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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 28 avril 2009 à 15h00
Lutte contre l'inceste sur les mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est avec émotion et sens de la responsabilité que nous abordons cette question très délicate de la pénalisation de l'inceste. Nous vous suivons totalement, madame la rapporteure, dans votre volonté d'une répression ferme des auteurs et, bien sûr, d'une protection des victimes, en particulier les mineurs.

Néanmoins, les interrogations des parlementaires socialistes restent sans réponses. Un texte aussi fondamental, qui précise et aggrave le code pénal, ne peut faire l'économie d'une réflexion sociologique et anthropologique, et doit être élaboré en cohérence avec le code civil. Or, si nous sommes d'accord pour condamner sévèrement toutes les violences sexuelles intrafamiliales à l'encontre des mineurs, il nous paraît nécessaire de préciser deux notions qui restent floues.

Premièrement, l'âge de la majorité sexuelle est-il fixé à quinze ans ou à dix-huit ans ? Si la contrainte est condamnable quel que soit l'âge, il y a sans doute à travailler davantage sur cette période de quinze à dix-huit ans, d'autant plus qu'à l'article 1er de votre proposition de loi adaptant le code pénal à la spécificité de l'inceste, le troisième alinéa précise : « la contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale. » Pour ce qui est de la contrainte morale, la plus pernicieuse, le texte de votre proposition précise qu'elle « résulte en particulier de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. »

Or on ne peut mettre sur le même plan l'autorité de droit ou de fait, qui constitue une aggravation et aboutit donc à une contrainte morale, et la différence d'âge. La différence d'âge – que l'on imagine importante dans votre esprit, madame la rapporteure – doit être plus précisément définie. À partir de quelle différence d'âge peut-on considérer qu'il y a une contrainte morale ? En clair – veuillez excuser la trivialité de l'exemple – mettez-vous sur le même plan l'agression et la contrainte qu'exerce un ascendant, parent ou grand-parent sur un ou une enfant, et celle d'un frère sensiblement du même âge que sa soeur ? Bien qu'il s'agisse de faits de natures différentes, on ne retrouve pas cette distinction dans le texte de votre proposition, du fait de l'absence de définition claire de la contrainte morale. La notion de différence d'âge, bien qu'évidente dans tous les récits des victimes, ne peut donc constituer un critère juridique solide.

Deuxièmement, le paragraphe 2 bis de l'article 1er pose la question de l'identification de l'inceste lorsqu'il est commis sur un mineur par une personne ayant autorité. Vous proposez de définir cinq catégories de liens familiaux où les relations sexuelles sont définies comme incestueuses ; ce qui constituera une première définition dans le code pénal, mais qui ne tient pas suffisamment compte des évolutions récentes. Si, dans leur sagesse, les rédacteurs du code pénal n'ont jamais défini l'inceste, c'est peut-être par gêne devant un phénomène aussi lourd ; mais il est permis de penser que cette pudeur, rare chez les pénalistes, est plutôt le signe d'une certaine prudence. Comme on le sait, la définition de l'inceste a été et reste fort variable suivant les époques, les coutumes, les peuples. Le doyen Carbonnier, dans son précis de droit de la famille, s'appuyant sur les travaux des anthropologues et des sociologues, faisait une distinction importante entre le tabou universel de l'inceste, la zone d'interdiction absolue que crée une parenté par ascendance – parents et grands-parents – ou entre frères et soeurs, et une zone intermédiaire correspondant aux liens d'alliance.

Suivant les époques et les civilisations, ce qui est prohibé ici peut être licite ailleurs, ou toléré sans être complètement admis. Il s'agit bien évidemment de relations sans contrainte, sans violence, en sachant que l'âge de la majorité sexuelle lui-même est soumis à variation, et c'est là tout le problème. Prenons un exemple ancien : la prohibition des unions de cousinage. Le degré de cousinage dans le droit canon – qui fonde notre droit civil – était très étendu, jusqu'au treizième degré. Bien évidemment, cette position extrême et difficilement vérifiable est peu à peu tombée en désuétude. Les relations entre cousins germains, devenues licites, furent déconseillées pour des raisons génétiques et médicales à partir du XIXe siècle, mais jamais interdites légalement.

Aujourd'hui, avec la recomposition des familles, les premières grossesses précoces et les dernières grossesses tardives, nous connaissons de plus en plus de familles où, par exemple, la nièce est plus âgée que l'oncle. Ces distorsions n'impliquent pas pour autant que l'agression sexuelle soit admissible, mais rendront compliquée l'identification de l'inceste tel que vous le décrivez. Enfin, je rappelle que par autorisation spéciale du Président de la République, les mariages entre oncle, tante, nièce et neveu sont possibles.

Enfin, vous définissez une cinquième catégorie, qui concerne les concubins ou les partenaires liés par un PACS ; je suis entièrement d'accord avec vous, madame la rapporteure : aligner le statut des familles recomposées sur celui des familles « à l'ancienne » – si vous me passez l'expression – est essentiel aujourd'hui.

Reste que lorsque deux personnes s'aimeront, faisant fi de liens d'alliance nouvellement constitués, nous serons bien embarrassés, et les juges encore plus. Imaginez la situation – pas si invraisemblable – où un homme glisse du statut de « beau-père » à celui de concubin : nous connaissons tous des cas de ce genre, particulièrement délicats à traiter.

Madame la rapporteure, votre texte est juste lorsqu'il interdit et punit l'inceste dans les liens de parenté. Mais pour ce qui est des liens de l'alliance, il faut le retravailler en suivant l'évolution du code civil. Il ne s'agit en aucun cas d'admettre, d'atténuer ou de diluer la responsabilité des auteurs d'agressions sexuelles à l'égard de mineurs, mais une incrimination dans le code pénal se doit d'être précise, et il serait navrant que des victimes soient éconduites à cause d'une loi imprécise sur des points cruciaux.

En commission, nous étions d'accord sur la nécessité de mieux former les équipes dans les services hospitaliers, quels qu'ils soient – n'ayons pas de fausse querelle sur les types d'hôpital : nous sommes tombés d'accord sur ce point. Information, sensibilisation et formation des personnels médicaux, sociaux et éducatifs sont fondamentales, et la volonté que l'inceste soit mieux appréhendé par les services de police, de gendarmerie ou le parquet va dans le bon sens. Il y a là des pistes intéressantes, et je regrette que l'on ait opposé l'article 40 à vos demandes légitimes, même s'il faut s'interroger sur la pertinence de créer des unités médico-judiciaires, difficiles à mettre sur pied du fait du manque de spécialistes. Quoi qu'il en soit, une plateforme régionale est nécessaire, pour recevoir les jeunes victimes de crimes sexuels.

Je terminerai en insistant sur la prévention en milieu scolaire. Les enfants doivent être informés au mieux du respect qui est dû à leur corps et du respect que leur doivent les adultes.

En conclusions, ce texte est encore perfectible, et nous espérons que vous ferez un bon accueil à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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