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Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Séance du 16 décembre 2009 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 16 décembre 2009

La séance est ouverte à dix heures trente.

(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation entend Mme Claudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Je suis particulièrement heureuse de vous accueillir, Madame, dans cette commission nouvellement créée et dont le champ d'action recouvre largement le vôtre : éducation, recherche, science et culture scientifique. Vous venez d'être nommée administratrice provisoire de l'établissement public qui, à partir du 1erjanvier 2010, regroupera la Cité des sciences et de l'industrie et le Palais de la découverte, ainsi que l'avait souhaité le Président de la République en décembre 2007. Vous étiez d'ailleurs chargée d'une mission de préfiguration depuis le mois de mars 2009. C'est un grand et beau projet que de relier ces deux établissements, le Palais qui date de l'Exposition universelle de 1937 et la Cité des sciences de la Villette qui a ouvert en 1986, fruit de la volonté de deux présidents, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Ce sont donc deux établissements, mais aussi deux lieux, deux cultures que vous allez fédérer et nous attendons que vous nous expliquiez vos ambitions. Quel type d'activité faut-il selon vous développer, dans ces établissements qui connaissent d'ores et déjà un grand succès ? Conserverez-vous les deux implantations de la Villette et du Grand Palais ? Comment envisagez-vous vos relations avec ce dernier ?

PermalienClaudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte

Je suis vraiment très heureuse d'avoir la possibilité de vous présenter ce projet passionnant et de recueillir vos analyses, vos suggestions et peut-être aussi, je l'espère, votre soutien.

La décision de regrouper la Cité des sciences et de l'industrie et le Palais de la découverte date effectivement de décembre 2007. Elle a été présentée parmi un ensemble de mesures liées à la révision générale des politiques publiques (RGPP), ce qui à l'époque ne m'a pas paru le meilleur cadre pour traiter de l'éveil à la science mais ne me concernait pas plus que cela, puisque j'étais à l'Agence spatiale européenne. Mais j'ai très vite considéré le potentiel extraordinaire de ces deux maisons hors du commun, le Palais de la découverte, dont nous connaissons tous la merveilleuse façon de présenter les fondamentaux de la science, sans parler de la magie du lieu, et la Cité des sciences qui permet une approche plus contextualisée de la science dans la société d'aujourd'hui et qui comprend aussi la Cité des enfants, dès deux ans, et la Cité des métiers, un très beau lieu d'orientation professionnelle.

Ces deux maisons sont une richesse considérable, et leur potentiel peut encore être développé. Nous aurons besoin de la science et des progrès technologiques au XXIèmesiècle encore plus qu'auparavant. Si nous savons exercer notre contrôle et notre analyse critique à leur sujet, ce seront des solutions, pas des problèmes – alors qu'aujourd'hui s'exprime une défiance de la société envers la science. Il nous faut donc mener un travail considérable à la fois pour sensibiliser les jeunes et pour rendre chaque citoyen informé, critique et donc acteur des enjeux majeurs du XXIèmesiècle.

Ces enjeux, ce sont de véritables mutations de la civilisation. Je pense réellement que le XXIèmesiècle est différent des précédents. D'abord, ainsi que l'illustre le Sommet de Copenhague, nous entrons dans une civilisation du développement durable qui dépasse les discours politiques et les innovations techniques pour modeler les comportements. Un établissement scientifique doit accompagner les citoyens dans cette mutation. Ensuite, nous entrons aussi dans la civilisation numérique – c'est-à-dire que nous, adultes, avons quelque mal à y entrer et avons beaucoup à apprendre des jeunes pour nous y aider : en la matière, il faut se garder de nous considérer comme des prescripteurs. Enfin, la science et le progrès nous font approcher des domaines de la science du vivant et du devenir de l'humanité, des domaines dans lesquels il est indispensable d'être informé et responsable. Étant donné ces trois enjeux, il faut bâtir un socle fondamental d'éducation, de formation et de sensibilisation aux sciences et aux techniques.

Étant administrateur de la Cité des sciences et de l'industrie depuis trois ans, j'ai considéré que le regroupement des deux maisons nous donnerait un levier d'action beaucoup plus important. J'ai donc souhaité mener la mission de préfiguration du nouvel établissement, que les ministres de la recherche et de la culture m'ont confiée le 24 mars dernier. Pour passer très vite à l'action, j'ai pris la présidence de la Cité des sciences et de l'industrie le 15 avril, ainsi que la présidence du conseil d'administration du Palais de la découverte – deux maisons que je connaissais en tant que visiteuse et que ministre de la recherche et ministre des affaires européennes, mais que je voulais absolument vivre de l'intérieur afin de mieux comprendre les réticences du personnel face au regroupement. J'ai très vite monté une équipe chargée de former un projet mobilisateur, pour dépasser la culture interne très forte de chacun des deux établissements – j'avais le sentiment d'être la seule à imaginer qu'il n'y en aurait bientôt plus qu'un ! Le décret de création de la nouvelle structure, qui entrera en vigueur le 1erjanvier 2010, est paru au Journal officiel du 4 décembre et j'en ai été nommée administrateur provisoire. Le 1er janvier prochain, les structures juridiques du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l'industrie disparaîtront. Ne restera que le nouvel établissement public industriel et commercial (EPIC) dont je serai toujours l'administrateur provisoire le temps de mettre en place son conseil d'administration – sans doute fin janvier. Celui-ci n'aura dès lors plus qu'à choisir son président, et je ne vous cache pas que j'espère qu'il me fera cette confiance.

La mission de préfiguration qui m'a été confiée s'articulait autour de quatre objectifs : la sensibilisation des jeunes et l'éveil des vocations, le développement du lien entre science et société – par le biais de la muséologie, de débats citoyens, de conférences… – et entre science et culture, l'organisation d'une programmation synergique et dynamique, parce que la science évolue et qu'il faut aujourd'hui apprendre à apprendre et aussi apprendre à désapprendre, et enfin la création d'un opérateur national de référence dans le champ de la culture scientifique et technique.

C'est pour cette dernière raison que je suis heureuse de pouvoir vous parler ce matin : bien au-delà de ses deux sites parisiens, la nouvelle institution doit tous vous atteindre, vous qui avez des centres de culture scientifique, des muséums, des observatoires… – les initiatives sont nombreuses. Cette mission est fondamentale. Il faut créer une nouvelle dynamique, française, dans le contexte européen et mondial. Le président Obama a annoncé en novembre une campagne « Éduquer pour innover », avec des actions formidables pour la sensibilisation aux sciences. La France et l'Europe doivent développer leurs propres valeurs, et pour cela renforcer le lien entre science et arts, entre science et humanités. L'histoire des sciences est absolument essentielle pour appréhender la science du présent et envisager celle de l'avenir. Je viens d'assister à l'UNESCO – salle comble – à la représentation de La vie de Galilée, de Brecht, et c'était un bonheur. Il y a des choses formidables à faire pour relier la science à la culture et aux humanités. La science n'est pas que pouvoir, mais aussi création et émotion et il faut développer ces entrées un peu différentes de la technologie pure.

Le nouvel EPIC sera aussi un opérateur de référence pour la communauté scientifique : l'Académie des sciences, l'Académie des technologies, l'Académie de médecine se mobilisent déjà pour cette sensibilisation, mais aussi l'Institut des hautes études pour la science et la technologie, ouvert aux politiques, aux journalistes et aux industriels, les centres de culture scientifique, technique et industrielle, les pôles de compétitivité, les collectivités territoriales – car vous êtes en première ligne… Nous participons aussi au formidable réseau européen Ecsite et aux initiatives américaines – la Cité des sciences et de l'industrie vient de tenir une très intéressante conférence sur le changement climatique en visioconférence avec Boston et Copenhague. Ce sont des actions à poursuivre.

Pour bâtir le projet scientifique et culturel du nouvel établissement, j'ai souhaité m'entourer des scientifiques qui étaient déjà dans les deux maisons, de personnalités internationales telles que M. Wagensberg, de Barcelone ou Goéry Delacôte, créateur de l'Exploratorium de San Francisco et aujourd'hui de l'Exploradôme de Vitry-sur-Seine, ou encore, pour éviter que la réflexion soit trop parisianiste, de gens comme Laurent Chicoineau, directeur de La Casemate à Grenoble. Ma mission est de rendre la science accessible et populaire, de lui redonner son prestige – même s'il est reconnu comme important, le métier de chercheur est en manque de prestige et de sens – et de transmettre aux jeunes générations le désir de faire de la science. C'est à partir de cela qu'est construit notre projet.

J'insiste dans ce projet sur la nécessité de décloisonner les savoirs, entre les sciences les arts et la culture comme je l'ai déjà dit, mais aussi au sein des filières scientifiques elles-mêmes. Je demande par exemple au Palais de la découverte de mieux exprimer l'interdisciplinarité, la complexité, l'incertitude intrinsèques de la science – toutes choses qui ne sont pas évoquées à l'école –, car nous appartenons au champ de l'éducation informelle. Nous sommes d'ailleurs en train de rédiger une convention avec le ministre de l'Éducation nationale, qui vise à nous permettre d'accompagner l'éducation formelle, en servant par exemple de plateforme d'expérimentation pour certains procédés qui, une fois agréés, pourraient devenir des innovations pédagogiques. C'est un des rôles que nous avons à jouer.

J'insiste également beaucoup sur la créativité. L'Année européenne de la créativité et de l'innovation touche à sa fin, et François Taddei vient de remettre un rapport magistral à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la créativité dans l'éducation. Il faut trouver le moyen de faire émerger le potentiel de créativité de chaque génération, de donner à chacun la possibilité de faire avancer l'innovation, entendue dans un sens très large. De multiples formules ont déjà été essayées en région, comme les laboratoires de créativité ou MINATEC à Grenoble. C'est extraordinaire : en expliquant à des jeunes de quinze ans des technologies de pointe et en leur demandant ce qu'ils en feraient, ils mettent au point en deux jours l'équivalent de projets de veille technologique ultraconfidentiels chez Renault ! Il y a un potentiel extraordinaire à exploiter et cela fait aussi partie de ma mission.

Cela passe par un processus de co-création. Comme le dit Jorge Wagensberg, un musée de sciences est un endroit où l'on entre avec plein de questions et duquel on doit ressortir avec encore plus de questions, mais mieux posées. Le musée n'est pas destiné à apporter les réponses, mais à accompagner le dialogue. Pour cela, il faut mettre l'interaction et les nouvelles technologies au service de la muséologie mais aussi insister sur la co-création : le public doit pouvoir modifier la forme de présentation de la science.

Je propose en particulier la mise en place d'un think tank, décentralisé en régions, où des jeunes de quinze à vingt ans se sentiraient parfaitement légitimes pour parler des défis de la science. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit plus des OGM ou des nanotechnologies : les jeunes sont déjà passés à d'autres types de débats, comme l'intelligence ambiante – on ne sait plus trop, avec les puces RFID (identification par radio fréquence), quelles informations sont collectées et par qui – le rapport entre la société connectée et la liberté individuelle, la préservation de la mémoire individuelle et collective, l'humanité et la post-humanité - autrement dit l'homme réparé et l'homme augmenté : ce n'est plus de la science-fiction, cela existe… Mais les jeunes ont aussi beaucoup à nous apporter sur ce qu'est un métier au XXIème siècle ou ce qu'est la « net génération ». On se plaint qu'ils n'ont pas de culture, qu'ils ne vont pas au théâtre et qu'ils ne peuvent pas se concentrer cinq minutes : mais ils sont capables de faire trois choses en même temps : envoyer un SMS, écouter de la musique et chercher des réponses pour leur exposé de géographie sur Google ! Ils sont capables de se concentrer des heures sur des jeux de stratégie, ce qui développe des processus de grande valeur. Ils ont une intelligence collaborative, connectée, qui correspond au monde actuel - parce que nous ne sommes plus dans une société d'information, mais de collaboration. Les jeunes sont nés connectés, alors que nous avons du mal à suivre. Et outre tout cela, ils ont aussi beaucoup à nous apporter en matière de valeurs d'engagement et de solidarité. Ce think tank me paraît donc très important.

Tout cela est une véritable mission politique. Nous n'avons pas le droit de ne pas nous intéresser à la sensibilisation à la science et à la technologie. Où y travailler ? Nous avons pour l'instant deux sites. Des rumeurs ont circulé, et le communiqué de presse de l'Elysée affirmant que le nouveau site se situerait à la Cité des sciences et de l'industrie du parc de la Villette, avec une présence au Grand Palais, a mis la communauté scientifique à feu et à sang – j'ai reçu sept cents mails dans la journée, auxquels j'ai répondu un par un. Or l'article 4 du décret mentionne les deux sites à égalité, et je m'engage à les préserver tous les deux – physiquement, intellectuellement, avec le capital humain et la spécificité de chacun. Par ailleurs, je vous rappelle que le siège du nouvel établissement se situe avenue Franklin Roosevelt. Mais il est bien clair qu'il ne s'agit pas de seulement juxtaposer les deux établissements ; il faut aller plus loin pour accomplir le projet que nous nous sommes fixé.

Ces deux sites ont besoin d'être rénovés. Par exemple, et malgré les travaux de sécurité qui ont déjà été effectués, le Palais de la découverte n'est actuellement ouvert que parce que le directeur général en prend la responsabilité. À partir du 1er janvier 2010, c'est moi qui aurai cette charge – si une conduite d'eau éclate, c'est moi qui serai responsable. Il faut donc rénover ce superbe bâtiment – j'ai déjeuné hier avec l'architecte en chef des monuments historiques, M. Perrot – pour assurer la sécurité et l'accessibilité nécessaires, parce qu'il est très compliqué de s'y rendre aujourd'hui en fauteuil roulant. Quant à la Cité des sciences, il faut en améliorer les abords : depuis le métro, l'accès est tout juste acceptable et si par malheur vous avez garé votre voiture de l'autre côté du parc et qu'il fait nuit, vous avez toutes les chances de vous perdre ! Il y a d'énormes efforts à faire, notamment en signalétique, pour rendre le grand ensemble de la Villette plus accessible et agréable.

Le magnifique bâtiment de la Cité des sciences et de l'industrie est composé de quatre travées : trois en activité et une quatrième dont, depuis la création de l'établissement, en 1986, on n'a pas su utiliser le potentiel. La réflexion a été entamée il y a longtemps pour lui redonner de la vie, par une concession privée ou un partenariat public privé par exemple. Aujourd'hui, un opérateur privé propose d'en faire un lieu dédié au numérique, avec des cinémas et des boutiques high-tech haut de gamme. Cela permettrait sans doute d'amener un nouveau public et de redonner de la vie à ce quartier, qui devient zone morte dès 19 heures, lorsque la Cité ferme. Un deuxième facteur serait, à terme, de franchir le périphérique pour travailler avec le campus Condorcet et tous ses laboratoires de sciences humaines, économiques et sociales ; j'en ai parlé avec Mme Pécresse. La réflexion sur la science et la société, sur la science et la culture doit être ancrée dans le monde réel. Nous pourrons ainsi travailler avec des universitaires, des organismes de recherche, des jeunes de quartiers parfois difficiles, des entreprises qui font montre d'innovation mais aussi de solidarité… Il existe des mécanismes de tutorat par lesquels des jeunes de grandes écoles accompagnent des jeunes en difficulté ou qui ne peuvent pas travailler à la maison. Passez à la bibliothèque des sciences et de l'industrie et vous verrez ces jeunes en train de bachoter, accompagnés par des polytechniciens et des centraliens ! Ce sont de très belles actions de « vivre ensemble ».

Le ministère de la culture nous encore confié deux missions complémentaires : une mission de « vivre ensemble », pour donner à cette zone de la vie et de l'envie, autour des sciences et technologies, et une mission « culture et handicap » qui fait de nous le pilote des actions des institutions culturelles de la région parisienne. Nous sommes en effet les seuls à avoir obtenu la labellisation sur les quatre handicaps : déficit mental, malvoyants, malentendants et mobilité réduite. C'est important mais en ce domaine, rien n'est jamais gagné !

J'en viens aux moyens – et c'est un domaine dans lequel vous pourriez m'aider. Les conventions avec les ministères de l'éducation nationale et du développement durable, ou avec la politique de la ville, je m'en occupe – vous pouvez intervenir, ce n'en sera que plus efficace. Mais, sachant que mon budget institutionnel n'est pas extensible, il me faut aussi développer des ressources propres et des partenariats : des engagements financiers avec des entreprises pour créer ensemble des expositions ou rénover les musées – nous travaillons par exemple avec Arkema, Total ou L'Oréal sur la chimie ou les nouveaux matériaux… Il faut aussi développer le mécénat de compétences et l'accompagnement du capital humain, c'est-à-dire pouvoir accueillir des ingénieurs ou des doctorants et leur offrir une qualification dans leur parcours d'étudiant par des unités de valeurs, ou professionnel grâce à la validation des acquis. Je sais bien que je me trouve dans un cadre contraint, en termes de budget comme d'effectifs – c'est ce qui motive la mobilisation des gens de la culture contre la RGPP – mais j'aimerais trouver par d'autres voies la possibilité d'injecter des nouveaux moyens dans ces établissements, ce qui nous donnera aussi plus de légitimité et de visibilité au niveau européen.

La Cité des sciences a remporté plusieurs des appels d'offres qui ont été lancés dans le domaine du numérique. Dans le cadre de « Proxima mobile » par exemple, nous sommes lauréats de CultureClic, un réseau qui donne accès sur son mobile à de multiples informations sur l'environnement culturel. Pour l'instant, cela reste un peu parisien, mais cela va s'étendre. Nous y travaillons avec la Réunion des musées nationaux, la Bibliothèque nationale de France et le Muséum d'histoire naturelle, et le Louvre souhaite nous rejoindre. Nous sommes également lauréats pour « City Jobs », en matière d'orientation professionnelle. Nous avons aussi remporté un appel sur les « jeux sérieux », les serious games qui ont commencé par la défense et l'humanitaire, continué dans le monde de l'entreprise et se diffusent aujourd'hui dans le monde de l'éducation. Il s'agit du jeu Today tomorrow, qui constitue une approche très intéressante en matière d'éducation au développement durable. À ce propos, le plan présenté par le président Obama fait des jeux sérieux un élément important de la sensibilisation à la science.

Vous avez compris qu'à mon sens, il faut renforcer la médiation humaine, assurer une muséologie de qualité, veiller à l'expérimentation directe : on manipule, on tripatouille – le personnel n'a même proposé de transformer la direction de la médiation en direction du tripatouillage ! C'est donc un projet global et ambitieux que je porte, et vous pouvez m'aider à le faire passer à la réalité. Car pour cela, il faut l'adhésion du personnel – nous y arriverons : nous avons commencé il y a cinq mois seulement ! – et des moyens.

À ce propos, je plaide pour une ligne consacrée, dans la maquette budgétaire, à la diffusion de la science et au rayonnement scientifique. Aujourd'hui, les crédits sont disséminés entre Palais de la découverte et Cité des sciences – donc entre budgets de la culture et de la recherche – centres de culture scientifique, fête de la science… Les réunir en une même ligne aurait du sens. Cela vous permettrait aussi de disposer d'indicateurs de performance spécifiques, sans compter qu'il serait plus facile de défendre ce projet politique si vous pouviez exercer votre droit de regard sur cette ligne. J'y travaille. Il faudra y parvenir au cours du premier trimestre 2010.

Et bien sûr, je suis allée voir MM. Rocard et Juppé dans le cadre de la préparation de leur rapport sur le grand emprunt. Étant donné mon parcours, je ne peux être que favorable à l'investissement dans l'économie de la connaissance et la société des savoirs : les dépenses d'avenir sont là. Mais avoir de beaux campus, de grands chercheurs, des entreprises innovantes et des politiques industrielles dynamiques ne portera pas tous ses fruits si nous n'avons pas bâti un socle d'éducation, de formation, de sensibilisation des jeunes, si nous n'avons pas établi une relation de confiance avec la société. Faute d'avoir assuré l'acceptabilité de la science, à propos des OGM et des nanotechnologies par exemple, tout le système sera bloqué – l'économie de la connaissance n'aura aucune dynamique. M. Rocard, auteur d'un rapport pour la Commission européenne sur l'enseignement des sciences, et M. Juppé, dont on connaît les engagements, ont été vite convaincus et j'ai eu le bonheur de voir que leur rapport définitif proposait de consacrer 150 millions au développement du nouvel établissement, 75 millions au rayonnement territorial des actions de culture scientifique comme celles de Goéry Delacôte et 25 millions aux initiatives telles que « La Main à la pâte » de l'Académie des sciences.

Malheureusement, dans la présentation par le Président de la République des priorités du grand emprunt, tout cela avait disparu. Il n'y a plus rien. J'estime que c'est une erreur. Je monte donc à nouveau au créneau, afin que le projet de loi de finances rectificative (PLFR) soit modifié avant la fin du mois de janvier. Je vous en parle aujourd'hui, j'irai voir le Premier ministre vendredi – je rencontrerai le Président de la République en janvier, mais ce sera trop tard pour le PLFR. Certes, l'action prévue en matière de recherche sera très utile : je connais bien le monde industriel pour être administrateur de grosses sociétés, je côtoie Areva, Schlumberger, Sanofi-Aventis, EADS… J'ai passé dix ans dans le milieu de la politique industrielle du spatial, je suis administrateur de France Télécom : je connais les enjeux ! Mais je considère comme une erreur de ne pas donner la petite impulsion qui est nécessaire. Si cette erreur n'est pas corrigée dans le PLFR, c'est vous qui aurez en main le devenir de la culture scientifique et technique sur le territoire.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Nous vous avons bien entendue, comme nous avons entendu votre exposé sur le projet passionnant qui vous anime. Nous en venons aux questions des députés.

PermalienPhoto de Frédéric Reiss

Nous vous avons écoutée avec le plus grand intérêt, Madame. Votre mission est exaltante et vous la remplissez avec enthousiasme. J'ai beaucoup travaillé à la vulgarisation des sciences, et je préfère le Palais de la découverte à beaucoup d'autres établissements parce que de nombreux professeurs et animateurs sont là pour aider le public à toucher réellement à la matière. Même si notre monde a désormais une dimension virtuelle, maintenir cette présence physique me semble de la plus grande importance. J'avais fait partie, il y a quelque temps, d'une mission d'information visant un meilleur enseignement des sciences en France. Nous étions allés voir comment les choses se passent en Finlande, en Suède, au Canada, et nous avions aussi eu à connaître de l'expérience des Scientifines qui permet à des jeunes filles des banlieues en grande difficulté scolaire de reprendre goût à l'école grâce aux sciences. Il faut s'en inspirer.

Vous avez parlé de transmettre la passion des sciences et de susciter des vocations chez les jeunes. Avez-vous une idée sur le rééquilibrage des filières proposé par le ministre de l'Éducation nationale afin d'avoir davantage de vrais scientifiques à la sortie de la terminale ? Je suis aussi d'accord avec votre volonté de décloisonnement pour faire une grande place au développement durable. Comment peut-on susciter des vocations ? Quelle est la place du planétarium dans les différentes structures actuelles ? Comment assurer le rayonnement de votre action sur l'ensemble du territoire, atteindre une grande majorité de gens et d'écoles ? Une action remarquable a été menée en Alsace, en collaboration entre la Cité des sciences et Le Vaisseau, à Strasbourg. Pourrez-vous mailler le territoire ? Enfin, je regrette la disparition de ces 250 millions d'euros et je vous épaulerai dans la bataille des moyens.

PermalienPhoto de Patrick Bloche

L'enthousiasme et la passion dont vous faites montre sont communicatifs, mais je suis au regret de devoir revenir sur les raisons qui ont conduit à la fusion entre la Cité des sciences et de l'industrie et le Palais de la découverte. Avec une honnêteté incontestable, vous avez évoqué la RGPP. Voilà qui, bien au-delà des inquiétudes du personnel que vous aurez à gérer quotidiennement, fait peser une ombre sur l'accès de tous à la culture scientifique, et surtout de ceux qui en sont le plus éloignés. Pourquoi – mais je sais que vous n'en êtes en rien responsable – ne pas avoir maintenu deux musées, avec leur identité propre et leur singularité ? Un grand pays scientifique comme le nôtre aurait-il trop avec les deux ? Le Palais de la découverte, que nous connaissons pour certains depuis la petite enfance, est une référence depuis soixante-dix ans alors que la Cité des sciences n'existe que depuis une grosse vingtaine d'années. C'est un établissement à échelle humaine dont l'acquis culturel, l'identité, l'histoire devraient être préservés. La fusion va le noyer dans la Cité des sciences, beaucoup plus importante – elle emploie mille personnes. Il n'aura plus d'autonomie, plus de directeur indépendant ni de budget propre, il n'aura plus son statut universitaire puisqu'il devient un EPIC…

Vous avez évoqué les problèmes budgétaires que vous rencontrez. J'espère que les députés de la majorité, qui votent le budget, se sentent concernés. En effet, la logique de la RGPP étant de faire des économies, on peut craindre que la fusion ait pour seul objectif que le nouvel établissement coûte moins cher que la Cité des sciences et le Palais de la découverte cumulés. Où iront ces économies ?

Par ailleurs, le développement de vos ressources propres soulève la question de la qualité de la culture scientifique, qui n'a de valeur que s'il ne peut y avoir aucun doute sur son indépendance. Que des grandes entreprises fassent du mécénat au Louvre pour améliorer leur image ne peut guère influer sur le catalogue des expositions. Mais la culture scientifique peut représenter un enjeu pour certaines grandes entreprises : comment préserver son intégrité et son indépendance ?

Vous avez regretté qu'il ait été dit que le nouvel établissement public était situé à la Villette, avec seulement une « présence » au Grand Palais – vous n'êtes vraiment pas aidée… Enfin, étant le représentant du maire de Paris au conseil d'administration du Grand Palais, je me demande comment votre travail s'articule avec la mission que le Président de la République a confiée à Jean-Paul Cluzel, président du Grand Palais et de la Réunion des musées nationaux, sur la valorisation du Grand Palais. La politique semble partir dans tous les sens, on en cherche la cohérence. Comment allez-vous travailler avec M. Cluzel ?

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Vous avez, Madame, une très belle mission, dont vous nous avez parlé avec compétence et enthousiasme. Nous ne pouvons qu'adhérer aux objectifs que vous avez définis : faire du nouvel ensemble un pôle de référence scientifique, susciter de nouvelles vocations, élargir l'accès à la science à un plus vaste public. Nous approuvons ce projet d'autant plus vivement que la culture scientifique et technique n'a pas en France la place qu'elle devrait avoir, notamment dans les médias. Cependant, ce projet n'emporte pas à ce jour la complète adhésion des personnels. Comment comptez-vous dissiper leurs légitimes inquiétudes ? Votre intention, avez-vous dit, n'est pas de juxtaposer les deux maisons ; comment procéderez-vous pour engager une programmation dynamique ? Enfin, la Réunion des musées nationaux, qui dispose de locaux communs avec le Palais de la découverte et le Grand Palais, souhaite disposer d'espaces supplémentaires pour ses expositions. Pour notre part, nous souhaitons que le Palais de la découverte conserve ses locaux ; quel est l'avancement de vos discussions avec M. Jean-Paul Cluzel sur ce point ? Un « scoop » à ce sujet dissiperait bien des inquiétudes du personnel et du public.

PermalienPhoto de Colette Langlade

Le décret du 3 décembre 2009 a donc mis fin à l'existence du Palais de la découverte…

PermalienClaudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte

…et de la Cité des sciences et de l'industrie…

PermalienPhoto de Colette Langlade

…où le public se pressait. J'ai apprécié, Madame, la clarté de votre exposé, j'ai retenu votre volonté de faire du nouvel ensemble un pôle de référence scientifique en dépit des contraintes induites par la RGPP et je vous ai entendue faire état d'une coopération avec le ministère de l'Éducation nationale. Mais pouvez-vous préciser ce qu'il adviendra de l'identité propre du Palais de la découverte ? Dilué dans une administration de 2 000 personnes, ne risque-t-il pas de perdre ce qui fait sa caractéristique – être un musée de taille humaine où l'information est à disposition aisément ?

PermalienPhoto de Alain Marc

Nous savons tous la nécessité de renforcer la culture scientifique en France et, pour commencer, de sensibiliser les jeunes à cette culture. Les deux sites de l'établissement ne devraient-ils pas, à cette fin, constituer les têtes de pont d'établissements régionaux ? Ne devraient-ils pas, aussi, mettre au point des outils pédagogiques conçus sur le mode ludique cher à M. Charpak et utilisables dans toutes les écoles de France ? Par ailleurs, ne serait-il pas souhaitable que le nouvel établissement contribue, en liaison avec le ministère de l'Éducation nationale, à la révision de la formation des futurs professeurs des écoles dont la très grande majorité n'a ni formation scientifique ni inclination pour les sciences ?

PermalienPhoto de Patrick Roy

La France se doit d'avoir plusieurs établissements culturels et scientifiques qui contribuent à son renom. Je suis donc très favorable au maintien du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l'industrie à Paris. Mais comment, à partir de ces deux établissements, faire rayonner la science – qui n'intéresse que modérément la plupart de nos concitoyens – en régions, et j'entends par là partout en région et non dans les seules grandes métropoles ? Comment vos propositions seront-elles déclinées au sein de l'Éducation nationale et comment vos projets pourront-ils être appliqués alors que le Gouvernement est loin de faire tout ce qu'il faudrait en matière de formation des enseignants, ce qui conduit à des disparités difficilement tolérables ?

PermalienPhoto de Bernard Debré

Il reviendra à l'établissement dont vous avez la charge de colliger l'existant, mais aussi d'expliquer les nouveautés scientifiques. Cela pose le problème de la diffusion de l'information – laquelle, comme on le sait, n'est jamais neutre – et donc celui de l'éthique. Quelles relations envisagez-vous avec le Conseil national d'éthique, sachant que vous aurez par exemple à diffuser l'état des connaissances sur le clonage thérapeutique ? Il faudra bien discuter de ces questions, mais avec qui ? En cette matière, le politique n'est pas absent, qui a longuement débattu des OGM. Si vous vous limitez à informer sans expliquer, vous aurez failli à votre mission ; il est fondamental de lier science, éthique et politique.

J'ai entendu des voix réclamer la diffusion de la culture scientifique dans les régions, les départements et les villes. Mais à présent, les structures physiques importent moins que la communication de l'information. À l'heure de l'Internet, point n'est besoin d'un bâtiment en dur pour diffuser le savoir ; tout dépendra donc de ce que décideront à ce sujet les maires, les conseils généraux et les conseils régionaux. Il serait absurde de multiplier les bâtiments en tous lieux, avec ce que cela suppose de personnel, alors que l'État doit respecter les orientations définies dans la RGPP ; de petites structures municipales devraient suffire.

Les contraintes budgétaires étant celles que l'on sait, que pensez-vous, Madame, des contributions privées ? On voit, aux États-Unis, l'apport inestimable du mécénat. Il y a là une source considérable de levée de fonds, et si la contrepartie est de la publicité pour les entreprises donatrices, pourquoi pas, à condition qu'elle prenne une forme raisonnable ? Nous avons trop tendance, en France, à nous tourner vers l'État. Je regrette la suppression des 250 millions d'euros sur lesquels vous comptiez mais des ressources beaucoup plus considérables vous seront certainement nécessaires, que des mécènes pourraient vous fournir si votre force de conviction est suffisante.

PermalienPhoto de Sophie Delong

Les innovations et les phénomènes complexes suscitent des peurs dans la société contemporaine ; on l'a vu pour ce qui concerne les OGM, on le voit maintenant pour les ondes électromagnétiques alors qu'aucune étude n'a étayé les craintes qui s'expriment, on le voit encore pour le vaccin contre la grippe H1N1. Comment faire pour éclairer les zones d'ombre ? Les réalisations du nouvel établissement seront-elles de nature à rassurer nos concitoyens ?

PermalienPhoto de Marc Bernier

Comme mes collègues, j'ai beaucoup apprécié, Madame, votre exposé liminaire. Comme vous, je regrette que les 250 millions d'euros mentionnés n'aient pas été retenus au nombre des priorités du grand emprunt ; nous ferons ce qui est en notre pouvoir pour vous aider à renforcer la culture scientifique en France. On ne peut plus se satisfaire de l'opposition entre littéraires et scientifiques, trop courante dans notre pays ; il est nécessaire de donner à nos jeunes la culture scientifique qui leur permettra de comprendre les enjeux du temps. J'observe que l'Internet est aussi le lieu de la désinformation, car de nombreuses données sont diffusées sans que leur véracité ait été contrôlée. On l'a vu pour les OGM, on le voit maintenant pour les éoliennes.

Sur un autre plan, j'ai été surpris de lire dans le rapport de MM. Juppé et Rocard que moins de 30 % des diplômés en sciences et en mathématiques sont des femmes. Il me semble pourtant que, s'agissant des médecins et des vétérinaires, les promotions comptent jusqu'à 75 % de femmes. Qu'en est-il exactement de l'intérêt des jeunes femmes pour les sciences ? Dans un domaine connexe, force est de constater que les internats d'excellence, outre qu'ils sont assez mal répartis sur le territoire, sont pour très peu d'entre eux réservés aux jeunes filles.

Pour avoir été rapporteur pour avis du budget de la culture pour le patrimoine cette année, je tiens à rappeler que la mise en oeuvre de la loi sur le handicap de 2005 dans les établissements publics du ministère a suscité de nombreuses interrogations. Le bilan de l'application de la loi est prévu en 2015 et nous ne sommes donc qu'à mi-parcours, mais il n'empêche : tous les principes d'accessibilité devront être respectés, pour tous les porteurs de handicaps, quels que soient les handicaps. Cela doit impérativement valoir dans la rénovation qui s'engage au Palais de la découverte.

PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Ce qui concerne le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l'industrie a un aspect spécifiquement parisien en ce que les enfants et les adolescents de la région parisienne peuvent se rendre plusieurs fois par an dans ces établissements alors que les enfants habitant en régions peuvent, au mieux, y faire une visite par an. Vous voulez, Madame, faire du nouvel établissement une maison des chercheurs, et susciter des vocations scientifiques. Soit, mais votre projet est-il soutenu par la communauté scientifique et universitaire dans son entier ? Vous avez parlé d'un « socle commun » et vous nous avez dit entretenir des relations suivies avec le ministre de l'Éducation nationale, mais qu'en est-il précisément ? Sur un autre plan, ne serait-il pas de bonne politique de définir des projets conjoints avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour revivifier les quartiers en difficulté ? D'une manière générale, comment élargir l'accès des collégiens et des lycéens au nouvel établissement ? Enfin, je comprends le regret que vous avez exprimé à propos des 250 millions d'euros que vous espériez voir orientés vers le renforcement de la culture scientifique mais j'observe que, dans le cadre du grand emprunt, la recherche a été plutôt bien lotie. Peut-être faudra-t-il revenir à la charge auprès du principal intéressé…

PermalienPhoto de Marianne Dubois

Pour revenir sur l'accès à la science des jeunes provinciaux, ne peut-on envisager de multiplier les émissions du type de C'est pas sorcier ? Cette série ludique et très pédagogique diffusée sur France 3 donne envie de creuser les sujets abordés.

PermalienPhoto de Patrice Debray

Comme, je suppose, bon nombre de mes collègues, je reçois à ma permanence des étudiants qui souhaitent faire une thèse de doctorat mais qui ne savent pas comment la financer. Très peu obtiennent une bourse de l'État ; les autres pourraient théoriquement bénéficier d'un mécénat privé mais ils éprouvent le plus grand mal à trouver des entreprises qui y sont disposées. Ne pourriez-vous concevoir, Madame, d'organiser une fois par an dans le nouvel établissement des rencontres entre aspirants doctorants et mécènes potentiels ? Actuellement, de nombreux étudiants renoncent à entreprendre une thèse faute de moyens. C'est une grande perte.

PermalienPhoto de Françoise Imbert

Le projet scientifique et culturel que vous nous avez décrit emporte l'adhésion, mais comment le personnel des deux établissements a-t-il été associé à la transformation à laquelle il se trouve soumis ? Son statut va-t-il évoluer ? Se dirige-t-on vers une réduction des emplois ?

PermalienClaudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte

Vous m'avez interrogée, monsieur Reiss, sur le rayonnement scientifique dans les régions. Vous le savez, de très nombreuses initiatives sont prises à ce sujet par les municipalités, les conseils généraux et les conseils régionaux, en partenariat avec l'Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle et avec d'autres associations, telles Planète Sciences. Pour ma part, je proposerai la tenue, en 2010, d'un forum territorial de la culture scientifique car je souhaite que chacun puisse s'exprimer afin qu'un consensus se forme sur des objectifs communs.

Certes, l'Internet permet la diffusion des informations, mais il faut aussi des lieux dans lesquels on peut toucher et expérimenter, avec quelqu'un en face de soi, capable d'expliquer ce que l'on n'a pas compris. Mais l'on n'a pas besoin pour cela de construire des palaces…

PermalienPhoto de Michel Herbillon

Nous n'en avons d'ailleurs pas les moyens !

PermalienClaudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte

Je suis ouverte à toutes les suggestions relatives aux missions qui peuvent être les nôtres et aux moyens de les remplir ensemble. M. Reiss a mentionné les initiatives prises en Finlande et ailleurs. Constituer un pôle de référence scientifique nous permettra de renforcer les échanges de bonnes pratiques avec nos homologues des pays étrangers.

Parler de l'Internet me permet de répondre à M. Bernard Debré et à Mme Françoise Imbert, à Mme Marianne Dubois, en signalant le lancement de notre nouveau portail « ressources » consacré à la culture scientifique. Je vous indique aussi que des Assises auront lieu le 18 décembre, au cours desquelles je révélerai le nom choisi pour le nouvel établissement, qui sera également le nom de ce nouveau site. D'autre part, le 1er janvier prochain, nous lancerons e-science.TV, la première chaîne de télévision scientifique en ligne. Elle diffusera des vidéos scientifiques à la demande, présentera de manière interactive les travaux des chercheurs et les dernières découvertes mais aussi une rubrique de micro-fiction intitulée Oups ça dérape ! pour montrer aux plus jeunes que la science peut aussi être envisagée sous un aspect accrocheur. Pourquoi ne pas imaginer qu'à terme cette web-tv devienne le canal scientifique de référence en France ? C'est une de mes ambitions.

Une autre façon de diffuser la science est de créer une université numérique citoyenne, apte à former des citoyens éclairés. Partout en France existent des universités de tous les savoirs ; pourquoi ne pas indexer leurs contenus et viser ainsi non plus les seuls étudiants mais l'ensemble des citoyens ? Nous y travaillons.

Comment, m'avez-vous demandé, allons-nous faire nos choix ? Le conseil scientifique qui va être installé fera des suggestions de programmation, définira des interdits - présenter l'exposition Our Body, par exemple – et appellera l'attention le cas échéant sur les dérives potentielles que peut provoquer le fait d'avoir des industriels associés à nos réflexions. Je suis très attentive à cette question et, à ce jour, je n'ai pas constaté de dérives de ce type. Je vous invite, monsieur Bernard Debré, à nous suggérer, si vous le souhaitez, le nom d'une personnalité qualifiée dont vous estimez qu'elle pourrait siéger au conseil scientifique. J'ai demandé que le décret portant création du nouvel établissement prévoie que le conseil scientifique fasse rapport sur ses travaux au conseil d'administration au moins une fois par an.

Nous avons déjà des mécènes, au nombre desquels L'Oréal, Saint-Gobain et Arkema. Quatre millions d'euros avaient été levés auprès d'industriels, pour la rénovation du Palais de la découverte, avant que j'y sois. Je n'ai rien d'un ayatollah de la science pure : je considère que la science irrigue la société et que l'on peut faire des choses formidables à ce sujet avec le soutien des entreprises. On peut aussi compter sur la philanthropie, mais dans une moindre mesure… Il nous appartient aussi de traiter des risques et du principe de précaution et les compagnies d'assurances sont très intéressées par ce débat. Je rencontre leurs représentants au conseil d'orientation de l'Institut Diderot, où notre réflexion porte sur les conséquences des progrès de la science. Tout cela est au coeur du projet du nouvel établissement.

S'agissant de la formation des enseignants, une convention est en cours d'élaboration avec le ministère de l'Éducation nationale. Le projet de texte prévoit que nous puissions accompagner la formation des futurs professeurs dans les domaines du développement durable et des technologies numériques par exemple. Bien entendu, l'efficacité de l'enseignement des sciences dépend aussi de la maîtrise du sujet par les futurs professeurs. M. le député Jean-Michel Fourgous travaille à un rapport sur les technologies de l'information et de la communication dans l'enseignement ; il a certainement pris connaissance des études américaines qui mettent l'accent sur le fait que tout dépend de la confiance qu'ont les enseignants dans leurs propres compétences.

Pour avoir assisté à une rencontre de ce type à Boston, je sais d'expérience, monsieur Debray, tout l'intérêt des forums rassemblant industriels et chercheurs. Je pense qu'il en existe déjà en France, mais nous verrons si nous pourrons y contribuer. Déjà, nous élaborons un lien renforcé avec l'Agence nationale de la recherche qui sait toute l'importance de la divulgation des recherches. Je sais que Mme Pécresse est sensible à ces questions, mais pour l'instant ses priorités sont ailleurs. Pour avoir occupé un temps les fonctions qui sont les siennes maintenant, je puis vous dire que la décision de regrouper la Cité des sciences et de l'industrie et le Palais de la découverte a été prise bien avant décembre 2007 et la RGPP. En 2004 déjà, M. Aillagon et moi-même avions proposé la création d'un pôle de référence national et envisagé ce regroupement et cette synergie.

Monsieur Bloche, je travaille régulièrement d'une part avec M. Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l'innovation, de la recherche et des universités, d'autre part avec M. David Kessler, conseiller de M. Delanoë chargé de la culture, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Ainsi que je vous l'ai dit, je ne souhaite pas une simple juxtaposition des deux sites. J'ai demandé à remplir cette mission parce que je pense que l'on peut faire beaucoup plus et de manière beaucoup plus ambitieuse que ce que faisaient merveilleusement mais l'un à côté de l'autre les deux institutions, et ainsi toucher un public plus large. Je le répète, le décret du 3 décembre 2009 ne fait disparaître ni les sites ni les spécificités mais les structures administratives. La loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique préserve le statut des fonctionnaires du Palais de la découverte. Certes, le nouvel établissement étant un EPIC, les personnels devront signer un nouveau contrat, mais cela ne présente aucune difficulté particulière. Je me suis engagée à ce qu'il n'y ait pas de mobilité imposée d'un site à l'autre et, pendant les six premiers mois au moins, on ne changera rien. De plus, comme chacun le sait, rien ne se fera sans information et consultation du comité d'entreprise. Pour l'instant, nous sommes dans une mission de préfiguration et pendant six mois, je le répète, je ne changerai rien sauf pour trois directions dont il est essentiel qu'elles soient immédiatement en ordre de marche : la direction des ressources humaines, la direction financière et juridique et celle des systèmes informatiques. Pour le reste, nous prendrons notre temps.

De septembre 2007 à mars 2009, le personnel n'a pas été associé à l'évolution envisagée, ou trop peu, et il y a eu un manque de transparence. Il en est résulté que je suis arrivée au beau milieu d'une grève, alors que des panneaux étaient apposés partout et avec des refus de siéger au comité d'entreprise. J'ai donc créé un blog cet été, organisé des réunions de direction et de départements et décidé la tenue d'Assises le 18 décembre. La coordination du personnel a décidé une grève ce jour-là, mais les Assises se tiendront. De plus, je prévois de réunir le personnel pendant deux journées complètes au premier semestre 2010 pour l'impliquer dans le projet scientifique et culturel qui est aujourd'hui disponible sur l'Intranet. Je fais donc le maximum car je suis de bonne volonté et, même si d'aucuns disent le contraire, favorable à l'innovation sociale.

Le Palais de la découverte a ses spécificités que nous tenterons de préserver au maximum. Mon intention n'est pas de lui imposer une chape de plomb. J'éprouve un immense respect pour ce qui y est fait et pour ses personnels ; il n'est question ni de fusion-absorption ni de dénigrement mais d'un projet ambitieux, d'écoute et de collaboration. J'espère vaincre ces résistances et ces inquiétudes, qu'au demeurant je comprends. Je ne peux, à ce jour, apporter toutes les réponses qui me sont demandées, mais je veux être loyale. C'est pourquoi je ne peux accepter de signer un document par lequel je m'engagerais à ce que rien ne change. Cela ne peut se concevoir, puisque ma mission est de favoriser une synergie. Pour vous donner un exemple, nous voulons réaliser une exposition sur « Océan et climat » à la Cité des sciences. Le conseil scientifique considère qu'il convient à ce sujet d'expliquer la théorie des systèmes complexes ; cela pourrait être fait au Palais de la découverte, et il y a là la possibilité évidente d'une synergie. Plus largement, nous n'aurions pas entrepris de faire du nouvel établissement un pôle scientifique de référence en maintenant séparés les deux établissements préexistants. Il ne s'agit pas d'uniformiser les cultures, je m'en porte garante ; cela n'aurait aucun intérêt. Il y a, au Palais de la découverte, des gens merveilleux, et je m'entourerai des meilleures équipes des deux anciens établissements.

J'ai obtenu pour 2010 un budget qui représente l'association des budgets des deux sites. Avec 147 millions d'euros, le nouvel établissement est plutôt mieux doté que d'autres. Il n'y a donc pas de restrictions de crédits, et j'ai aussi obtenu, pour l'université interne que je souhaite créer car nous savons déjà que certains métiers évolueront, le maintien de crédits de formation importants. Ainsi, si un logiciel de billetterie plus performant permet de réduire de cinq à trois les emplois nécessaires, il conviendra de former les salariés appelés à changer de poste.

Je chercherai à accroître les ressources propres de l'établissement, mais pas à n'importe quelle condition, et dans le respect de nos missions. Je serai vigilante afin qu'il n'y ait pas de dérives mais je suis favorable au mécénat d'entreprise dont je connais toute l'importance, comme je connais celle des associations, des organismes de recherche et des collectivités territoriales.

2011 sera l'Année internationale de la chimie, et aussi celle du centenaire de l'attribution du Prix Nobel de chimie à Marie Curie. À cette occasion, je souhaite que l'on reprenne la pièce Les Palmes de M. Schutz inspirée de la vie de Pierre et Marie Curie. J'ai pris de premiers contacts à ce sujet avec Arkema, qui est très tenté de nous suivre.

S'agissant des locaux du Grand Palais, vous aurez compris que je suis intéressée par l'association entre arts et sciences, une idée que j'avais évoquée avec M. Yves Saint-Geours il y a un certain temps déjà. Le Grand Palais est un lieu d'exception qui peut accueillir des publics multiples. M. Jean-Paul Cluzel, qui a pour mission de regrouper l'EPIC du Grand Palais et la Réunion des musées nationaux travaille également dans ce sens. Je participe à deux des trois groupes de travail qu'il a créés, mais il vous parlerait mieux que moi de ses projets.

PermalienClaudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l'industrie, présidente du conseil d'administration du Palais de la découverte

Nous travaillons ensemble fréquemment et en confiance. Il sait quels sont mes préalables : que le Palais de la découverte demeure au Palais d'Antin, sans translation. Mais je suis ouverte à une rénovation architecturale qui pourrait, en particulier, faciliter l'accès des flux de visiteurs entrants. Le Palais de la découverte reçoit chaque année quelque 600 000 scolaires, dont beaucoup d'adolescents gentils mais parfois remuants. On comprend qu'il serait préférable de distinguer leur circuit d'accès de celui des visiteurs généralement plus âgés qui viennent voir, par exemple, l'exposition Renoir. M. Cluzel et moi discutons donc, et je discute aussi avec l'architecte des Monuments historiques, toute l'aile Sud étant en cours d'éco-rénovation, car il y a eu, en 2005, un échange salon d'honneur – aile Sud entre le Palais de la découverte et le Grand Palais. Nous sommes aussi d'accord sur la nécessité d'une unité architecturale. Nous sommes très proches et je participe à la rédaction du rapport que M. Cluzel doit remettre en mars 2010, mais je ne doute pas que vous serez, comme je le suis, vigilants lorsque le projet définitif vous sera soumis. Pour moi, un Grand Palais des arts et des sciences est une bonne chose à condition qu'il s'agisse vraiment de cela : un Grand Palais des arts, un Grand Palais des sciences, un Grand Palais des arts et des sciences. M. Cluzel l'a compris. Nous verrons comment nous organiser en bonne intelligence ; j'ai l'habitude de la bataille. Les mots « démantèlement », « éparpillement », « déstructuration » ont été prononcés ; je les récuse, car tel n'est pas mon propos.

La communauté scientifique est-elle derrière moi ? Celle avec laquelle je parle, à qui j'explique, l'est. Les scientifiques qui reçoivent des courriels leur expliquant à tort que le site du Grand Palais va disparaître le 1er janvier 2010 ne sont pas derrière moi parce qu'ils sont mal informés. L'Académie des sciences, l'Académie de médecine, l'Académie des technologies et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ont compris que le site du Grand Palais ne disparaît pas. Il est utile que des signaux d'alerte soient lancés, et les lettres qui ont été envoyées au Président de la République, aux ministres de la culture et de la recherche et à moi-même pour dire l'attachement au Palais de la découverte m'ont plutôt aidée, et m'ont fait plaisir. Mais la communauté scientifique qui connaît mon projet réel a, comme vous, envie que cela marche.

S'agissant enfin de la place des femmes dans les métiers scientifiques, il est exact qu'il existe toujours un plafond de verre. J'ai eu la chance de le franchir mais nombreuses sont celles qui n'y parviennent pas en dépit de leur talent. Lorsque j'étais étudiante en médecine, à la fin des années 1970, il y avait autant de jeunes femmes que de jeunes hommes sur les bancs de la faculté – mais, à présent, combien de professeurs de médecine sont des femmes ? Il y a beaucoup de femmes vétérinaires et magistrates, mais l'on en compte encore très peu dans le secteur des sciences dures, des technologies de l'information et de l'aéronautique. Il faut donc, en effet, conduire une action spécifique les concernant. J'ajouterai pour finir que le déséquilibre entre les sexes n'est pas le seul : il en est un, aussi, entre scientifiques et littéraires, la société française étant ainsi faite que l'on est vite catalogué « littéraire » ou « scientifique », et qu'ensuite les deux appartenances paraissent difficilement compatibles.

PermalienPhoto de Michèle Tabarot

Je vous remercie chaleureusement, Madame. Cette rencontre a été passionnante, et nous aurons l'occasion de nous revoir régulièrement.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.