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Jean-Luc Pérat
Question N° 100727 au Ministère de la Justice


Question soumise le 22 février 2011

M. Jean-Luc Pérat attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur les réformes de la magistrature administrative. Dans un contexte de contestation grandissante, les magistrats administratifs alertent sur les répercussions des derniers projets de réformes les concernant. En effet, trois aspects du projet de loi sur l'immigration sont d'abord contestés. Ainsi, la procédure applicable au contentieux de l'éloignement des étrangers placés en rétention administrative, et plus particulièrement la délocalisation des audiences dans les centres de rétention, semble injustifiable en droit et notamment au regard de la solennité de la justice. L'examen par un juge unique de l'interdiction de retour sur le territoire français représente également un réel recul des garanties dues aux justiciables, car aucune situation d'urgence ne justifie, ici, une telle dérogation aux garanties normales de la procédure administrative ; le principe doit rester celui d'une justice collégiale, véritable garantie de la qualité des décisions de justice, d'autant plus qu'il s'agit d'un tout nouveau type de décision, lourde de conséquences pour l'étranger. Enfin, le projet de loi prévoit de repousser à cinq jours le délai dans lequel le juge judiciaire doit se prononcer sur la mesure privative de liberté dont l'étranger fait l'objet. Le juge administratif statue quant à lui dans un délai de 72 heures sur la légalité des décisions administratives de placement en rétention et d'éloignement ; une telle réforme conduira donc à l'inversion de l'ordre d'intervention des juges administratif et judiciaire car, jusqu'à présent, le juge des libertés et de la détention se prononçait sur la validité de la privation de liberté avant que le juge administratif ne statue sur la légalité de la décision d'éloignement. Cette mesure implique alors que l'administration pourra procéder à l'éloignement de l'étranger avant même que le juge judiciaire ne se soit prononcé sur la privation de liberté dont l'intéressé a fait l'objet, et entraînera une hausse sans précédent de la contestation des arrêtés de rétention devant les juridictions administratives, et à terme une surcharge très importante de travail, parallèlement à une désorganisation des juridictions. En outre, ces magistrats s'insurgent contre l'amendement introduit dans la proposition de loi d'amélioration et de simplification de la qualité du droit, consistant à restreindre le champ d'intervention du rapporteur public. Ils craignent sa disparition progressive, alors que sa présence est essentielle pour rappeler le droit sur chaque affaire ; la fin de ce "double regard" serait alors préjudiciable aux plus démunis et contraire à la règle du « procès équitable ». Ainsi, il lui demande quelles mesures va prendre le Gouvernement pour éviter la remise en cause de principes essentiels à la justice administrative, afin de contourner la voie d'une justice d'abattage.

Réponse émise le 19 juillet 2011

L'appel en faveur d'un mouvement de grève lancé par les deux organisations syndicales représentatives des magistrats administratifs, a été entendu par quatre magistrats sur dix. Une telle mobilisation est, à tout le moins, le reflet de fortes inquiétude à l'égard des deux projets de réforme, objets du préavis. 1. Sur le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité. Le choix du Gouvernement de placer le juge administratif au centre du contrôle juridictionnel de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière a été favorablement accueilli par les membres du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Si la mise en oeuvre de cette réforme induit un accroissement quantitatif et qualitatif de la charge de travail des juridictions administratives, le Gouvernement veillera à doter ces dernières des moyens leur permettant de continuer à traiter les contentieux des étrangers dans les délais prescrits par la loi. Il est à rappeler que les créations d'emplois obtenues pour la période 2009/2011 (obtenues sur la base d'une hausse prévisionnelle des entrées qui ne s'est finalement pas réalisée), conjuguées avec une démarche volontariste de comblement des vacances, ont permis d'accroître très sensiblement les effectifs du corps : ainsi, en 2011, la juridiction administrative devrait pouvoir mobiliser environ quarante emplois effectifs de magistrats de plus qu'en 2010, et près de cent-dix emplois effectifs de magistrats de plus qu'en 2008. Ces renforts sont particulièrement bienvenus au moment où la juridiction risque d'être confrontée à une nouvelle croissance du contentieux de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière. Par ailleurs, la loi prévoit la possibilité pour le juge administratif de siéger dans « une salle d'audience spécialement aménagée à proximité immédiate (d'un) lieu de rétention ou en son sein ». Il suscite une forte inquiétude de la part des magistrats administratifs. Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 2010-631 DC du 9 juin 2011, que ce dispositif garantissait de façon suffisante la tenue d'un procès juste et équitable des audiences ne pourront, en tout état de cause, se tenir que dans des lieux de justice conçus comme tels, aménagés comme tels, identifiés et identifiables comme tels, normalement accessibles au public et, en particuliers, aux familles des étrangers, et offrant aux magistrats, aux agents de greffes ainsi qu'aux auxiliaires de justice des conditions normale de travail. 2. Sur la possibilité de dispenser le rapporteur public de prononcer des conclusions d'audience. La loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a modifié le code de justice administrative dans les termes suivants : « Dans des matières énumérées par décret en Conseil d'État, le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger. » Cette disposition ne saurait être l'amorce d'une disparition progressive du rapporteur public au sein de la juridiction administrative. Celui-ci est la « signature » de la juridiction administrative et il est le garant, pour la formation de jugement, d'une collégialité effective ; pour le justiciable, d'une meilleure compréhension de la décision rendue ; pour tout observateur, de son rayonnement. Cette disposition préserve, du reste, pleinement l'office de « double regard » du rapporteur public et consacre ses prérogatives puisqu'il ne saurait être dispensé de conclure par le président de la formation de jugement sans son assentiment. Elle a, au demeurant, été jugée conforme à la Constitution, et en particulier au principe d'égalité devant la justice, par le conseil constitutionnel dans sa décision n° 2001-629 DC du 12 mai 2011. Le Conseil a considéré, d'une part, que l'habilitation donnée au pouvoir réglementaire pour déterminer les matières dans lesquelles la dispense de conclusions du rapporteur public à l'audience sera possible se fondait sur des critères objectifs ; d'autre part, qu'une telle dispense ne pourra être décidée que lorsque la solution de l'affaire paraîtra s'imposer ou ne soulèvera aucune question de droit nouvelle. Il est dans l'intérêt de l'institution de dispenser le rapporteur public de conclure sur des dossiers qui posent des questions récurrentes dans une cadre juridique parfaitement déterminé par la jurisprudence. Contrairement à la présentation qui a pu en être faite, cette réforme ne méconnaît nullement les prérogatives du rapporteur public, puisqu'il continuera à examiner l'ensemble des dossiers et que c'est à son initiative qu'il pourra être dispensé de conclure par le président de la formation du jugement. Un groupe de travail, présidé par le chef de la mission permanente d'inspection des juridictions administratives, sera chargé de faire toutes propositions utiles, d'une part, sur la définition réglementaire des matières concernées, d'autre part, sur les modalités concrètes de mise en oeuvre de la dispense de conclusions. Toutefois, cette réforme ne doit, en aucune façon, remettre en cause le principe selon lequel, chaque chambre de chaque juridiction doit continuer de disposer, auprès d'elle, d'un magistrat essentiellement dédié aux fonctions de rapporteur public. Il est impératif que les conditions d'organisation du travail au sein de toute formation de jugement lui assurent la capacité de le faire. Il est souhaitable que la réflexion qui va s'ouvrir soit mise à profit pour réexaminer les matières qui, aujourd'hui, relèvent de la compétence d'un juge statuant seul après conclusion du rapporteur public. Cette démarche pourrait permettre d'assurer le découplage entre l'ensemble des litiges ne pouvant faire l'objet d'un appel. 3. Sur les conditions d'exercice du métier de magistrat administratif. Comme la plupart des services publics, la juridiction administrative se trouve soumise à une exigence sociale plus forte, à un moment où les contraintes budgétaires pèsent sur ses capacités d'adaptation. Les conditions d'exercice du métier de juge administratif, si ce n'est le métier lui-même, s'en trouvent incontestablement modifiées. C'est précisément pour répondre à ces défis que des aménagements procéduraux sont recherchés et continueront à l'être dans un seul état d'esprit : adapter le plus justement l'allocation de ressources nécessairement limitées aux besoins du service public de la justice.

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