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Commission des affaires sociales

Séance du 16 juin 2010 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • médecin
  • régionales
  • sanitaire

La séance

Source

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 16 juin 2010

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)

La Commission des affaires sociales entend M. Roger Salamon, président du Haut conseil de santé publique (HCSP), sur le rapport relatif aux principales recommandations et propositions en vue de la prochaine loi de santé publique.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Je suis heureux d'accueillir aujourd'hui M. Roger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique, pour évoquer les enjeux actuels de santé publique. Il est également directeur de l'unité « épidémiologie, santé publique et développement » de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. Le Haut Conseil a publié en avril dernier un rapport évaluant les objectifs de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et formulant des propositions de nouveaux objectifs en vue d'une prochaine loi. Faut-il selon vous une nouvelle loi de santé publique pour les atteindre ?

PermalienRoger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique

Le Haut Conseil a été créé par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique. Il a pour mission d'évaluer les politiques de santé publique, plus précisément les cent objectifs annexés à la loi de 2004, mais aussi les multiples plans nationaux et régionaux de santé publique, ce qui constitue la partie intéressante, car la plus novatrice, de notre fonction. Enfin, comme le Conseil supérieur d'hygiène publique de France qu'il a remplacé, il peut être saisi de questions précises, telles que les problèmes d'environnement, de maladies transmissibles ou encore plus récemment la grippe A(H1N1).

Je n'aborderais ici que notre travail d'évaluation.

On reproche fréquemment à la politique de santé publique son manque de clarté et d'objectifs précis. Or, la loi de 2004 a permis un progrès considérable en créant à la fois des objectifs clairs, des indicateurs permettant de les mesurer et enfin une instance chargée de leur évaluation. Ces listes d'objectifs et d'indicateurs ont leurs défauts, mais elles ont le mérite d'exister.

D'aucuns regrettent l'absence de priorité dans les cents objectifs fixés par la loi de 2004. On a parlé ainsi de « liste à la Prévert » pour les qualifier. Nous pensons qu'il s'agit d'une première étape qui doit conduire à la définition de nouveaux objectifs à terme.

Sur cent objectifs, la moitié n'a pas pu être évaluée, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Tout d'abord, il y a des objectifs pour lesquels nous ne disposons pas d'indicateurs fiables, comme par exemple certaines pathologies fonctionnelles ou encore la qualité de vie des personnes souffrant de maladies chroniques invalidantes. Par exemple, les accidents vasculaires cérébraux provoquent des séquelles, que nous ne savons pas mesurer. C'est un sujet essentiel sur lequel nous devons progresser pour améliorer la prise en charge de certaines pathologies. Mais, ce n'est pas seulement en France que nous avons de telles difficultés.

L'autre moitié des objectifs que nous n'avons pu mesurer, portent sur certains phénomènes, tels que les effets du dépistage du cancer du sein sur la mortalité, qui ne peuvent être mesurés qu'à échéance de plusieurs années, en tout cas à un horizon qui dépassait notre travail.

Parmi les 56 objectifs qui ont pu être évalués, dix nous semblent avoir été atteints. Il s'agit par exemple du traitement de l'obésité de l'enfant – nous sommes moins satisfaits sur l'obésité de l'adulte – du dépistage du cancer ou encore des accidents routiers mortels liés au travail. Treize objectifs ont été partiellement atteints, tels que la réduction du tabagisme passif, grâce à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, la consommation de fruits et légumes ou de sel ou la couverture vaccinale de la population. On observe une tendance favorable pour quatorze indicateurs, tels que la baisse du tabagisme quotidien, l'iatrogénie hospitalière, les infections nosocomiales et les maladies infectieuses. Enfin, dix-neuf objectifs ont connu une tendance que l'on juge défavorable. Il s'agit, entre autres, de la prise en charge du diabète, de la vaccination contre la grippe saisonnière, de l'obésité de l'adulte, de certains risques liés aux soins – il y a parfois abus de médicaments dans certains domaines et insuffisances dans d'autres. Nous avons insisté sur les inégalités sociales de santé, qui nous paraissent particulièrement préoccupantes dans notre pays, et dont la ministre de la santé a fait l'un de ses chevaux de bataille. Même si nous ne pourrons pas les gommer tous, nous ne souhaitons pas qu'elles se creusent. Vous trouverez toutes les données dans notre rapport. Voilà, je vais m'arrêter là, pour répondre à vos questions.

PermalienPhoto de Yves Bur

Nous sommes passés en 2004 d'un nombre réduit d'objectifs de santé à une centaine. Nous nous posions la question de savoir si c'était raisonnable. Or, comme vous l'avez souligné, il est difficile de prétendre poursuivre et évaluer efficacement un nombre aussi important d'objectifs de santé publique. Ne faut-il pas définir des priorités pour être plus efficace et se concentrer sur celles que l'on peut mesurer et celles qui ont le retour le plus important ? Par ailleurs, comment les agences régionales de santé pourraient-elles reprendre ces priorités dans leur politique transversale d'offre de soin ?

Enfin, l'objectif de réduction de 25 % des addictions liés au tabac ou à l'alcool semble avoir été mis de côté ce certains derniers temps, peut être sous le poids de certains intérêts économiques. Nous sommes loin derrière d'autre pays, notamment le Canada, en la matière. Que pouvons-nous faire pour être plus efficaces ?

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Concernant les risques liés aux soins, que vous décrivez dans votre rapport comme suivant une tendance favorable, avez-vous pu évaluer lors de vos travaux une différence du risque d'accident iatrogénique, selon que les personnes sont suivies à domicile ou en établissement de court, moyen ou long séjour ? Y a-t-il selon vous une différence de qualité dans la prise en charge ?

PermalienPhoto de Gérard Bapt

Nous venons de traverser une crise sanitaire majeure avec la grippe A(H1N1). La commission d'enquête, rapportée par notre collègue Jean-Pierre Door, va formuler un certain nombre de propositions. Plusieurs instances, tels que le Comité technique des vaccinations et le Comité de lutte contre la grippe ont rendu un avis sur la gestion de la grippe. N'aurait-il pas été préférable que le Haut Conseil, institution morale indépendante, statuant publiquement et dotée d'une forte expertise technique, puisse rendre publiques ses observations sur la gestion de la crise avant le mois de juin, c'est-à-dire avant que toutes les décisions soient prises ?

Ma deuxième question rejoint les réflexions de Catherine Lemorton. Nous avons un lourd déficit sur les grands fléaux. Pour les crises épidémiologiques, nous avons besoin de procédures formalisées de pharmaco vigilance et de véritables retours d'expérience, qui nous manquent aujourd'hui. Comment pouvons-nous y remédier ?

PermalienPhoto de Jean-Luc Préel

Nous savons que notre pays n'excelle pas dans la prévention et les politiques de santé publique. À ce titre, je considère comme une innovation importante la définition d'une centaine d'objectifs par la loi de 2004.

J'aimerais savoir comment sont choisis les experts qui travaillent pour le Haut Conseil. Par ailleurs, certains pays ont fait le choix de se concentrer sur quelques priorités, s'appuyant notamment sur le critère de la mortalité prématurée évitable. Cette approche vous semble-t-elle devoir être privilégiée pour la prochaine loi ?

Sur quelles données vous basez-vous pour élaborer vos évaluations ? On sait, en effet, qu'il est difficile d'obtenir des informations fiables sur certains actes des professionnels ou sur le fonctionnement de certains établissements hospitaliers.

Par ailleurs il existe, on le sait bien, des différences régionales en terme de morbidité et de mortalité. Comment les prenez-vous en compte dans votre évaluation ?

Enfin, Yves Bur a évoqué à juste titre le rôle des agences régionales de santé. Qui doit mettre en oeuvre les priorités de santé publique ? Pensez-vous qu'il faille flécher certaines dépenses de santé publique en fonction de certaines priorités ou laisser à chaque agence le soin de mener sa politique en fonction de ses moyens financiers ?

PermalienPhoto de Jacques Domergue

Les Français sont un peu fâchés avec la santé publique. Nous l'avons pleinement mesuré lors de la discussion de la loi portant réforme de l'hôpital, lorsque nous avons voulu encourager des changements de pratiques chez les médecins par exemple.

Je rejoins tout à fait mes collègues sur un point : il y a trop d'indicateurs. Au-delà de ce problème, ne faut-il selon vous, au-delà de l'information des citoyens, s'efforcer d'éduquer et sensibiliser les médecins aux problématiques de santé publique ? Ne faudrait-il pas se défaire de l'approche classique de la médecine, axée sur les soins courants, et donner aux professionnels de santé des objectifs à atteindre en matière de santé publique ?

PermalienRoger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique

Il n'y a rien d'étonnant à ce que dans un pays comme la France, les politiques de santé publiques poursuivent un grand nombre d'objectifs. Ainsi, en définissant cent objectifs atteignables, la loi de 2004 constitue déjà une sélection d'objectifs de santé publique, par rapport à tout ce qui aurait pu être retenu, ne serait-ce qu'en s'inspirant de la classification de l'Organisation mondiale de la santé. D'ailleurs, si l'on cherchait à supprimer certains de ces objectifs, les réactions seraient vraisemblablement très vives.

Tous ces objectifs sont atteignables et, à mon sens, devraient l'être. Par ailleurs, la notion de priorité est une question politique. Il ne faut pas confondre le rôle des experts et celui des responsables politiques. Le travail des experts consiste à définir des objectifs atteignables, au vu notamment de comparaisons internationales, mais pas de les prioriser. C'est aux responsables politiques qu'il revient de définir des priorités de santé publique. La même répartition des rôles doit prévaloir en matière de risques sanitaires : les experts en santé publique doivent identifier les risques, par exemple en matière d'impact des antennes relais sur la santé, mais c'est aux responsables politiques, entourés d'autres experts dans d'autres domaines (sociologues…), qu'il appartient de les gérer. J'insiste beaucoup sur cet aspect des choses.

Faute de hiérarchisation, il est vrai que l'image produite par l'énumération d'une centaine d'objectifs dans la loi de 2004 n'est pas bonne. On a pu avoir le sentiment que cela partait dans tous les sens. Nous avons essayé de faire nos propres propositions d'objectifs, de façon je crois plus lisible.

Les agences régionales de santé peuvent contribuer à améliorer la définition de nos objectifs de santé publique, trop souvent fondés sur des indicateurs nationaux moyens qui recouvrent des écarts-types régionaux importants. La situation actuelle ne me satisfait pas. Il faudrait pour cela que ces agences élaborent des objectifs régionaux ou, au moins, adaptent les objectifs nationaux aux spécificités régionales, mais cela sera difficile à mettre en oeuvre. J'ai d'ailleurs suggéré que soit désigné, au sein de chaque agence, un correspondant du Haut Conseil de la santé publique. En tout état de cause, il ne faudrait pas que les agences régionales de santé ne se consacrent qu'aux activités de soins au détriment des politiques de santé publique, comme les agences régionales de l'hospitalisation avant elles.

Par ailleurs, lors de la récente pandémie de grippe A(H1N1), je vous confirme que le Haut Conseil n'a été saisi qu'après que les décisions ministérielles concernant les vaccins aient été prises. Cela plaide en faveur de la création d'une instance pluridisciplinaire indépendante, placée auprès du Haut Conseil, qui serait saisie pour avis des mesures de gestion des crises sanitaires graves très en amont des opérations.

En outre, le Haut Conseil gagnerait à ne plus dépendre du seul ministère de la santé, même s'il entretient actuellement de bonnes relations avec la direction générale de l'offre de soins et la direction générale de la santé. En effet, cette tutelle unique ne favorise pas le développement de son action dans des champs extérieurs à la compétence de ce ministère, et pourrait nuire à sa crédibilité.

Plus généralement, si les experts ne sont pas assez respectés en France, cela tient pour partie à l'absence de statut, beaucoup intervenant d'ailleurs souvent à titre bénévole.

S'agissant de la iatrogénie, elle constitue aujourd'hui un problème majeur, notamment en ville, où les dispositifs de pharmacovigilance ne sont pas encore assez développés. La difficulté tient notamment au grand nombre de médicaments administrés aux personnes âgées, ainsi qu'à l'importance de l'automédication en France, qui limite l'efficacité des politiques de formation des prescripteurs aux problèmes de iatrogénie. Pour l'heure, on ne dispose toutefois pas d'étude comparative sur la iatrogénie en établissement médico-social, à domicile ou à l'hôpital.

Pour ce qui est des systèmes nationaux d'information, la France en compte déjà un nombre excessif, et certains sont de véritables cimetières de données. Il nous manque des systèmes d'information régionaux, souples et maniables. Une analyse critique de l'offre de systèmes d'information est en cours, en lien avec la direction générale de l'offre de soins et la direction générale de la santé. Il faut éviter de dépenser de l'argent pour de grandes enquêtes nationales qui ne servent à rien.

Concernant enfin les changements de comportements en matière de tabac ou d'alcool, on observe que, lorsqu'une mesure est prise, elle produit immédiatement un effet positif, comme cela a été le cas par exemple de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Toutefois, dans un deuxième temps, on observe des réactions contraires, une sorte de phénomène d'échappement. C'est le cas aussi en matière d'usage du préservatif, qui a tendance à régresser chez certains jeunes homosexuels.

Pour l'alcool, je serais plus inquiet sur la question des jeunes et de l'alcool au volant. Ce n'est pas parce que je viens de Bordeaux, mais je pense qu'il faut se garder de toute exagération dans les actions de santé publique visant à orienter les comportements, comme cela a pu être le cas avec les messages qui présentaient la moindre prise d'alcool comme un facteur de risque sanitaire significatif. On sait pourtant qu'il est loin d'être nocif de boire jusqu'à trois verres de vin par jour pour un homme, et deux pour une femme. En revanche, j'ai eu l'occasion d'exprimer au cabinet de la ministre de la santé mon profond désaccord avec l'assouplissement récent des règles encadrant la publicité pour les boissons alcoolisées sur Internet. Je le répète, les comportements d'alcoolisation massive des jeunes me paraissent appeler des actions de prévention ciblées et fortes.

PermalienPhoto de Paul Jeanneteau

Je relève que sur une centaine d'objectifs de santé publique, cinquante n'ont pas pu être évalués, faute d'indicateurs pour vingt-cinq d'entre eux. Des travaux, notamment ceux concernant la qualité de vie et les pathologies fonctionnelles, sont-ils en cours pour élaborer de tels indicateurs, et par qui ?

Par ailleurs, l'évaluation de certains objectifs a-t-elle conduit à faire évoluer les politiques menées ? L'évaluation ne prend tout son intérêt que si elle est effectivement suivie d'une action.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Door

La crise de la grippe A(H1N1) a confirmé que la France n'a pas de véritable culture de la santé publique, contrairement à d'autres pays, comme la Suède ou le Québec, où les jeunes bénéficient d'une véritable éducation à la santé publique.

Si la prévention relève d'une logique plus individuelle que collective, il n'en reste pas moins qu'une fois qu'un risque est admis par tous, des actions collectives de prévention peuvent être efficaces. Cela a été le cas, notamment, de la campagne récente de promotion du lavage des mains, qui a bien marché.

Nous avons ainsi beaucoup de progrès à faire en matière de santé publique. Cela passe notamment par l'éducation des jeunes.

De même, alors que les experts recommandent un niveau de couverture vaccinale antigrippale de 80 % parmi les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans, ce taux atteint à peine 50 % en France, contre 70 % parfois aux États-Unis. On observe ainsi des comportements de refus de la vaccination contre lesquels il faudra agir, par exemple en diffusant largement les calendriers vaccinaux dans les écoles et les services de protection maternelle et infantile à l'approche des épidémies à venir. Je suis d'ailleurs choqué du fait qu'une large part des professionnels de santé, notamment les infirmières, aient refusé d'être vaccinés contre la grippe A (H1N1) : s'agissait-il de refus circonstanciels, ou cela procédait-il d'un refus plus durable de la vaccination, ce qui serait plus grave ?

PermalienPhoto de Catherine Génisson

On tient souvent sur la santé publique des propos incantatoires. Mais, pour la développer efficacement, il est indispensable de reconnaître les actes de prévention en santé publique, y compris en les rémunérant correctement. La ministre de la santé l'a d'ailleurs reconnu récemment.

S'agissant des objectifs de santé publique, trop de priorités tuent l'idée même de priorité. Proposez-vous une nouvelle définition de nos priorités de santé publique ?

Vous avez évoqué l'automédication : n'est-il pas contradictoire que nos politiques de santé en fassent la promotion, alors qu'on en observe déjà les dérives ?

Il faut souligner également l'importance des inégalités sociales de santé, qui méritent d'être traitées tant au niveau national qu'au niveau régional.

Enfin, vos bonnes relations avec le ministère de la santé paraissent tenir à la qualité des responsables qui y sont aujourd'hui vos interlocuteurs. Pour éviter que des changements de personnels n'affectent votre fonctionnement, quelles modifications faudrait-il apporter au statut du Haut Conseil ?

PermalienPhoto de Michèle Delaunay

Je souhaite au préalable saluer un compatriote bordelais. Mes questions concerneront le problème des addictions, sujet extrêmement complexe, présenté dans deux chapitres du rapport. De même qu'a été soulignée l'importance d'être à même de distinguer des différences territoriales en termes de santé publique, la question se pose de savoir si des études sur les addictions ont permis de présenter des données prenant en compte l'âge ou le sexe, d'un intérêt particulier puisque permettant de proposer, sur ces bases, des objectifs différents. La question se pose également des maladies nouvelles dans ce domaine, comme l'addiction aux jeux ou l'hyperactivité qui doivent maintenant faire l'objet d'analyses précises.

On constate que l'alcoolisme est en train de devenir une addiction brutale, en particulier chez les jeunes, chez lesquels les phénomènes d'alcoolisation massive sont beaucoup plus près de l'addiction que les trois verres de vin de Bordeaux que vous évoquiez.

Les objectifs, tels qu'ils ont été présentés, manquent à la fois de visibilité et d'attractivité. Il ne sera possible de progresser dans le domaine de la santé publique que si les Français s'emparent des objectifs fixés, qu'il s'agisse du taux de suicide chez les jeunes, de la consommation de hashish, de la mortalité par maladie évitable ou d'autres facteurs de pathologies sur lesquels il est immédiatement possible d'agir. Il me semble, en effet, qu'il serait préférable d'entendre quotidiennement une sorte d'indice CAC 40 de la santé sociale que celui de la bourse. Comment trouver des moyens, donc, pour que les Français puissent se saisir d'un objectif de santé publique et le faire leur ?

PermalienPhoto de Maxime Gremetz

Je voudrais faire une remarque de méthode : se fixer 100 ou 120 priorités revient à ne s'en fixer aucune : si tout est prioritaire, rien ne l'est. Or, je pense qu'il existe véritablement un nombre limité de priorités qu'il serait possible de définir. C'est par exemple le cas de la médecine de prévention. Est-il normal qu'un pays développé comme le nôtre connaisse une médecine scolaire ou une médecine du travail aussi indigentes ? Les insuffisances dans ce domaine sont criantes. Les visites organisées par la médecine du travail sont réduites à leur plus simple expression. J'en ai fait moi-même l'expérience il y a quelques jours : plus de radiographie des poumons, qui avait pourtant permis de diagnostiquer mon exposition à l'amiante et pas davantage d'examens de substitution.

Une autre priorité, celle de la démographie médicale, ne connaît toujours pas de solution satisfaisante. L'exemple du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie où les taux de mortalité infantile, de cancers, de maladies professionnelles sont parmi les plus élevés en France est à cet égard révélateur, puisque l'implantation médicale y est très mauvaise.

S'il existe des priorités nationales, il n'en demeure pas moins qu'il existe de grandes différences régionales, qui nécessitent des solutions adaptées. Les agences régionales de santé qui ont, semble-t-il, été créées à cette fin, ne me semblent pas très actives ni apporter de réponse pour le moment. Je n'ai pas rencontré le directeur de celle de Picardie. La même inquiétude sur l'absence d'une prise en compte de priorités ciblées concerne l'alcoolisme qui, lui aussi, frappe particulièrement le Nord-Pas-de-Calais et les jeunes avec, pour ces derniers, une ampleur préoccupante. Je remarque d'ailleurs que ce n'est pas avec du vin de Bordeaux, qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter.

PermalienPhoto de Valérie Boyer

Je ne pense pas que les Français soient fâchés avec les questions de santé publique et pas davantage que notre pays soit particulièrement en retard dans ce domaine. Il existe, en revanche, beaucoup d'attentes de mesures, qui seront d'autant plus populaires qu'elles apparaîtront clairement à la majorité comme nécessaires et capables d'améliorer leurs conditions de vie au quotidien. Aussi la définition de 100 priorités ne me choque pas, puisqu'elles correspondent chacune à un besoin réel. Tout au plus pourraient-elles gagner à être mieux mises en valeur. L'action publique que matérialisent la santé publique et ses priorités sont indispensables dans une période de crise très anxiogène. Notre système de santé en sera plus performant, s'appuyant sur une population sensibilisée à ses objectifs.

Cependant, rendre les Français acteurs du système de santé suppose l'utilisation du dossier médical. Il n'est plus possible de mener des actions dans le domaine de la santé publique avec des systèmes d'information tels que ceux dont nous disposons aujourd'hui. Il existe une multiplicité d'enquêtes et de système d'informations extrêmement nuisibles aux données de santé publique, comme au suivi de la population. On réinvente les procédures à chaque fois qu'est décelé un problème dans une région. Les agences régionales de santé auront des moyens pour cela, néanmoins le dossier médical devrait occuper une place centrale dans le dispositif de santé publique. C'est pour moi une priorité absolue. Il semble inconcevable qu'on ne soit toujours pas en mesure de suivre un patient entre la médecine de ville et l'hôpital et qu'on en soit réduit à comparer des cohortes en médecine ambulatoire, en hôpital, et qu'on perde de l'information, en ignorant le protocole le plus efficace.

J'aimerais également comprendre comment va se faire l'articulation entre les agences régionales de santé et les priorités nationales de santé publique et, en retour, comment s'effectuera la prise en compte, au niveau national, des priorités telles qu'elles auront été analysées au niveau régional. Il me semble nécessaire qu'existent des objectifs de santé publique clairs, qui soient susceptibles de devenir de grandes causes nationales. Je partage sur ce point les opinions de mes collègues. Il serait également utile que soient recensées toutes les personnes intervenant, à quelque titre que ce soit, dans le domaine de la santé publique. Élue locale, responsable de la politique de la ville, je suis témoin de la bonne volonté qui s'exprime dans les ateliers santé-ville par exemple, mais je crois néanmoins nécessaire de professionnaliser les acteurs comme les actions dans le domaine de la santé publique, afin de bloquer certaines initiatives qui frisent parfois le charlatanisme.

Je m'interroge aussi sur les îlots sanitaires isolés. Mon collègue Maxime Gremetz évoquait la médecine scolaire, mais je pourrais ajouter la protection maternelle et infantile, qui devrait être intégrée aux objectifs de santé publique. Elle est sous la responsabilité des conseils généraux, mais ne fait pas partie des schémas régionaux d'organisation sanitaire. Il convient donc de mieux associer les structures sanitaires isolées aux objectifs généraux de santé publique.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Je ferai une observation sur les réflexions de M. Salamon sur les conduites d'échappement. Rapporteur du texte fondant l'interdiction de l'exposition au tabagisme passif dans les lieux publics, son succès s'est traduit par une absence de telles conduites même si le bénéfice sur le plan sanitaire reste cependant à préciser, notamment par la prise en compte de la problématique respiratoire.

Le « cimetière de données », conséquence du cloisonnement d'un système sanitaire complexe et touffu, doit être dépassé, comme vous le préconisez, par l'interconnexion des différents fichiers et des différentes sources d'information. J'y suis particulièrement sensible, puisque j'ai légiféré sur l'interconnexion des fichiers médicosociaux et sanitaires et des données administratives qui devrait être opérationnelle à la fin de l'année dans le domaine social et sanitaire, dans le cadre du répertoire national commun de protection sociale, utilisant le numéro INSEE des assurés.

L'interconnexion que vous défendez devra se faire après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour exploiter des données anonymisées, s'accompagnant d'un vrai parcours de soins s'appuyant effectivement sur le dossier médical partagé. Co-président de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) avec mon collègue Jean Mallot, nous avons inscrit comme thème de réflexion l'évaluation de la prévention en France, pour lequel nous vous auditionnerons. Je souhaiterais savoir si vous avez eu une réflexion sur ce paysage particulièrement touffu d'agences sanitaires, dont les périmètres de compétences se chevauchent, et qu'il conviendrait de rationaliser. Vous l'évoquiez dans le cadre de la gestion de crises sanitaires, en souhaitant la création éventuelle d'une haute autorité indépendante à même d'y répondre de façon pertinente. Mais, elle risquerait cependant, de mon point de vue, d'ajouter de la complexité à la complexité existante. Ne serait-il pas préférable, pour améliorer l'efficience du système de santé publique, de clarifier le paysage en coordonnant, voire en fusionnant certains organismes compétents dans le domaine de la santé publique, nous permettant enfin de disposer des moyens de nos ambitions ?

PermalienRoger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique

Comme l'a souligné M. Jean-Pierre Door, il manque une culture de santé publique en France. Il sera difficile de modifier globalement les comportements, car les Français sont plus individualistes que les scandinaves. Leur réaction à la politique de vaccination générale contre la grippe A(H1N1) l'a encore récemment démontré. L'éducation en santé publique à l'école me semble, en effet, fondamentale à cet égard, parce que l'école est le lieu où apparaissent les plus fortes inégalités en matière de santé. Si l'on me demandait quelle doit être, à mon avis, la principale priorité de la politique de santé publique, je répondrais qu'il s'agit des troubles sensoriels de l'enfant à l'école. Pour moi, c'est l'explication majeure des inégalités évitables dans notre pays. Les médecins et infirmiers scolaires ne sont cependant pas assez nombreux pour mettre en oeuvre une telle politique.

Je suis ravi que l'on ne me pose pas une telle question. M. Maxime Gremetz a présenté quelques priorités. Il en existe beaucoup d'autres : personne n'enlèvera la nutrition, personne n'enlèvera la lutte contre le tabagisme, contre les cancers, personne n'enlèvera la maladie d'Alzheimer, la santé mentale… Je ne souhaite pas que le Haut Conseil fixe des priorités. Qui peut décider et expliquer publiquement que l'un de ces sujets n'est pas prioritaire ?

C'est pourquoi le Haut Conseil a préféré ne pas établir une liste de priorités, mais une liste d'objectifs. Il en a retenu près d'une centaine, car la France est un pays qui peut prétendre répondre à une telle ambition. Cette liste peut paraître indigeste, mais aucun des objectifs qui y sont inscrits ne peut être supprimé. Ils ont été mal présentés en 2004. C'est pourquoi nous allons, très prochainement, publier un petit ouvrage destiné au grand public et aux élus territoriaux, en les présentant de manière plus synthétique et lisible. En effet, ces derniers s'occupent de plus en plus des politiques de santé, en particulier depuis la création des agences régionales de santé. La santé est d'ailleurs devenu l'un des premiers sujets de préoccupation des Français avec le chômage. Avant, on voulait être guéri. Aujourd'hui, on ne veut pas être malade. Tous les responsables, à quelque niveau que ce soit, devront donc se préoccuper davantage des questions de santé publique.

Je suis d'accord avec M. Paul Jeanneteau, je trouve anormal que certains objectifs ne puissent être évalués faute des indicateurs et des systèmes d'information nécessaires. J'en connais les raisons et nous allons très prochainement faire des propositions à la direction générale de la santé, à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques et à l'Institut de veille sanitaire pour combler le retard accumulé et mettre au point les indicateurs manquants qui doivent répondre aux objectifs fixés par la loi. Malheureusement, cela ne suffira pas. Je suis sûr que les chercheurs feront ces efforts nécessaires pour créer les indicateurs manquants. Mais, aura-t-on les systèmes d'information nécessaires pour les mesurer ? Je ne peux pas vous le promettre.

Pour répondre à Mme Michèle Delaunay, la question des addictions me semble, en effet, fondamentale, surtout chez les jeunes. Les comparaisons scientifiques actuelles démontrent un rapprochement inquiétant entre les comportements des filles et des garçons, que ce soit en matière de tabagisme – la mortalité par cancer du poumon ayant progressée considérablement chez les femmes – ou en matière d'ivresse publique. C'est très préoccupant. Il existe une progression forte de pathologies auparavant absentes chez les femmes et les jeunes. Il s'agit encore d'une question que l'éducation en santé à l'école pourrait aider à résoudre.

Pour que la prévention en santé publique s'améliore, les médecins doivent recevoir des financements destinés à la mise en oeuvre de cette politique. De nouveaux métiers, à l'interface entre le patient et le médecin, doivent également être mis à contribution, comme les « disease manager » dans les pays anglo-saxons qui ont reçu des formations différentes, en psychologie ou en sciences de l'éducation. Cela coûte moins cher que les médecins et, au regard du manque de ceux-ci, il me semble qu'il faut investir dans cette voie. Cette solution a déjà été retenue pour les personnes âgées dans le plan Alzheimer.

Mme Valérie Boyer a insisté avec raison sur le suivi des malades, mais je tiens à rappeler que la prévention comprend aussi le suivi des personnes en bonne santé.

Je suis d'accord avec M. Pierre Morange : aucune reprise du tabagisme n'a été notée depuis la loi interdisant sa consommation dans les lieux publics. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'attendre plus d'études épidémiologique en cette matière. La loi interdisant de fumer dans les lieux publics a eu un rôle évident et majeur dans la diminution de la consommation de tabac et de l'envie de fumer.

Sur la question de la multiplicité des organismes, je me suis mal exprimé. Je ne suis pas favorable à la création d'une nouvelle structure, mais à la mise en place, à l'intérieur d'un organisme existant, d'une commission composée de personnes indépendantes d'horizons différents qui réfléchiraient à l'instauration d'un système d'informations partagées, dans les limites posées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Depuis que je suis arrivé au Haut Conseil de santé publique, moi qui suis un universitaire, un chercheur, un provincial, je suis très frappé des deux réponses que je reçois systématiquement lorsque je formule des propositions à mes différents interlocuteurs, ministériels ou autres. Ils me répondent soit que ma proposition relève de leur domaine de compétence et qu'il ne faut pas empiéter sur leur pré carré, soit ils vont d'abord vérifier si la législation ou la réglementation permettent de mettre en oeuvre ce que je propose. Je pense que les acteurs de santé publique devraient toujours oeuvrer dans un souci d'intérêt général et non chercher à défendre leurs organismes.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Cette remarque, monsieur Salamon, me semble très juste et vaut pour nombre de sujets.

PermalienPhoto de Martine Carrillon-Couvreur

Je me réjouis que votre rapport aborde les questions du dépistage des troubles sensoriels à l'école et du handicap. Ces sujets doivent être prioritaires. En effet, le dépistage doit être accompli le plus tôt possible, car cela permet souvent de régler des problèmes intervenants plus tardivement. Certains services départementaux offraient ce dépistage précoce, mais ils ne sont aujourd'hui malheureusement plus financés.

Quant à la question du handicap, je suis d'accord avec vous : les enquêtes sont trop longues. Elles ne permettent pas de suivre rapidement l'évolution des données. Avez-vous des propositions dans ce domaine ?

Je souhaite également évoquer le sujet des inégalités territoriales, qui se cumulent parfois avec les inégalités sociales. Nous manquons de données précises pour mieux accompagner les difficultés de certains territoires. Peut-être pourriez-vous nous apporter quelques compléments d'information ?

La santé au travail constitue aujourd'hui une question majeure, avec les retraites, la pénibilité et le suivi des itinéraires professionnels. Je pense que nous ne soutenons pas suffisamment la médecine du travail. Mal coordonnée, elle ne peut prendre tout son rôle et est insuffisamment valorisée. On ne peut pas faire l'économie de cette question en matière de santé publique.

Enfin, il nous reste beaucoup de progrès à accomplir en matière de formation professionnelle et d'information des praticiens. Comment pouvons nous améliorer l'information des professionnels sur la question de dépistages, de santé au travail, de vieillissement, etc. ? Il faut intervenir très tôt pour dépister les pathologies et se donner les moyens de mener les campagnes de communication et d'accroître l'éducation en santé à l'école.

PermalienPhoto de Simon Renucci

Évaluer, c'est mesurer et comparer. Dans le domaine de la recherche en santé publique, des innovations notables ont été accomplies pour mesurer l'impact des actions menées. Vous dites qu'il est difficile de choisir un nombre restreint de priorités. Cela me laisse dubitatif au regard des progrès des études d'impact. Vous avez, en revanche, raison d'affirmer que la qualité des systèmes d'information dépend de la fiabilité des données recueillies.

La prévention constitue un sujet majeur. Elle doit aider à réduire par exemple les inégalités de mortalité. La santé publique demeure une question de société. Cela ne peut être du seul ressort des agences régionales de santé.

J'aurais deux questions. Parmi vos préconisations, lesquelles concernent l'amélioration et la coordination entre l'échelon national et régional ? Je pense, pour ma part, que la politique de santé publique doit demeurer de la compétence de l'État. Ma seconde question porte sur la formation des acteurs de santé publique. En effet, de très nombreuses personnes oeuvrent en ce domaine. J'ai l'impression, qu'à l'instar de M. Jourdain, nous nous occupons tous de santé publique sans le savoir.

La politique de santé publique ne peut se réduire à la seule action curative et doit comporter, à mes yeux, trois aspects indissociables : le social, l'éducation et la santé. Les principaux acteurs mettant en oeuvre la politique de santé publique sont les fonctionnaires hospitaliers et territoriaux, et les élus locaux. Je suis moi-même délégué national à la santé publique au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), organisme qui a récemment signé une convention de partenariat avec l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES). J'assistais à un colloque, il y a quelques mois, au cours duquel une table ronde était consacrée aux rôles des élus locaux en matière de santé publique.

La politique de santé publique ne se résume pas aux aspects médicaux, les trois aspects que j'évoquais tout à l'heure, santé, éducation et société doivent être déployés ensemble. C'est par exemple le cas en région Bretagne, qui mène une véritable politique en la matière, notamment en ce qui concerne la formation des acteurs. Les conseils généraux s'occupent énormément des personnes âgées, et plus généralement des questions de dépendance, et gèrent la protection maternelle et infantile. Au niveau des communes, il existe les ateliers santé-ville. Ajaccio appartient au réseau français des Villes Santé de l'Organisation mondiale de la santé.

La politique de santé publique doit donc s'articuler entre une définition au niveau national et une déclinaison territoriale. Je me demande quel sera l'impact concret de la création des agences régionales de santé à ce sujet.

PermalienPhoto de Catherine Lemorton

Il est certes extrêmement difficile de choisir entre de nombreuses priorités. Mais, pour ma part, il me semble essentiel de consacrer des moyens importants à la prévention en matière de santé publique au sein des écoles, notamment au lycée, véritable creuset qui permet de gommer, en partie au moins, les inégalités. En effet, on sait que des campagnes d'information très générales, par exemple sur le cancer, ont avant tout un impact sur les catégories socio-professionnelles les plus favorisées : d'où l'importance d'une action complémentaire dans les établissements scolaires.

Par ailleurs, nous connaissons tous les risques liés au manque de moyens en personnels en matière sanitaire : à titre d'illustration, récemment, un établissement, qui ne comptait déjà qu'une infirmière pour 1 600 lycéens, a dû se séparer, pendant une longue période, de celle-ci, réquisitionnée dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1), ce qui pourrait être lourd de conséquences ; je pense à la question de la délivrance de la contraception d'urgence, pour ne citer qu'un exemple.

PermalienPhoto de Christian Hutin

Je souhaiterais insister sur la question de la santé environnementale. On a, en France, l'un des meilleurs systèmes de surveillance de la qualité de l'air. S'agissant de la régionalisation que vous avez évoquée, l'ensemble des associations en charge aujourd'hui de la surveillance de la qualité de l'air, qui sont établies elles-mêmes au niveau régional, ont-elles été approchées et ont-elles été associées aux expertises que vous menez ? On peut penser à la mise en oeuvre de l'objectif 19, relatif à la réduction de l'exposition aux radons dans les établissements d'enseignement et dans les établissements sanitaires et sociaux, qui requiert la détection de la présence de radon, en Bretagne notamment pour ce qui est du cas français.

S'agissant de l'objectif 20, qui concerne la réduction de l'exposition de la population aux polluants atmosphériques, je pense que les particules en suspension PM 10 sont aujourd'hui assez facilement identifiables : c'est d'ailleurs le cas en Allemagne où, de temps en temps, la circulation est limitée en raison des PM 10 ainsi repérées, même s'il faut reconnaître que, juste de l'autre côté de la frontière, il n'en va pas de même, sans doute grâce à la ligne Maginot !

Concernant l'application du Grenelle de l'environnement, dans quelle mesure avez-vous été partie prenante à la mise en oeuvre des schémas régionaux dits « climat air énergie », qui semblent là aussi correspondre à votre préoccupation ?

Une autre question est liée à la qualité de l'air intérieur. Certaines études, très bien faites, ont été menées dans les écoles ; une autre est actuellement conduite dans le Nord-Pas de Calais. Pour ma part, j'ai proposé à Bernard Accoyer de procéder à une analyse de la situation à l'Assemblée nationale – je suis dans l'attente de sa réponse –, car je suis persuadé que l'air que nous respirons comporte certaines formes d'aldéhydes.

Enfin, pour ce qui est de l'objectif 24, relatif à la réduction des niveaux de bruit entraînant des nuisances sonores, un certain nombre de secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles (S3PI) ont travaillé sur le sujet : celui de Dunkerque notamment a fait une étude importante sur les nuisances industrielles, étude qui constitue une première en France.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

M. le président Salamon est très heureusement surpris de la motivation et de la passion des parlementaires !

PermalienRoger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique

Je suis ravi !

PermalienPhoto de Guy Lefrand

En matière de gouvernance du service public, je souhaiterais savoir quelle action est aujourd'hui menée au plan national, en particulier au plan interministériel, et dans quelle mesure cette coordination interministérielle pourrait encore être développée. En effet, la question des déterminants de santé recouvre, par-delà les aspects médicaux, des enjeux sociaux, éducatifs, environnementaux, etc.

Au plan régional, que peut-on dire de l'action des commissions de coordination créées par la loi réformant l'hôpital, pour favoriser la coordination entre les médecins du travail, les médecins scolaires, la protection maternelle et infantile, etc. ?

Dans le cadre d'une réforme de la santé au travail, que le groupe UMP va proposer, nous avons envisagé la création de commissions régionales, impliquant le ministère en charge du travail et celui en charge de la santé, au travers des agences régionales de santé. Pour mettre en place des programmes régionaux de santé publique efficaces, ne faudrait-il pas encourager un travail commun entre les différents services de santé, qu'il s'agisse de santé scolaire ou de santé au travail, notamment ? On ne peut, en effet, envisager aujourd'hui d'omettre de prendre en compte des sujets tels le suivi des agents cancérogènes, mutagènes et toxiques, ou la traçabilité professionnelle.

Les déterminants de santé sont désormais bien identifiés, les inégalités commencent à l'être également. La difficulté est de diffuser cette information : que dire, par exemple, de la très récente apparition d'une boisson supposée permettre d'éviter l'état alcoolique après absorption d'alcool ? De même, les campagnes nationales sur le cancer du sein ne permettent pas toujours de toucher l'ensemble de la population concernée, par exemple les personnes qui se trouvent en zones urbaines sensibles. C'est là la difficulté principale : comment toucher les gens ?

Pour ce qui concerne le financement du système de santé publique, un travail important a été réalisé dans le cadre du programme Epode (Ensemble prévenons l'obésité des enfants), pour moitié grâce à des financements privés, même si, à l'origine, des voix s'étaient élevées contre de tels financements. Selon vous, dans quelle mesure ces expériences peuvent-elles être prolongées ?

Sur un autre sujet, quel rôle doivent aujourd'hui jouer, en matière de santé publique, les sociétés savantes ?

Enfin, que pensez-vous des missions respectives qui doivent être confiées aux différents professionnels de la santé, notamment à ceux qui ne sont pas médecins, en matière de prévention, de manière à pouvoir recentrer l'action des médecins sur la médecine elle-même ?

PermalienPhoto de Edwige Antier

Vous préconisez un dépistage systématique de la surdité congénitale chez l'enfant dès la maternité. Malheureusement, en pratique, ce dépistage n'est, le plus souvent, pas mis en place. Or, la surdité d'un enfant qui n'a pas été détectée à ce stade ne le sera en moyenne qu'entre l'âge de 16 mois et de 2 ans, avec une grande déperdition des facultés de communication pour lui.

Par ailleurs, en temps que pédiatre, je suis désespérée par le sort réservé aux trois formulaires qui figurent dans le carnet de santé d'un enfant et sont censés être remplis au huitième jour, au neuvième mois et à l'âge de 2 ans. Il y a vingt ans, si un formulaire n'était pas envoyé à la Protection maternelle et infantile, les allocations familiales n'étaient pas versées. Aujourd'hui, tel n'est pas le cas, et ces certificats pourrissent, peut-on dire, dans les carnets de santé. On se prive ainsi d'un instrument considérable de constitution de données sur la santé des enfants très efficace, par simple négligence, alors qu'il serait aisé de transmettre ces données par voie informatique. Mais, il n'existe aujourd'hui aucune opération de sensibilisation des médecins à la nécessité de remplir ces certificats, d'autant plus que personne ne les réclame plus. Je ne comprends pas cette situation.

Un autre sujet est abordé avec l'objectif 95, relatif aux traumatismes intentionnels dans l'enfance : il s'agit évidemment d'un sujet extrêmement grave. Le quotidien France-Soir révèle que la France est championne de l'enfance maltraitée. Quels outils nous donnons-nous pour faire cesser ce scandale ?

Le programme national nutrition santé insiste sur l'importance de l'alimentation du bébé par le lait maternel, idéalement jusqu'à l'âge de 6 mois, avec un sevrage au cours de la deuxième année. Or, là aussi, la France se place en dernière position des pays européens. Il pourrait être opportun de projeter un film sur cette question dans les écoles.

Enfin, s'il est certes positif de pouvoir dépister les situations de handicap, on ne peut que déplorer l'existence de listes d'attente, parfois d'un an, dans les centres d'action médico-sociale précoces. De plus, la rééducation est seulement épisodique et sans protocole. De fait, les réponses à ce sujet essentiel que constitue la prise en charge du handicap font encore trop souvent défaut.

PermalienPhoto de Claude Leteurtre

À ne pas vouloir hiérarchiser les différents objectifs que vous énumérez, en vous retranchant derrière la décision politique, il me semble que vous bottez en touche ! Accepteriez-vous une hiérarchisation de ces différents objectifs ? Selon quels critères ?

À titre d'exemple, en matière de santé mentale ou de maladie d'Alzheimer, c'est une chose de faire de l'effet thérapeutique des diagnostics un objectif de santé publique, mais encore faut-il prendre en compte le fait qu'il existe peu de moyens de prévention, voire peu de moyens curatifs : pour dire les choses de manière rapide, il n'est pas simple de traiter un psychotique. Pourquoi ne pas, néanmoins, retenir un tel objectif, et prendre pour critère le nombre d'années perdues ? Ce pourrait être quantitativement comme qualitativement opportun.

Ainsi, en Normandie, nous avions mis en oeuvre un plan de santé régional sur le suicide chez les jeunes de moins de 25 ans. Sur une période de huit ans, on a observé une réelle efficacité de ce plan.

Ces exemples montrent la nécessité d'une hiérarchisation des objectifs : la multiplicité des messages entrave un certain nombre d'actions.

PermalienPhoto de Cécile Dumoulin

La politique de santé publique doit passer par la prévention, à l'égard de l'ensemble de la population, et dès le plus jeune âge. Je vous rejoins sur la nécessité d'accorder une priorité au dépistage des troubles sensoriels, et j'y ajouterais les troubles du langage et de l'apprentissage.

La loi sur la protection de l'enfance de 2007 a généralisé l'obligation d'un bilan médical à l'âge de trois ou quatre ans. Mais combien d'enfants, dans les faits, bénéficient-ils de ce bilan ? De même, combien d'enfants font-ils l'objet d'un examen de santé à l'âge de cinq ou six ans ? Combien, au cours de leur parcours scolaire, sont-ils examinés par un médecin scolaire ?

Par ailleurs, en Suède, a été mis en place une forme informatisée de dossier médical, implantée sur la carte d'identité, dont nous pourrions utilement nous inspirer.

PermalienPhoto de Cécile Gallez

Avez-vous pu évaluer l'ampleur et les effets des maladies professionnelles, notamment celles liées à l'amiante ?

PermalienPhoto de Fernand Siré

Dans le domaine de la santé publique, la mise en oeuvre de mesures sur l'éducation sanitaire a produit des résultats positifs : par exemple, de nombreuses personnes âgées peuvent aujourd'hui rester à leur domicile, même à l'âge de 90 ou 95 ans.

Néanmoins, il existe aujourd'hui, sur le terrain, un certain déficit en personnel soignant, qui concerne notamment les médecins ou les infirmières, accaparés par la paperasserie administrative. C'est pourquoi il me semble que l'on ne pourra faire l'économie d'une nouvelle organisation sanitaire, avec une meilleure répartition des professionnels sur le territoire. Il serait important, par exemple, de développer encore la formation professionnelle des médecins et des infirmières, qui sont aujourd'hui contraints de renoncer à ces études en raison de concours totalement inadaptés.

(M. Georges Colombier, secrétaire, remplace M. Pierre Méhaignerie à la présidence de la séance)

PermalienPhoto de Michel Issindou

Vous avez évoqué les nombreux objectifs de santé publique, dont vous avez estimé qu'ils étaient tous importants et qu'il serait difficile d'en réduire le nombre. Mais qu'en est-il des réalités budgétaires ? Vous évaluez les politiques de santé publique et, dans le même temps, êtes probablement confrontés chaque année, à l'occasion de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale, à des budgets qui ne sont pas adaptés pour atteindre ces objectifs : j'imagine que votre frustration est énorme !

PermalienPhoto de Guy Malherbe

Pourriez-vous dire un mot de la question de la santé mentale, peu évoquée dans votre rapport : pour quelle raison ?

PermalienRoger Salamon, président du Haut Conseil de santé publique

Il me semble sincèrement, concernant cette question de la priorité entre les objectifs, que tous les objectifs doivent être atteints, ou, à tout le moins, on doit chercher à les atteindre. Ce n'est pas de l'habileté quand je dis qu'il n'appartient pas au Haut Conseil d'établir ensuite des priorités.

Pour nous, ces priorités doivent être fondées sur des arguments épidémiologiques. Si l'on prend, par exemple, le critère des années potentielles de vie perdues, que vous avez évoqué, si je faisais une évaluation de ce critère, je dirais qu'il faut arrêter le plan Alzheimer tout de suite. Évidemment, je ne le fais pas car, dans un pays comme le nôtre, on n'a pas le droit de ne pas s'occuper du vieillissement de la population.

Je suis frustré, peut-être, mais je n'ai pas la compétence requise pour faire ces choix, n'ayant pas fait de politique. J'en reste au niveau scientifique.

La prévention est essentielle ; or elle constitue souvent la dernière roue du carrosse, notamment parce qu'elle n'aura des effets, y compris financiers, qu'à échéance de plusieurs années après sa mise en oeuvre. Certes, elle a un coût dans un premier temps, mais cet investissement ne devient rentable qu'au bout de quelques années.

Pour ce qui est du développement du travail interministériel en matière de prévention et, plus généralement, de santé publique, je ne peux qu'être en accord avec une telle nécessité, même si je constate que, excepté au ministère de la santé, dès que ces questions sont abordées dans un autre ministère, elles deviennent, pour reprendre encore cette expression, la dernière roue du carrosse… Cela, je n'y peux rien…

PermalienPhoto de Georges Colombier

Monsieur le président du Haut Conseil de la santé publique, je vous remercie.

La séance est levée à onze heures trente