Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Michel Fourgous

Réunion du 26 septembre 2007 à 15h00
Application de l'article 65 de la convention sur les brevets européens — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Fourgous :

Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, chers collègues, je tiens d'abord à remercier Mme Pecresse d'avoir rappelé l'origine parlementaire de ce réveil salutaire et soutenu ce combat depuis le début. Mes remerciements vont aussi à M. Novelli.

Permettez-moi aussi de déplorer encore que nous n'ayons pas la possibilité, dont disposent pourtant la plupart des grands hémicycles de par le monde, de projeter des diaporamas. Dans un débat comme celui que nous avons aujourd'hui, des tableaux statistiques pourraient contribuer à dédramatiser les passions.

Le rapport Lévy-Jouyet, publié l'année dernière, nous donnait à méditer sur le fait que la clé de la compétitivité future de notre pays et de celle de l'Europe réside dans l'innovation et la recherche. Sommes-nous vraiment décidés, cependant, à donner du contenu à ces principes – car, en France, on adore parfois les principes au point d'en oublier les réalités ? C'est ce que nous allons faire aujourd'hui en ratifiant ce protocole de Londres.

Il est facile de crier – et Dieu sait si nous avons entendu crier, tout à l'heure encore ! – quantité de mots et de principes incantatoires. La classe politique française aime répéter : « croissance, croissance ! », ou : « Lisbonne, Lisbonne ! » Quel est le contenu de ces mots ? Qu'est-ce que la croissance ?

La croissance est faite de trois choses : de sueur, c'est-à-dire de travail, d'argent, c'est-à-dire de capital, et, surtout, d'intelligence, c'est-à-dire d'innovation. Or, le brevet est la matérialisation de cette intelligence. C'est aussi la transformation de la matière grise en or. Gardons cette statistique présente à l'esprit : lorsqu'une entreprise dépose un brevet et l'exploite, elle connaît, dans les cinq années qui suivent, une hausse de 30 % de son chiffre d'affaires et de 40 % de ses effectifs, selon une étude d'OSEO.

On a dénoncé tout à l'heure la ratification du protocole de Londres comme une mesure destinée à favoriser les gros. Je tiens à rappeler, à cet égard, que je suis un ancien ingénieur du CNRS : j'ai cherché, j'ai trouvé et j'ai déposé un petit brevet qui a immédiatement permis de créer une entreprise, puis des emplois. Cette expérience m'a permis de mesurer les limites du système actuel : le processus est très long et très coûteux ; une petite entreprise ne peut se protéger auprès de l'OEB, mais doit le faire auprès d'autres structures, beaucoup moins protectrices, tandis que les grosses entreprises françaises, comme EADS ou SAGEM, n'ont pas de mal à payer les traductions de l'OEB. Il faut être très loin de la réalité des chercheurs, des entreprises et du dépôt des brevets pour dire qu'il est ici question d'un complot des gros contre les petits.

Aujourd'hui, on est condamnés à mal se protéger si on ne peut pas payer pour assurer cette protection dans tous les pays d'Europe. En tant que rapporteur de la recherche pour la dernière législature, j'ai pris conscience, avec d'autres, de l'urgence de la ratification. Il s'agit là d'une demande unanime du monde de la recherche – car il faut écouter nos chercheurs – et, bien sûr, des entreprises. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé l'année dernière, avec mes collègues du groupe de travail « Génération entreprises », une proposition de loi sur le sujet.

Il faut être conscients des blocages qu'entraîne le système actuel. Il a déjà été dit que le coût excessif des brevets empêche les entreprises de couvrir toute l'Europe. Alors qu'un milliard de personnes échangent aujourd'hui sur Internet, on a intérêt à comprendre que, si l'on veut travailler, c'est à l'international qu'il faut le faire, et qu'il faut s'adapter.

Pour Renault même, l'investissement dans les traductions grève le budget consacré à la protection des innovations et limite la possibilité d'assurer cette protection pour un plus grand nombre de pays, notamment en Europe de l'Est. Les extensions dans les pays extérieurs à l'Europe sont également freinées. L'exemple du CNRS devrait aussi nous faire réfléchir : les enveloppes consacrées à la valorisation étant limitées, toutes les sommes consacrées à des traductions inutiles sont autant d'argent qui ne servira pas à déposer de nouveaux brevets en français – l'enveloppe est fermée.

Nous voyons enfin ressortir aujourd'hui un sujet qui est resté enterré pendant des années. Il est, mes chers collègues, une personne que je tiens à saluer pour avoir aidé à débloquer cette question. J'ignore s'il est d'usage de rendre de tels hommages, mais je suis un homme politique autonome et je crois qu'il faut parfois rendre à César ce qui lui revient – si je puis m'exprimer ainsi.

Une vraie rupture culturelle, managériale, est en train de se produire à la tête de notre pays, parce qu'on met enfin du contenu dans les discours politiques. J'ai vécu cela en inscrivant dans le programme de Nicolas Sarkozy, avec certains de nos collègues, ce protocole de Londres qui nous fait sortir d'un immobilisme de six ans. Il était temps !

Nous donnons enfin suite à toute une série de débats, de concertations – car, dans notre pays, on aime bien la concertation – et de rapports officiels. Je n'en citerai que quelques-uns : la première proposition de loi, déposée par Génération entreprises, signée par 180 députés et soutenue par la communauté scientifique, technique et économique, une proposition de loi de Richard Yung, sénateur socialiste, avec le soutien du groupe socialiste du Sénat, le rapport de MM. Lequiller et Garrigue pour la Délégation pour l'Union européenne, le rapport sénatorial d'Hubert Haenel – qui vont, bien entendu, tous dans le même sens – le rapport Lévy-Jouyet sur l'économie de la connaissance, le rapport parlementaire de Chantal Brunel et Jérôme Bignon sur les délocalisations, la concertation menée à l'initiative de Claude Birraux par l'Office des choix scientifiques et techniques, sans parler de l'amendement de février 2006, voté à l'unanimité dans deux commissions et que nous avons été obligés de retirer à la suite d'une intervention dont il est inutile de rappeler l'origine. De vous à moi, tout cela rend salutaire l'arrivée de Nicolas Sarkozy.

Aujourd'hui, la France est donc « de retour en Europe ». Cette décision était très attendue par nos partenaires européens, qui ne comprenaient plus l'attentisme français dissimulé derrière un principe moral qui n'est pas lié directement au sujet dont nous traitons.

Nous avons connu ces dernières années la reproduction, en miniature, de ce qui s'est produit pour le projet de Constitution européenne. Nous nous trouvons, je le rappelle, à peu près au même point : la France est à l'origine d'un texte, mais contribue à le bloquer. Il y a de quoi, pour nos partenaires européens, être surpris, voire souvent agacés. La ratification par la France débloquera le processus et entraînera une série de ratifications chez nos partenaires européens. Surtout, elle empêchera que nos partenaires de l'OEB ne reviennent à la solution d'une seule langue : le tout-anglais – que, ne vous leurrez pas, souhaitent de nombreux pays –, qui avait été envisagé en 1999 lors des discussions qui ont conduit à la signature de l'accord de Londres. Ce texte est donc, avant tout, bon pour le français.

Pourtant, la ratification a tardé et j'ai l'impression que la question de la francophonie n'a été rien de moins que savamment instrumentalisée. Lors de la saisine du Conseil constitutionnel par M. Myard, certains de nos collègues, dont certains avaient d'ailleurs signé un peu naïvement ce recours, sont même venus me demander – rien de moins ! – s'il était vrai que nous voulions obliger les Français à déposer les brevets en anglais. Même s'il s'agit évidemment d'une contre-vérité, de telles manipulations sont préoccupantes, et il est clair que certains opposants au Protocole ont joué sur cette incompréhension et sur le caractère technique du sujet.

Le Conseil constitutionnel a tranché, rappelant que le Protocole de Londres n'a « ni pour objet, ni pour effet d'obliger les personnes à utiliser une langue autre que le français et qu'il ne confère pas davantage un droit à l'usage d'une langue autre que le français ». Le recours a donc été rejeté.

Prenons garde à ne pas laisser instrumentaliser contre le Protocole la défense du français.

Écoutons Alain Pompidou, ancien président de l'OEB et fils de Georges Pompidou, auteur d'une anthologie de la poésie française, qui nous dit que le protocole de Londres permet de garantir le maintien du français au sein des instances de l'OEB.

Écoutons aussi les pays africains francophones, qui veulent pouvoir déposer en français leurs brevets en Europe sans supporter des coûts de traduction qui sont souvent pour eux une barrière insurmontable. C'est l'OAPI, l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle, qui nous presse de ratifier.

En agitant la question de francophonie, nous jouons à nous faire peur. Gardons-nous, chers collègues, de cette habitude très française – cultivée notamment par une partie de la classe politique – consistant à instrumentaliser un principe moral,…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion