prudence est donc de mise.

Le rapport exposait la nécessité d'investir de façon très significative pour comprendre, évaluer et progresser dans l'affinement des techniques de contrôle. Cela dit, m'étant détaché de ce type de travail depuis le rapport publié en 2007, je n'ai pas de préconisations particulières à formuler, sinon celle de continuer à exercer une pression continue. Le contrôle en France ne doit pas relever du harcèlement – sauf peut-être pour des situations très particulières relatives à des prestations. Globalement, l'administration et la sécurité sociale sont très respectueuses des règles de droit ; hors erreurs ponctuelles, il n'est relevé ni abus ni comportement choquant. Le droit est appliqué, mais il est aussi amélioré tandis que les moyens sont mieux déployés et mieux affinés. À mon sens, nous sommes sur une bonne trajectoire.

La séance est levée à dix heures trente-cinq.