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Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances

Séance du 9 avril 2009 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

PermalienPhoto de Georges Tron

Dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des Finances, nous sommes très heureux de recevoir aujourd'hui Mme Baldassari, directrice du musée national Picasso, ainsi que M. Fabien Docaigne, secrétaire général, afin qu'ils nous donnent leur point de vue sur la situation de ce musée et sur ses perspectives de développement.

Indépendamment de tout esprit partisan, nos Rapporteurs, qui sont les Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur le budget de la Culture, M. Nicolas Perruchot et M. Richard Dell'Agnola, ainsi que le Rapporteur sur le même budget au nom de la commission des Affaires culturelles, M. Marcel Rogemont, vous poseront les questions qu'ils jugeront nécessaires. Les représentants de la 3ème chambre de la Cour des comptes, MM. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire et Emmanuel Marcovitch, auditeur, feront de même s'ils le souhaitent.

J'ajoute que nous avons d'ores et déjà entendu deux fois le président-directeur du musée du Louvre – ce dernier musée est-il d'ailleurs selon vous, Madame, Monsieur, un cas particulier ou a-t-il une valeur exemplaire par rapport aux problèmes qui nous préoccupent ? – mais aussi des représentants du ministère de la Culture et de la Réunion des musées nationaux (RMN).

Nous avons également tenu à recueillir le point de vue d'autres institutions muséales. Il importe, pour la mission, de déterminer dans quelle mesure le Louvre est un cas particulier ou peut être un exemple.

Madame la directrice, votre audition est importante pour nous à plusieurs égards, et pas seulement parce que vous avez été commissaire d'une exposition, organisée par la Réunion des musées nationaux, qui vient de connaître un brillant succès : « Picasso et les maîtres ».

Par ailleurs, il est prévu que le musée national Picasso change de statut en 2010 pour devenir un établissement public. Vous êtes donc bien placée pour vous prononcer sur la question du statut au regard de la taille critique d'un musée, qu'il s'agisse de son public, de son fonds ou de sa capacité à mobiliser des mécénats. Je ne doute pas, enfin, que nos Rapporteurs soient intéressés par la question de vos relations avec la tutelle.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

La commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, voilà quelques années, avait eu l'occasion de conduire une mission sur les musées nationaux au cours de laquelle elle avait préconisé la transformation du statut de ces établissements, de services à compétence nationale (SCN) en EPA. En ce qui vous concerne, Madame, êtes-vous satisfaite d'une telle décision et qu'en attendez-vous ? Pourrait-il par ailleurs en être de même pour l'ensemble des musées nationaux ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Je suis d'autant plus satisfaite d'une telle transformation qu'elle était attendue depuis longtemps. Depuis ma nomination, en novembre 2005, et ainsi que le ministre de la Culture et de la communication, M. Donnedieu de Vabres, me l'avait demandé par une lettre de mission, j'ai beaucoup travaillé en ce sens, de même qu'au projet de rénovation et d'extension du musée ou encore au développement de nos ressources propres en prévision des futurs contrats de performance entre l'État et l'EPA.

Après trois ans de travail intensif, nous sommes enfin à la veille d'une mutation statutaire qui interviendra dans une situation difficile de « repli » puisque le musée doit être fermé au public pour des travaux impératifs et ses personnels partiellement redéployés pendant cette période. Nous nous sommes engagés à réaliser dans des délais particulièrement courts –estimés à 18–24 mois par l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels, l'EMOC – des travaux à hauteur de 23 millions d'euros dont nous devons financer les deux tiers. À ce jour, nous avons réuni 12 millions d'euros – ce qui permet de garantir la première tranche de rénovation et de mise aux normes de l'Hôtel Salé –, mais nous travaillons encore à trouver les fonds nécessaires à l'extension du musée. Je ne vous cache pas que la situation est très tendue financièrement, techniquement, administrativement et scientifiquement. Si cette perspective de modernisation de notre statut, de nos espaces et de nos moyens est pleinement soutenue par la direction des Musées de France (DMF) qui est notre tutelle, la RMN, quant à elle, a décidé d'en ignorer les aléas comme de prendre en compte les difficultés de gestion qui en découlent au quotidien en matière de programmation culturelle, d'information et d'accueil des publics.

Si le Louvre pourrait avoir valeur paradigmatique pour les musées nationaux, le musée Picasso est en revanche unique en son genre puisqu'à l'exception du Musée national d'art moderne fusionné dans l'entité du Centre Pompidou et qui bénéficie à ce titre d'un statut particulier depuis sa création, il est le seul d'entre eux spécifiquement dédié à l'art moderne. Parmi les 15 musées nationaux à statut de SCN, il est par ailleurs le seul à recevoir près de 500 000 visiteurs chaque année, son patrimoine étant exceptionnel et d'un intérêt mondial.

Néanmoins, force est de constater que nous ne disposons pas des moyens nécessaires (administratifs, techniques et financiers) qui nous permettraient d'assumer pleinement notre rôle comme notre mission de rayonnement international. En effet, sans en avoir de retour véritablement significatif (environ 90 000 euros annuels), le musée fait bénéficier bon an mal an la RMN de 3 millions d'euros grâce à sa billetterie et à son chiffre d'affaires commercial (librairie, produits dérivés, concession restaurant), ce dernier étant d'ailleurs insuffisant au regard de notre potentiel. La RMN ne voulant considérer que le domaine des « expositions temporaires » (une exposition est coproduite annuellement par le musée et la RMN), rien n'est fait pour accroître la fréquentation générale du musée et des collections permanentes ; le bâtiment n'a bénéficié d'aucun investissement en maintenance (c'est au contraire le musée qui doit prendre en charge l'entretien des espaces mis à la disposition de la RMN) ; 65 % de nos visiteurs viennent de l'étranger sans qu'aucun service public digne de ce nom ne leur soit dédié ; 35 000 à 50 000 jeunes et scolaires français et européens sont reçus par le musée sans qu'un véritable service d'accueil et éducatif ne leur soit consacré ; les actions commerciales, enfin, sont globalement médiocres.

Avec 800 000 euros octroyés par l'État et dépensés dès le 1er janvier – puisqu'ils ne couvrent que les seules charges fixes – le musée national Picasso se trouve dans un état de pauvreté endémique. Par ailleurs, il ne bénéficie d'aucune véritable dotation culturelle et scientifique.

Pour toutes ces raisons, le passage au statut d'EPA était une question vitale pour l'avenir du musée.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Oui. Pour revenir sur la question du bâtiment qui reste cruciale, alors que la commission de sécurité voulait, il y a deux ans déjà, demander la fermeture du musée dans les quinze jours après sa venue, nous étions finalement parvenus à faire surseoir à cette décision en menant des travaux d'urgence très modestes et des améliorations muséographiques (1,5 million d'euros financés sur nos crédits mécénat), en obtenant le lancement d'un chantier de rénovation des décors, façades et murs d'enceinte de l'Hôtel Salé (2,3 millions d'euros financés par la DMF, maîtrise d'ouvrage SNT) et en nous engageant à mener à bien une mise aux normes générale dans le cadre du grand chantier de rénovation à venir.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Ce constat est d'ores et déjà alarmant, mais une fermeture de 18 mois pour cause de travaux n'arrangeant pas la situation, il importe de réfléchir à différents moyens permettant de faciliter le passage de cette période délicate.

Par ailleurs, qu'en est-il de la dynamique partenariale entre les musées et leur tutelle et, donc, des contrats de performance ? Quid de la contractualisation initiée voilà six ans avec le Louvre ?

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

La fougue avec laquelle vous vous êtes exprimée, Madame, laisse à penser que le passage d'un statut de SCN à celui d'EPA serait, selon vous, souhaitable pour tous les musées nationaux.

PermalienFabien Docaigne, secrétaire général du musée national Picasso

Sachant la force de frappe du Louvre, il est légitime de se demander si des musées plus modestes peuvent assumer l'autonomie et la responsabilité que confère le statut d'EPA. La comparaison avec le musée Rodin me semble en l'occurrence plus appropriée puisque celui-ci, dès l'origine, a bénéficié de ce statut et qu'il ne s'en porte pas plus mal.

Le principal atout du musée national Picasso repose dans le caractère extraordinaire de sa collection et dans une fréquentation qui ne s'est jamais démentie. Sans doute la situation est-elle en revanche plus difficile pour des établissements de taille comparable, comme celui de Rueil-Malmaison par exemple.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Ce dernier aurait-il selon vous intérêt néanmoins à bénéficier du statut d'EPA ?

PermalienFabien Docaigne, secrétaire général du musée national Picasso

Le principal intérêt de ce statut résiderait dans l'unité de gestion qu'il pourrait apporter aux établissements bénéficiaires. La RMN percevant les droits d'entrée et animant les comptoirs commerciaux, la présence de ses personnels complique en effet la gestion administrative des musées.

Quoi qu'il en soit, la situation du musée national Picasso n'est pas absolument comparable avec celle que connaissent d'autres établissements, puisque nous pouvons dégager plus facilement des ressources propres et donc parvenir plus facilement à un équilibre financier de notre fonctionnement.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

S'il est toujours délicat, pour un musée comme le nôtre, de porter un jugement sur la situation d'autres établissements dont l'histoire est par définition différente, il importe selon moi d'abandonner la logique consistant à raisonner en termes macro-économiques. J'entends parler de « mutualisation », de « gestion directe », de « valeur ajoutée », d' « économies d'échelle », mais les collections sont des objets concrets et nous sommes confrontés à des contraintes élémentaires de fonctionnement qui impliquent une gestion au plus près du terrain.

Sans doute la crise économique que nous connaissons pourrait-elle être l'occasion de repenser les catégories d'analyse de l'économie culturelle de manière à raisonner d'abord à partir du « micro » pour ensuite aller vers le « macro » ; c'est en effet à partir de la proximité physique des oeuvres qu'il convient de penser la gestion.

Comme on disait dans les années soixante-dix, « small is beautiful » : et c'est de cela, paradoxalement, que dépend notre rayonnement européen et international. Toute la jeunesse d'Europe vient étudier au musée Picasso ! Telle me semble être la meilleure « culture d'entreprise » que nous puissions promouvoir !

Par ailleurs, comme l'a dit M. le secrétaire général, nous nous voyons attribuer des personnels de la DMF et de la RMN qui ne nous reconnaissent pas comme étant au sens strict leur employeur et dont les carrières sont administrées parallèlement selon des appartenances et dans des hiérarchies parfois incompatibles les unes avec les autres. Le système de corps ou de filières souvent limités à des plans de carrière déjà obsolètes et formant parfois des « castes », est rarement ancré dans la culture professionnelle des sites de détachement ou d'affectation des agents. Pourtant c'est bien à partir de ceux-ci, précisément, qu'une mobilisation effective des énergies est possible – laquelle, d'ailleurs, conditionne aussi notre travail sur le plan international.

Pour revenir au financement du chantier et à notre politique de recherche de ressources propres, il faut préciser que les 12 millions d'euros dont je vous ai parlé précédemment ne proviennent pas du grand mécénat français mais sont exclusivement dus à notre expertise pour créer des expositions originales et de très haute tenue scientifique et culturelle avec nos partenaires internationaux. En l'occurrence, ils proviennent plus précisément de quatre projets menés en 2008 avec Madrid, Abou Dabi, Tokyo et Brisbane. Nous avons chaque fois travaillé avec les ministères de la Culture et des Affaires étrangères des pays concernés (en Espagne ou aux Émirats Arabes Unis), comme avec de grandes agences gouvernementales (en Australie), ainsi que de grands mécènes privés (notamment au Japon). Les ambassades de France à l'étranger ont joué un rôle essentiel dans ces montages. Nous sommes ainsi intervenus en Espagne à l'occasion des commémorations de l'invasion napoléonienne et au Japon, dans le cadre des célébrations des 150 ans de la présence française.

Pendant la fermeture prochaine du musée, nous organiserons un véritable tour du monde d'environ 200 oeuvres de notre collection - qui se compose de 5 000 oeuvres de Picasso et de 200 0000 pièces d'archives dont des photographies et des manuscrits – témoignant non seulement de l'oeuvre de Picasso mais aussi de la vie artistique et culturelle du XXe siècle, d'Apollinaire à Diaghilev, Stravinski, Massine, Brassaï, Lacan ou Clouzot. Le capital des oeuvres concernées par ce tour du monde oscille selon l'importance des expositions entre 1 et 2 milliards d'euros. Des protocoles de suivi, de restauration et d'encadrement ont été mis en place pour un budget en investissement de 1 million d'euros que nous avons financé sur nos crédits mécénat et qui a, de plus, bénéficié d'une aide exceptionnelle de la direction des Musées de France (DMF).

Nous travaillons actuellement à la mise en place de ce programme international qui commencera à l'Atheneum Museum d'Helsinki au mois de septembre et se poursuivra au Musée Pouchkine de Moscou, puis à la Kunsthalle de Hambourg, au Seattle Art Museum de Seattle, au Museo Oscar Niemeyer de Curitiba (Brésil), au De Young Museum de San Francisco, et à la National Gallery of New South Wales de Sydney. Nous travaillons également à un autre circuit d'expositions en Chine et au Japon autour de projets plus spécifiques. Ces actions nous permettront de recueillir une somme équivalente à celle dont nous disposons déjà et qui garantira la conduite de notre chantier à son terme. Ces prévisions n'exonèrent pas l'État d'apporter la contribution attendue au financement du chantier du musée Picasso.

J'ajoute, enfin, que nous accomplissons ce travail dans le cadre d'une très petite équipe qui compte globalement une vingtaine d'agents scientifiques, administratifs et techniques.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Vous arrive-t-il de parler de cette « ingérence » de la DMF et de la RMN avec le ministère de la Culture ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

S'agissant de la DMF, le terme est impropre. La DMF exerce une tutelle politique et administrative sur le musée Picasso et le fait dans l'intérêt des missions de service public qui sont les nôtres. De façon pionnière, la DMF a déconcentré, dès 1993, aux musées nationaux « centres de responsabilité » (ancien statut SCN) la quasi-totalité de leurs moyens de fonctionnement et d'entretien. Le musée Picasso a bénéficié de ces mesures et sa revendication actuelle d'un statut EPA lui assurant une plus grande autonomie et une meilleure gestion s'inscrit dans la droite ligne de cette politique de « responsabilisation ». Je me réjouis par ailleurs de la nomination de la nouvelle directrice des musées de France, Mme Marie-Christine Labourdette, qui a accompagné notre projet de chantier et soutient activement notre politique internationale.

Par ailleurs, j'entretiens bien entendu des liens avec le ministère de la Culture et de la communication, avec le directeur de cabinet, M. Jean-François Hébert qui est attentif au projet de développement du musée, le directeur adjoint, M. Christophe Tardieu, qui suit personnellement l'élaboration du projet de décret EPA, le conseiller pour les musées, Mme Sophie Durrleman, en charge du dossier du musée Picasso, ou le secrétaire général du ministère, M. Guillaume Boudy, avec qui j'ai eu récemment l'occasion d'évoquer en particulier nos problèmes récurrents de sous-effectifs.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Vous semblerait-il opportun qu'à l'instar du Louvre vous puissiez gérer vous-même vos personnels ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Assurément, comme tous les EPA.

PermalienPhoto de Georges Tron

Ce qui ne va d'ailleurs pas sans soulever certains autres problèmes.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Peut-être le soutien d'un nouvel outil de gestion interministériel serait-il bienvenu ?

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Quelle « valeur ajoutée » la RMN apporte-t-elle aux institutions muséales ? Est-elle en situation de monopole ? Son intervention est-elle encore légitime ? Est-ce à la tutelle de trancher les problèmes qui se posent ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Je tiens tout d'abord à dire que nous veillerons à faire respecter les délais de conduite du chantier comme à limiter au minimum la fermeture du musée au public. Celui-ci restera présent à travers des prêts à différents projets d'exposition en cours, le montage d'expositions réalisées par le musée Picasso dans des institutions culturelles parisiennes et des collaborations (événements, expositions dossiers) coproduites avec l'État ou la Ville de Paris qui est par ailleurs le propriétaire de l'Hôtel Salé (bâtiment et jardin).

S'agissant de la RMN, il serait temps, en effet, de trancher. Je tiens à rendre hommage à M. Jean-Ludovic Silicani, qui a organisé fin 2007 la première réunion – cela en dit long – au cours de laquelle l'ensemble des chefs d'établissement des musées nationaux à statut de SCN ont pu s'exprimer librement sur leurs relations avec la RMN. Pour le reste, les commissions existantes se réduisent le plus souvent à des chambres d'enregistrement des décisions de la RMN : nous n'avons pas la parole, et lorsque nous la prenons, nos remarques ou nos projets ne sont, de fait, peu ou pas pris en compte. Par ailleurs, la seule convention passée en 1994 qui contractualisait les rapports économiques et culturels entre le musée Picasso et la RMN - et recherchait un premier équilibre de ces rapports dans le cadre de la nouvelle donne des « centres de responsabilité » -, légalement caduque au bout de trois ans, a néanmoins été reconduite « tacitement », n'a pas été respectée dans son contenu qui reconnaissait au musée Picasso une plus grande latitude d'action et de décision, et lors d'un amendement effectué en 2000, a acté, au détriment du musée, une réduction du taux de retour des recettes en billetterie de 5 % à 3,5 %.

S'agissant de la « valeur ajoutée » ou des « plus-values » apportées par les services de la RMN, j'ignore dans les faits à quoi vous faites allusion exactement. L'expérience du fonctionnement du musée Picasso permet de vérifier que si nous sommes légalement contraints par notre statut SCN de déléguer notre responsabilité juridique (signature de contrat), financière (gestion de nos crédits mécénat) ou notre expertise technique (organisation d'appel d'offre) à la RMN cela reste pour nous une formalité qui vient alourdir les protocoles de gestion sans pour autant nous être d'un apport en contenu ou en expertise. Pour prendre a contrario un exemple particulièrement révélateur, c'est le musée Picasso qui a objectivement « organisé » l'exposition « Picasso et les maîtres ». Nous avons mené la négociation d'un mécénat d'1 million d'euros avec LVMH, nous avons prêté plus de 100 oeuvres de nos collections sur les trois sites de l'exposition (15 oeuvres ont été prêtées par le Louvre et 7 par le musée d'Orsay) en gérant directement tout le processus de ces prêts, nous avons aussi « contre-prêté » plus de 250 oeuvres. Car aucune oeuvre n'est prêtée par les grandes institutions muséales étrangères sans qu'elle ne soit gagée par un prêt équivalent des collections françaises. La France est, à ce propos, le seul pays à financer les politiques de ces grands partenaires internationaux aux frais du contribuable – paiement des frais annexes aux convoiements, de l'encadrement, du montage, de la restauration des oeuvres prêtées, etc. Au musée Picasso, sur 20 agents, l'équivalent de deux emplois à plein temps sont dédiés au seul convoyage des oeuvres consenties en prêt. Continuons donc à nous montrer généreux mais, de grâce, évitons de nous montrer naïfs ! Eh bien, malgré cet exceptionnel investissement, le musée Picasso n'aurait reçu aucun retour sur cette exposition « Picasso et les maîtres » si finalement la DMF n'avait obtenu de nous faire bénéficier d'un retour partiel sur les billets groupés estimé à une centaine de milliers d'euros.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Face à une telle situation, que vous répond la tutelle ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Sa logique est différente. Absente du terrain, elle en ignore les contraintes et n'a pas toujours conscience des enjeux et des risques que la situation critique qui est la nôtre sur le site nous oblige à prendre au quotidien.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Que dit la tutelle de cette convention de 1994, pourtant caduque et qui continue de s'appliquer ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

La révision de cette convention de 1994 a été contresignée par la DMF en 2000. À l'époque, elle a donc donné son aval à une mesure disqualifiante pour le musée. Aujourd'hui la perspective a changé et la DMF accompagne fermement le musée dans sa politique d'émancipation.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Il n'est plus véritablement temps puisque nous allons devenir un EPA et que désormais nous pouvons considérer la situation comme virtuellement réglée. Reste à rédiger un décret qui confère pleinement au futur EPA du musée national Picasso de réels moyens juridiques et financiers ainsi qu'une réelle latitude d'action. Si, en revanche, la situation antérieure de pauvreté endémique et de dépendance chronique à l'égard de la RMN notamment liées au statut SCN avait dû se perpétuer, j'aurais été plus offensive dans mes propos, plus détaillée dans les multiples exemples que j'aurais eus à citer et sans doute aurais-je même démissionné.

Pour ce qui relève des contrats de performance, nous en avons besoin autant que la tutelle pour cadrer nos actions et nous fixer des objectifs triennaux. Il serait souhaitable que ce contrat stipule que pour chaque euro apporté par le musée Picasso, l'État fasse de même et nous garantisse durant la période d'élaboration (cinq années) les moyens nécessaires à la consolidation en emplois et en fonctionnement de l'EPA du musée national Picasso.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Selon les informations que nous tenons de la Cour des comptes, l'analyse des conditions d'organisation de l'exposition « Picasso et les maîtres », sur un plan strictement juridique, tend à conclure que la RMN en a bien été le producteur. La Cour a constaté que les musées du Louvre et d'Orsay ont accepté le schéma initial élaboré en 2007, et que, si le musée Picasso n'a jamais été associé à ces décisions, c'est en raison de son statut de service à compétence nationale.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Je souhaite justement que nous en changions le plus rapidement possible !

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Je rappelle par ailleurs, sur un sujet qui nous est cher, que dans un référé du 12 juin 2008, la Cour des comptes s'est inquiétée auprès de Mme la ministre de la Culture de la multiplication des opérateurs lesquels, avec le musée Picasso et le château de Fontainebleau, passeront prochainement de 78 à 80. Or, la Cour estimait que tous n'ont pas la taille idoine pour assumer les fonctions d'un EPA dont, par exemple, la maîtrise d'ouvrage.

Par ailleurs, comment concevez-vous la future configuration de vos services ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Nous avons élaboré une plateforme de gestion des ressources humaines et d'un schéma financier directeur dont nous serions ravis de discuter avec vous ou avec la Cour des comptes. Pour ce qui est de la maîtrise d'ouvrage du chantier de rénovation, l'EMOC est par convention en charge de sa conduite.

PermalienPhoto de Georges Tron

Si, assurément, je comprends Mme Baldassari, les problèmes soulevés par la Cour des comptes dans ce référé n'en sont pas moins très importants. Par ailleurs, nous nous souvenons que l'autonomie du Louvre s'est accompagnée d'une augmentation de 25 % de ses effectifs en six ans.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Qu'en est-il de la politique de la RMN en matière d'achats des oeuvres ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Le musée Picasso finance ses acquisitions à hauteur de 50 % sur ses crédits mécénat et ce sont des crédits d'État (crédits DMF, Fonds du patrimoine, dons et legs pour environ 2,3 millions d'euros annuellement) que la RMN gère pour le compte de la DMF. Une fois encore, sa « valeur ajoutée » est simplement celle d'un opérateur de gestion qui par son statut d'EPIC peut faire ce que ni la DMF ni les SCN ne peuvent actuellement mettre en oeuvre.

Je rappelle qu'environ 16 millions d'euros de subventions sont attribués chaque année par l'Etat à la RMN au bénéfice des 15 musées nationaux SCN dont elle est censée assurer la gestion commerciale et soutenir les actions de développement économique et culturel. Je souligne également que le musée national Picasso SCN rapporte à lui seul par son activité scientifique et culturelle environ 3 millions d'euros chaque année à la RMN. Je me suis déjà exprimée sur l'insignifiance des retours financiers et logistiques (90 000 euros annuels sur la billetterie et le chiffre d'affaires ; coproduction d'une exposition annuelle dont le budget moyen peut être estimé à 150 000 euros et qui est généralement compensé par la majoration du billet d'entrée). Je remarque enfin que la RMN vient d'acquérir un immeuble de bureau pour loger ses très nombreuses équipes pour 60 millions d'euros… Alors que le musée national Picasso doit garantir le financement des 23 millions d'euros de la rénovation du bâtiment qui conserve et présente au public la plus importante collection au monde de l'oeuvre de Picasso.

Il y a là quelque chose qui m'échappe.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

Qu'il y ait « de l'eau dans le gaz » n'est pas une surprise pour nous et on ne peut que se féliciter, compte tenu de ce que représente le musée Picasso sur un plan national et international, que le grand public l'ignore.

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Je remercie en tout cas l'ensemble des tutelles qui ont su reconnaître la spécificité du musée Picasso et qui ont décidé récemment de lui donner enfin les moyens de son autonomie juridique et de son futur développement.

J'ajoute qu'à l'avenir nous développerons deux fondations – France-Monde, présidée par Bernard Arnault – ainsi qu'une fondation basée à New York plus spécifiquement liée au droit américain avec Claude Picasso. Elles devraient nous rapporter chaque année plusieurs millions d'euros et, ainsi, nous permettre de développer une politique d'exposition de très haut niveau, de financer des bourses de recherche, de lancer le chantier scientifique et la mise en ligne du « Catalogue raisonné » des collections et de financer des acquisitions.

PermalienPhoto de Nicolas Perruchot

De nombreuses oeuvres sont-elles disponibles sur le marché ? Pourquoi en acquérir plus encore ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Elles sont très nombreuses mais de valeur et d'intérêt patrimonial inégal. Cependant, l'enrichissement des collections nationales fait partie intégrante, jusqu'à nouvel ordre, de nos missions essentielles. Étant donné le montant annuel (2,3 millions d'euros) consacré par la DMF à l'ensemble des acquisitions des 15 musées nationaux (hors grands EPA et Beaubourg qui disposent de lignes budgétaires autonomes), nos ambitions en la matière ne sont pas très dispendieuses. Le musée national Picasso a engagé annuellement durant les dix dernières années environ 100 à 150 000 euros de crédits en acquisition. Les valeurs des oeuvres de Picasso sur le marché étant extrêmement élevées, nous avons dû nous limiter à l'achat de dessins, manuscrits, pièces documentaires. Nous avons de plus financé ces acquisitions à 50 % sur nos crédits mécénat. L'enrichissement de nos collections provient majoritairement – et ce dès la création du musée – de la dation. C'est en effet grâce aux dations Pablo Picasso de 1979 et de Jacqueline Picasso de 1990 que le musée a constitué sa collection. Plus récemment, les dations Dora Maar (1998) ou Rosenberg-Sinclair (2008) ont permis de nouveaux enrichissements considérables de nos collections.

Nous disposons aujourd'hui de 5 000 oeuvres parmi les 70 000 que Picasso avait conservées dans sa seule collection personnelle. Puisque nous parlions de « valeur ajoutée », la dation Pablo Picasso était évaluée en 1979 à 100 millions de francs ; elle est aujourd'hui estimée à environ 7 milliards d'euros. Vous avez ainsi une idée des potentialités économico-scientifiques du musée Picasso et de ses futures fondations.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Pourriez-vous préciser à nouveau le financement des travaux que vous allez réaliser ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Ils s'élèvent à 23 millions d'euros dont nous devons assumer les deux tiers. À ce jour, 12 millions d'euros ont été réunis et nous espérons que le « tour du monde » de notre collection permettra de réunir la totalité de la somme. Nous espérons également que le tiers de ce montant (environ 5 millions d'euros) restant à la charge de l'État soit bien inscrit aux budgets de 2010 et de 2011 par le ministère de la Culture. Ainsi, in fine, nous pourrions tenter d'acquérir une parcelle de terrain limitrophe de l'Hôtel Salé. Une partie du projet actuel d'extension est en effet fondé sur l'externalisation des bureaux et locaux techniques dans des espaces à la périphérie du site. Or, à cette étape, tout reste à faire en la matière : recherche de locaux et financement de location ou acquisition.

PermalienPhoto de Marcel Rogemont

Les grands musées ne mobilisent-ils pas à leur profit tout le mécénat ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

La lecture du rapport d'activité 2007 du Louvre tendrait à l'attester. Les chiffres mentionnés (57 millions d'euros en mécénat et parrainages) sont impressionnants. Bien entendu, si on exclut la valorisation des dons et legs ou les valorisations d'espaces, et que l'on considère des actions comparables, on revient à des chiffres plus conformes à la réalité des apports en mécénat. Notamment, sur le poste « production d'expositions internationales », le Louvre affiche 2 millions d'euros de donation pour la production de 6 opérations et je rappelle que nous avons, avec une équipe extrêmement réduite, réussi à réunir 12 millions d'euros pour 4 expositions. Chacun peut donc faire valoir ses spécificités. Néanmoins, on pourrait souhaiter que par souci d'équité, un meilleur équilibre de la subvention, de la dotation en effectif et de l'investissement public prévale au bénéfice des moyennes et petites structures culturelles.

PermalienPhoto de Richard Dell'Agnola

Le ministère de la Culture vous accompagne-t-il dans la recherche de financements innovants ?

PermalienAnne Baldassari, directrice du musée national Picasso

Nous sommes très encouragés à aller de l'avant en développant de nouveaux secteurs d'activité mais le ministère lui-même ne dispose pas des moyens ni des outils nécessaires à la conduite de pratiques innovantes en la matière.

Ainsi, si les autres SCN étaient maintenus dans leur statut actuel, on pourrait réformer la RMN (inflationniste en personnel et dévoratrice de subventions et de ressources) en un outil véritablement utile qui ressemblerait à une petite structure coopérative, flexible et réactive, dont les différents musées nationaux SCN seraient les actionnaires, les décisionnaires et aussi les principaux bénéficiaires.