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Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Séance du 15 juin 2010 à 16h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • mécanisme
  • quota
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  • émission

La séance

Source

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a examiné le rapport d'information de la mission d'information sur les marchés de quotas d'émission de gaz à effet de serre (François-Michel Gonnot ; rapporteur).

PermalienPhoto de Christian Jacob

– Avant que nous n'entamions l'ordre du jour de notre commission, je signale à tous les commissaires qu'un vote solennel est prévu aux alentours de 17h45. Il durera trois quarts d'heure ; nous nous adapterons en conséquence et nous suspendrons notre séance un instant si cela s'avère nécessaire.

La commission a créé une mission d'information sur les marchés de quotas de gaz à effet de serre au mois de février dernier. Les différentes sensibilités y étaient représentées ; Philippe Martin en a exercé la présidence, François-Michel Gonnot a assuré la fonction de rapporteur. Je les remercie de leur investissement et des nombreuses auditions qu'ils ont réalisées, à Paris et à Bruxelles. Tout s'est déroulé dans un excellent esprit. J'en félicite l'ensemble des membres de la mission.

PermalienPhoto de Philippe Martin

– Je souligne également l'excellent état d'esprit dans lequel s'est déroulé cette mission d'information. François-Michel Gonnot et moi avons parfaitement coopéré sans qu'il n'y ait la moindre divergence dans l'approche adoptée dans nos investigations, dans les auditions réalisées et dans les constats que nous en retirons.

Effectivement, la mission a procédé à plus de vingt-cinq auditions à Paris et à Bruxelles. Plusieurs de nos collègues ont participé à ses travaux, notamment Claude Darciaux qui est aujourd'hui présente pour cette présentation des conclusions. Nous avions des délais assez courts dans la mesure où le Gouvernement nous a demandé de terminer nos recherches au mois de juin pour que la France puisse disposer d'un document parlementaire à l'occasion des prochaines négociations européennes.

Sans anticiper sur ce que vous exposera le rapporteur, nous avons pu assez bien évaluer ce marché qui a fait l'objet de plusieurs études par ailleurs. Nous avons aussi exploré l'hypothèse d'une taxation qui viendrait soit se substituer aux quotas d'émission, soit compléter l'architecture institutionnelle. Nous en retirons la conviction que ce système, qui a été mis en place à la suite de l'échec d'une tentative d'instituer une taxe carbone communautaire dans les années 1990, est devenu au fil du temps le dispositif qui, malgré ses imperfections, nous divise le moins. Il remplit son objectif principal : la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, il reçoit un satisfecit de la part de ceux qui le contrôlent comme de ceux qui lui sont assujettis.

Evidemment, nous nous sommes interrogés sur l'incidence des négociations internationales, du Protocole de Kyôto de 1997 au Sommet de Copenhague de décembre dernier. Nous en déduisons que le marché de quotas donne satisfaction, même s'il nécessite des améliorations en termes de sécurité et de couverture. Il ne sera réellement performant que s'il s'applique à davantage de pays et à davantage de secteurs d'activité.

Je laisse maintenant François-Michel Gonnot vous présenter avec plus de précision ce rapport, qui vous est soumis dans la foulée immédiate de sa rédaction.

PermalienPhoto de François-Michel Gonnot

– Je confirme tout à fait les propos du président en ce qui concerne la qualité du travail que nous avons mené ensemble et avec le concours de tous les membres de la mission d'information.

Lorsque nous avons commencé l'analyse du marché de quotas de CO2, nous étions tous assez réticents devant ce système complexe, méconnu et d'inspiration anglo-saxonne. Il est en effet directement inspiré du marché de permis imaginé par les Etats-Unis pour lutter contre les dégagements de dioxyde de souffre. L'Europe l'a adopté après avoir échoué à instaurer un mécanisme de taxation, ceci en raison principalement de l'opposition de l'Allemagne et du Royaume-Uni, ainsi que de l'exigence d'obtenir une unanimité des Etats membres en ce sens. L'Union européenne s'est alors orientée vers un marché de quotas, qui présente l'avantage d'être autorisé par une simple majorité qualifiée du Conseil.

La mission d'information a commencé immédiatement après la censure de la contribution carbone nationale par le Conseil constitutionnel. A notre surprise, l'ensemble des industriels, la quasi-totalité des personnes auditionnées, tous ont considéré que le système des quotas était un bon système, qui peut naturellement être amélioré, mais qui mérite de perdurer.

Je crois utile de présenter brièvement le fonctionnement du système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE). C'est un marché de permis d'émission, distribués par pays en fonction des rejets historiques. Les Etats les répartissent ensuite entre les installations les plus polluantes de leur territoire. Cette allocation s'est opérée gratuitement pour permettre l'adhésion au mécanisme de tous les acteurs. Un crédit permet l'émission d'une tonne de CO2. S'il n'est pas consommé, il peut être soit reporté à l'année suivante, soit vendu à un autre industriel, dans un autre secteur ou dans un autre pays européen, qui a pour sa part excédé son quota et qui doit donc acquérir les permis correspondant à sa production.

Cette répartition a relativement bien fonctionné. La France, qui est un petit émetteur par rapport à l'Allemagne – les Allemands sont responsables du triple de nos rejets – a correctement appliqué la directive européenne. Le besoin des opérateurs de réaliser des échanges a fait émerger un marché et un signal-prix pour la tonne de carbone. Il s'est établi d'abord à quelques euros, puis il a excédé les 30 € ; il fluctue maintenant aux alentours de 15 €. Le rapport analyse en détail ces fluctuations relativement importantes et les raisons qui les justifient.

Il convient de rappeler que la construction du SCEQE s'est déroulée en trois phases. De 2005 à 2007, la contrainte sur les industriels était relativement légère, les allocations nationales s'effectuaient gratuitement et les quelques échanges ont permis l'apparition du signal-prix.

La deuxième période a commencé en 2008 ; elle s'achèvera à la fin de l'année 2012. L'allocation est inchangée, mais les contraintes sont accrues. Quelques pays ont mis en vente aux enchères une faible partie de leurs allocations, essentiellement par choix budgétaire.

Si nous avons accéléré la présentation de ce rapport, c'est que l'Europe se trouve dans une négociation pour fixer les conditions de la troisième phase, qui s'étendra de 2013 à 2020. Nous serons là dans un marché plus complexe : la plafond d'émission autorisé va baisser de 21% en fin de période par rapport à 2005 ; les quotas seront désormais attribués aux enchères. Les secteurs exposés à la concurrence internationale feront cependant exception. Après le rapport Charpin sur le système d'adjudication, après le rapport Prada qui formule des recommandations pour une meilleure régulation du marché – recommandations perçues de façon extrêmement positive par les services de la Commission européenne –, il était normal que le Parlement prenne position avant que les décisions pour 2013 ne soient définitivement arrêtées.

Bien sûr, le SCEQE comporte un certain nombre de faiblesses. J'ai déjà évoqué la volatilité des prix, qu'il faut toujours surveiller de près dans un marché de matière première. Les écarts constatés montrent bien qu'il faut y prendre garde : même si le carbone cher a la vertu de conduire les industriels à réduire leurs émissions, il ne faudrait pas qu'une valeur excessive les convainque de diminuer leur activité, de se lancer dans un investissement insupportable ou de quitter le territoire européen au profit d'espaces aux contraintes moindres.

La deuxième faiblesse tient à une régulation insuffisante qui a donné lieu à quelques cas de fraude que nous avons analysés dans le rapport. Les propositions du rapport Prada, rendu public il y a quelques mois, seront un élément important de la contribution française à cet égard.

Enfin, troisième faiblesse, le mécanisme ne couvre que 40% des émissions européennes de gaz à effet de serre. Cela nous pousse à nous interroger sur les 60% restants : il est difficile d'imaginer un système national qui permette de contrôler ces rejets de sources diffuses. L'option idéale serait un instrument de taxation européen.

Comment essayer de parfaire ce système européen de quotas ? On peut d'abord noter que sa couverture s'accroît par chaque nouvelle adhésion à l'Union européenne. On procède aussi à des extensions à de nouveaux secteurs, ainsi le transport aérien en 2012 : chaque décollage, chaque atterrissage sur un aéroport européen sera assujetti. Bien sûr, cela aura un effet sur les comptes de nos compagnies aériennes, voire sur la compétitivité entre les aéroports. L'appareil qui se posera à Roissy sera taxé ; celui qui atterrira en Suisse ne le sera pas.

La couverture du secteur diffus semble passer par une taxe européenne sur le carbone, plus précisément par les accises sur les carburants. C'est en ce sens que s'orientent les discussions de l'après Copenhague.

Enfin, les « mécanismes de projet » créés par le Protocole de Kyôto permettent à des émetteurs européens de se libérer de leurs obligations en investissant dans des technologies propres hors de leur territoire. Les projets conduits sont contrôlés par les Nations unies. Néanmoins, même si des marchés de carbone sont imaginés au Japon ou aux Etats-Unis sur la base de l'expérience européenne, il existe toujours des espaces sans contrainte qui demeurent des lieux de délocalisation.

Il faut donc préserver la compétitivité européenne. Il est prévu dans la phase III du SCEQE de distribuer une part de quotas gratuits dans les secteurs à risque. Nous devons prendre garde à prévenir les délocalisations industrielles en Europe, surtout dans le contexte économique actuel. Un ajustement aux frontières serait bienvenu pour égaliser la concurrence en tenant compte des efforts environnementaux des uns et du laxisme des autres. C'est une idée sur laquelle nous avons travaillé, qui est celle de la « taxe carbone aux frontières ». En réalité, ce n'est pas une taxe aux frontières, mais une extension du marché de quotas aux importations venues de pays qui n'appliquent aucune réglementation en termes d'émissions de CO2. Le mécanisme est complexe, beaucoup se sont montrés sceptiques notamment au regard des règles de l'OMC. Nous pensons pourtant que l'idée doit être approfondie. Etre vertueux est une bonne chose, mais dans un monde où la vertu est la même pour tous. Dans le cas contraire, il faut savoir se montrer pragmatique.

L'objectif final est évidemment de construire une Europe décarbonée. Un des enjeux de 2013 est celui de la détermination du dispositif d'enchères : faut-il une place unique ou plusieurs plateformes ? Paris est actuellement bien développé, mais nous devons garder à l'esprit que la France est un petit émetteur de CO2. Le rapport Charpin formule des propositions intéressantes en faveur d'une plate-forme unique. Nous souhaiterions tout de même sauver la place de Paris.

Il faut aussi essayer de valoriser l'expérience européenne pour qu'elle serve de modèle international. Je pense en particulier à nos règles de régulation. Les Etats-Unis sont déjà en train de faire la publicité de leur système avant même qu'il n'existe. Leur volontarisme a assez surpris notre mission d'information.

Voila, M. le Président, l'essentiel de nos conclusions. Le système doit être régulé ; le système doit être étendu. Il faut prendre en compte un certain nombre de nos intérêts qui peuvent être fragilisés par le dispositif. Nous devons aussi avoir le souci de faire de ce modèle un exemple pour le monde, pour l'Asie notamment. La mission n'est pas opposée au principe d'une taxe européenne, tout en demeurant sceptique sur la condition d'unanimité des Etats. Quant à l'ajustement aux frontières, il devra voir le jour si les autres marchés mondiaux tardent à se mettre en place, tout en conciliant protection de l'environnement et exigences pratiques : il ne s'agit pas de contrôler l'ensemble des biens importés, plutôt les grandes masses de matériau. On envisage d'exclure le secteur de l'automobile – ce qui est peut-être une erreur – car il serait trop complexe de calculer le coût carbone d'un véhicule importé.

PermalienPhoto de Christian Jacob

– Je vous remercie, l'un et l'autre, pour cet excellent rapport et pour cette présentation très précise.

PermalienPhoto de Jacques Le Nay

– Le rapport me semble très intéressant et très technique. Je relève particulièrement une phrase dans les dernières pages : « infliger un surcoût carbone à l'industrie européenne dans une période de crise où ses marges de manoeuvre sont déjà réduites. » S'inscrit-elle dans le court ou le long terme ? L'écart entre les pays est-il déjà si important ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Chanteguet

– J'ai écouté avec intérêt la présentation du président et du rapporteur de la mission d'information. Vous avez auditionné M. Michel Rocard, je le sais, car cette mission a été mise en place à la demande du groupe SRC après son audition de M. Rocard au sujet de la taxe carbone. C'est lui qui nous a laissé entendre que le marché européen de quotas fonctionnait imparfaitement. Qu'est-il ressorti de votre entretien avec lui ?

Je m'interroge aussi sur les variations de prix. De 3 € à 30 €, nous en sommes aujourd'hui à 15 €. Le signal-prix me paraît faible, même s'il ne faut évidemment pas pénaliser l'activité européenne.

Vous avez signalé que l'instauration d'une taxe européenne représenterait probablement un long chemin. C'est sans doute vrai, mais je persiste à penser que ce serait une bonne solution.

En ce qui concerne les mécanismes de développement propre qui traduisent des fuites de carbone à l'étranger, je m'interroge. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose d'acheter des crédits carbone à l'étranger au détriment de leur investissement en Europe.

Enfin, nous avons auditionné le professeur Hansen à l'initiative du président Jacob. C'était particulièrement intéressant. Ses propos laissaient apparaître sa préférence pour une taxe carbone mondiale, ainsi que l'inclination de la Chine et de l'Inde vers un instrument fiscal au détriment d'un marché de permis.

PermalienPhoto de Françoise Branget

– Nous ne pouvons qu'adhérer à l'ambition de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Tout à l'heure, le rapporteur a évoqué les délocalisations vers les zones moins contraintes. Je voudrais mentionner le secteur de l'automobile. Que faire quand la Chine est le premier marché mondial, quand une automobile sur trois sera vendue en Chine en 2020 ? Les constructeurs français, par exemple PSA, seront pénalisés en France alors qu'il n'y aura pas de quotas sur le territoire chinois, où la production de la marque dépassera de beaucoup sa production européenne. La décision de lutter contre les émissions de carbone ne devrait-elle pas être mondiale plutôt qu'européenne ? Ne devons-nous pas protéger nos industries ?

PermalienPhoto de Albert Facon

– Je suis sceptique sur l'instauration d'une taxe européenne. Donner l'exemple au monde coûte cher, surtout que nos émissions sont très limitées par rapport à celles des pays qui ne respectent pas le Protocole de Kyôto. Je ne comprends pas qu'on ne puisse pas instaurer une taxe aux frontières sur les produits importés de ces territoires-là. Tous génèrent du CO2 ; nous pourrions ainsi renforcer la compétitivité de nos entreprises. Il me semble de plus que le Président de la République y était favorable. Je suppose qu'on ne veut pas heurter la Chine, mais on ne peut pas la laisser polluer sans protester et taxer en sus nos concitoyens. Dans le Nord de la France, on se chauffe encore parfois au charbon par manque d'alternative : vous n'allez pas en plus imposer ces gens-là ?

PermalienPhoto de Jean-Marie Sermier

– Je suis impressionné par le rapport qui m'apparaît très technique et qui parvient à formuler des propositions concrètes. Pensez-vous que nous pourrons avancer seul en Europe, et quelle est la position de l'OMC sur ce sujet ? On ne peut pas déconnecter le marché mondial des modes de production. Il faut en tenir compte dans les échanges. Par exemple, il y a dans ma circonscription un cimentier soumis aux quotas qui pourrait être contraint d'importer si sa production se trouvait limitée ; le transport de ce ciment de moins bonne qualité provoquerait de plus une libération conséquente de CO2. Il faut se montrer pragmatique.

En outre, on parle beaucoup de CO2. Qu'en est-il des autres gaz à effet de serre ?

Enfin, le rapport mentionne les mesures envisagées par la directive pour l'emploi des fonds levés à l'occasion des enchères de quotas. C'est particulièrement intéressant, par exemple les puits de carbone. Ne peut-on pas mettre ainsi en oeuvre des alternatives à la mise sous quotas ?

PermalienPhoto de Christian Jacob

– On me signale que les votes solennels vont avoir lieu. Je vous propose que nous suspendions la séance le temps d'aller voter, et que nous reprenions immédiatement après.

(La séance est suspendue à 17h30, puis reprise à 17h45)

PermalienPhoto de Christian Jacob

– Nous reprenons les questions des commissaires. Les membres de la mission d'information apporteront leurs réponses ensuite.

PermalienPhoto de André Chassaigne

– Les conclusions qui nous ont été présentées m'inspirent deux questions. D'une part, quelle est la dimension spéculative du marché dans la phase actuelle d'allocation gratuite des quotas ? Je comprends que la crise ait poussé les entreprises à rechercher des gains où elles le pouvaient, mais j'aimerais savoir ce qu'il en est avec plus de précision. Des effets pervers auraient pu se produire, et le pourraient encore, puisque la gratuité serait partiellement maintenue après 2013 pour les entreprises exposées à la concurrence.

D'autre part, lorsque vous avez fait référence à l'extension de la couverture du système, je pensais à la forêt. On dit que sa reconnaissance ferait baisser le prix des quotas en raison de la masse de crédits qu'elle représenterait. En outre, les Etats-Unis achètent déjà des arpents de forêt en masse pour les utiliser ensuite comme une valeur d'échange pour pouvoir polluer impunément ailleurs. C'était notamment apparu dans la presse pendant la réunion de Copenhague.

PermalienPhoto de Philippe Martin

– Je vais répondre à la question relative à la position de M. Michel Rocard. Il a renouvelé devant nous les prévenances qui sont les siennes à l'endroit du mécanisme des quotas – notamment ses aspects spéculatifs – et il a réitéré sa préférence en faveur d'un mécanisme de taxation. Pour dire la vérité, il est le seul parmi les auditionnés à avoir tenu ce propos.

S'agissant des variations de prix, on est passé de l'interrogation sur la définition d'un prix plafond à un questionnement sur l'opportunité d'un prix plancher. Les industriels pensaient que le signal-prix était voué à remonter progressivement aux alentours de 30 €. Mais la crise a contrarié cette prévision. Le ralentissement économique réduit mécaniquement les émissions, donc le prix des crédits carbone.

Albert Facon demandait pourquoi ne pas instaurer une taxe aux frontières. Nous avons ressenti à Bruxelles beaucoup de politesse à l'égard de cette idée du Président de la République, mais aussi des doutes extrêmes sur la capacité à susciter une unanimité pour y parvenir. En outre, nos interlocuteurs ont émis des arguments qui doivent être pris en compte : ainsi si une usine d'acier était délocalisée et ses produits taxés au moment de leur arrivée en Europe, ce serait une « double peine » pour le citoyen.

En ce qui concerne la plateforme d'enchères, M. Prada – je le rappelle, ancien président de l'Autorité des marchés financiers – a souligné que son unicité faisait courir le risque d'une disparition de la place de marché française. Un système multipolaire serait donc une possibilité.

PermalienPhoto de François-Michel Gonnot

– En réponse aux questions de nos autres collègues, nous évoquons effectivement à la fin du rapport un surcoût infligé à l'industrie française. Je ne l'ai pas précisé dans mon intervention, mais nous faisons ici référence au débat actuel sur l'élévation de l'objectif européen de réduction des émissions de 20% à 30%. Cette position est portée par la France et, semble-t-il, par la Commission européenne, mais l'Allemagne s'y oppose. Surtout, nous nous posons des questions d'opportunité : nous sommes dans une période de négociation internationale, ne vaudrait-il pas mieux attendre l'échéance de Cancun ? Je rappelle que cette ambition serait d'autant plus élevée pour la France qu'elle a une économie très peu carbonée, dans laquelle il est difficile d'amoindrir les rejets. De plus, cet objectif n'est affiché qu'en raison de la crise et du ralentissement qu'elle a provoqué.

Les projets de développement sont agréés par l'ONU. On ne peut pas acheter des forêts n'importe où, ni y faire n'importe quoi. Il faut une validation qui n'est pas simple à obtenir. On ne peut pas, aux frais du tiers-monde, se dispenser de contrainte de réduction des émissions. Il faut aussi comprendre que c'est l'opportunité, pour ces pays, de consolider des projets économiques et de se développer. Il ne faut pas y voir un réflexe colonialiste ; le mécanisme a des aspects très positifs.

L'Inde est absente du débat sur le carbone. La Chine a compris qu'on lui demanderait tôt ou tard, dans le cadre de l'OMC, de mettre en place des mécanismes de réduction. Je n'ai pas perçu de préférence pour la taxe par rapport aux quotas. Les taux de croissance industrielle sont de toutes façons tels que les émissions chinoises augmentent, même si les technologies s'améliorent. Il s'agit surtout, pour eux, d'échapper à un système européen ou américain d'ajustement aux frontières : un dispositif domestique interdirait, du fait des règles de l'OMC, que leurs exportations soient ensuite taxées ou refoulées au nom du carbone.

Le secteur de l'automobile n'est pas soumis aux quotas, mais les producteurs d'acier et de verre le sont. Pour l'heure, l'essentiel des fabrications de véhicules destinés à l'Europe a lieu en Europe. L'industriel qui vend en Chine produit en Chine, il ne se pose donc pas la question des crédits carbone. La vraie question concerne les constructeurs japonais et coréens, mais ces deux pays sont en train de se doter d'un marché de permis. La question sera réglée, de même demain pour les Etats-Unis.

La difficulté de la taxe aux frontières comme elle est nommée en France, c'est qu'elle serait perçue par certains de nos partenaires comme un retour des tarifs douaniers. La solution retenue est plutôt celle du mécanisme d'inclusion carbone (MIC), qui étend le marché de quotas aux importations. On rééquilibre de cette façon les conditions de concurrence.

L'OMC autorise l'Europe à se doter d'un système de quotas, mais elle ne peut appliquer une taxation ou un contingentement au nom de la protection de l'environnement dès lors qu'il existe dans le pays exportateur un système de limitation des émissions contraignant. Pour les autres Etats, une action est possible à condition de se montrer de bonne foi, non discriminatoire, etc. Le rapport développe longuement ce point.

En ce qui concerne les cimentiers, que nous avons rencontrés, ils agissent sur des marchés locaux. Le ciment est un produit à faible valeur ajoutée, il n'est donc acheminé que sur de faibles distances. Le problème des cimentiers tient plutôt au respect des limitations d'émission. Les méthodes de fabrication sont simples, soumises à des contraintes physiques, et elles ne dégagent pas de marges importantes. Un rehaussement de l'objectif européen de 20% à 30% serait pour ce secteur extrêmement délicat, sauf à acheter des permis supplémentaires sur le marché.

Le SCEQE couvre six gaz à effet de serre ; le méthane et le protoxyde d'azote sont, par exemple, visés par la directive européenne. On ne mentionne que le carbone dans la mesure où il représente le principal polluant contrôlé en termes de volume d'émissions.

Le marché du carbone a une taille restreinte par rapport aux ensembles financiers et aux bourses de matières premières. La spéculation y est donc relativement contenue, surtout dans le contexte économique actuel et eu égard au prix de la tonne de CO2. Les interlocuteurs de la mission d'information ont fortement pondéré les craintes de M. Rocard à ce sujet. Les quotas circulent en moyenne trois fois par an. Les industriels doivent pouvoir se couvrir. Quant à la gratuité, elle est appelée à disparaître au bénéfice d'enchères dont les modalités restent à définir. Les allocations gratuites se limiteront de plus en plus aux secteurs exposés à partir de 2013.

La forêt est exclue du système puisqu'elle n'émet pas de carbone, alors que le dispositif vise justement à encadrer les rejets. C'est assez paradoxal car les forestiers souhaiteraient être intégrés en tant que puits de carbone. On peut le regretter pour le développement de la forêt française.

PermalienPhoto de Philippe Tourtelier

– Je voudrais féliciter les auteurs du rapport. Les fluctuations du prix du quota sont très bien expliquées. Il me semble que le ciment et l'acier seront des secteurs protégés.

Vous utilisez largement le rapport de M. Prada, effectivement très intéressant. Il me semble ne pas répondre à la question de la qualification juridique des quotas. Que proposez-vous sur ce point ?

Enfin, sur les mécanismes de flexibilité, vous avez rappelé que c'était assez limité. J'aimerais savoir s'il y a une limite théorique posée par le droit européen.

PermalienPhoto de Michel Havard

– Je complimenterai moi aussi la mission d'information pour cette synthèse. Mon interrogation est prospective. Entre le marché européen et l'émergence d'un marché mondial, quel serait le lien possible ? Où les discussions doivent-elles se tenir : à l'ONU, à l'OMC, à travers le dialogue des autorités nationales ? Cette question revêt une importance fondamentale car c'est la condition pour qu'une logique globale s'impose dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

PermalienPhoto de Philippe Plisson

– Les marchés de quotas sont peut-être la moins mauvaise des solutions. Mais n'y a-t-il pas quelque chose d'immoral dans la valorisation d'un polluant ? Ne vaut-il pas mieux garder l'objectif de la taxe ?

PermalienPhoto de Christophe Bouillon

– Je voudrais évoquer la question du nucléaire, dont vous regrettez qu'il ne donne pas droit à quotas. Vous énoncez les arguments qui ont été opposés à son inclusion dans le système – arguments que nous connaissons, ils sont ceux des opposants à l'atome. Pensez-vous que la renaissance actuelle de la filière atomique soit de nature à faire évoluer la réglementation d'ici 2013 ? C'est une question importante pour la France.

PermalienPhoto de Didier Gonzales

– Le protoxyde d'azote pourrait être inclus dans le système européen en 2013, me semble-t-il. Comment les autres gaz que le carbone pourraient-ils être pris en compte ?

PermalienPhoto de François-Michel Gonnot

– Je n'ai peut-être pas été clair en ce qui concerne les gaz couverts par le SCEQE. Le protoxyde d'azote est déjà visé par la directive européenne. Mais la quantité qu'il représente dans le volume global des émissions est tout à fait marginale.

Le ciment et l'acier devraient effectivement figurer parmi les secteurs exposés bénéficiant d'allocations gratuites. On voit déjà à quel point notre sidérurgie est mise à mal par les délocalisations.

La nature juridique d'un crédit d'émission reste aujourd'hui sans réponse. Les juristes des différents pays sont en désaccord. La définition est importante, car la catégorie de rattachement décide du corpus de règles applicables. Pour la France, un quota est un bien meuble. Nous sommes dans l'attente d'une définition européenne qui unifierait les différents régimes. La régulation serait également clarifiée. Les Britanniques seraient intéressés par un classement dans la catégorie des instruments financiers.

Il y a effectivement une limite théorique dans l'utilisation des crédits internationaux dans le marché européen. Elle correspond au maximum autorisé par les Etats membres au cours de la phase II.

Il n'y a aujourd'hui qu'un marché, celui de l'Europe, qui existe parce que les Etats l'ont voulu. D'autres pourraient émerger, qui n'auraient qu'une étendue nationale. Leur coordination sera un enjeu majeur des négociations de demain. Les Etats-Unis sont très actifs, ils cherchent déjà à imposer leur modèle alors même que la proposition de loi qui le porte n'est pas encore votée. Nous souhaitons, et la Commission européenne partage ce voeu, profiter de la qualité reconnue de l'architecture du SCEQE – le premier marché opérationnel – pour utiliser notre expérience hors de nos frontières.

L'avantage du système de quotas consiste en une limitation certaine des émissions. Le plafond défini est acquis avec certitude et précision. Une taxation n'offre pas la même prévisibilité du point de vue environnemental, elle ne conduit pas l'industriel à s'aligner sur un niveau de pollution. Le marché de permis est consensuel, chacun admet son principe. Il a le défaut de ne pas embrasser le secteur diffus ; pour cela une taxe européenne serait idéale. Encore faudrait-il une unanimité pour fixer une base et un taux… Mais il n'y a pas d'objection de principe. La présidence suédoise, en 2009, a proposé un dispositif sur la base de sa propre taxe nationale, instaurée dans les années 1990.

Le nucléaire est exclu du système par les conventions internationales. Les règles en vigueur s'appliquent comme s'il n'existait pas, comme s'il était un « non émetteur ». En fait, il évite des émissions. Cette approche pénalise la France. Il est cependant douteux que la directive évolue en 2013 sur ce point. La renaissance du nucléaire est pour l'heure celle des projets, pas encore de la filière.

PermalienPhoto de Christian Jacob

– Merci pour ce rapport de grande qualité. Je vais maintenant proposer à la commission d'autoriser sa publication.

La commission du développement durable autorise la publication du rapport à l'unanimité.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 15 juin 2010 à 16 h 45

Présents. - M. Christophe Bouillon, Mme Françoise Branget, M. Jean-Paul Chanteguet, M. André Chassaigne, Mme Claude Darciaux, M. Albert Facon, M. Daniel Fidelin, M. François-Michel Gonnot, M. Didier Gonzales, M. Michel Havard, M. Christian Jacob, M. Jacques Le Nay, Mme Christine Marin, M. Philippe Martin, M. Yanick Paternotte, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean-Marie Sermier, M. Philippe Tourtelier

Excusés. - M. Jacques Houssin, M. Jean Lassalle, M. Max Roustan