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Commission de la défense nationale et des forces armées

Séance du 16 décembre 2008 à 16h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • DGA
  • PME
  • SODERN
  • exportation
  • industriel

La séance

Source

Table ronde avec des responsables de PME du secteur de la défense dans le cadre du projet de loi (n° 1216) relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014

La séance est ouverte à 16 heures 35

PermalienPhoto de Guy Teissier

Je suis ravi d'ouvrir cette deuxième table ronde que notre commission consacre aux industries de la défense. Je souhaite la bienvenue à plusieurs présidents de petites et moyennes entreprises (PME) très importantes dans ce secteur : M. Jacques Battistella, de CILAS, M. Thierry Gaiffe, d'IXSEA, M. Franck Poirrier, de SODERN, M. Frédéric Schmidt, de CEFA et M. Christian van Hecke, d'EPCOTS. Une présentation de ces cinq sociétés vous a été distribuée.

Nous sommes convenus d'examiner ensemble les thèmes de l'accès aux commandes du ministère de la défense, de la recherche et développement pour les PME ainsi que le problème crucial des exportations.

Je crois que vous vous êtes réparti la tâche dans vos interventions liminaires et je vous donne donc sans plus tarder la parole.

PermalienThierry Gaiffe

Je traiterai de l'accès à la commande publique, en particulier à la commande de défense.

J'ai participé il y a huit ans à la création de l'entreprise que je dirige, qui compte désormais 220 salariés pour 38 millions de chiffres d'affaires et 20 % de croissance. Cette entreprise est duale : nous faisons à la fois du civil et du militaire, ce qui est très important pour durer. Un tiers de notre activité est consacré à la défense et deux tiers au civil. Nous réalisons 80 % de notre chiffre d'affaires à l'exportation.

Je dirige également le Comité Richelieu, association française des PME innovantes, qui représente quelques centaines d'entre elles. Il ne s'agit pas de jeunes pousses mais bien d'entreprises ayant en moyenne dix ans d'existence et employant plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de salariés. Le tiers d'entre elles environ consacre l'essentiel de son travail au monde de la défense.

Nous avons créé il y a quelques années, avec OSEO, le pacte PME, qui rassemble 50 grands groupes, pour la plupart cotés au CAC 40, et près de 3 000 PME. Ce vivier nous rend assez représentatifs des PME françaises.

Il apparaît que la part des achats que ces 50 grands groupes dirigent vers les PME – telles que les définit la Commission européenne, c'est-à-dire employant 250 salariés, réalisant 50 millions de chiffre d'affaires et jouissant d'une indépendance capitalistique – est de 18,9 %. Mais si l'on regarde les marchés de la direction générale pour l'armement (DGA), cette part tombe à 0,8 % pour les programmes et à 4,6 % pour les études amont. Il semble donc que le monde de la défense peine à offrir une juste place aux PME.

Plusieurs raisons expliquent ce constat. Cela tient en premier lieu à la méfiance que la nation – et pas seulement la défense – entretient à l'égard des petites et moyennes entreprises ; les acheteurs, publics et privés, considérant qu'une PME est nécessairement fragile. Il faut combattre ce dogme car il n'y a pas plus de risque qu'une PME ne disparaisse que de voir, par exemple, une section d'un grand groupe délocalisée en République tchèque… J'ajouterai que l'on se méfie également du caractère innovant généralement attribué aux PME qu'on assimile trop souvent à l'inconnu, donc au risque. Cette méfiance traduit une forme de conservatisme qui peut conduire à la paralysie. La troisième explication tient à la crise, qui incite nombre d'acteurs à privilégier ce qu'ils connaissent le mieux. À l'heure actuelle, ce phénomène tend à s'accentuer dans tous les secteurs économiques.

Il faut en outre rappeler que l'on a assisté en 1996-1997 à une diminution de 40 % du budget de la DGA. Ce sont les PME qui eurent le plus à en souffrir, nombre d'entre elles disparaissant.

Enfin, je relève que depuis plusieurs années, la consolidation du secteur de la défense s'est articulée autour de groupes de plus en plus importants avec lesquels la DGA entretient des rapports privilégiés. Ainsi, les PME bénéficient-elles de moins en moins d'un accès direct à une DGA qui traite plus volontiers avec les grands industriels.

Lors de son arrivée au ministère de la défense, Hervé Morin, qui aime rappeler qu'il est fils d'un artisan, a invité seize dirigeants de PME à travailler avec lui afin d'inverser cette tendance. Au début du mois de décembre, il a présenté ses décisions à la presse. En premier lieu, il s'agit de renforcer la visibilité des PME concernant tant les programmes d'équipement que la recherche et technologie (R&T). Par ailleurs, la DGA, qui, jusqu'à présent, ne discriminait pas entre les programmes de dix millions d'euros et de 200 000 euros, a été invitée à s'adapter aux petites entreprises, notamment en définissant de plus petits programmes d'études amont (PEA). Enfin, elle doit s'efforcer d'orchestrer les rapports entre les PME et les maîtres d'oeuvre industriels par un code de bonne conduite. Toutefois, les progrès sont lents dans ce domaine, faute d'une véritable coopération de tous les maîtres d'oeuvre. Ainsi, seuls quatre d'entre eux – MBDA, DCNS, Thalès et Sagem défense sécurité – ont signé le pacte PME. La décision de Nexter, EADS et Dassault aviation est toujours attendue. Ces grands groupes refusent de contracter un engagement de transparence, qui pourtant consiste simplement à rendre publique la part de leurs achats bénéficiant aux PME. Ils paraissent essentiellement motivés par la crainte de possibles clauses protégeant la propriété intellectuelle. De fait, ils n'acceptent de travailler avec les PME que s'ils ont accès gratuitement à la propriété intellectuelle.

PermalienJacques Battistella

Je traiterai plus particulièrement du rôle des PME dans la défense.

Par définition, les grands groupes se situent dans le quantitatif tandis que les PME sont plutôt dans le qualitatif, car leur existence et leur pérennité sont indissociablement liées à l'avantage compétitif qu'elles peuvent offrir à leurs clients. Or, en dépit des efforts du nouveau délégué, le système de fonctionnement de la DGA ne donne pas la priorité au qualitatif. Dès lors qu'une idée intéressante lui est soumise, le code des marchés publics l'oblige à organiser une compétition dans laquelle il n'est pas possible de protéger totalement l'innovation. Le maître d'oeuvre a tout intérêt à se l'approprier, puisqu'elle lui offre un avantage compétitif. Toute PME qui commet ainsi l'imprudence d'apporter une idée risque de voir un maître d'oeuvre s'y intéresser également, chacun connaissant bien la difficulté de protéger la propriété intellectuelle.

En outre, il convient de souligner que, dans notre système d'achat où la compétition devrait être la règle, plus de 95 % des contrats du ministère de la défense sont passés de gré à gré. Les contrats passés avec les PME ne constituent ainsi qu'une variable d'ajustement destinée à gager que la DGA initie effectivement des compétitions. Or, les PME sont peu armées pour y faire face : une compétition leur coûte en moyenne 60 000 euros. De plus, depuis le début du processus jusqu'à l'attribution du contrat, il peut s'écouler entre 12 et 18 mois, ce qui est un temps particulièrement long pour une PME, sans même parler des délais de paiement. Pour toutes ces raisons, il semble opportun de se demander si des processus spécifiques ne leur seraient pas mieux adaptés.

Je souhaite également attirer l'attention du législateur sur les difficultés que soulèvent conjointement le code des marchés publics et le décret défense. Tout semble reposer sur deux hypothèses : d'une part, qu'un acheteur est au mieux un incapable et au pire un ripoux, d'autre part, que n'importe quel fournisseur de l'État est par définition un industriel malhonnête. Je ne dis pas qu'il n'existe pas d'industriel malhonnête ou de fonctionnaire incapable mais, dans leur immense majorité, les responsables sont honnêtes et capables. De plus, à la différence par exemple des collectivités locales, le ministère de la défense est une des rares institutions publiques qui dispose d'acheteurs professionnels. Ces derniers sont capables, motivés, honnêtes. Pourtant, ils se voient imposer exactement les mêmes contraintes que pour tout autre achat effectué par une puissance publique française. Il me semble particulièrement nécessaire que le Parlement se penche sur cette question car le secret défense ne s'avère pas applicable dans les faits, tout simplement parce que sa mise en oeuvre suppose que le fonctionnaire prenne un risque sans aucune contrepartie en termes de carrière, de rémunération ou même de compliments. Faute d'une prise de conscience, la meilleure des volontés ne parviendra pas à faciliter au quotidien l'accès des PME aux marchés publics. Celles-ci continueront en effet à être pénalisées par des délais excessifs et par la concurrence des grands groupes mais aussi d'instituts de recherche comme l'ONERA. Ainsi, nous constatons l'étouffement de la créativité et de la prise de risque des PME, qui pourtant ne se focalisent pas sur le chiffre mais s'efforcent d'apporter un avantage qualitatif important à nos forces armées.

PermalienChristian van Hecke

Je dirige un tout petit groupe de 80 personnes et de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il y a une dizaine d'années, nous avons racheté une petite société à Thalès, qui considérait que cette entreprise ne relevait plus de son coeur de métier et qu'elle n'avait plus aucun potentiel de développement et d'innovation. Nous l'avons dotée de moyens d'études et de développement et agrandie en rachetant quelques autres petites PME. Nous nous sommes positionnés sur des marchés plus importants. Notre activité est essentiellement tournée vers l'aéronautique, l'armement, mais aussi l'industrie, le sport automobile et d'autres secteurs, ce qui nous permet de juguler les variations d'activité de chacun des secteurs.

J'insisterai plus particulièrement sur l'innovation. En tant que PME, nous n'avons de chances de survie que si nous sommes capables d'innover et d'apporter en permanence de nouveaux produits, de nouvelles méthodes et de nouvelles technologies. Mais innover suppose des moyens financiers, soit par autofinancement, soit en obtenant des plans de financement, comme des PEA, auprès de la DGA. Or, depuis 10 ans, il n'a jamais été possible d'obtenir le moindre financement pour l'innovation. Il est extrêmement difficile pour une PME indépendante d'accéder à des sources de financement de développement. De fait, avec mes associés, nous avons décidé de mener une politique financière qui est affichée dans notre manuel qualité : les actionnaires ne touchent pas de dividende et tous les résultats alimentent le développement par autofinancement. Nous utilisons également différents systèmes comme le crédit impôt recherche, dont je souligne que l'évolution voulue par le Président de la République va tout à fait dans le bon sens.

Ainsi que mes deux prédécesseurs l'ont observé, la volonté d'innover est souvent découragée par le manque de garantie entourant la conservation de la propriété intellectuelle. Pour ma part, je ne saurai accepter qu'un grand groupe, sous prétexte qu'il me passe une commande, s'approprie l'innovation dont nous avons financé le développement sur nos propres deniers. C'est en raison de ce risque de pillage que je renonce aujourd'hui à répondre à nombre d'appels d'offres. Pourtant, comme je viens de l'indiquer, c'est l'innovation qui conditionne la survie de mon entreprise.

S'agissant de l'aéronautique, je veux souligner qu'il est beaucoup plus aisé pour mon entreprise de remporter un gros contrat aux États-Unis, où elle est désormais référencée pour l'insonorisation du fuselage du Boeing 787, que de conclure un contrat avec Airbus, qui se montre hermétique, par simple faute que nous soyons une PME. Boeing s'est montré plus pragmatique et nous a sélectionnés en raison de l'avance technologique de notre produit. Par la suite, Airbus nous a contactés et nous a demandé pourquoi nous ne nous étions pas tournés d'abord vers leur groupe…

En France, il est très difficile de conduire une PME indépendante, patrimoniale. Dans notre cas, tous les actionnaires travaillent dans l'entreprise. C'est notre outil de travail et nous nous battons chaque jour pour le développer. Je suis donc ravi lorsque vous adoptez un message politique de soutien au développement des PME. En la matière, l'accès au financement de la R&T est essentiel. Or, il est ardu pour les PME. Elles trouveraient pourtant particulièrement utile de disposer de quelques centaines de milliers d'euros par l'intermédiaire de PEA, dont il est tout à fait anormal que seuls les grands groupes puissent bénéficier.

PermalienFranck Poirrier

Ma société, SODERN, n'est peut-être pas une PME au sens communautaire du terme, puisqu'elle réalise parfois un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros, qu'elle emploie plus de 300 personnes, et que plus de la moitié de son capital est détenue par le groupe EADS. Comme les autres PME, elle connaît pourtant les mêmes mises en compétition, y compris par son propre actionnaire, avec lequel elle entretient avant tout une relation de client à fournisseur. Cela me donne l'occasion de regretter que l'on confonde encore trop souvent PME et équipementier.

SODERN consacre 18 millions d'euros à la R&D et à la R&T, dont 2 millions d'euros en autofinancement de ce qui est considérable compte tenu de son chiffre d'affaires. Elle réalise un tiers de son activité à l'exportation, y compris vers de grands pays car il est beaucoup plus aisé d'exporter en Chine ou en Russie que vers l'Europe ou que de vendre en France. Ainsi, j'ai signé hier deux contrats, chacun de quelques millions d'euros, l'un avec Bowl Aerospace aux États-unis pour les missions lunaires de la NASA, et l'autre avec la Russie, avec NPO PM comme maître d'oeuvre, pour embarquer des viseurs d'étoile sur un satellite de télécommunications qui sera vendu in fine à Israël. C'est grâce à l'innovation que nous y parvenons et nous savons tous qu'il est crucial de maintenir notre avance technologique.

SODERN a obtenu ces deux dernières années deux prix très importants. Le premier est un prix américain d'innovation technologique décerné par un journal reconnu mondialement, Aviation Week. Parmi les cinq entreprises primées, nous étions la seule à ne pas être américaine et la seule dans le domaine spatial. J'ai tiré une certaine fierté de me trouver à cette occasion en compagnie de Boeing, d'autant que nous étions récompensés pour un produit qui était encore en cours de développement mais pour lequel nous avons déjà des premiers contrats à l'exportation. Le second prix nous a été décerné par le Haut comité français à la défense civile pour une innovation technologique dans le domaine de la détection d'explosifs. Cela illustre bien l'importance que revêt pour nous l'innovation : elle est un gage de succès à l'exportation et couvre par là l'essentiel de nos marges.

Il convient par ailleurs de mesurer l'enjeu qui réside dans la R&T. La R&D et la R&T de nos concurrents sont financées par les États, au motif qu'il s'agit de marchés institutionnels de défense ou de l'espace ou de la sécurité publique. Si nous ambitionnons de soutenir la concurrence, il me paraît crucial de disposer d'un financement équivalent. Or, ces dernières années, la politique d'acquisition de certains maîtres d'ouvrage étatique a entendu responsabiliser les maîtres d'oeuvre avec une concentration des contrats à leur adresser. Il en a résulté un tarissement des contrats directement destinés aux PME. De fait, la puissance publique s'est coupée de l'innovation et de ce « coup d'avance » que j'évoquais à l'instant. Se trouvant eux-mêmes en situation de concurrence, les maîtres d'oeuvre ont fort logiquement cherché à sanctuariser la technologie et l'innovation, donc la propriété intellectuelle en provenance des PME. C'est une forme de cleptomanie, regrettable mais logique.

Cela étant, dans la mesure où nous évoluons sur un marché de défense et un marché spatial, nous nous trouvons dans un schéma gagnant-gagnant. Nous parvenons à valoriser des technologies, à exporter, à réaliser du chiffre d'affaires : grâce au viseur d'étoile, je fais plus de la moitié de mon chiffre d'affaires à l'export, en Chine, en Russie, en Israël, aux États-Unis, au Japon, au Brésil, sans parler de l'Europe. Il est plus facile d'ailleurs de vendre petit que gros, avec une garantie d'indépendance même si nous faisons partie d'un grand groupe. Nous maintenons donc notre effort en matière d'innovation et nos équipes techniques grâce à l'exportation, mais nous aurions besoin d'être soutenus pour financer la R&T et la R&D, en gardant bien sûr la propriété intellectuelle à l'intérieur de l'entreprise. Si ce patrimoine passait sous le contrôle d'un maître d'oeuvre, celui-ci m'interdirait d'en vendre le produit à ses concurrents. Fort heureusement, mon actionnaire ne le fait pas. Même s'il me le demandait, je refuserais car SODERN est une PME qui offre des garanties d'indépendance et de sécurité : nous disposons certes d'informations confidentielles sur les plates-formes des satellites des concurrents d'Astrium, mais ces informations ne lui sont évidemment pas communiquées.

Je vous livre enfin quelques idées en vrac, dont je pense qu'elles pourraient alimenter le débat.

J'ai senti ces derniers temps une réorientation de certaines instances publiques, qui semblent tentées de revenir sur des PEA signés en direct avec des équipementiers. Cela ne me semble pas souhaitable, d'autant que l'enjeu pour nous a trait au maintien des compétences que l'entreprise doit autofinancer.

Par ailleurs, nous subissons les règles du retour géographique. La France étant le pays des maîtres d'oeuvre, l'équipementier s'y trouve particulièrement pénalisé.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, nous souffrons également d'être une PME au sein d'un grand groupe, car ce dernier ne nous apporte pas d'aide, mais au contraire, nous place en situation de concurrence avec nos principaux rivaux.

Dans certains appels d'offres de R&T, où SODERN est en concurrence avec des maîtres d'oeuvre, l'un des critères d'attribution du contrat est le niveau d'autofinancement de l'entreprise. Cela est particulièrement injuste. Soutenir la compétition avec le maître d'oeuvre a, dans ces conditions, peu de sens.

In fine, l'enjeu pour l'État est le suivant : veut-on favoriser l'innovation à long terme ou simplement acheter le moins cher possible à court terme ?

Le crédit impôt recherche est un mécanisme qui fonctionne bien. Un autre dispositif a été mis en place récemment, celui de la recherche exploratoire et innovation (REI), qui intervient hors code des marchés publics et qui permet à la DGA de financer, par une procédure légère et à hauteur au plus de quelques centaines de milliers d'euros, un peu de R&T auprès des PME. Ce dispositif fonctionne, je dois notamment en signer un la semaine prochaine. Cela étant, il faut savoir que développer un viseur d'étoile pour le vendre à l'exportation revient à 12 millions d'euros.

PermalienFranck Poirrier

Ce petit boîtier est une caméra de très haute définition qui ne doit pas tomber en panne – c'est une question de survie du satellite – qui vaut, à l'unité, entre 400 000 et 500 000 euros. Il s'agit de très haute technologie. Nous en vendons entre trente et quarante par an. Dans le domaine spatial, c'est considérable.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Vous parlez de la concurrence, mais combien d'entreprises fabriquent-elles des viseurs d'étoile ?

PermalienFranck Poirrier

Le club n'est pas si restreint. Nous sommes cinq en Europe. Parmi elles, ma société est la plus pénalisée parce qu'elle n'a plus accès depuis longtemps aux marchés de l'Agence spatiale européenne, étant un équipementier dans le pays des maîtres d'oeuvre. Sont favorisés l'Italien Officine Galileo, les Allemands DJO et Jena Optronik, enfin, DTU, une entreprise danoise qui est, en réalité, l'émanation d'une université et ne supporte donc pas les coûts de structure d'une entreprise.

PermalienPhoto de Guy Teissier

N'auriez-vous pas intérêt, dans ces conditions, à changer d'actionnaire principal ?

PermalienFranck Poirrier

Cela ne changerait en rien le problème. SODERN a déjà le même fonctionnement qu'une PME. Lorsque nous rencontrons des difficultés sous le seul prétexte de notre actionnariat, nous nous efforçons de mener un dialogue avec nos interlocuteurs pour leur montrer qu'il convient effectivement de considérer SODERN comme une PME indépendante. Au final, cela nous permet d'avancer.

Cette indépendance est essentielle pour qu'un équipementier puisse vendre. Si un jour elle était dévoyée, je perdrais des contrats et je m'arrêterais. Cela dit, il y a aussi quelques avantages à la situation, en particulier dans les contraintes de trésorerie. Toutefois, je me suis toujours efforcé de ne pas laisser croire que SODERN pouvait se reposer sur son actionnaire. Si SODERN était absorbée par EADS, il n'y aurait plus du tout de marché à l'export car cela reviendrait à vendre aux concurrents qui, en plus, n'ont pas forcément envie de dévoiler certains secrets de leur plate-forme de satellite à Astrium. Le cloisonnement est vertueux.

En guise de conclusion, je souhaiterais simplement illustrer l'importance des PME en soulignant que SODERN détient deux technologies considérées comme stratégiques par l'État : les sources neutroniques militaires de déclenchement des armes nucléaires du Commissariat à l'énergie atomique – il s'agit d'un objet technologique très complexe, de source unique – et le viseur d'étoile du M51.

PermalienFrédéric Schmidt

Ma société – CEFA –, dont je suis le président du directoire, emploie 150 personnes et réalise un chiffre d'affaires annuel de 23 millions d'euros environ. Nous sommes spécialisés dans les engins de franchissement : l'engin de franchissement de l'avant, l'EFA, a aujourd'hui remplacé le bac Gillois. Nous traitons également les enfouisseurs et disperseurs de munitions antichar. Puisque CEFA est maître d'oeuvre industriel de ses produits, nous sommes confrontés, au même titre que les grands groupes, au problème de l'exportation dans la mesure où le marché national est saturé.

Pour exporter, il faut, premièrement, connaître les besoins des pays tiers. La société a le choix entre démarcher elle-même pour aller chercher l'information et s'appuyer sur l'organisation de l'État français, à savoir les attachés de défense et d'armement, les conseillers militaires et les conseillers économiques des ambassades. Or cette « équipe de France de l'export » de matériels de défense est passablement absente. Lorsqu'ils sont sollicités, ses membres ne sont pas systématiquement au fait des procédures d'acquisition, ni même des besoins du pays où ils se trouvent. Il est alors difficile d'obtenir des informations utiles. Deuxièmement, lorsque le besoin est identifié, il faut connaître les procédures et dispositifs locaux, par exemple si l'état-major possède un bureau d'achat, ou si certaines sociétés servent d'interface. Là encore, notre réseau présente des déficiences. Troisièmement, une fois la négociation ouverte, il nous faut connaître toutes les annexes du contrat, la vente n'étant qu'une des étapes. Par exemple, lorsqu'ils achètent, les pays du Moyen-Orient demandent généralement des compensations, principalement industrielles et technologiques, pour pouvoir se développer. Là encore, personne, dans notre équipe de France, n'est en mesure de donner des explications claires, nettes et précises. Il existe donc, à la base, un problème fondamental d'organisation de cet ensemble étatique et industriel pour soutenir l'export.

Le deuxième obstacle réside dans les procédures d'autorisation d'exportation donnée par la commission interministérielle d'étude des exportations des matériels de guerre, la CIEEMG. Aujourd'hui, les engins amphibies que nous concevons et fabriquons, qui permettent à un char lourd de franchir des coupures humides, relèvent d'une classification qui les assimile à des chars lourds. De ce point de vue, l'EFA et le char Leclerc sont similaires. Pourtant, l'EFA n'est équipé ni de canon ni de munitions. Et cela prévaut également s'agissant du soutien, des pièces de rechange, des interventions. La procédure s'avère extrêmement lourde. Aujourd'hui, les démarches sont certes accélérées grâce au réseau à haut débit ENX qui permet d'obtenir des CIEEMG en ligne, mais cela mobilise des gens devant les écrans pour traiter les demandes. Faute de personnels derrière les machines pour valider ou non les demandes en temps et en heure, les appels d'offre nous échappent.

Enfin, dans le cadre d'une prospection de matériel, il arrive fréquemment que les forces armées étrangères se déplacent en France pour voir le matériel utilisé par les régiments. Organiser une telle présentation requiert quatre engins, leurs équipages, et, de préférence, un char lourd, au moins un engin blindé du génie, plus d'autres véhicules. Bref, il faut mobiliser au moins l'équivalent de deux sections pour une démonstration d'une demi-journée, qui est facturée 25 000 euros. Or une présentation dynamique peut être un argument de poids, par exemple en prouvant qu'avec quatre engins, on peut fabriquer un pont de cent mètres en dix minutes. Mais la facture est lourde. Au rythme d'une démonstration par trimestre, le coût s'élève à 100 000 euros par an, ce qui est considérable pour une PME de 150 personnes. Une telle facturation est absurde car une démonstration de ces matériels équivaut, pour les régiments qui les utilisent, à un entraînement réalisé devant des tiers. Si l'exercice est rémunérateur pour les armées, son coût excessif se révèle dissuasif pour les PME.

En conclusion, je considère qu'il faut réorganiser « l'équipe de France de l'export » et mettre fin aux divergences entre les différents acteurs. Je regrette que pour organiser une démonstration à l'étranger, la PME française doive envoyer ses propres équipes sur place. L'industriel allemand, lui, adresse une demande à l'équivalent allemand de la DGA, qui met à disposition des équipages pour présenter les matériels dans les pays étrangers. C'est donc l'État qui vient à l'appui de l'industrie et cela représente un soutien fort. Cela manque aux PME françaises. Il faut également que les attachés, indépendamment de leurs centres d'intérêt, s'impliquent davantage dans une démarche qui demeure commerciale et qu'ils soient au contact des officiers supérieurs dirigeant le bureau d'achat, afin qu'une relation s'établisse. Le cadre légal de la CIEEMG doit être modifié, mais il s'agit d'un travail de fond qui ne se fera pas en quelques semaines ou quelques mois compte tenu de la diversité des matériels. Adapter ne serait-ce que la nomenclature et la classification des matériels en service dans l'armée de terre simplifierait déjà grandement le travail de l'administration comme des industriels. Une autre forme de soutien aux industriels, et surtout aux PME, serait que les démonstrations dans les unités ne soient plus payantes, ou qu'un tarif préférentiel soit appliqué aux PME. Il y a une quinzaine d'années, la pratique officieuse consistait à payer le carburant. À 25 000 euros la demi-journée, cela coûte très cher.

Je vous ai parlé des PME, mais CEFA est une entreprise atypique puisque, avec 150 personnes, elle est maître d'oeuvre industriel pour un matériel majeur de l'armée de terre. Les problèmes qu'elle rencontre sont ceux des grands maîtres d'oeuvre tels que Nexter, CNIM, Panhard ou Renault Trucks Défense, mais ils sont démultipliés par l'énergie nécessaire pour obtenir les autorisations et effectuer les démarches commerciales. Il faut convaincre qu'une PME peut être solide, développer des matériels et se tourner vers l'exportation. C'est ce que nous avons fait en 2006 en obtenant un contrat de plus de 60 millions d'euros des Émirats arabes unis qui utilisent l'EFA pour relier leurs îles, artificielles ou naturelles. L'exportation est autant le fait des grands groupes que des PME, bien que ces dernières y participent de moins en moins de façon autonome. En tout état de cause, CEFA est le dernier indépendant. Il faut définir un nouveau cadre pour gérer les exportations en dépoussiérant la loi. Il s'agit de mettre en place une équipe de France de l'export, où tous fassent bloc.

PermalienPhoto de Guy Teissier

La gestion de nos unités est devenue beaucoup plus rigoureuse ; elles économisent sur tout. Je comprends votre préoccupation et il faut trouver une solution, mais on ne peut pas demander à des unités du génie et de la cavalerie de tout financer. Faire venir un char sur un porte-chars à un endroit précis coûte cher. Sans vouloir me faire systématiquement l'avocat des armées, il faut se rendre compte que ce qui était vrai hier ne l'est plus forcément aujourd'hui. Elles ont désormais des comptes à rendre et ce n'est pas forcément plus mal.

PermalienFrédéric Schmidt

Il n'empêche qu'il existe du favoritisme à l'égard de certaines sociétés.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Cela, en revanche, n'est pas acceptable, mais c'est autre chose. Au fait, avez-vous des concurrents ?

PermalienFrédéric Schmidt

Pas directement. Indirectement, la CNIM.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Elle est spécialisée surtout dans les escaliers mécaniques, mais elle fait aussi du matériel de franchissement.

PermalienFrédéric Schmidt

Elle est spécialisée dans l'arrière, nous dans l'avant. Le seul concurrent que j'ai est allemand. Il est implanté à Kaiserslautern et il a été racheté par General Dynamics.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Vous n'êtes donc pas tout à fait sur les mêmes segments de marché.

Tout ce que vous avez dit est très intéressant. À propos de l'exportation, je vous renvoie au rapport de notre collègue Yves Fromion. Le ministre nous a déclaré il y a une quinzaine de jours qu'il donnait suite à ses préconisations.

M. Gaiffe a souligné que, du fait de son origine, le ministre est proche de vos préoccupations ; ainsi a-t-il décidé d'un plan visant à favoriser l'accès des PME à l'exportation. Quel bilan tirez-vous de cette action ?

PermalienThierry Gaiffe

Un an, pratiquement jour pour jour, après le lancement, il est difficile de le faire sur le plan quantitatif. Qualitativement, les annonces de M. Morin comportaient deux aspects fondamentaux. Le premier consistait à rendre visibles aux PME les grands programmes de défense et les grands domaines de R&T stratégiques pour la défense ; le second à mieux adapter les marchés à la taille des PME. Les services de la DGA ont tenté de se réformer pour s'adapter aux directives du ministre, ce qui représente un bouleversement culturel. Par exemple, j'avais proposé une journée R&T, comme cela se fait au CNES. Une fois par an, l'ensemble des acteurs industriels sont réunis pour leur communiquer de manière transparente les programmes de recherche en cours, à l'exception de ceux qui sont entièrement couverts par le secret défense, ainsi que les besoins pour les années à venir. Cela permet à toutes les PME de savoir ce qui se fait et ce qui se fera demain, et de mieux orienter leurs propres recherches, mêmes autofinancées, pour bénéficier du dispositif Recherche exploratoire et innovation – REI – qui peut se transformer en PEA. Cette journée R&T a eu lieu le 8 octobre. Elle n'a pas encore la même qualité que celles du CNES ou de l'Agence spatiale européenne, mais c'est un début encourageant. Des journées thématiques trimestrielles se sont également tenues, par exemple sur la robotique. Elles sont organisées conjointement avec le Comité Richelieu. Progressivement, la visibilité s'améliore.

S'agissant de l'accès à la commande publique, le ministre avait prévu une cellule d'achat se concentrant sur les marchés entre 300 000 et deux millions d'euros. Elle est en train de se mettre en place, et il est un peu tôt pour savoir si elle est efficace. Le ministre veut que les choses avancent et ne manque jamais de proposer aux industriels de s'ouvrir directement auprès de lui de difficultés éventuelles, mais pour l'heure, il est malaisé d'identifier des résultats tangibles. Ils sont difficilement mesurables, faute d'indicateurs. Seule la part des petits contrats par rapport aux grands est connue. En l'occurrence, la part des PME dans les achats depuis que la DGA a signé le pacte PME représente 0,8 % des programmes de défense. J'aimerais qu'il y ait davantage d'indicateurs, qu'ils soient davantage diffusés, en particulier auprès des parlementaires et des organisations interprofessionnelles telles que la mienne, pour que l'on vérifie si les consignes données par le ministre sont suivies et concourent à améliorer le dispositif.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Je suis d'autant plus satisfait de cette audition que j'ai moi-même dirigé une PME pendant des années avant de siéger ici. Je mesure donc le parcours du combattant que doivent répéter les chefs d'entreprise au jour le jour. Nous devrions, monsieur le président, créer un groupe de travail sur le PME pour que les parlementaires intéressés puissent faire des propositions et améliorer les procédures, qu'il s'agisse de la CIEEMG ou du carcan qu'imposent le pseudo-secret et le pseudo-confidentiel, qui n'ont plus grand sens aujourd'hui. Je félicite ce pan de notre industrie qui apporte beaucoup à notre pays, voire parfois plus que certaines grandes sociétés.

PermalienPhoto de Guy Teissier

L'idée de ce groupe de travail me paraît intéressante.

PermalienPhoto de Michel Grall

Merci, messieurs, pour vos interventions à la fois claires et riches. Vous avez souligné vos difficultés à accéder aux marchés tant internationaux que domestiques, aux sources de financement, qu'il s'agisse du crédit ou des programmes de recherche et développement, et à protéger très légitimement votre propriété industrielle. Le constat est lucide, mais n'est malheureusement pas nouveau. Comment vous expliquez-vous de ne pas être mieux entendus par vos interlocuteurs, au premier rang desquels la DGA et, plus généralement, le ministère ? Que faudrait-il faire pour y remédier ? Les entreprises exclusivement tournées vers la défense ressentent-elles plus profondément les difficultés ? Vous êtes tous détenteurs d'une part de notre patrimoine technologique de défense nationale. Quelles sont les mesures prises par la France pour sa protection ? Comment la renforcer ?

PermalienThierry Gaiffe

Avant tout, je précise que le Comité Richelieu est une association apolitique. Mais force est de constater que, par rapport à ses prédécesseurs, toutes couleurs politiques confondues, le ministre actuel prête aux PME une oreille plus attentive, probablement parce qu'il est lui-même fils d'artisan. Son approche de la place des PME dans les marchés de défense est extrêmement volontariste. Auparavant, nous ne bénéficiions pas d'une écoute aussi attentive à la DGA, ce qui prouve les hommes politiques peuvent venir à bout d'une certaine inertie administrative, s'ils en ont la volonté.

En ce qui concerne la dualité de nos activités, j'estime que, dans le contexte actuel, rester dans le seul secteur militaire est une erreur stratégique grave. Certains de mes confrères n'ont malheureusement pas le choix, mais j'invite leurs bureaux d'étude à réfléchir à une ouverture sur le civil – d'autant que, depuis quinze ou vingt ans, celui-ci est plus avancé que le militaire en matière de haute technologie.

Pour prendre un exemple personnel, j'ai inventé, avec des confrères ingénieurs, une nouvelle technologie, a priori destinée au secteur militaire : les centrales inertielles – notre entreprise est la seule PME au monde à en fabriquer – et en France, nous sommes les concurrents directs de SAGEM. À la fin des années 1990, on m'a dit : « ne rêvez pas : vous n'arriverez jamais à vendre à la défense nationale. Nous sommes satisfaits de SAGEM et nous n'avons pas en France les moyens d'avoir plusieurs acteurs – surtout si vous êtes une PME. » Voilà qui avait le mérite d'être clair ! Nous nous sommes donc tournés vers la marine civile, pour laquelle nous avons pu équiper des pétroliers. Une fois un certain chiffre d'affaires atteint, il leur a fallu reconnaître que mon matériel, qui permettait d'aller chercher du pétrole à 3 000 mètres de profondeur, était performant en environnement difficile et qu'il pouvait équiper la marine militaire.

Cet aller-retour entre le civil et le militaire est important quelle que soit la taille de l'entreprise, mais plus encore pour les PME. Notre faiblesse réside dans la trésorerie : nous avons des carnets de commande pour deux ou trois ans, mais lorsque le marché militaire se rétracte, nous sommes confrontés à d'importantes difficultés. Dans le domaine civil, la visibilité est à plus court terme, mais la réactivité est plus forte – or, par nature, une PME doit être réactive. J'incite donc vivement les PME à fonctionner sur un mode dual.

J'en viens à la question sur le patrimoine. Il existe plusieurs cas de figure. Lorsque les capitaux propres atteignent un niveau critique et qu'une PME est positionnée sur un secteur stratégique pour la défense nationale, elle devient une proie intéressante. M. Juillet a été nommé il y a quelques années haut commissaire à l'intelligence économique. Une de ses missions est d'être attentif à ce que les entreprises considérées comme stratégiques ne soient pas absorbées par de grands groupes internationaux, en particulier américains. Onze secteurs d'activités essentiels pour la nation ont été retenus. Pour chacun d'entre eux, une liste de PME stratégiques a été dressée. Bien que chef d'entreprise et président d'une association de PME, dont le tiers travaille pour le monde de la défense, je n'ai eu accès à aucune des deux listes, classées secret défense. J'ignore même si ma propre entreprise est considérée comme stratégique, et si l'on m'empêcherait d'ouvrir son capital si j'en ressentais un jour le besoin. Si une entreprise est stratégique, il faut du moins que ses dirigeants soient informés. Aujourd'hui, il convient de se demander ce qui pourrait se passer dans un contexte de crise. Interdire de vendre fait sens, mais existe-t-il un plan B ?

Une seconde problématique tient au départ en retraite d'un chef d'entreprise désireux de transmettre ses actifs. Les possibilités de transmission ne sont pas claires. Là encore, j'ignore quelles sont les intentions du haut commissaire à l'intelligence économique sur cette question.

PermalienJacques Battistella

À travers cette question sur l'intérêt de la dualité pour les PME, vous abordez un sujet extrêmement intéressant et d'une grande actualité.

Travailler pour la défense pose un premier problème, de nature commerciale : le nombre de clients est particulièrement restreint. De surcroît, l'un d'entre eux peut, par l'intermédiaire de la CIEEMG, décider de ce qu'il est possible ou non de vendre. Il s'agit donc d'un marché extrêmement contraint, à l'opposé des impératifs qui caractérisent une PME, qui se doit d'être réactive et de se développer le plus vite possible.

En outre, il est de notre devoir – ainsi que du vôtre – de rendre la défense attrayante pour les PME. Souvenons-nous de la guerre froide : c'était une compétition technologique, pour laquelle beaucoup d'argent était mobilisé, et qui exerçait un effet d'entraînement positif sur le reste de l'économie ; les entreprises du secteur bénéficiaient de marges importantes, d'une trésorerie confortable et de gros budgets. La situation actuelle est exactement inverse : les budgets sont contraints, fluctuants, et c'est la technologie civile qui tire le marché. Le week-end dernier, j'ai rencontré des responsables de sociétés de capital risque. Ils m'ont clairement mis en garde contre le risque qu'il y avait à évoluer dans le secteur de la défense, « beaucoup trop contraint ». Sur le long terme, cet affaiblissement des PME de défense est problématique. En effet, si la France entend conserver un avantage technologique sur ses adversaires potentiels, il est impératif d'attirer des talents et des idées afin de développer la réactivité de notre industrie de la défense. Or cette réactivité se trouve principalement chez les PME.

En outre, nous avons fini par nous satisfaire d'être seconds derrières les Américains.

PermalienJacques Battistella

Exactement.

Or tout le monde semble vouloir ignorer qu'aujourd'hui, le danger ne vient pas des Américains, mais des Chinois, des Russes, des Indiens, voire des Brésiliens, qui progressent de manière très rapide sur le plan technologique et qui vendent leur matériel dans le monde entier moitié moins cher que nous. Le risque est que, demain, nous soyons confrontés à de nouveaux concurrents non seulement dans le domaine industriel, mais également sur le terrain militaire. Ce que j'appelle « l'écart arrière » est en train de se fermer. Si nous ne le maintenons pas, nous devrons nous préparer à de lourdes difficultés. C'est pourquoi il est essentiel que l'industrie en général et les PME en particulier se sentent à nouveau attirées par les marchés de la défense et permettent à la France de récupérer son avantage technologique.

PermalienFranck Poirrier

À la DGA, l'écoute s'améliore – même si, comme l'a souligné M. Battistella, elle demeure soumise à beaucoup de contraintes. Cinq années nous ont été nécessaires pour conserver la fourniture de plans focaux et de caméras pour les satellites d'observation HELIOS et SPOT, activité dont les maîtres d'oeuvre nous avaient évincés parce qu'ils entendaient s'approprier notre technologie. La DGA a imposé la présence de SODERN dans la réponse à l'appel d'offre, en la présentant comme un gage de qualité. Il s'agit pour nous d'une grande victoire. Le processus a été long, mais son résultat prouve que les choses avancent.

Il faut reconnaître que la DGA est contrainte par le code des marchés publics et la mise en concurrence des fournisseurs, c'est-à-dire, concrètement, de la politique de PME et de grosses sociétés. Le code spécifique à la défense qui a été mis au point récemment ne règle pas le problème de l'inégalité entre les concurrents. Il conviendrait de définir des objectifs de politique industrielle en hiérarchisant les objectifs de court, moyen et long termes.

Les contraintes propres au marché de la défense imposent la dualité des activités. Ainsi, SODERN vend des analyseurs de ciment et de charbon, qui permettent d'accroître l'efficacité tout en polluant moins. Nos machines sont présentes quasiment dans le monde entier, sauf en France, seul pays où leur utilisation est interdite. Vous évoquiez tout à l'heure la CIEEMG, mais, d'une manière générale, la réglementation française est beaucoup plus dure que les autres, notamment la réglementation européenne. Ma PME est duale afin de disposer d'un champ d'activités suffisant pour faire face aux aléas de budget de la défense.

Quant au patrimoine, il est extrêmement lourd et coûteux pour une PME de déposer un brevet. Cela se fait très peu.

Une précision pour finir : je ne critique bien évidemment ni mon actionnaire, ni le fait même que SODERN ait pour actionnaire principal un grand groupe, EADS. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la directive européenne considère qu'une société détenue à plus de 50 % par un grand groupe n'est pas une PME. Elle a peut-être un avantage de trésorerie, mais pour le reste, elle est confrontée aux mêmes difficultés que les autres.

PermalienFrédéric Schmidt

Pour répondre à la question sur le patrimoine, CEFA était, dans les années 1960, la filiale d'un groupe allemand. En 1985, mon père a réalisé la première reprise d'une entreprise de défense par ses salariés. En 2006, après avoir été pendant trois ans président du directoire, j'ai acquis l'actionnariat complet de la société.

Cet exemple montre qu'il est possible de transmettre une PME ; encore faut-il savoir ce que c'est, comment la gérer et où trouver les compétences dont elle a besoin. Le problème dépasse de loin le seul secteur de la défense. En France, le tissu industriel regroupe essentiellement des PME de dix salariés et des entreprises de plus de 1 000 salariés. Il existe peu d'entreprises de taille intermédiaire.

PermalienFranck Poirrier

Si : SODERN, qui se trouve au milieu de nulle part !

PermalienFrédéric Schmidt

Combien d'entreprises, en France, ont entre 100 et 200 salariés ? Par rapport à l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, nous en manquons cruellement !

Revenons au secteur de la défense. Par le passé, la DGA avait confié des marchés à Matenin, société implantée à Nevers, qui fabriquait des enfouisseurs et disperseurs de mines. La DGA n'a pas vu les problèmes de cette société, et n'a réussi ni à la faire rebondir dans le secteur civil, ni à la faire reprendre par un autre industriel. Or, il me semble que l'État a également le devoir d'identifier ce type de problème et d'y apporter des solutions. En l'occurrence, CEFA a pu reprendre les produits de la société Matenin et pérenniser le système d'armes. Il faudrait toutefois un dispositif facilitant la transmission des savoirs et des sociétés tout en favorisant les échanges. Pour l'heure, il n'existe rien de tel au sein de la DGA.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Sur ce sujet, je me permets de vous renvoyer au rapport de nos collègues Jean Michel et Bernard Deflesselles.

PermalienPhoto de Marc Francina

Monsieur Poirrier, votre PME bénéficie tout de même d'un filet de sécurité, grâce à vos deux actionnaires principaux. Comment arrivez-vous à préserver votre vertu ?

PermalienFranck Poirrier

Cette sécurité est très relative !

PermalienPhoto de Marc Francina

Tout de même, lorsqu'une PME a pour actionnaires EADS – à 90 % – et Areva – à 10 % –, les banquiers vous regardent différemment…

PermalienPhoto de Jacques Lamblin

Après vous avoir entendu, force est de constater que nous avons beaucoup de chance – je le dis sans flagornerie – d'avoir des PME aussi combatives et innovantes. Dans le système économique actuel, ce n'est pas si simple !

Manifestement, vous rencontrez des difficultés dans vos relations avec la DGA, qui a tendance à faire confiance aux gros opérateurs plutôt qu'aux PME, ce qui vous oblige à passer par leur intermédiaire. Comment les contourner ? Vous avez donné un élément de réponse, en soulignant qu'il était possible d'introduire dans les appels d'offre de la DGA des clauses imposant de recourir à certaines compétences détenues par des PME françaises. Toutefois, on observe un vrai choc de cultures entre la DGA et les PME. Ne pourrait-on imposer aux ingénieurs de la DGA de passer quelques mois dans des PME ?

PermalienFranck Poirrier

Je suis totalement d'accord avec votre remarque : une mobilité des ingénieurs de l'armement vers l'industrie serait extrêmement profitable. Toutefois, j'y mettrai un bémol : les règles de déontologie bloquent ce genre de dispositif.

S'agissant de SODERN, permettez-moi de faire un point de droit : un conseil d'administration réunit des administrateurs, non des actionnaires. Les administrateurs sont présents à titre personnel, pour défendre l'entreprise. Ils ne peuvent que « recommander » des mesures. Si ce n'est pas le cas – surtout quand il est question d'un tiers –, il s'agit de gestion de fait.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Pour ma part, j'ai toujours pensé que l'entreprise était la propriété des actionnaires : pour la diriger, ceux-ci élisent des administrateurs, qui ont la capacité de défendre l'entreprise, certes, mais aussi les actionnaires.

PermalienThierry Gaiffe

Je suis d'accord avec M. Lamblin : il existe une barrière culturelle entre la DGA et les PME, qu'il convient de dépasser. Alors, pourquoi ne pas obliger les ingénieurs de l'armement à aller voir ce qu'est une PME ? Que ma PME possède un bureau d'études étonne certains de mes anciens condisciples. C'est incroyable ! Il faudrait que dès leur formation initiale, les élèves ingénieurs fassent des stages en PME, et pas seulement au sein des très grands groupes.

Symétriquement, il faudrait que les PME accèdent à un lobbying de haut niveau. Même s'il existe des règles de déontologie, chacun sait que des polytechniciens issus du corps de l'armement pantouflent dans les grands groupes, avant de revenir à la DGA. C'est pourquoi nous avons soutenu la proposition ministérielle d'ouvrir le Centre des hautes études de l'armement aux dirigeants de PME, afin que ceux-ci puissent accéder aux futurs grands cadres de l'armement, des armées ou des grandes entreprises de la défense.

PermalienChristian van Hecke

Pour aller dans le sens de M. Francina, la trésorerie est pour ma société un souci quotidien. Nous ne bénéficions d'aucun soutien en cas de besoin, ce qui constitue une différence fondamentale par rapport à SODERN.

Monsieur Lamblin, je ne vois pas comment contourner les grands maîtres d'oeuvre, car il s'agit de mes clients. Je n'ai pas d'accès direct à la DGA. Dans la catégorie des équipementiers, je produis des briques, et non des murs. Il me faut donc vendre la brique au constructeur du mur. L'ambition que nous partageons aujourd'hui gagnerait à être davantage entendue par les grands maîtres d'oeuvre et que des directives politiques leur soient imposées.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Cette table ronde était une première : si nous auditionnons régulièrement les représentants des grands groupes, c'était la première fois que nous recevions des dirigeants de PME. Nous avons pris beaucoup de plaisir et d'intérêt à vous entendre. Vous proposez des technologies qui font l'excellence de nos équipements. Or on a malheureusement tendance à ne féliciter que l'industriel qui présente le produit fini et non les équipementiers.

De vos propos, je retiendrai quatre grands problèmes.

Premièrement, l'accès à la commande publique est rendu difficile par la diminution du nombre des fournisseurs et par la réduction des marges, ce qui défavorise les PME.

Deuxièmement, vous êtes insuffisamment informés des opportunités que vous pourriez avoir, parce que vous manquez de visibilité sur les besoins de la défense – d'où l'intérêt de diversifier vos activités. Ce phénomène se trouve aggravé par la transformation des relations entre les PME et les grandes entreprises.

Troisièmement, les donneurs d'ordre tendent à vouloir s'entourer de garanties que les PME sont rarement en mesure de fournir. C'est pourquoi la situation est tout de même moins difficile lorsqu'une PME est adossée à de grands groupes.

Enfin, vous rencontrez des difficultés à l'exportation, qui tiennent à des facteurs économiques, comme une taille insuffisante ou la tendance à se concentrer sur un seul pays, ainsi qu'aux délais de traitement par la CIEEMG, lesquels sont souvent supérieurs aux délais de réponse pour les appels d'offre.

Il reste donc du travail à faire, et nous pourrions confier à nos collègues Michel Voisin et Jean Michel la rédaction d'un rapport sur ces thèmes.

Messieurs, au nom de tous mes collègues, je vous remercie pour vos interventions très intéressantes, ainsi que pour l'ardeur que vous mettez à vous battre.

Complément d'information sur le projet de loi de finances rectificative pour 2008 (n° 1266) (M. Jacques Lamblin, rapporteur pour avis)

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu un complément d'information de M. Jacques Lamblin, rapporteur pour avis sur le projet de loi de finances rectificative pour 2008 (n° 1266).

PermalienPhoto de Jacques Lamblin

Les crédits d'investissement effectivement consommés au titre de ce programme ont concerné quatre postes de dépenses, représentant 232 millions d'euros. En premier lieu les études amont préliminaires et l'avant-projet d'un porte-avions à propulsion classique ainsi que l'analyse fonctionnelle associée ont coûté 28,3 millions d'euros. Deuxièmement, les dépenses consacrées au financement des études de levée de risque et de définition préalables au lancement de la réalisation se sont élevées à 95,8 millions d'euros. La partie qui a directement bénéficié aux Britanniques représente quant à elle 103 millions d'euros, par l'application du Memorandum of Understanding franco-britannique signé le 06 mars 2006. Celui-ci prévoyait l'accès à titre onéreux aux résultats des études menées antérieurement par le Royaume-Uni, ainsi qu'une contribution française, s'élevant au tiers du financement des études communes menées en 2006 par le Royaume-Uni sur le dessin de base commun aux projets britannique et français. Enfin, l'acquisition aux États-Unis des équipements des installations d'aviation et de la documentation correspondante a absorbé 5,2 millions d'euros.

Je relève tout de même que les résultats des études réalisées pourront être réutilisés lorsque la décision de construction d'un second porte-avions sera prise. Les bureaux d'études ont été maintenus et demeurent opérationnels.

PermalienPhoto de Michel Voisin

Ces montants ne prennent pas en compte la poursuite du travail de certains bureaux. La note continue à s'alourdir.

PermalienPhoto de Guy Teissier

C'est tout le problème des programmes en fin de vie. Nous ne savons pas les fermer. J'ai fait passer une note au Président de la République dans ce sens : nous devons réfléchir à la façon de les éteindre ou des les adapter en cours de vie.

PermalienPhoto de Alain Marty

Je salue l'effort de transparence qui a été fait. La somme est à mon avis plus proche de 250 millions d'euros, car il faut prendre en compte certaines dépenses non retracées dans ces budgets, telles que les études menées au sein de la DGA ou le maintien de personnes en plateforme porte-avions. Il est regrettable qu'à force d'hésitations cet argent ait été perdu, car il est clair que ces études ne pourront pas être réutilisées si le projet devait être relancé.

La séance est levée à 18 heures 20.