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Intervention de Yves Cochet

Réunion du 26 septembre 2007 à 15h00
Accord france-canada sur les champs d'hydrocarbures transfrontaliers — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Cochet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je parlerai peu de l'objet très précis de ce protocole d'accord entre le Canada et la France, lequel porte sur d'éventuels différends qui pourraient surgir d'éventuelles découvertes d'hydrocarbures dans des zones dont aucun accord international n'a à ce jour précisé qui a le droit exclusif de les exploiter. Je voudrais donc vous faire part, puisque chacun aujourd'hui s'attache – nous l'avons vu à propos de la convention sur les brevets européens – à être « réaliste », de la façon dont je vois la « réalité » de l'énergie dans le monde et des conséquences que pourrait entraîner ce protocole.

Selon moi, une civilisation ne saurait survivre longtemps si elle ignore ou ne se prépare pas à la déplétion de sa base énergétique. C'est pourtant ce que semblent faire, non seulement la France, mais une bonne partie des gouvernements du monde. Il suffit de se référer au triomphalisme de la France, dans sa grandeur nucléaire, ou à la conviction d'autres pays que l'exploitation des combustibles fossiles, notamment les hydrocarbures, assurera leur croissance pour de nombreuses années.

Ainsi, dans l'ouvrage publié tous les ans vers le mois d'octobre par l'Agence internationale de l'énergie, qui fait référence en la matière, des centaines d'experts patentés – ingénieurs, économistes et géophysiciens – affirment qu'en 2020, en 2030 et même au-delà, toutes les énergies du monde vont croître. Quelle illusion pour nous, en tant que politiques, de croire que, dans les prochaines décennies, la production énergétique va croître, quelle que soit l'énergie primaire, le pétrole, le gaz, le charbon, l'hydro-électricité, la biomasse, voire l'uranium ! On tire des plans sur la comète, et dans tous les secteurs – technologique, économique, social, bref, politique – en croyant que cette croissance, à laquelle nous sommes drogués, notamment depuis la Seconde Guerre mondiale, va continuer pour encore longtemps.

La répartition de la consommation globale de la planète montre que la grande énergie du monde est le pétrole, pour environ 40 %. Deux autres se montent à 20 ou 22 % chacune : le gaz naturel et le charbon. Les seuls fossiles représentent donc de 82 à 84 % de l'énergie du monde, le reste étant constitué pour 3 % de nucléaire, de l'hydro-électricité et de la biomasse – c'est-à-dire le bois. Ce sont les fossiles, soit les hydrocarbures – pétrole et gaz –, qui font vivre notre planète, et notamment les pays de l'OCDE, de la manière qu'ils connaissent. Or j'aimerais vous prouver que, du point de vue de la pure logique matérielle, les choses vont considérablement évoluer, et dans un avenir suffisamment proche pour qu'on en prenne conscience et qu'on s'en occupe.

J'ai entendu aujourd'hui le Président de la République, M. Sarkozy, dire que la priorité absolue de la France était de mettre en place un New Deal écologique et économique, tout en évoquant le changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre et le protocole de Kyoto. Hier, le Président Bush en a également parlé, mais à sa façon, dans la mesure où les Américains n'ont pas ratifié le protocole de Kyoto.

Je me rappelle avec une certaine émotion, voire un peu d'amusement, l'élection présidentielle de 1974, année du premier choc pétrolier. Je soutenais alors René Dumont, candidat à l'élection présidentielle, qui, vous le savez, n'a pas été élu. Nous parlions, nous écologistes, du changement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. Autant vous dire que nous étions alors la risée absolue de la France médiatique et politique et du monde entier ! On nous conseillait de retourner jouer dans le bac à sable, avec nos histoires de changement climatique et de gaz à effet de serre, car ce qui comptait, c'était la croissance et la grandeur de la France…

Aujourd'hui, curieusement, les gens ne rigolent plus. Mais ce changement climatique, phénomène extrêmement sérieux puisqu'il va durer des siècles, n'est que la moitié du problème, la plus éloignée : il se mesure en décennies. On dit qu'à l'horizon 2050, il faudrait diviser par quatre, en France et en Europe, les émissions de gaz à effet de serre. Mais cela ne concerne que l'aval de la filière. Étrangement, peu de gens s'occupent de l'amont, soit l'autre moitié du problème, qui se mesure non en décennies, mais en années.

Parlons du pétrole, qui est la plus grande ressource énergétique du monde. Pour mesurer les réserves d'énergie fossile, tout le monde se fonde sur le ratio des réserves divisées par la production – considérant celle-ci comme égale à la consommation : les stocks ne sont pas pris en compte. Il en ressort que nous en aurions encore pour quarante-cinq ans de pétrole, soixante-quinze ans de gaz et deux cent cinquante ans de charbon. C'est un raisonnement totalement idiot, aux plans géologique, écologique, économique et énergétique.

Pourtant, c'est celui qui figure dans les rapports de l'AIE, cette agence publique mondiale, qui fait autorité en la matière : Claude Mandil, son ancien président, grand serviteur de la France, parle du ratio R sur P, en distillant la bonne parole comme quoi nous avons encore le temps. Or il n'en est rien ! Ce qui compte, notamment au plan économique, c'est le moment où la courbe de production va commencer à décliner. Vous savez, comme moi, que le pétrole n'est pas une énergie renouvelable, du moins à l'échelle humaine. Et la demande est en forte croissance, ce dont on accuse parfois les pays émergents. J'évoquerai la Chine et l'Inde dont la croissance économique est essentiellement fondée sur ces énergies qui ne coûtent rien, et notamment les énergies fossiles. Depuis un siècle et demi, l'énergie est quasiment gratuite : un litre de pétrole vaut moins cher qu'un litre d'eau en bouteille !

Cela va changer, parce que cette courbe de la production de pétrole qui ne cesse de croître depuis cent cinquante ans, va bientôt atteindre un pic, puis décliner. Mais quand ? Le sujet est controversé et ce que je vais vous dire ne fait pas l'unanimité.

La semaine dernière, j'étais à Cork, en Irlande, où 600 savants internationaux s'étaient réunis pour prévoir le moment précis où cette courbe atteindra un pic, pour ensuite décroître. La même chose se produira pour le gaz, puis pour le charbon. Mais s'agissant du pétrole, une chose est sûre, c'est que ce n'est pas pour après-demain : c'est pour demain matin ! Et ce phénomène devrait se produire très prochainement, sans doute en 2009 ou en 2010. Je vous rappelle que nous sommes à la fin de 2007. Et, quels que soient les efforts technologiques, les forages de puits horizontaux, la production assistée, l'injection de CO2 ou de détergents, au moment où la courbe de production va décroître, le monde changera. Vous avez pu constater que le prix du baril de pétrole a augmenté depuis 2002. Il était à moins de 20 dollars, contre 80 dollars aujourd'hui. Je ne doute pas que l'an prochain, a fortiori en 2009 et en 2010, nous regretterons amèrement le baril à 80 dollars de ce mois de septembre 2007.

Le choc sera géologique, économique et géostratégique. Le choc géologique, que je viens de décrire brièvement, a été conçu dès 1956 par un géophysicien américain, M. King Hubbert. À cette époque, les Américains étaient les rois du pétrole : ils en étaient à la fois les plus grands producteurs et les plus grands consommateurs. Ils en sont encore les plus grands consommateurs, mais n'en sont plus, loin s'en faut, les plus grands producteurs ou les plus grands exportateurs. Car, non seulement ils n'exportent plus, mais ils importent beaucoup.

King Hubbert – qui a travaillé quarante ans dans l'industrie pétrolière – a donc écrit un article mettant en garde les Américains contre la prochaine décroissance de leur production de pétrole. À l'époque, ses compatriotes n'ont pas cru à ses prédictions et l'ont gentiment traité de Nostradamus ! Comme prévu, quatorze ans après, en 1970, la production intérieure américaine commençait à décroître, et cela fait maintenant trente-sept ans – on peut dire que les chiffres sont avérés ! – qu'elle est en déplétion.

Ce type de méthode géophysique a été appliqué à d'autres régions du monde. Ainsi, la production de pétrole de l'Union européenne est-elle en décroissance depuis 1999. Nos amis Anglais le savent bien, qui aujourd'hui, importent du pétrole et ne perçoivent plus de royalties ! Alors qu'à l'époque glorieuse de l'exploitation pétrolifère en mer du Nord, dans les années 70 à 90, ils s'en mettaient plein les poches !

S'agissant de la production européenne de pétrole, le pic de Hubbert a donc été franchi en 1999.

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