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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 12 décembre 2007 à 15h00
Ratification de l'ordonnance du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Il faut en finir avec la culture millénaire de la vigne en Europe » : ainsi s'exprimait récemment Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européenne chargée de l'agriculture. Mais outre le vin, ce sont les fromages, la charcuterie et bien d'autres produits d'une « culture millénaire » qui sont menacés par une politique européenne conduite au profit des grands groupes !

La Commission européenne aurait-elle décidé de faire disparaître purement et simplement l'agriculture traditionnelle au nom de l'insertion dans les marchés mondiaux ? On peut le croire lorsqu'on constate qu'elle prescrit l'arrachage de quelque 200 000 hectares de vigne en Europe dès 2009 et la libéralisation des plantations en 2014, qu'elle prône la disparition de toute barrière douanière et s'interroge sur le maintien à terme des subventions agricoles... Les grands groupes désireux de produire des vins standardisés pourront s'implanter librement. L'uniformisation et la standardisation des produits passe par l'élimination massive du plus grand nombre d'exploitants agricoles, la production de qualité étant en concurrence avec l'agro-industrie qui ne connaît que la logique financière.

Or les appellations d'origine, comme les autres signes d'identification, jouent un rôle déterminant dans le conflit qui oppose exploitants familiaux et industriels de l'agroalimentaire, car elles définissent le périmètre du marché de certains produits et, conditionnant les comportements des consommateurs, placent ceux-ci en position d'arbitres.

Au fond, deux conceptions s'affrontent. Les tenants de la première considèrent que la segmentation du marché selon le savoir-faire local, la qualité des produits, la culture et le terroir donne du caractère à un produit et permet d'enraciner les produits, les hommes et l'emploi dans un territoire tout en rendant ce produit anticoncurrentiel, car difficilement reproductible dans une autre région, un autre pays. Plus la production sera élaborée, plus le cahier des charges sera rigoureux, plus le terroir sera homogène, plus le produit sera anticoncurrentiel et sa valorisation intéressante pour l'agriculteur. Dans ces conditions, le négoce et le transformateur n'ont pas d'autre choix que de bien rémunérer le producteur. Ainsi, le prix du litre de lait est plus élevé dans la région du comté que dans la zone de production des fromages d'Auvergne, car le cahier des charges y est plus strict. Il en va de même en Normandie, s'agissant de l'AOC incorporant du lait cru. Dans ce type d'appellation, la qualité du produit final dépend en premier lieu du savoir-faire et de la rigueur du producteur.

A cette conception s'oppose celle de l'agrobusiness, dont l'objectif est au contraire de standardiser, d'uniformiser au maximum les produits et les procédés de fabrication afin de pouvoir les présenter sur les rayons des grandes surfaces de Pékin à New York. Une telle logique pourrait conduire les industriels normands à délaisser le lait cru au profit du lait pasteurisé pour réduire leurs coûts de production et standardiser le camembert – au détriment des producteurs puisque le lait pasteurisé, de moindre qualité, leur sera payé bien moins cher.

C'est cette conception que défend la Commission européenne, qui considère que les cahiers des charges rigoureux vont à rencontre de la libre concurrence et refuse aux organismes de défense et de gestion – les anciens syndicats d'appellation – comme aux interprofessions, la possibilité de créer des outils de régulation de l'offre permettrant de maîtriser les cours et d'éviter les crises. Je vous proposerai un amendement visant au contraire à renforcer la régulation.

La politique de la Commission européenne ne fait que transcrire celle de l'OMC, qui menace le concept même d'appellation d'origine au profit d'une politique de marques, surtout depuis que les États-Unis ont quitté l'Organisation internationale de la vigne et du vin. La marque substitue à la dimension collective et culturelle du produit une image marketing, et le système Coca-Cola l'emporte sur l'authenticité et le savoir-faire traditionnel.

Dans ce contexte de marché global, les appellations d'origine font office de digues en protégeant, bien qu'imparfaitement, les connaissances que le temps, l'expérience, l'intelligence, l'opiniâtreté ou simplement le bon sens ont concentré dans les pratiques paysannes. En imposant un terroir spécifique, en limitant les volumes produits, les appellations d'origine freinent les assemblages de matières premières provenant de zones à très faible coût de production. Elles contribuent ainsi à lutter contre le dumping qui oriente les économies du Nord comme du Sud vers la baisse des rémunérations et de la qualité des produits, liée à la régression du pouvoir d'achat.

Pour autant, il ne s'agit pas d'exacerber les rigueurs du cahier des charges, comme le prônent certains responsables agricoles en réaction à la banalisation des produits, car cela favoriserait au final le développement des appellations d'origine ultra-élitistes, ce qui entraînerait la disparition d'un grand nombre d'appellations. Ainsi, votre proposition de confier la décision effective de l'agrément et de son contrôle à des experts extérieurs risque-t-elle de favoriser une interprétation trop rigoureuse des appellations au détriment d'une réflexion globale sur les conditions de production. Il ne faudrait pas que ce projet de loi se transforme, dans son application, en une machine de guerre destinée à exclure du bénéfice des appellations un grand nombre de productions, en particulier viticoles, conformément à la logique européenne.

Cette politique – le marché envahissant tous les secteurs de la production et l'avènement d'une caste de producteurs privilégiés tirant leur épingle du jeu – serait le revers de la médaille libérale. Je constate actuellement que les producteurs fermiers ont parfois du mal à obtenir l'AOC au profit des productions standardisées des industriels. Il en est ainsi de l'AOC Fourme d'Ambert – je vous demande toute votre attention car cela me paraît d'une extrême gravité –…

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