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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Séance du 4 juin 2008 à 11h15

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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  • dollar
  • producteur
  • pétrole
  • total

La séance

Source

La commission des Finances, de l'économie générale et du Plan a entendu, conjointement avec la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, M. Christophe de Margerie, directeur général et président du comité exécutif de Total.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Nous sommes très heureux d'accueillir M. Christophe de Margerie, directeur général et président du comité exécutif du groupe Total, pour cette audition conjointe. L'emploi du temps de l'Assemblée et la surcharge de travail pesant sur les Commissions nous ont malheureusement conduits à repousser deux fois cette réunion importante.

Un grand nombre de questions se posent à propos des conditions générales dans lesquelles Total exerce ses activités, en France comme dans le monde. Quel est votre point de vue sur le prix du baril et, plus généralement, sur le coût de l'énergie ? Pourrez-vous nous parler de l'expérience intéressante de captation et de stockage du CO2 que vous menez à Lacq ? Au-delà des projets dans les Émirats Arabes avec Suez et Areva, quelle place le nucléaire est-il amené à tenir dans la stratégie de votre groupe ? Avez-vous des remarques à formuler à propos de la responsabilité environnementale et du Grenelle de l'environnement ? Que pensez-vous de la réforme des ports ? Quel est votre avis sur le troisième paquet énergie et la séparation patrimoniale ?

Peut-être devrions-nous vous auditionner plusieurs fois pour obtenir vos réponses sur tous ces sujets d'une actualité brûlante.

Le Président Didier Migaud : Nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation conjointe de nos deux Commissions, qui sont intéressées par les questions énergétiques et préoccupées par les conséquences de la situation actuelle sur le marché du pétrole.

Comment votre entreprise voit-elle les perspectives de la production pétrolière mondiale ? Comment réagissez-vous à l'épuisement de vos gisements les plus anciens ? Quels investissements d'exploration et de production pratiquez-vous ? Comment vous situez-vous par rapport aux autres « super-majors » ? Quel est l'état d'avancement de votre programme d'investissement de 3 milliards d'euros avant 2010 dans les capacités de raffinage, sur lequel vous vous étiez engagé en septembre 2005 ? Où en êtes-vous en matière de nouvelles technologies de l'énergie, domaine dans lequel vous aviez également pris des engagements ? Comment expliquez-vous la faible diffusion des biocarburants en France ?

PermalienChristophe de Margerie

Je m'efforcerai de restreindre la durée de mon intervention pour avoir le temps de répondre à vos questions.

Nous avions souhaité nous rencontrer plus tôt mais le sujet demeure plus que jamais au centre de l'actualité. La crise des prix de l'énergie doit permettre de faire passer des messages et de faire bouger les choses. Nous souhaitons faire comprendre que le thème de l'énergie, qui n'a pas toujours captivé la communauté nationale, est au coeur de la vie du pays. L'accès à l'énergie et à l'environnement sont prioritaires mais parler de l'un sans l'autre n'a aucun sens. Ne rendons pas antagonistes des gens déterminés et bien intentionnés mais qui peuvent se tromper s'ils n'ont pas conscience de l'impact de leurs décisions. Une compagnie comme Total doit assumer ses responsabilités, elle a le devoir de prendre la parole, mais ce n'est pas toujours facile. En groupe, vous êtes parfois amenés à défendre des convictions incompatibles avec la réalité alors qu'individuellement vous êtes souvent sur des positions différentes. Total n'est pas là pour donner des leçons. Nous avons souvent été taxés d'arrogance, parfois à juste titre, mais ce n'est qu'une apparence qui tient à notre façon de communiquer : quand nous savons quelque chose, nous avons tendance à l'affirmer plutôt qu'à l'expliquer. Nous faisons en sorte que cela change.

Aujourd'hui, les prix de l'énergie posent problème. Le phénomène touche la France comme l'ensemble de la communauté internationale. Il ne s'agit pas de transmettre un message pessimiste car nous connaissons les solutions. La situation actuelle est probablement le résultat d'une mauvaise compréhension du fonctionnement du monde. Je maintiens que le développement de la croissance dans les pays émergents est une bonne nouvelle pour l'Europe et l'Occident car l'ensemble du système en bénéficiera. Dans un premier temps, cet élan est ressenti comme une agression, mais il est inconcevable de porter un jugement négatif sur le fait que des gens sortent de la pauvreté. Par ailleurs, si la croissance est tirée vers le haut, peu importe de quelle aire géographique vient le mouvement, l'essentiel est que nous tirions bénéfice de la mondialisation.

Ces derniers mois ont été marqués par deux événements.

Premièrement, la crise des subprimes a eu et continue à avoir un impact sur la croissance et sur la parité dollareuro. Les consommateurs européens, qui sont nos clients, en ont bénéficié puisqu'ils n'ont pas eu à supporter l'intégralité de la hausse du coût de l'énergie. L'effet est plus négatif pour les résultats de Total, comptabilisés en euros, mais il ne s'agit pas de faire pleurer sur les résultats de l'entreprise.

Deuxièmement, les prix de l'énergie se sont envolés. Lorsque le baril a atteint 35 dollars, j'ai prévenu, et j'ai répété lors de conférences, que c'était une très mauvaise nouvelle, mais que ce n'était qu'un début. Certains souhaitent une énergie chère, alors que le pouvoir d'achat est un sujet sensible. Le véritable problème n'est pas le prix de l'énergie mais la rapidité de son ascension. Au regard du pouvoir d'achat des Français, l'énergie n'est pas onéreuse, compte tenu de la part qu'elle représente dans le budget des consommateurs et du niveau d'inflation. Mais, pour un ménage, il est difficile voire insupportable de payer le prix actuel. En revanche, les Chinois et les Indiens vont continuer à accroître leur consommation car une partie de la population, qui n'utilisait pas d'énergie jusqu'à présent et peut passer tout à coup du vélo à la voiture, est insensible à l'élasticité des prix, d'autant que les véhicules consomment de moins en moins. Le prix du baril a doublé pour atteindre 130 dollars, avant de retomber à 125 dollars, et on a vu que les tarifs ont tout de même un impact sur la consommation, en particulier aux États-Unis. À ce propos, je ne suis pas persuadé que les récentes décisions de General Motors s'appuient uniquement sur des considérations écologiques ; cette société va mal et a surtout besoin de se restructurer.

En tout cas, il faut accepter que, quoi qu'il advienne, les prix de l'énergie restent durablement élevés. Le message n'est pas sympathique ; il m'a valu quelques caricatures dans le Canard enchaîné.

Même pour vous faire plaisir, je ne vous dirai pas que les prix de l'énergie vont diminuer. Toute volonté de baisse serait freinée par le coût de renouvellement des productions et des réserves, qui s'élève à 80 dollars par baril environ. Pendant des années, pour ne pas faire peur ou pour ne pas accréditer l'idée que nous tirions bénéfice de cette manne, nous nous sommes trompés en affirmant que les prix avaient atteint un sommet et allaient baisser. Maintenant, je vous le dis clairement, je ne me risquerais pas à affirmer que nous avons atteint un sommet. Nous ferons tout pour que le prix soit à nouveau plus acceptable par les consommateurs, mais il ne faut pas rêver : à une époque où l'environnement et la sécurité comptent autant, les prix pourront difficilement être entraînés à la baisse.

En revanche, un vrai débat s'ouvre à propos des comportements. Apporter aux clients de Total des produits permettant de consommer beaucoup moins n'est pas une échappatoire mais un engagement, même si cette logique est inhabituelle de la part d'un industriel.

Les pays producteurs ne sont pas forcément intéressés par une augmentation des extractions. Les États non démocratiques, qui ne sont pas dépourvus pour autant d'opinion publique et de stratégique politique, n'ont aucune raison de développer leurs réserves s'ils n'ont pas besoin de plus d'argent. À nous de leur expliquer qu'ils font partie d'un ensemble et que, si les pays occidentaux vont mal, ils en subiront à terme les conséquences. Cela requiert un vrai dialogue plutôt que les invectives trop souvent entendues, qui ne peuvent que provoquer des blocages.

Le Grenelle de l'environnement a été un grand moment pour Total, pas tant pour les mesures pratiques qu'il a suscitées à ce stade mais parce que, pour la première fois, des gens parlant un langage différent ont pu discuter et s'expliquer.

Des progrès sont encore possibles en matière de transparence. Sans vouloir donner des leçons, ce qui nous a été souvent reproché, parfois à juste titre, les compagnies pétrolières sont certainement les industries françaises les plus transparentes. Tous nos chiffres sont connus au demi cent d'euro près. J'aimerais que toutes les filières en fassent autant car cela permettrait de prendre les bonnes décisions. Pour m'être penché de près sur le cas de la pêche, je trouve intéressant, alors que des usines à gaz sont montées pour permettre à certains de vivre de manière intelligente et pérenne, de comprendre où se situe le problème.

Notre priorité est de fournir davantage d'énergie à nos clients. Quand ils en manquent, ils protestent et refusent de mourir en entendant discourir sur l'environnement. Je n'entrerai pas dans ce débat car je ne veux pas opposer énergie et environnement. Pour faire face aux défis, il faudra compléter les énergies fossiles par les énergies nouvelles ou complémentaires, en espérant qu'elles soient effectivement plus propres. Nous aurons demain besoin de toutes les formes d'énergie pour satisfaire la demande, c'est pourquoi chez Total nous préférons parler d'énergies complémentaires plutôt qu'alternatives. Mais vous n'entendrez pas Total déclarer que les énergies fossiles représentent la mort, quand chacun sait que le carbone, c'est la vie. Avec un tel message, qu'on ne s'étonne pas si des jeunes s'interrogent à venir travailler dans notre secteur ! Le carbone est à la base de la science. S'il pose de nos jours des problèmes, notamment en matière de gaz à effet de serre, le jeter aux orties n'est pas une réponse. Il faut très rapidement trouver une solution pour régler de front les deux problèmes. Dorénavant, nous prenons le risque de nous occuper des deux sujets et nous l'assumons ; nous sommes prêts à nous battre pour que notre planète ne rencontre pas des problèmes insurmontables dans les années à venir.

Il faut donc avoir le courage de dire que le prix des hydrocarbures sera durablement élevé, même si j'espère que nous parviendrons à stopper la hausse. Il faut aussi avoir le courage de dire que le pétrole sera rare à la fin de ce siècle, ce qui amène à distinguer les notions de capacités de production et de réserves. Pour les premières, les difficultés interviendront beaucoup plus tôt.

La spéculation existe, c'est clair. Mais il faudrait être ignorant, ou vouloir tromper les gens, pour affirmer qu'elle est responsable du passage du prix du baril de 12 à 130 dollars depuis 1999... Les vannes pétrolières sont ouvertes à fond. Un seul pays producteur dispose de capacités supplémentaires, l'Arabie Saoudite. Compte tenu des incertitudes pesant sur le monde, ces 2 millions de barils à peine, sur un total de 86 millions, permettront de réagir à une crise majeure, par exemple au Nigeria. Total emploie dans ce pays beaucoup de personnels, locaux ou expatriés, qui travaillent dans des conditions difficiles et sont de plus en plus souvent victimes d'agressions ou de kidnappings. Si Total et les autres compagnies pétrolières décidaient de partir demain, pour des raisons de sécurité, le prix du baril flamberait car la quantité de pétrole disponible serait insuffisante, les réserves saoudiennes ne couvrant pas les 2 millions de barils produits quotidiennement au Nigeria. La spéculation ne consiste pas à jouer des prix bas alors que la production satisfait la demande mais à jouer des prix hauts parce que la situation est limite, ce qui crée des tensions sur les marchés. C'est un cours d'économie de base que vous devez tous naturellement comprendre, puisque vous siégez dans des Commissions spécialisées. Les pays producteurs mettent les prix élevés sur le compte de la spéculation mais vous savez tous que nous sommes confrontés à des problèmes avec l'Iran, l'Irak, le Venezuela, la Colombie, le Nigeria et que l'Alberta, naguère le plus libéral des territoires, vient de repousser sa production d'huiles non conventionnelles, pour des raisons environnementales, ce qui est positif. C'est pourquoi le prix du pétrole est aujourd'hui élevé.

Outre notre action industrielle et pétrolière, nous avons une responsabilité sociétale, aussi bien vis-à-vis de la France que vis-à-vis des autres pays où nous travaillons et vis-à-vis de l'environnement. Parmi nos engagements, nous avons décidé d'inclure une liste d'actions et d'investissements exclusivement dédiés à l'environnement. Nous avons évidemment besoin d'énergies nouvelles. Pendant des années, on a dit que les pétroliers faisaient tout pour maintenir les prix bas afin d'empêcher le développement des énergies nouvelles. Nous devrions alors être tous virés car l'augmentation du prix du baril de 20 à 130 dollars prouverait que nous avons échoué ! Au demeurant, même à 130 dollars le baril, ces énergies de substitution doivent encore être subventionnées, et vous savez pourquoi. Il faut cesser de raconter des carabistouilles ! Puisque la mobilisation de toutes les énergies est nécessaire, Total répondra présent pour aider, dans la mesure du possible, en particulier dans des domaines très éloignés de ses métiers, comme le nucléaire.

Quels sont nos engagements ?

Total privilégie tout d'abord les métiers dans lesquels il est le meilleur, dans l'optique de fournir aux consommateurs davantage d'énergies fossiles.

Total est également au coeur du débat sur la responsabilité des gaz à effet de serre. Une proportion très faible des émissions mondiales est imputable à la France. De surcroît, nos activités industrielles de pétrolier représentent une très faible part de ces émissions – seulement 5 % –, mais nous sommes conscients de transférer cette responsabilité aux consommateurs, ce qui fait passer les émissions globales imputables au secteur à 33 %. Notre impact s'établit donc quelque part entre 5 et 33 %, mais nous assumons la responsabilité d'agir sur les 33 %. Premièrement, nous devons faire en sorte de moins consommer dans nos installations. Deuxièmement, les produits que nous vendons doivent être eux-mêmes plus efficaces, grâce à l'utilisation de biocarburants ou de bioproduits. Troisièmement, nous devons trouver des solutions pour capter et stocker les gaz à effet de serre, en particulier le CO2, comme nous nous y employons dans le cadre du projet de Lacq. Nous entrons dans une nouvelle ère. Ce changement de comportement, aussi bien en tant que producteur qu'en tant de consommateur, est une révolution. Il ne s'agit pas de se renvoyer la balle entre l'énergie et l'environnement mais de s'occuper des deux sujets à la fois.

Total consacre environ 1 milliard de dollars à la recherche et au développement, soit une hausse de 20 % en un an, sans compter le 1,8 milliard dépensé dans l'exploration pétro-gazière. Sur le plan comptable, cette seconde somme est passée en investissement, mais il s'agit bien, dans de nombreux cas, de recherche appliquée ; elle augmente de 300 à 400 millions de dollars par an, pour faire face à des défis de plus en plus complexes, en mer profonde ou ailleurs.

Total promeut l'énergie solaire. Outre l'action que nous menons à travers nos deux filiales, Tenesol avec EDF et Photovoltech avec Suez, nous avons décidé d'injecter 25 millions de dollars dès 2008 pour mettre en place des projets pilotes, en particulier dans les zones de danger de nos raffineries ou sur des friches industrielles. Nous investirons également 125 millions de dollars supplémentaires, toujours dès 2008, dans des fonds d'investissements spécialisés à effet levier.

Total a également lancé un certain nombre de pilotes pour améliorer l'adéquation entre l'offre et la demande. Nous avons notamment un projet de 70 millions de dollars en matière de méthanol pour des produits pétrochimiques en Belgique, qui devrait démarrer cette année.

Total va développer en cinq ans un programme de plus de 800 millions de dollars, dont plus de 200 millions dès 2008, afin d'améliorer l'efficacité de ses opérations du point de vue de l'impact environnemental. Cela passe en particulier par une politique de « zero flaring », c'est-à-dire par le fait de ne plus torcher de gaz sur nos puits ; sur ce point, nous avons encore beaucoup d'efforts à accomplir mais nous avons pris l'engagement, il y a deux ans, de réduire nos émissions de 50 % d'ici à 2012. Nous nous sommes aussi engagés à améliorer l'efficacité de nos raffineries en y investissant 160 millions de dollars en cinq ans et celle de notre pétrochimie avec 190 millions de dollars en six ans. Enfin, nous finalisons avec l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un contrat portant sur un programme de 150 millions de dollars sur cinq ans.

Ces engagements viennent évidemment s'ajouter aux efforts d'investissement récurrents réalisés par le groupe pour prolonger son activité, maintenir sa croissance et amener davantage d'énergie au consommateur.

Si vous le souhaitez, je suis prêt à revenir aborder devant vous le thème de l'équilibre de l'offre et de la demande, chiffres à l'appui.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Nous savons bien qu'une partie de l'augmentation du prix du pétrole est due à la spéculation. L'ancien président de l'OPEP, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, évaluait ce matin même la spéculation à 20 dollars sur les 120 que coûte un baril.

Les membres de la Commission, chargée de l'environnement, connaissent le cycle du carbone et savent que le carbone, c'est la vie. Le problème est de bien appréhender l'avenir et de s'engager résolument, comme vous le faites, sur la voie des énergies nouvelles, qu'elles soient renouvelables ou pas. Vous avez affaire à des députés suffisamment avertis et expérimentés pour trouver des solutions aux problèmes qui sont posés.

PermalienPhoto de Gilles Carrez

La fiscalité représente deux tiers du prix du carburant. Cependant, en 2007, compte tenu de l'effet volume, nous avons connu une perte non seulement de TIPP, taxe intérieure sur les produits pétroliers, mais aussi de TVA, taxe sur la valeur ajoutée. Que pensez-vous des politiques fiscales sur le carburant ?

L'autre tiers du coût relève de la société Total. À la fin des années quatre-vingt-dix, il avait été décidé de limiter les provisions pour hausse de prix. En 2007, dans le même esprit, une participation vous a été demandée en vue de financer l'aide à la cuve. De quelles marges de manoeuvre l'entreprise dispose-t-elle pour participer à l'effort qu'il convient de conduire envers les plus démunis ?

PermalienPhoto de Serge Poignant

Pour vous rencontrer ici ou là, dans les colloques sur l'énergie, je connais votre double souci de garantir l'approvisionnement énergétique et de développer les énergies de substitution.

Comment appréciez-vous les capacités de production actuelles ? Tiennent-elles compte des nouvelles technologies ? À quel niveau le peak oil se situe-t-il ?

Le gaz peut-il se substituer au pétrole et contribuer à la sécurité d'approvisionnement ?

Enfin, comment travaillez-vous avec les motoristes et les avionneurs ?

PermalienPhoto de Daniel Paul

La période actuelle se caractérise par l'explosion à la fois des profits accumulés par l'ensemble des majors pétrolières, des bonus enregistrés par les États, des recettes perçues par un certain nombre de pays producteurs, qui préservent leur manne, et des primes touchées par les spéculateurs. La colère gronde et s'empare de corporations qui n'ont pas l'habitude de manifester, comme les pêcheurs ou les routiers. Dans le prix d'un litre d'essence, quelles parts reviennent respectivement au pays producteur, à Total, à l'État et aux autres intervenants ?

Si l'euro n'était pas devenu si fort, le prix du litre d'essence serait d'1 euro au lieu d'1,40, 1,45 ou 1,50 . Comment expliquer que nous soyons ainsi pénalisés, alors que l'euro fort, en principe, devrait protéger les consommateurs ?

Puisque la fin du pétrole est programmée, raison de plus pour ne rien gaspiller. Envisagez-vous enfin de mettre en place la conversion profonde permettant d'aller, si j'ose dire, jusqu'au cul du baril ?

PermalienPhoto de Charles de Courson

Quelle appréciation portez-vous sur la modulation de la fiscalité française selon les différentes formes de carburants ?

Comment les prélèvements obligatoires évoluent-ils dans les États producteurs ? Sur les quelque 13 milliards d'euros d'impôt sur les bénéfices dont vous êtes redevables au niveau mondial, combien en versez-vous à la France ?

Quelle est votre stratégie de groupe à l'égard des différentes formes d'énergies nouvelles, en particulier les biocarburants ?

PermalienPhoto de Jean Gaubert

Vous avez laissé entendre que, collectivement, nous adopterions des postures politiques mais que, individuellement, nous serions un peu plus accommodants. S'agit-il d'une maladresse de langage ou avez-vous cette image choquante et dégradante de la classe politique ?

Nos concitoyens sont inégaux devant le besoin d'énergie et, pour certains, la hausse des prix devient insupportable. Avez-vous des solutions pour réguler la consommation par des moyens autres que le prix ?

Nous avons tous le sentiment que les prix augmentent plus facilement qu'ils ne descendent même si on peut noter une légère amélioration ces derniers temps.

Puisque vous vous êtes penché sur le dossier des marins pêcheurs, j'imagine que vous avez des solutions à nous soumettre. Les élus concernés les attendent avec impatience.

Comment la situation politique évolue-t-elle en Birmanie ?

PermalienPhoto de Claude Gatignol

Comment gérez-vous le rapport dollareuro ?

De quelles ressources humaines disposez-vous ? Beaucoup de sociétés évoluant dans le secteur de l'énergie rencontrent des difficultés de recrutement, les jeunes générations s'éloignant des formations scientifiques et technologiques.

Quelle est la nature des contrats que vous passez avec les États pourvus de ressources, qui sont extrêmement divers ? N'ont-ils pas tendance à prélever des royalties excessives ?

La politique énergétique européenne se focalise souvent sur l'électricité et sur le gaz, au détriment des hydrocarbures liquides. Comment assurez-vous les approvisionnements dans les quantités nécessaires ?

Si le pétrole venait à se raréfier, nous pourrions être privés de bien des produits quotidiens. Dans vos laboratoires de recherche, quel effort consacrez-vous à la chimie, notamment à la chimie verte ? Le nucléaire vous aidera-t-il à extraire le pétrole des sables bitumineux du sol canadien ? L'hydrogène deviendra-t-il un jour un carburant pour la motorisation ?

Enfin, quel rôle conférez-vous à la Fondation Total, active dans les domaines culturel et social ?

PermalienChristophe de Margerie

En remarquant que le discours est différent selon que l'on s'adresse aux personnes seul à seul ou en groupe, je n'avais nullement l'intention de m'en prendre aux parlementaires, monsieur Gaubert. Si vous l'avez ressenti comme une attaque, je vous prie d'accepter mes excuses. Ma remarque, sans doute maladroite, tient aussi à ce que les cent dix mille personnes travaillant chez Total, dont quarante-cinq mille Français, sont très choquées d'être accusées de s'enrichir par la spéculation alors que ce sont elles qui vont chercher dans des endroits difficiles le pétrole consommé dans notre pays.

Pour estimer les réserves restantes d'hydrocarbures, il faut d'abord s'accorder sur ce qu'on entend par ce terme. Par exemple, nous ne considérons pas les schistes bitumineux comme des réserves car on ne sait pas comment les exploiter, à quel coût et moyennant quels risques environnementaux. Le monde a consommé 1 000 milliards de barils. Les champs déjà connus ou en production recèlent à peu près la même quantité, voire un peu plus. Pour ce qui est des nouvelles découvertes, nous nous montrons plus pragmatiques que d'autres en estimant à 200 milliards de barils les réserves restant à découvrir, à 300 milliards de barils celles qui résulteront de l'augmentation de 5 % du taux de récupération grâce aux nouvelles technologies et à 600 milliards – chiffre peut-être optimiste – celles qui correspondent aux huiles lourdes. On aboutit donc à un total de plus de deux mille milliards de barils de réserves encore disponibles.

Au-delà des chiffres, ce qui compte c'est notre capacité à sortir ces réserves du sol. La production actuelle est de 86 millions de barils par jour et l'on sait bien qu'il est impossible d'ouvrir plus grand les robinets. J'ignore d'où vient le chiffre de 100 millions de barils par jour que l'on a présenté comme un point d'équilibre. Le « pic huile » s'écarte à l'évidence des prévisions car les champs déclinent et nous avons du mal à en mettre de nouveaux en production. Il serait déjà très satisfaisant d'arriver à 95 millions de barils par jour. Je précise que ces 95 millions permettraient une consommation de 100 millions, du fait des évolutions liées aux biocarburants et à l'efficacité de raffinage. Compte tenu des problèmes géopolitiques et environnementaux, y parvenir représente une bataille de tous les instants. Sans rapport avec les dividendes distribués aux actionnaires, c'est la bataille que mènent tous les jours les équipes de Total dans des pays difficiles.

Il faut, j'y insiste, convaincre certains pays producteurs de nous donner la possibilité de sortir ces barils. On assimile trop vite ces pays aux Émirats ou à l'Arabie Saoudite. L'Angola, le Nigeria et bien d'autres sont beaucoup moins riches que la France et estiment, lorsque nous leur parlons de développement durable, qu'il conviendrait de commencer par le mettre en pratique chez nous. On ne peut prendre en considération les seuls intérêts français : la manne pétrolière est avant tout celle du pays producteur.

Les réserves se répartissent à hauteur de 85 % pour les compagnies nationales et de 15 % pour l'ensemble des compagnies privées, qui représentent pourtant 25 % des investissements. Ce surinvestissement est normal et ne saurait être invoqué pour en faire le reproche aux pays producteurs. C'est par le dialogue que l'on parviendra à leur faire comprendre qu'il est de leur intérêt de produire plus.

Si l'on ne fait pas ces efforts, la production de pétrole et de gaz sera insuffisante pour couvrir nos besoins dans les prochaines années et les énergies nouvelles ou complémentaires n'arriveront pas assez vite pour compenser ce manque. Il convient donc de mettre l'accent sur la production des barils nécessaires. Dans le même temps, profitant de ses bons résultats, Total s'applique aussi à produire de l'énergie fossile en étant plus préoccupé du sort de la planète. Il n'y a là aucune incompatibilité, surtout si l'on nous laisse les moyens de mener notre action.

À une association de consommateurs qui comparait l'augmentation de la fiscalité sur les hydrocarbures en Grande-Bretagne et en France, j'ai fait valoir qu'il était très différent d'accroître la fiscalité sur sa propre production et sur celle des autres. Lorsque l'on reproche à un pays producteur qu'il augmente trop ses taxes et que sa rente est trop importante, il ne manque pas de demander pourquoi la France touche plus de 50 % du prix à la pompe d'un produit qui n'est pas le sien ! Le raisonnement est loin d'être absurde.

De plus, il faut se féliciter que le rendement des taxes soit moins élevé qu'il y a quelques années, car c'est le signe d'une légère baisse de la consommation.

En matière de taxes, pourtant, la vraie question est de savoir pourquoi un gouvernement a opté pour le tout-diesel en taxant l'essence à 60 % et le gazole à 50 %. C'était d'ailleurs un présupposé étonnant : comment a-t-on pu considérer que le gazole serait toujours moins cher parce qu'on l'avait décidé à un moment donné ? Aujourd'hui, au niveau mondial, la demande de gazole excède l'offre à tel point que la hausse de ce produit a plus que compensé le différentiel de taxes. Cela fait pourtant cinq ans que nous expliquons, en vain, que poursuivre le tout-diesel sans se préoccuper de l'offre de gazole, c'est aller droit dans le mur ! Nous nous sommes tournés vers les motoristes et nous leur avons proposé de contribuer à leurs recherches sur l'efficacité des moteurs à essence.

J'ai débattu d'un sujet analogue avec trois coopératives de marins-pêcheurs, dont j'ai rencontré les représentants avec M. Michel Barnier. Les marins-pêcheurs sont parfaitement conscients que Total leur vend le gazole à prix de revient, sans aucune marge. Nous avons aussi décidé d'entreprendre des actions dans trois domaines.

Tout d'abord, pour inverser la tendance entre gazole et essence, Total investira dans la recherche sur l'efficacité de l'essence. Il l'avait déjà fait, soit dit en passant, dans les années 1990, lorsque la politique française était au tout-essence sans plomb et avant que l'on ne donne la priorité au gazole. Nous ferons tout pour extraire le « fond du baril », mais la solution ne passera pas que par le gazole et il faut savoir que les produits de fond de baril sont plus polluants et plus dangereux.

Ensuite, comme Total ne peut vendre à perte, l'entreprise étudiera ce qu'elle peut faire pour aider directement les familles de pêcheurs en difficulté.

Enfin, nous appuierons la recherche pour améliorer l'efficacité des moteurs diesel actuels des bateaux. Les marins-pêcheurs, plutôt réticents au départ, nous ont d'ailleurs remerciés d'avoir mis au point un nouveau lubrifiant pour ces moteurs.

En matière de fiscalité française, il ne m'appartient pas de répondre. L'année dernière, nous avons volontairement contribué à la prime à la cuve car nous estimions que c'était nécessaire. Si nous avons effectivement dit que nous étions prêts à considérer à nouveau une telle mesure, que l'on nous laisse le soin de le décider sans nous l'imposer et que l'on ne vienne pas dire que l'on en a discuté quand ce n'est absolument pas le cas ! Un journal a affirmé que j'en avais parlé avec M. Barnier alors que nous n'avons traité, comme il est normal, que des problèmes de la pêche. L'aide à la cuve concerne le ministère des Finances. La discussion est sûrement prévue mais elle n'a pas eu lieu pour l'instant. J'aimerais qu'on laisse aux entreprises le soin de décider de ce qu'elles doivent faire. Tenter de le leur imposer n'est pas la meilleure manière de faire avancer un débat suffisamment compliqué comme cela !

Quant à savoir s'il faut faire évoluer les taxes ou non, je relève seulement que l'on s'est demandé pendant des années si une énergie chère permettrait de réduire la consommation. Nous sommes parvenus à ce stade aujourd'hui, même s'il n'est pas sain que cela se soit produit aussi vite. Il nous faut donc réfléchir : utilisons-nous au mieux notre énergie aujourd'hui ? Pour le reste, la façon dont les recettes fiscales sont utilisées relève de la responsabilité du Gouvernement.

En ce qui concerne la structure des coûts amont, les pays producteurs récupèrent actuellement plus de 90 % de leur rente, ce qui est parfaitement logique. Les 10 % restants font partie des résultats des compagnies pétrolières. Je me réjouis, à cet égard, que Total, société française, se porte bien et puisse réaliser des investissements lourds dans tous les domaines pour un montant global équivalant à son résultat net, soit 12,5 à 13 milliards d'euros. Ces investissements continueront à augmenter d'année en année.

Il ne nous appartient pas de donner des leçons aux pays producteurs sur l'utilisation de leur argent. On peut essayer de faire passer d'autres messages, notamment par le biais d'une ouverture aux fonds souverains.

En matière d'énergies complémentaires, nous avons décidé de renforcer notre effort de développement dans le solaire, auquel nous nous intéressons depuis longtemps, voire de procéder à des acquisitions si cela est nécessaire pour gagner du temps.

Nous faisons également porter notre effort sur la biomasse de deuxième génération, après avoir décidé de ne pas travailler en amont de celle de première génération – pour des raisons aujourd'hui bien connues mais que nous avions eu le tort d'exposer de façon malhabile à l'époque, ce qui nous avait valu d'être accusés de défendre nos seuls intérêts. En tant que raffineur, Total s'emploie à ce que les biocarburants soient le plus efficaces et le moins chers possible. Toutes les sources d'énergie sont bienvenues mais nous orientons notre recherche sur la deuxième génération, en particulier la cellulose.

Troisième axe de recherche : le charbon propre, sachant que nous ne nous lancerons pas dans cette technologie avant d'avoir maîtrisé le captage et le stockage du CO2.

Le dernier axe est celui du nucléaire. Du fait des problèmes de sécurité inhérents à ce domaine, il nous est apparu plus pertinent de travailler dans des pays producteurs que nous connaissons et que certains de nos partenaires, comme Suez et Areva, connaissent moins. Nous avons un rôle à jouer en tant qu'investisseur mais notre apport peut aussi consister dans la qualité de nos relations sur place. Le développement du nucléaire pose des problèmes dans certains pays occidentaux. D'autres pays dans le monde connaissent moins de difficultés de cet ordre et pourraient, en échange, nous envoyer plus de gaz : ce serait une manière intelligente de mieux répartir les ressources de la planète. Si nous arrivions à réaliser un tel projet avec Suez et Areva à Abou Dhabi, ce serait un bon point de départ dans une activité nouvelle pour notre groupe.

En matière de formation et de recrutement, le secteur du pétrole est plus favorisé que celui du nucléaire : on est toujours très intéressé, dans les universités et les écoles, par la perspective de rejoindre Total. La compagnie ne connaît aucun problème d'embauche. Elle cherche en revanche à recruter du personnel de qualité dans les pays où elle se développe. Cela fait partie de son engagement : il faut aussi des Nigérians, des Angolais ou des Indonésiens qualifiés.

En ce qui concerne la Birmanie, j'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer sur les raisons de notre présence dans ce pays devant la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale. La présence de Total, lors des tragiques événements récents, a été très appréciée par les ONG qui se sont rendues sur place et ont bénéficié de notre logistique. Il est plus facile d'agir quand on est présent que quand on est absent. La compagnie Total n'a pas vocation à expliquer ce qu'est le droit mais, plus que jamais, nous pensons que notre présence en Birmanie a été utile, efficace et appréciée.

La fondation Total représente une petite partie de l'action de sponsor et de mécène de la compagnie. Nous avons voulu la rendre plus visible en adjoignant au thème de la biodiversité deux autres grands domaines d'intervention, le culturel et le sociétal. Parmi de multiples actions, nous soutenons ainsi la Fondation du patrimoine et la Société nationale de sauvetage en mer.

Le Président Didier Migaud : Pourriez-vous nous apporter des précisions sur le bénéfice mondial consolidé ?

PermalienChristophe de Margerie

Le bénéfice mondial consolidé permet à Total de ne pas être taxé plusieurs fois sur les mêmes revenus : lorsque la compagnie paie des impôts dans un pays donné, elle n'est pas imposée en France si le montant est au moins égal à ce qu'elle aurait payé dans notre pays. Comme ce cas de figure est, de loin, le plus fréquent, elle paie beaucoup plus d'impôts à l'étranger qu'en France, où le taux est de 33 %. Du reste, les pays hôtes nous disent que si la France considère que les revenus que nous faisons chez eux ne sont pas assez taxés, ils s'en occuperont tout seuls ! À chaque fois que le débat a été relancé en France, nous avons vu nos impôts augmenter dans un pays où nous travaillons. Cela a été le cas récemment dans l'un des plus nationalistes d'entre eux, le Vénézuéla, qui veut d'ailleurs s'occuper aussi de la partie des profits que nous réalisons dans d'autres pays producteurs !

Voilà à quoi mènent de tels messages. Pourtant, ce n'est pas l'État qui emploiera forcément au mieux cet argent : nous pouvons l'utiliser, par exemple, pour faire progresser la recherche en France et pour faire montre d'agressivité dans notre domaine d'activité.

PermalienPhoto de David Habib

Je souhaiterais connaître la nature du patrimoine et de l'actionnariat de Total. Après que des choix politiques lui ont fait perdre plusieurs opérateurs énergétiques, la France a tout intérêt à conserver sur son territoire un opérateur leader dans les domaines pétrolier et gazier.

Je souhaite aussi rappeler à mes collègues que le dispositif de séquestration de CO2 à Lacq n'est qu'un pilote. S'il s'agissait d'une véritable installation, il faudrait fermer le gisement. Or celui-ci n'est pas épuisé. Total y trouve largement son compte puisque l'usine est rentable dès lors que le prix du baril dépasse 17 dollars. Il est heureux que l'activité de cette unité se poursuive.

Étant donné les dispositifs législatifs actuels et les problèmes d'acceptabilité sociale qui se posent dans notre pays, il aurait probablement été impossible d'exploiter ce gisement si on l'avait découvert l'année dernière. Ce qui était possible il y a cinquante ans ne l'est plus.

En matière de séquestration de CO2, les efforts de transparence ne nous empêchent pas de nous heurter à des phénomènes « NIMBY – Not in my backyard ». Il faut donc que le dossier soit public et que l'État français confie à Total la réalisation et la maîtrise d'oeuvre de cette opération, à charge pour la compagnie de garantir la mutualisation des résultats à l'ensemble des opérateurs industriels et pétroliers. L'opération de Chapelle-de-Rousse doit être exemplaire.

Un tel projet ne peut se concevoir si nous ne changeons pas le code minier : il faut en effet que l'opérateur industriel dispose de l'intégralité de la gestion de l'opération jusqu'à son achèvement et son transfert à l'État.

Je puis témoigner que Total fait beaucoup en matière de politique environnementale et d'énergies complémentaires. Néanmoins, une plus grande lisibilité en matière de recherche serait bienvenue. On pourrait par exemple concentrer les activités dans un centre de recherche, à l'instar de ce que la compagnie a fait pour la géologie.

PermalienPhoto de Yves Cochet

Pour beaucoup d'anciens de chez Total, le volume des réserves restantes est inférieur de 1 000 milliards de barils au chiffre qu'avance le président de Margerie. Je pense moi aussi que le monde a déjà consommé la moitié et non le tiers de sa dotation initiale. Selon les estimations, l'impact sur les économies sera très différent. Il est certes difficile de connaître exactement les réserves des pays de l'OPEP : ils n'en ont sans doute pas autant qu'ils le disent puisqu'ils sont obligés de fausser la réalité pour obtenir des quotas de production plus élevés.

Bien entendu, c'est la plus mauvaise moitié qui reste : la plus chère, la plus soufrée, la plus visqueuse, etc., et cela contribuera aussi à l'augmentation du prix du baril.

C'est faire preuve de beaucoup d'idéalisme que de penser que l'on arrivera peut-être un jour à une production quotidienne de 100 millions de barils tous liquides confondus. J'estime que nous atteignons en 2008 le « pic tous liquides ». Quelle date retenez-vous pour votre part ? Confirmez-vous que le pic conventionnel a été atteint en 2005 ? Si tel est bien le cas, comment soutenir que les prix pourraient se stabiliser ? En réalité, le pétrole à 130 dollars le baril n'est pas cher, pas plus que l'essence à 1,50 euro le litre. Goldman Sachs avance le chiffre de 180 ou 200 dollars, Patrick Artus celui de 350 dollars dans quelques années. Ne pas faire état de ces estimations, c'est mentir par omission.

Sur le NYMEX – New York mercantile exchange – on peut acheter des barils jusqu'en décembre 2016. Depuis 1983, lorsque le baril a été coté, plus la date de livraison est lointaine, plus le prix est bas. Il s'agit là d'un phénomène classique de backwardation qui contrecarre la spéculation – au demeurant, celle-ci représente moins de 10 % de la hausse, d'après la Commodity futures trading commission. Or, depuis quelques semaines, on assiste à un phénomène inverse dit de « contango » : plus la date de livraison du baril est lointaine, plus le prix est élevé. On n'a jamais vu cela sur ce marché et cette difficulté supplémentaire rend plus improbable encore une baisse.

PermalienPhoto de Jean-Claude Sandrier

Quelle est la part des bénéfices de Total liée à la hausse du prix du baril ? Quelle est l'évolution de la masse salariale ? Comment la rémunération des actionnaires a-t-elle progressé ? Quelle part des bénéfices est-elle effectivement consacrée à l'investissement, à la recherche et développement, au développement des énergies complémentaires ?

Quinze sociétés françaises bénéficient du régime du bénéfice mondial consolidé. À quelle hauteur l'avantage se monte-t-il pour Total et quelles sont les contreparties consenties par la compagnie ?

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Un dollar vaut 0,63 euro en 2008, contre 1,20 euro en 2000. Par conséquent, le prix du baril est passé de 72 à 83 euros constants, soit une hausse de 15 %. Le prix du carburant à la pompe a augmenté dans cette même période de 70 %, passant de 0,82 à 1,40 euro. Quelle est votre analyse sur ce sujet, qui soulève de réelles interrogations chez les Français ?

Par ailleurs, les carnets de commandes des sociétés parapétrolières sont pleins. Quelle incidence cela a-t-il sur le coût actuel du pétrole ? Comment susciter davantage de concurrence ?

Enfin, certains pays gros consommateurs comme la Chine subventionnent massivement leurs prix domestiques. N'y a-t-il pas moyen de les sensibiliser à la flambée des cours pour les inciter à faire plus d'économies et à rééquilibrer la situation ?

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

La presse s'est fait l'écho d'une augmentation annuelle de 15 % de la rémunération des actionnaires de Total, décidée par l'assemblée générale sur proposition du conseil d'administration. En valeur absolue, cela représente plusieurs milliards d'euros d'augmentation de dividendes chaque année. La compagnie Total, comme vous l'avez indiqué, consacrera dans les 5 prochaines années 800 millions d'euros au développement durable, soit 160 millions par an. Confirmez-vous ces chiffres, dont la confrontation a de quoi étonner ?

De plus, votre société a décidé de procéder régulièrement à des rachats de ses propres actions. Quel montant avez-vous consacré à cette opération ? La presse parle de plusieurs milliards d'euros. Confirmez-vous l'hypothèse selon laquelle ces rachats, qui font monter le cours de l'action, préluderaient à la levée de certaines stock options ?

Je m'associe à la question de M. Lionel Tardy : la hausse de 70 % du gazole en euros est-elle compatible avec celle du baril, qui n'est que de 15 % ? La décision, en 2004, d'augmenter la taxation du gazole de 2,50 euros par hectolitre suffit-elle, selon vous, à expliquer ce phénomène ?

Enfin, vous avez inauguré il y a deux ans, aux côtés du ministre de l'Économie et des finances de l'époque, une pompe à biocarburant porte d'Orléans à Paris. Cette installation a été démantelée peu après. Pour quelles raisons ?

PermalienPhoto de Fabienne Labrette-Ménager

Les économies d'énergie ont été un point central du Grenelle de l'environnement et le Gouvernement y consacrera une partie de son projet de loi-cadre. Les collectivités qui tentent des expérimentations en matière d'énergies propres, notamment en milieu rural, peuvent-elles bénéficier des aides dispensées par votre fondation ?

PermalienPhoto de Yves Albarello

Mes préoccupations rejoignent celles de M. David Habib puisqu'une grande entreprise, Veolia, expérimente un pilote de séquestration de CO2 dans un aquifère salin sur le territoire de ma commune. Quel est l'état d'avancement de votre propre expérimentation ? Quel type de captage – oxycombustion ou postcombustion – envisagez-vous ? Quels sont les avantages et les inconvénients du transport et du stockage du CO2 ? S'il n'y a pas d'inconvénients, le système deviendrait exportable, notamment dans les pays émergents, pour le plus grand bénéfice des entreprises françaises. Reste que nous devons faire face aux interrogations de la population sur les risques de ces technologies. Par ailleurs, pensez-vous que le charbon est de nouveau promis à un bel avenir dans la situation actuelle ?

PermalienChristophe de Margerie

Les questions sont très nombreuses. Je suis tout disposé à revenir devant les commissions des Finances et des Affaires économiques, étant entendu que nous aurions intérêt à sérier les sujets. Mes collaborateurs et moi-même sommes prêts à apporter des réponses complètes à toutes les questions sans exception.

Notre pilote du site de Lacq, même si son coût estimé est de plus de 50 millions d'euros, n'est qu'un pilote. Nous avons dialogué avec les acteurs locaux ; nous avons même répondu aux viticulteurs qui se posaient des questions sur la dangerosité du CO2 ; nous avons édité une plaquette très détaillée sur les problèmes de captage et de stockage. En tout état de cause, s'il arrivait que le CO2 stocké se diffuse par accident dans l'atmosphère, les quantités seraient si petites qu'elles ne seraient pas dangereuses. Il faut y insister car certaines personnes, à Lacq, ont accusé Total d'instiller du poison dans le sous-sol.

Nous avons choisi le site de Lacq non pour sa pérennité, mais parce que la chaudière de l'usine – dont la production de gaz devrait, malheureusement, s'amenuiser – permet de réaliser l'étude. Il s'agit de développer une technologie exportable, la plus efficace et la moins chère possible. L'oxycombustion, que nous avons choisie en partenariat avec Air liquide, sera comparée avec les autres méthodes. L'ancien champ de gaz de Chapelle-de-Rousse servira pour le stockage. Reste à savoir si, en France, de tels sites existent à proximité des zones industrielles. Si tel n'est pas le cas, comment transporter le CO2 et comment en assumer le coût ? Nous préférerions que ce coût soit couvert par des recettes tirées de l'efficacité énergétique plutôt que par des taxes. Cela nous renvoie au débat plus général sur les taxes sur les émissions de CO2 : aujourd'hui, on investit dans des domaines sans savoir comment l'on sera taxé. La visibilité s'arrête à l'échéance de Kyoto I, c'est-à-dire à la fin de 2012, alors que les investissements se chiffrent en dizaines ou en centaines de milliards de dollars.

Quant à savoir s'il faut travailler pour compte commun sur le pilote de Lacq, il faut en discuter avec le Gouvernement. Ce serait une bonne chose que de réaliser un produit phare du savoir-faire technologique de la France. Cela étant, il n'est pas mauvais non plus de s'associer avec d'autres pour gagner en efficacité et en rapidité. Les Britanniques ont des projets intéressants dans ce domaine. N'aurions-nous pas intérêt à travailler ensemble plutôt que de promouvoir chacun un produit séparé ? Certaines solutions purement nationales nous ont coûté très cher par le passé.

Pour ce qui est des réserves d'hydrocarbures, le chiffre de 50 % est pessimiste et ne fait pas assez de cas de la capacité de nos ingénieurs à faire progresser les technologies.

En effet, le peak oil, c'est-à-dire le croisement de l'offre et de la demande, s'est produit en 2005. Je l'ai dit et cela a déplu. Le scénario évoqué par M. Yves Cochet est que la situation ne changera pas, en particulier, en matière de géopolitique. S'agissant des décisions prises au niveau mondial, européen ou français vis-à-vis de certains pays producteurs, je respecte le choix des gouvernements et des parlements, mais ceux-ci ne peuvent ignorer l'impact que cela a sur notre capacité à extraire du pétrole. Traiter les pays producteurs de menteurs n'aide pas au dialogue. En revanche, il serait bon de se demander quels reports de capacité de production d'huile et de gaz impliqueraient l'éventualité qu'il soit impossible de travailler en Iran. De même, l'insécurité dans certains pays pose un vrai problème. Enfin, je respecte la décision de l'Athabasca de conditionner ses autorisations à des préoccupations environnementales, mais il me semble possible d'améliorer aussi les choses de ce point de vue.

D'une manière générale, rien ne pourra me convaincre qu'il est impossible d'améliorer la situation actuelle. Je suis entièrement d'accord sur le fait que certaines personnes, pour laisser croire qu'il n'existait pas de problème, ont été jusqu'à utiliser des chiffres qu'elles savaient erronés. On ne peut nier que la fermeture des sites en Iran n'aurait pas d'impact, on ne peut nier que les troubles en Irak et dans de nombreux autres pays n'ont pas d'impact. Cela étant, la situation peut changer pour peu qu'on entretienne un vrai dialogue avec ces pays et que l'on cesse de prétendre avoir toujours raison et de les accuser de ne rien faire.

Je maintiens que l'objectif de 95 millions de barils d'hydrocarbures et de 100 millions au total est difficile à atteindre. Il nous faudra certes changer nos comportements en matière environnementale, en matière de consommation et vis-à-vis des pays producteurs, mais cela peut se faire. Dans le cas contraire, nous aurons du mal à augmenter la production. Les raisons n'en seront pas techniques mais, en grande partie, géopolitiques.

Pour ce qui est de l'éthanol E-85, l'idée était sans doute bonne du point de vue de la recherche. L'opération de communication, que la compagnie Total ne réclamait pas spécialement, a été réalisée. Maintenant, s'il y a très peu de stations fournissant du E-85, c'est qu'il n'y a pas de voitures pour s'y ravitailler. Nous ne pouvons être responsables de tout ! Dans l'exemple malheureux que vous invoquez, monsieur Cahuzac, j'ai cru comprendre que la station n'avait pas alors reçu d'autorisation définitive mais une dérogation, c'est depuis résolu. Pour le reste, il est clair que nous ne pouvons équiper en E-85 le nombre demandé de stations s'il n'y a pas plus de clients pour ce carburant. La question est à traiter avec les motoristes.

J'en viens à notre politique en matière de dividendes. Nous avons distribué 37 % de notre résultat en dividendes, ce qui représente un rendement de 3,8 ou 3,9 % pour l'actionnaire.

PermalienChristophe de Margerie

Vous m'avez demandé si le groupe Total ne distribuait pas trop de dividendes.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Je vous ai demandé quel montant vous avez consacré chaque année à l'augmentation des dividendes. La presse fait état de 3 à 5 milliards d'euros. Le confirmez-vous ?

PermalienChristophe de Margerie

Nous avons augmenté notre dividende de 11 % cette année, et non pas de 15 %. Les 2,07 euros par action représentent, je le répète, 37 % du résultat, et le rendement est de 3,8 ou 3,9 % par action.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

À combien de milliards d'euros correspondent ces 11 % ?

PermalienChristophe de Margerie

Sachant que le groupe a distribué près de 5 milliards, les 11 % représentent environ 500 millions – sous réserve de vérification. Je peux vous donner toutes les réponses que vous voulez sur les chiffres de Total, qui sont disponibles, audités…

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Combien de milliards d'euros sont-ils consacrés chaque année au rachat d'actions ?

PermalienChristophe de Margerie

Conformément à ce que j'avais annoncé, le rachat d'actions est en grande diminution. Le rachat d'actions ne saurait constituer une stratégie de long terme pour un groupe. De plus amples explications nécessiteraient une audition spéciale. Je l'ai dit à l'assemblée générale des actionnaires devant 3 500 personnes : au premier trimestre de cette année, Total a racheté 9 millions d'actions.

PermalienChristophe de Margerie

Il suffit de multiplier ce chiffre par 50 ou 55. En 2007, le montant des rachats a été de 1,7 milliard d'euros.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Et l'année précédente ? J'ai lu dans la presse le chiffre de 4 à 5 milliards d'euros…

PermalienChristophe de Margerie

Je vous ferai parvenir le rapport annuel, qui comporte tous les chiffres. Je rappelle, par ailleurs, les chiffres de nos investissements : 4 milliards de dollars à Moho-Bilondo, en République du Congo ; 7 milliards de dollars pour notre dernier projet en Angola ; 12 milliards de dollars, voire plus, pour nos projets de raffinage.

Nous donnons clairement la priorité aux investissements dans nos métiers de base, dans les nouvelles énergies, dans l'environnement et très certainement, un jour, dans le nucléaire.

Pour ce qui est de l'évolution de la parité euro-dollar, tout dépend, d'une part, de la date à partir de laquelle on établit le calcul, d'autre part, de tout ce qui ne dépend pas de l'achat de pétrole brut, à savoir les marges de raffinage, de distribution, etc., qui ne sont pas tributaires de cette parité. Si l'évolution du prix du baril était répercutée en direct, elle ne serait pas atténuée par le fait que l'euro est aujourd'hui à 1,55 dollar. Cependant, l'euro fort rend la charge moins lourde pour le consommateur.

Cela dit, pour répondre sur l'évolution de la situation entre 1998 et 2008, je vous ferai parvenir une réponse écrite.

La fondation Total, madame Labrette-Ménager, a décidé de se rapprocher des collectivités locales, même si cette démarche se révèle plus difficile à gérer et plus parcellaire que des actions très ciblées. Nous savons à quel point des sommes qui peuvent paraître modestes sont importantes pour les gens qui les reçoivent. Depuis un an, nous avons infléchi notre politique car nous avons entendu le message qui nous demandait d'être moins sélectifs et plus proches. Je veille toutefois à ce que nous ne nous contentions pas d'envoyer de l'argent comme si nous voulions nous acheter une bonne conduite : à chaque fois, une personne de Total suit l'opération et, le cas échéant, participe à son montage.

Le Président Didier Migaud : Monsieur le président, je vous remercie. Une nouvelle audition serait en effet souhaitable dans un bref délai.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Nous veillerons à sérier les thèmes de discussion pour permettre un débat précis. Mais je vous remercie pour votre franchise et pour votre souci du détail.

PermalienChristophe de Margerie

Permettez-moi de vous remercier à mon tour. En France comme ailleurs, il faut souvent attendre l'apparition d'un vrai problème pour débattre de ces sujets. Le fait que le débat s'engage n'en reste pas moins encourageant.